dimanche 25 janvier 2009

Deux jours de foutu


Il y a cent façons de réaliser un nanard. La plus courante, la plus facile sans doute, consiste à prendre une histoire débile, des personnages insignifiants, des acteurs lamentables, un réalisateur inculte, un chef op dépassé, enfin de réunir les plus performants trous du cul autour d’un budget de crise en tentant de faire un film avec. Dans cette catégorie, les Etats-Unis servent de modèle au monde entier, de référence, d’étalon souvent dépassé. Et puis, il y a la french touch
De bons amis à moi m’ont vanté les mérites du dernier film de Jean Becker, « Deux jours à tuer », avec l’épontel Dupatant (ou l’épatant Dupontel, je m’y perds) dans le rôle principal. La qualité et la sincérité de la promotion étaient telles que je me régalais d’avance, prêt à entonner un vibrant éloge à mon tour pour que le fameux bouche à oreille ne manque pas de carburant. Venant de voir ce film, je me trouve dans l’obligation d’apporter ma note au concert, mais de changer complètement la tonalité.
Nous avons donc l’histoire d’un type qui apprend qu’il a un cancer incurable, qui n’a plus que quelques jours devant lui, quelques mois tout au plus avant de claquer et qui se sépare de sa famille, de ses amis (en envoyant chier tout ce monde) pour aller crever tout seul dans un trou perdu. Le sujet n’est pas d’une folle originalité, mais il est suffisamment riche pour qu’on en tire moult chefs d’œuvre. Mais voilà, nous sommes en France, et en France, les chefs d’œuvre sont comme les grands hommes, comme les charges de cavalerie, comme les peintres de génie, comme les révolutions : des choses du passé.
Même dans un grand film, il peut arriver qu’une scène ne soit pas à la hauteur de l’ensemble, il peut arriver qu’un film peine un peu à trouver son rythme mais qu’il vous enchante par la suite. Enfin, il faut savoir être patient quand on se plante devant un écran, patient et bon public. C’est le genre de conneries que je me suis surpris à penser après la première scène importante du film, celle où Telpondu (nan, Du-pon-tel) annonce à sa femme qu’il va la quitter. Certes, les scènes de rupture étant très répandues au cinéma, et il ne doit pas être facile d’y briller par originalité, et on n’en demandait d’ailleurs pas tant à Jean Becker. Mais on pouvait attendre au moins qu’il fasse vivre la saynète, que le dialogue soit un peu réaliste, que les acteurs soient convaincants, que le montage soit efficace. Au lieu de ça, on a une série de questions-réponses indigestes, bien ordonnées (chacun attend que l’autre ait gentiment fini de parler, comme dans un séminaire sur la non-violence), surjouées comme rarement, un truc qui s’éternise en poses ridicules, une scène éclairée façon sitcom, le tout d’une lourdeur et d’une lenteur à faire pâlir un Jean-Pierre Raffarin des meilleurs jours. Puis vient la scène prétexte qui va marquer la vraie rupture du héros avec ceux qu’il fréquente : la scène où il est censé dire leurs quatre vérités aux amis venus chez lui pour son anniversaire. Censée être violente, dans les mots puis dans les actes, cette scène a tout pour endormir les enfants (placez donc le plus turbulent de vos bambins devant l’écran, et vérifiez par vous-mêmes la véracité de mon affirmation). Cependant attention, même dans un film raté, la moins complaisante des critiques doit savoir reconnaître et signaler les éléments exceptionnels, et le film de Becker n’en manque pas, notamment dans cette scène : les acteurs jouent exceptionnellement mal. Tous les acteurs et toutes les actrices réussissent en effet l’exploit de jouer admirablement à l’unisson, mais rigoureusement faux. Ils laissent bien sagement le personnage de Tondelpu balancer des énormités sans lui couper la parole, en restant assis à table, sans s’énerver, parfois même en gardant un sourire accroché à la lèvre comme un herpès disgracieux et quand finalement des coups de poings sont échangés, les actrices se mettent toutes à jouer sur le même et unique registre (éploré non expansif) sans la moindre trace d’hystérie, sans même une mèche dérangée (un détail, pour donner le degré d’amateurisme franchouillard atteint, Pelduton se prend un verre de vin en pleine poire, son T shirt est trempé mais sur le plan suivant, le plan immédiatement suivant, hop ! plus de trace de rien du tout sur le T shirt, puis ça réapparaît, et ça repart selon les plans pendant trois minutes – bordel, suis-je le seul à avoir remarqué ça ? ).


C’est à ce moment-là que je me suis rappelé que Jean Becker est l’homme qui réalisa jadis « Effroyables jardins », un film épouvantable, mal fichu, gnan gnan, stupide, à la photographie de supermarché, où tous les acteurs jouaient faux (je mets de côté Thierry Lhermitte, qui joue faux depuis trente ans dans tous les films où il sévit)… J’en arrive donc à la conclusion que c’est Becker lui-même qui corrompt les acteurs et que sous sa direction, même une Claire Nebou ne peut rien faire de crédible. Rideau !
On vous aura prévenus, Deux jours à tuer, c’est surtout une heure vingt à perdre.

samedi 17 janvier 2009

Grand Hosto! (5)


Sous l’oeil de six caméras, ce fut alors un ballet palpitant d’ordres secs, de gestes courts, de déplacements rapides. L’équipe technique du professeur se mouvait comme les membres d’un octopode, avec précision et silence.
Dans le public et devant les postes de télé, le peuple était enfin sérieux: cette jeune femme était devenue la fille de tout le monde, une partie de tous dont la bataille demandait à chacun un effort sincère. S’il n’avait perdu l’habitude de prier, le téléspectateur moyen serait tombé à genoux en suppliant Dieu.
Une image fut immédiatement appelée à faire le tour du monde: la demi jambe de Fanny sortant du bac frigorifique où elle attendait pour retourner à sa place d’origine. Le moment où l’assistant donna ce moignon au chirurgien, cette passation de témoin comme l’appela Hippolyte, fut diffusé au ralenti des dizaines de fois.

- Du sang, il nous faut du sang!

Un mouvement de panique: le chirurgien hurlait qu’il avait besoin de sang. N’en avaient-ils pas prévu assez, ces cons-là? Qu’importe. Aussitôt Hippo et son équipe se mirent à la tâche. Il s’agissait pour eux de contenir l’ardeur du public, de canaliser cette énergie sacrificielle pour qu’on puisse l’exploiter.
- Mesdames et messieurs, je vous en prie, restez assis! Nous n’avons besoin que de donneurs de groupe B positif, B positif m’sieurs-dames!
Mais l’hystérie les rendaient sourds: tous ces braves spectateurs lassés d’assister continuellement à des morceaux de bravoure sans y prendre part ressentaient un besoin physique de participer au sacrifice. Ils voulaient donner leur sang comme on le fait à la guerre, ils exigeaient qu’on ponctionne le plus précieux de leur corps, qu’on les saigne tant qu’il faudrait mais qu’on ne refuse pas leur bonté.
- B positif, bon sang!
Dans les allées, on se battait pour se faire percer les veines, on s’injuriait, on se marchait dessus pour arriver à l’aiguille des infirmières.

- Non madame, vous êtes trop vieille pour donner votre sang.
- Comment ça? Trop vieille ma mère?!

L’anarchie fut telle qu’on déplora des côtes cassées, des fractures diverses et des évanouissements, tellement qu’il fallu faire intervenir une équipe de pompiers. Un jeune homme impatient habillé façon Rimbaud ne se maîtrisait plus: habitué au don de soi par plusieurs années de bénévolat dans des associations diverses, il exigeait en vociférant qu’on lui pompe tout le sang nécessaire pour sauver « cet être humain, merde! ». Mélangeant la générosité, l’amateurisme et une forme bien connue de poujadisme anti-vieux, il traita les infirmières de vieilles connes et de fascistes. Juste au moment où il hurlait: « J’ai le droit, vous entendez: le DROIT de donner mon sang! », un vigile le saisit par le col, lui donna un coup de tête en plein milieu du nez et l’emporta, mouchant rouge, se faire soigner.
Pour calmer les esprits, on fini par accepter tous les dons, B positifs ou non, en expliquant que le précieux liquide serait employé en cas de besoin pour d’autres occasions.
Un type insignifiant paraissait monopoliser l’écran: c’était l’assistant chargé d’éponger le front du chirurgien. On le voyait tout le temps, il passait comme par miracle dans le champ de toutes les caméras.
- Quand l’opération sera terminée, on ira demander à ce jeune homme quelle est sa formation, proposa Cindy. Existe-t-il des diplômes pour passer des serviettes sur le front des professeurs?
Les seuls finalement à ne pas être obnubilés par le spectacle dramatique de cette partie de puzzle étaient les membres non guéris des deux autres équipes et leurs médecins. Tous mettaient à profit cette diversion pour accélérer leur course à la fortune, indifférents au sort de Fanny et de son morceau de jambe. Par opposition, le public s’était totalement détourné d’eux, les laissant à leurs affaires comme s’ils n’étaient que de simples médecins de campagne.
Dans la première équipe, Michel donnait à ses toubibs un souci particulier: aucun des dix-neuf tests pratiqués sur lui n’était positif, les prélèvements ne révélaient rien d’anormal. Le docteur N’Guyen en arriva à redouter qu’il ne soit pas malade.
Le cas d’Emilie (troisième équipe) posait également problème puisque la pauvre fille ne supportait aucun des produits qu’on lui administrait. Elle faisait des réactions allergiques à presque tout, gonflant par moments, rougissant à d’autres, chiassant avec tant de régularité qu’on l’auscultait désormais directement sur le trône.

Alors que la tension, du fait de l’opération délicate de Fanny, était au zénith, la surprise vint encore une fois de l’équipe féminine. Le docteur Verner-Ducros annonça qu’on venait d’identifier ce qui affectait Luce, la dernière de ses trois patientes: il s’agissait de la maladie de Douglas N. d’Ustelinc (1813-1888), une infection d’origine virale caractérisée par de fortes fièvres, une dysenterie bacillaire, des pertes d’énergie musculaire pouvant toucher le coeur et un dérèglement nerveux rappelant la poliomyélite. Potentiellement, l’équipe 2 avait gagné!
Il restait bien-sûr à guérir Luce, ce qui ne devait pas poser de problème puisque le traitement était connu.
Hippo déplaça immédiatement le centre de gravité de l’émission vers le bloc de l’équipe 2, accompagné de Cindy et de trois autres jeunesses qui semblaient sorties du même moule. Pendant que l’animateur clamait l’imminence de la victoire, l’orchestre passa du requiem à l’allegro le plus échevelé, faisant de nouveau briller ses charlestons furieuses. Les projecteurs se tournèrent également vers le coeur de l’action, laissant tomber une ombre lourde sur le bloc où l’on entait le tibia de Fanny.
- C’est extraordinaire, nous avons probablement devant nous les ga-gnants de ce match inédit, les vainqueurs de l’épreuve la plus réaliste jamais organisée par une chaîne de télévision! Je suis plein d’admiration, et très ému aussi...
- Nous le sommes tous, mon cher Hippo, tous!
- Alors dites-moi, docteur, quand Luce sera-t-elle guérie?
- Un coursier est en route pour apporter l’antidote, un réactif surpuissant qui règlera le problème en moins d’une heure. Sauf si ce garçon meurt dans un accident de la circulation, nous avons gagné!
- Ha, ha, ha! Ne parlez pas de malheur!

Toujours un peu en retrait à cause d’une taille minuscule et d’un physique ingrat, Blandine, la chirurgienne de l’équipe gagnante, prit la parole d’un ton grave:
- Vous savez, nous avons effectivement gagné ce difficile combat de la science contre la maladie, mais c’est un combat qui se livre chaque jour. Aujourd’hui si nous triomphons, il faut que tout le monde sache que dans la clinique que le groupe La Serpette nous offre, nous réservons une place gratuite pour nos adversaires (qui sont aussi nos amis) s’ils ne guérissaient pas rapidement. Je crois qu’il fallait que ce soit dit.
- C’est effectivement une chose importante qui prouve qu’en dépit de votre profession, vous conservez un coeur gros comme ça.
- C’est vrai, Hippo, intervint Cindy, et je crois que nous pouvons proposer en l’honneur des candidats malheureux d’aujourd’hui une minute de silence...
- Une?... Heu, je crois que ça va être assez difficile, Cindy, même si l’intention nous a tous effleuré naturellement, mais une minute... enfin une minute c’est un peu beaucoup, surtout que tout le monde est en bonne santé que je sache, ou entre de bonnes mains! Non, une minute de silence, ha, ha, ha, c’est pour les enterrements!

Tout le monde rit, sauf Faouzi que ce simple réflexe faisait trop souffrir. Hippo reprit l’initiative après avoir décoché à son assistante un regard chargé de menaces.
- Voilà, mesdames et messieurs, nous arrivons au terme de cette première édition de Grand Hosto! une émission qui aura duré plus longtemps que prévu ce soir, en raison de circonstances absolument exceptionnelles. Nous ferons le point définitif du classement demain, avec la remise officielle des prix et des récompenses en présence du président du groupe La Serpette, notre partenaire. Ça risque là encore d’être un grand moment de télévision.
Pour ce qui est du courrier considérable que nous recevons, je tiens à préciser que nous répondrons à tout le monde mais qu’il est inutile de vouloir participer au jeu si l’on est déjà malade: seules les candidatures de gens en bonne santé seront retenues, après un examen médical sérieux. Nos services ont compté plus de cent trente mille candidatures validées, cent trente mille! ce qui nous obligera rapidement à cesser les recrutements.
Concernant les dons d’organes, il est impératif d’appeler le numéro de téléphone qui défile en ce moment à l’écran pour que la collecte s’organise efficacement. Je peux d’ors et déjà vous indiquer que nous risquons d’avoir besoin d’ovaires, de pancréas et de moelle osseuse, mais je n’en dirai pas plus! Je vous laisse patienter jusque après demain, petits veinards, pour la nouvelle édition de Grand Hosto!

Salut la foule!!
tadadzaaaaaAAA-DAM!!

Fin.

...

jeudi 15 janvier 2009

Grand Hosto ! (4)


Le type qui a inventé les indices de l’audimat n’avait pas envisagé ça: 89% de parts de marché! Sur dix téléspectateurs, neuf pour Hippolyte! L’émission se répand de bouche à oreille comme une gangrène fulgurante... ceux qui avaient prévu un week-end à la pêche restent devant le poste... la vente de cacahuètes connaît des sommets inégalés... l’économie marque une pause... plus de bouchon sur les routes... la surveillance des frontières se relâche... la concurrence rase les murs.
Depuis trois jours que Grand Hosto! est lancé, le pays est l’objet d’une immense curiosité internationale et d’un bombardement continu de critiques virulentes. Comme toujours, les critiques les plus tranchantes viennent de ceux qui sont le plus fascinés.
Un psychanalyste médiatique l’explique ainsi:
« Les gens qui dénoncent férocement l’émission de Conda-Lasner sont ceux qui ne supportent pas d’être séduits par ce qu’il propose. Ils ne peuvent reconnaître leur attirance pour ce qui est morbide, ils ont honte de leur voyeurisme, alors ils crachent dessus. »
C’est chaque fois le même phénomène: un succès démesuré laisse pantois. Tandis que le peuple se précipite comme des enfants à la distribution de chocolat, les élites médiatiques font leur possible pour dire quelque chose, une critique la plupart du temps parce que c’est plus facile à imaginer. On fait selon sa nature, n’est-ce pas? Et puis le dithyrambe demande un effort particulier: il faut comprendre, apprécier, s’enthousiasmer (très fatiguant à la longue), il faut expliquer pourquoi on aime ceci, pourquoi ceci est mieux que cela, ça n’en finit pas. Tandis qu’une petite vacherie, un trait plein de dédain, un bon mot! Il faut comprendre: si les gens sont méchants, c’est surtout par fainéantise, ils n’ont pas le courage d’aimer.
Malgré cela, toutes les antennes paraboliques du monde libre sont tournées en direction des émetteurs de la chaîne Tv.top. Avec les décalages horaires, on peut dire qu’il y a en permanence depuis trois jours des gens qui regardent Grand Hosto! partout dans le monde. Ce genre de phénomène ne concernait que les mariages royaux, les enterrements de personnalités considérables, et encore rarement! Et les enterrements ne durent pas plusieurs jours... Cette fois-ci, Hippo est convaincu d’être entré dans l’Histoire de l’humanité: s’il se laissait aller à des confidences, il avouerait son orgueil d’être devenu l’homme qui distrait la planète! Quand un Colombien veut se détendre en suivant une émission passionnante, il se branche sur TV.top. à l’heure du Grand Hosto! Comprend-il tout ce que l’on dit ? Qu’importe: l’image d’Hippo s’impose, elle est présente partout et marquera les mémoires pour des décennies.

Le jeu durant deux heures chaque soir, le suspens entre les émissions est une torture. Une fois décelée, cette tumeur sera-t-elle opérée à temps? Comme aucune information ne filtre pendant la journée, le monde entier en est réduit à des supputations anxieuses car les studios du Grand Hosto! sont gardés comme une banque centrale: rien ne passe.
Le deuxième soir, les caméras filmèrent simultanément les opérations chirurgicales de Faouzi (cancer du nez), de Célimène (diphtérie affectant la gorge) et de Karine (méningite cérébro-spinale). Hippo avait dû rendre l’antenne avant que ces interventions ne finissent et on était passé à autre chose (un débat public sur le thème de la tomate de synthèse), laissant sur leur faim des millions de passionnés.
Le troisième volet du Jeu fut quelque peu frustrant puisqu’à part l’état satisfaisant des trois opérés, rien de nouveau ne fut découvert. Les médecins en étaient aux prélèvements, aux analyses diverses: on passait dix minutes autour d’une éprouvette, on attendait qu’un réactif verdisse, on faisait des gros plans sur des froncements de sourcils.
Pour compenser cette halte dans la montée de l’angoisse, Hippo interrogea les héros de la veille, les opérés publics. Faouzi ne put rien dire: il émit des sons affreux avec ce qui lui restait d’un pif déjà gracile. Une membrane nasale devait vibrer plus que nécessaire, transformant le moindre effort du malheureux en un bruit rappelant le vacarme du vent dans un soupirail. On ne put rien obtenir de Célimène, dont la gorge n’était que tubes et pansements. Quant à Karine, la seule phrase qu’elle prononça avant de retomber en léthargie fut:
« Aaaaahaaaa... Aaaaahahh... Rrhaaaah... J’ai mal. »

De ces trois déclarations minimalistes, Hippo tira des commentaires pendant plus de vingt minutes, portant l’art de la redondance à un niveau olympique. Il gagna du temps chaque fois qu’un mot lui manquait en exigeant des applaudissements pour les héros, en faisant repasser les images des interviews, en feignant même d’être trop ému pour parler.
Puis on diffusa les images différées de ce que l’on n’avait pu suivre des opérations chirurgicales. En voix off, les chirurgiens expliquèrent leurs gestes, soulignant une difficulté que personne ne soupçonnait, indiquant l’anomalie aux béotiens, commentant les images au ralenti quand le sens du spectacle l’exigeait (hémorragie soudaine, tranchage d’importance, couture). Malgré des interruptions publicitaires en très grand nombre, ces séquences furent le point d’orgue de la soirée, le moment où le public fut associé à l’énergique combat pour la vie, livré par d’autres en son honneur.

La quatrième émission intervint dans un climat général absolument inédit: le succès de la formule était si complet qu’il vida les rues de leurs passants, les restaurants de leurs clients, les "programtélés" concurrents de leur substance. Depuis trois soirs, Jackie, Docteur Flatche et Jacques-Luc Térébrantz, les trois animateurs-stars des trois jeux directement en compétition avec Grand Hosto! se partageaient les miettes d’un marché de millions de téléspectateurs qu’Hippo avait su hypnotiser. T.V Genius, chaîne productrice de Zim-Bang-Kluq, le jeu interactif de Docteur Flatche, décida d’une réaction qui marqua curieusement par sa stupidité et son insuccès: on invita des hommes politiques et des starlettes néo-nubiles pour une grande joute sur le thème très original du sexe rigolo, avec promesses de révélations, d’interviews iconoclastes et de pantomimes suggestives. Il fut même annoncé qu’un million de francs serait offert au téléspectateur qui raconterait la plus belle histoire de cul.
Pour la quatrième fois, le générique d’ouverture de Grand Hosto! retentit dans des millions de postes de télé, agitant, tel un hymne guerrier, la population de soubresauts impatients. Bien qu’il ait beaucoup moins sniffé de cocaïne que d’ordinaire, Hippo parut toujours aussi enjoué et bondissant, et la belle Cindy de moins en moins sotte. La parole fut donnée immédiatement au docteur N’Guyen-Desrombiers (première équipe) pour une révélation fracassante:
- Les analyses exécutées cette nuit nous apprennent une nouvelle bouleversante concernant Laurence: elle est séropositive! Nous l’avons immédiatement placée dans un caisson d’isolement stérile où des soins de très haute technicité lui sont prodigués. L’espoir d’une guérison rapide serait évidemment faux, mais je rappelle le point de règlement suivant: « Art.12: En cas de maladie statistiquement mortelle à 100%, seront considérés réussis les soins permettant une survie d’une durée deux fois plus longue que la moyenne pour les cas comparables. »
Ceci montre bien que nous ne sommes pas tenus de guérir Laurence, mais de la faire survivre deux fois plus longtemps que la moyenne des gens atteints du SIDA. D’un point de vue pratique cela demandera un suivi médiatique tout à fait exceptionnel, dont seule TV.top. est capable.
Avant qu’Hippo ait eu le temps d’exploiter ce sensationnel rebondissement, Cindy avait pris la parole avec éclat, annonçant dans la stridence deux succès simultanés pour la troisième équipe.
- C’est fooormidable, Hippo! Le docteur François-André vient de m’annoncer qu’il a diagnostiqué deux des trois maladies de ses patients et que leur guérison est en cours! Docteur, dites-nous tout!
- Oui vous avez raison c’est formidable! Nous sommes tous très heureux, ha la la, ça n’a pas été facile au début mais maintenant on espère tous la victoire...
- Oui bien-sûr, mais donnez-nous les détails de vos recherches, quoi.
- Et bien Igor souffrait d’une fièvre typhoïde qu’un traitement au chloramphénicol est en train de résorber. Quant à Elie, il est atteint d’une forme assez rare d’esplougnophalgie affectant le système nerveux primaire. Mon collègue chirurgien a pratiqué sur lui une ablation de la rétencule cervicale et la ligaturation des amplo-métraquiens concernés. Ce ne fut pas une mince affaire, vous pourrez le constater sur les images!
- Et comment ça va se passer pour lui, quoi, j’veux dire?
- D’après moi, il sera sur pieds dans moins d’une semaine. La seule incertitude le concernant, c’est sa capacité à digérer le Spumatoflax que nous lui administrons, et qui n’est pas toujours sans danger. Si son organisme est dans la bonne moyenne, ce que je crois, il sera guéri jeudi prochain.

Pour apprécier à sa valeur la remontée de la troisième équipe et l’impact de cet événement sur la population, il faut savoir que le public était associé au jeu par un très simple mécanisme de pari, et qu’en raison de son retard accumulé les trois premiers jours, l’équipe 3 n’était donnée qu’à douze contre un. L’annonce du professeur François-André transformait donc d’un seul coup des millions de défaitistes en millionnaires potentiels.
Jamais le voisinage de la souffrance et du jeu n’avait produit autant de richesses.
Mais comme pour rappeler aux optimistes la fragilité des joies de ce monde, l’équipe féminine, craignant d’être dépassée, annonça aussitôt qu’elle utilisait son joker: une sirène ahurissante soudain sonna. Le public abasourdi vit comme dans un film américain un brancard à roulettes percuter les portes du fond du studio. Trois infirmiers souples comme des tigres précipitèrent le chariot au centre du plateau, juste à l’endroit où un faisceau de projos l’attendait. L’orchestre wagnérisa une plainte chargée d’angoisse tandis qu’Hippolyte Conda-Lasner adoptait un ton plus journalistique, une voix moins nasillarde, des intonations pleines de responsabilités et un regard intelligent.
- Joker! L’équipe du docteur Verner-Ducros vient d’utiliser son joker, comme le règlement le lui autorise. Ce joker s’appelle Fanny, elle est danseuse et vient de se couper le pied à mi-tibia. Il s’agit pour l’équipe médicale numéro trois de recoller ce membre le plus rapidement possible pour pouvoir continuer la course. L’intensité des moments que nous vivons est absolument phé-no-mé-nale! Faites-nous un gros plan la régie, un gros plan sur le visage de cette martyre!
Sur des dizaines de millions d’écrans apparut alors le visage enfantin de Fanny, un ange bouffi de douleur et qu’on a shooté avec méthode. Elle entrouvrit les paupières: ses yeux bleus étaient pleins de larmes.
-Admirez-la mesdames et messieurs, ordonna Hippo, cette jeune fille est l’exemple le plus fort de ce que le courage et l’amour permettent. Elle n’a pas longtemps hésité à se faire amputer pour participer à cette aventure! Elle a su mettre sa confiance toute entière dans cet acte! Le professeur Diouf-Delavenne, chirurgien de l’équipe 3, va devoir la sauver, regardez comme il se précipite...
De nouveau l’écran se remplit de la face moite de la petite sainte qui contemplait maintenant ce grand Noir habillé de vert s’agitant autour de son corps (dans ce silence, un con eut l’idée de jouer du tam tam, mais n’en fit rien). Ses lèvres tremblotèrent un compliment, un encouragement, une prière, on ne sait: les micros étaient trop loin. Le chirurgien lui appliqua une fugace pression de la main sur l’épaule, lui sourit et se lança dans la bataille.

(demain, la fin du jeu)

Grand Hosto ! (3)

Les cliniques La Serpette sont fières de vous présenter Grand Hosto!
La Serpette, pour une santé plus nette.



Hippolyte Conda-Lasner
Nous revoici donc pour le lancement véritable de notre nouveau jeu. Je sais que vous êtes très nombreux et très impatients devant votre poste.
(Gros plan sur lui) Trois équipes. Dans chacune d’elles, un médecin, un chirurgien et trois "patients", tous volontaires bien entendu. Sous le contrôle d’un huissier, des infirmiers ont inoculé des maladies à ces patients volontaires. Oui mesdames et messieurs, je vous laisse applaudir la volonté, le courage de ces femmes et de ces hommes qui n’ont pas craint d’affronter la maladie pour l’amour du jeu. (On applaudit pendant une bonne minute)
C’est le hasard seul qui a décidé de qui allait contracter telle ou telle maladie. L’enjeu est là:
Premièrement, le personnel médical de chaque équipe doit d’abord identifier de quels maux souffrent leurs patients.
Deuxièmement, ils doivent les soigner et les guérir le plus rapidement possible en utilisant comme ils l’entendent l’ensemble des moyens mis à leur disposition par notre partenaire, les cliniques La Serpette.
Troisièmement, ils doivent être en mesure de réagir très vite, et notamment si l’une des deux autres équipes leur envoie une urgence, c’est-à-dire un malade supplémentaire constituant en quelque sorte un joker dont l’emploi est règlementé: ne pourra se servir d’un joker que l’équipe en tête, au cas ou une autre équipe serait sur le point de la dépasser. En tout état de cause, on ne pourra utiliser qu’un seul joker.
La victoire reviendra à la première équipe ayant réussi à sauver ses malades. Pour l’énoncé de la répartition des gains, je cède la parole à mon infirmière en chef, la ravissante Cindy!

La potiche, apparaissant
Bonsoir!

Hippo
Bonsoir Cindy! Alors, toujours amoureuse de moi?

La potiche
Qui pourrait résister à tant de charme, mon cher Hippo?

(Le public rit et applaudit)
Hippo
Ha, ha, ha! Merci, merci... Bien, soyons sérieux: dites-nous combien gagneront les vainqueurs.

La potiche
Alors écoutez: le docteur et le chirurgien de l’équipe gagnante se verront offrir la co-direction d’une clinique du groupe La Serpette, ainsi qu’une participation de 24,5% chacun au capital de l’établissement!

(Sur les écrans géants, images ensoleillées d’une clinique vue du parc où s’ébattent des malades ravis de l’être)
Hippo
Magnifique! Je pense que cela ne s’est jamais vu! Mais dites-nous Cindy, est-ce tout?

La potiche
Non! Ce n’est pas tout: ils se partageront également la somme rondelette de quatre millions de francs suisses!

(Applaudissements nourris)
Hippo
Ça arrangerait bien mes fins de mois! Et pour les malades, Cindy?

La potiche
A chaque malade guéri, Grand Hosto offrira... tenez-vous bien, cinquante millions de francs!(*)

Hippo (sous des applaudissements énergiques)
Cinquante millions de francs, oui, cinq milliards d’anciens francs chacun! Ça alors, c’est inouï!

La potiche
C’est effectivement une somme colossale, quoi! Elle récompensera à la fois le courage des candidats et leur foi en la médecine, car il faut vous imaginer les risques qu’encourent nos amis pour que triomphe la science! Se faire inoculer une maladie n’est pas un geste innocent, quoi.

Hippo
Vous avez parfaitement raison, chacun le comprend.
Je résume donc la situation: Trois équipes s’affrontent, trois malades dans chacune d’elles, ou plutôt trois personnes comme vous et moi qui n’ont pas hésité à confier leur propre santé... leur propre vie, disons-le, à des médecins en qui ils ont une confiance ABSOLUE. Objectif: guérir pour empocher un pactole de cinquante millions de francs. Pour les y aider, des médecins vont devant nous mettre en oeuvre leurs connaissances, leur savoir-faire et leur énergie. Ils vont faire l’impossible pour remplir leur mission éternelle, pour gagner quatre millions de francs suisses et la gestion d’une clinique ultramoderne.
Ils sont et je vous demande de les applaudir!

Les équipes font irruption sur le plateau tandis que se déchaînent les applaudissements. Pour différencier les concurrents, des casquettes de couleurs diverses couronnent ces braves. Les médecins sont en blanc, les chirurgiens en vert. Chacun semble ravis d’être là, souriant comme lors d’une merguez-party, saluant le public avec insouciance. Pas de stress.
Sous le tonnerre de l’enthousiasme populaire et devant une standing ovation des plus spontanées, on présente le staff.

Hippo
Pour la première équipe, Michel, Faouzi et Laurence! Ha, ha! Quelle énergie! Le docteur Jean-Claude N’Guyen-Desrombiers et Philippe Féyouze-Larosse, chirurgien! (Le chirurgien brandit un scalpel et un sourire)
Pour la seconde équipe, Luce, Célimène et Karine! Allez-y, vous pouvez les encourager, elles le méritent. Elles seront prises en main par deux spécialistes de charme, c’est une équipe cent pour cent féminine: le docteur Patricia Verner-Ducros et le chirurgien, ou la chirurgienne peut-être, Blandine Desfrôlons-Savignac-Lubat-Ferschtend, que nous appellerons Blandine pour plus de rapidité, si elle le permet.

La Blandine
Che fous en brie, mon cher Hibbo...

Hippo
Ha, je crois comprendre que vous tenez un sacré rhume. Ça commence bien!... Quelle santé!... Enfin je vous présente la troisième et dernière équipe, composée d’Emilie, d’Igor et d’Elie, dont les corps seront bichonnés par le docteur Pierre-Michel François-André et le chirurgien Jocelyn Diouf-Delavenne. Allez, on les applaudit encore une fois!

La musique repart de plus belle, soutenue par un volume d’applaudissements qui ne faiblit pas. Les concurrents sont radieux, on voit même le jeune Igor (un brun baraqué) sautiller comme un footballeur s’échauffant avant un match, se dandiner d’un pied sur l’autre en soufflant de grands pffouhouh... pffouhouh..., s’assouplir le cou en basculant la tête de droite à gauche. Il ne lui manque que la Marseillaise.

Soudain:
des fromages
des slips
des autos
des yaourts
des assurances
des téléphones
des autos
de l’électricité nucléaire domestiquée
des loisirs sportifs
des disques de Jacques Brel
des biscottes inouïes
des pneus

...................................................................................................................................................................

Hippo (recoiffé)
Nous revoilà donc sur le plateau de Grand Hosto! Bienvenue à ceux qui nous rejoignent!
Alors, les équipes ont pris place et les médecins se sont déjà mis au travail: il s’agit pour eux, je vous le rappelle, de découvrir de quelles maladies souffrent leurs patients. Nous allons faire un tour auprès de Cindy pour les premières impressions: Cindy?

La potiche
Ouiii, Hippo, je vous entends. J’ai auprès de moi Philippe Féyouze-Larosse, le chirurgien de la première équipe. Alors Philippe, comment débute cette épreuve?

Philippe
Le mieux du monde! On vient de découvrir la maladie de Faouzi, le premier patient ausculté par le docteur N’Guyen-Desrombiers: c’est un cancer!

(à suivre)
(*) ce texte fut écrit au printemps 2000, un temps obscur où l'euro n'existait pas encore...

...

mercredi 14 janvier 2009

Grand Hosto ! (2)


GRRAND HOS-THOOO!!!!!

Tadadamm,
tadza tadza tadzada tadadamm,
ta dadza dam
tadadzaaaaaAAA-DAM!!

Hystérique, le public hurle une joie magnifique en faisant crépiter par salves des applaudissements évoquant le tacatac caractéristique de l’AK47.
Les jeux de lumières fondent des gradins à la scène comme des Stukas touchés et donnent le vertige aux éclairagistes eux-mêmes. Des projecteurs arrosent le public de ronds aveuglants qui parcourent l’espace avec frénésie. La pyrotechnie embrase le décor en des explosions suraiguës d’où naissent des fumées roses et blanches parfumées à la fraise.
(Quand elle lève la jambe, la danseuse du premier rang tout à gauche fait voir, débordant du plus mince de sa culotte, un sexe glabre rond et rose comme un petit fruit. Assis au premier rang, Gabriel Brendovnak, garagiste descendu des Flandres sur invitation spéciale pour assister à la première, ne regarde plus personne qu’elle, fixement, nerveusement.)
La musique... la musique est vraiment nulle. C’est un chaos de cuivres barrissant comme des pachydermes pris de rhume. L’orchestre est toutefois impressionnant: sur cinq rangs, soixante neuf musiciens habillés en ambulanciers ondulent au rythme binaire de l’hymne du Jeu. Chaque note de la simplette mélodie composée pour l’occasion est ponctuée par un fracassant coup de charleston digne des pires fantaisies heavy metal.
TadadzaaaaaAAA-DAM!!

Malgré la désespérante platitude de cet air pour fanfare, on scande le tempo en frappant dans ses mains comme si l’on priait le ciel de s’ouvrir: la joie du public trouve en cette occasion un moyen d’expression à la portée de tous. Des cris, oui des cris! des gens crient pour que commence ce show et pour qu’on leur serve enfin le jeu-spectacle dont ils se souviendront toute leur vie.
Sur la scène envahie de reflets lumineux dansent les quarante plus belles danseuses qu’on puisse voir. Pas une qui ne soit que jolie, pas une qui ne possède pas tout ce dont on puisse rêver:
jeunesse,
grâce,
souplesse,
dents blanches.

Leurs tenues d’infirmières ont été raccourcies juste ce qu’il faut pour que l’image de leurs cuisses entrent à jamais dans l’esprit des millions d’yeux braqués sur elles.
Bon sang, dire qu’il va falloir que ces filles arrêtent de danser dès qu’Hippo sera là, se disent quelques mâles minoritaires dans la foule.
Elles entonnent maintenant la chanson que tout le monde a déjà entendu mille fois, le tube lancé pour la promotion du jeu, le plus fulgurant succès de ces cinq dernières années (quatre millions de disques vendus), le morceau qui relancé la carrière essoufflée de Nina Mozambik: Grand Hosto!

QUI VEUT JOUER AU DOCTEUR?
QUI VEUT PASSER UN QUART D’HEURE
COUCHE SUR LE LIT
EN BONNE COMPAGNIE?

QUI VEUT JOUER AU DOCTEUR?
QUI VEUT JOUER ÔÔÔÔ DOC-TEUR?
AU GRAND-GRAND-GRAND
GRAND HOSTO
!

Dire simplement que l’ambiance tourne au délire collectif constituerait une sorte de modèle euphémique: les gens trépignent debout, ils ne dansent pas mais littéralement se tordent de joie, faisant aller leur bassin d’arrière en avant sur les syllabes DOC-TEUR avec un ensemble digne d’une armée de métier, ils reproduisent comme à la parade la chorégraphie dont le clip partout a donné l’exemple, ils se déboutonnent, se décravatent, hurlent leur bonheur d’être eux aussi ce qu’ils mettent le plus haut: des vedettes. La basse énorme, colossale, souterraine (chom, chom) qui saucissonne les mesures à quatre temps est maintenant soulignée par le martèlement machinal de centaines de pieds: le sol vibre et tremble comme annonçant l’arrivée d’un régiment de blindés.
Quand la chanson se termine et comme par un accord tacite qui toucherait au magique, les pieds et les mains continuent de scander le rythme entêtant avec la régularité d’un monstrueux métronome. Sautant à pieds joints et gueulant comme au stade, trois mille fidèles exhortent leur messie d’apparaître:

HI-PPO! HI-PPO! HI-PPO! HI-PPO!

Ponctuellement, et sans qu’aucun signal ne leur soit donné, les adeptes doublent le rythme de l’incantation hippophilique:

HI-PPO, HI-PPO! HI-PPO, HI-PPO! HI-PPO, HI-PPO!

Les gorilles du service de sécurité (mis à disposition par safety and order, l’entreprise que dirige le massif Gehrard Conda-Lasner,) échangent des sourires admiratifs: c’est encore plus impressionnant qu’une soirée mousse au First and Top!
Sur des écrans absolument géants sont diffusées en temps réel les images du public en train de bondir: se nourrissant de son propre reflet, la foule semble parvenir à un état de satisfaction et de jouissance proche de l’obscène.
Mais soudain, dominant le vacarme de l’allégresse populaire, des sirènes: trois ambulances d’un modèle ancien (énorme voiture américaine chromée des années 50) s’avancent sur le plateau. Leurs feux multicolores clignotent désespérément, bleu, rouge, bleu, rouge, mais l’allure très lente des véhicules donne une immédiate impression de parade niaise. De ces ambulances sortent une à une des créatures splendides accompagnées chaque fois par les éclats de cymbales de l’orchestre ranimé. Si les danseuses de tout à l’heure avaient marqué les esprits, celles-ci font des ravages: leur perfection physique est une performance qui suscite l’incrédulité. C’est tellement beau, excitant, exaltant, parfait! c’est si proche d’un fantasme qu’on jurerait leurs culs virtuels, leurs sourires de synthèse, leurs cuisses trafiquées. Elles ont toutes des seins énormes plein la poitrine. Avoir réussi à regrouper autant d’extraordinaires spécimens sur un même plateau de télé justifierait l’argent dépensé pour le Jeu, et pourrait d’ailleurs constituer en soi un jeu à succès.
Après quelques passements de jambes et des sauts gracieux, ces demoiselles s’arrêtent avec un ensemble parfait, leurs mains tendues vers l’arrière de la troisième voiture: un roulement de tambourrrrrrrrrrr et... VLAN! C’est lui! Hippo bondit hors de l’ambulance dans un déchaînement musical complet et sous les hourras les plus fracassants qu’on ait entendus depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Cette attente, cette montée en puissance du désir de voir ce héros de si près ont transformé la joie du public en une quasi éjaculation collective.
Il est vachement petit! T’as vu? se disent immédiatement un bon nombre de spectateurs surpris que l’image de grand mec mince qui réussit tout avec le sourire soit à ce point éloignée de la réalité. Quand il passe entre les deux rangées de danseuses (il est vrai qu’elles sont grandes, bronzées et suuuuublimes), il ressemble tout à coup à un pauvre paysan picard égaré dans une piscine d’Hollywood.
Mais ce fragment de seconde où l’on voit réellement qui est sur la scène est interrompu par le colossal et traditionnel salut de l’animateur-rex:

Hello la foule!!
Pendant que s’exprime la gaîté simple des groupies, le plateau se vide des danseuses et des musiciens pour laisser la place au maître de cérémonie seul face à tous, nimbé maintenant des feux d’une dizaine de projecteurs, apparaissant comme suspendu dans le vide au dessus du sol lisse de la scène.
(à suivre)

mardi 13 janvier 2009

Grand Hosto ! (1)


"Il n'y a qu'un héroïsme, c'est gagner sa vie". Bardamu.

On ne sait pas vraiment pourquoi mais certains événements ont le pouvoir de concerner tout un pays. Qu’il s’agisse d’une guerre et chacun admettra la chose mais quand il est question d’un jeu télévisé, cela surprend. Ce soir par exemple, personne n’ignore plus que nous allons assister à la première du Grand Hosto!, la nouvelle trouvaille d’Hippolyte Conda-Lasner. La publicité qui en a été faite constitue une sorte d’exemple étourdissant de ce qui ne peut être surpassé: affichage envahissant villes et campagnes, spots télévisés pendant plus de quarante jours, distribution gratuite de gadgets fluorescents rappelant le nom de l’émission à la sortie des écoles, campagne d’interviews de copinage orchestrée par le patron du groupe La Serpette, propriétaire de la chaîne de télé concernée ainsi que d’une pléiade de journaux, de radios, de vignobles, de boîtes de prod, de satellites révolutionnaires, d’écuries de courses (chevaux ou automobiles, on ne sait plus), de salles de spectacles, de centres de vacances, d’hôtels proliférants, d’usines de mise en conserve, d’un studio de cinéma, du principal fabricant de cotons-tiges du continent nord-américain, d’une bonne centaine de call-girls, du premier groupe européen de cliniques privées, de mines de cuivre en Zambie, de quatre banques, de restaurants, de tronçons d’autoroute et de grands magasins surfréquentés le samedi après-midi. Les seize plus grandes villes du pays ont même été survolées pendant un mois par des nuées de dirigeables parés aux couleurs du Jeu grandiose et rappelant, par la lenteur inquiétante de leur vol, l’invincibilité de ce qui vient d’en haut.
Encore une fois, l’imagination d’Hippolyte Conda-Lasner et son sens hypertrophié de l’organisation ont fait des miracles: pour lancer la campagne de publicité et pour les vingt premiers numéros du Grand Hosto! il a obtenu un budget susceptible d’effacer la dette extérieure des trois plus pauvres pays du monde , mais ceux-ci ne sont que très faiblement équipés en postes de télévision, nous n’en parlerons donc pas. Un sondage récent indique que pour 67% des femmes interrogées, M.Conda-Lasner ferait un excellent ministre de l’industrie cultuelle et un gendre impeccable.
Quelle ascension fulgurante pour celui qui débuta à la télévision comme apprenti électricien et dont on oublie trop souvent qu’il est l’inventeur de succès tels que
Suprême Les Filles!
Fantastikorps!
Mégamoche!
Cent Briques pour ma Pomme!
La Foire d’Empoignes!
Toujours Gagnant!
Tiroir-Caisse!
Palpe!
Merguez, merguez!
Jubilez!
Gain pour Tous!
Trisomix!
Do Sol Mi Ré Ré Ré!
La Bonne Bedaine!
Ça rapporte!
Le Grand Friçon!
Cultivés mais Riches!

C’est une liste enviable, non? Surtout qu’à 37 ans, Hippo semble encore loin d’avoir réalisé son chef d’oeuvre... Chacun de ses nouveaux jeux a certes supplanté ses concurrents du moment comme dans une course effrénée à l’efficacité où il est vital d’être toujours de plus en plus tout, chaque fois il a su marier la simplicité avec la frénésie du rythme, selon la formule qu’il répète partout:

Simplicité + Vitesse = Succès

Mais il faut se rappeler aussi qu’il n’a pas été épargné, car les grincheux ne manquent pas dès qu’il s’agit de critiquer systématiquement les réussites les plus visibles et les moins contestables. Très souvent d’ailleurs, ces gens-là ne regardent pas les émissions qu’ils condamnent puisqu’il s’agit pour eux de faire mal à un homme pour ce qu’il représente et non pour ce qu’il dit ou fait. On l’a même copieusement traité de saligaud AVANT, oui avant! que ne soit diffusé le premier numéro de Mégamoche! le jeu interactif qui passionna pourtant le pays, et qui consistait à faire s’affronter des équipes de citoyens moyens dans une compétition de laideur, l’équipe gagnante étant celle choisie par le public comme regroupant les gens les plus affreux.

Les gens pas beaux ont droit eux aussi à la célébrité! s’était défendu Hippo.
La télévision avait alors ouvert ses portes aux goitreux, aux obèses mammouthéens, aux variqueuses, aux édentés, aux scrofuleux de toutes espèces, aux becs-de-lièvre, aux gueules cassées de la route, aux pifs tordus, aux oreilles coupe-vent, aux grands brûlés, aux nains difformes, aux boutonneux purulents, etc. Même devant le succès inouï de la formule, les critiques ne s’étaient pas arrêtées: on l’a traité de monstre quand il fit venir d’Afrique des équipes de lépreux (quelle pagaille sur le plateau, souvenez-vous, quand l’équipe savoyarde des pieds-bots avait crié « à la triche » devant les museaux bouffés de lèpre des Africains hébétés); on a également tenter de l’interdire lorsqu’il organisa un défilé de dessous féminins présentés par des femmes victimes d’une chirurgie esthétique ratée. Cette émission présente une image de la femme absolument avilissante, s’était époumoné Gil Clobert-Chafouin, le parfumeur distingué qui est de tous les combats.
Hippo était-il allé trop loin? Cette question divisa la Nation. On en discuta lors des nombreux débats télévisés sur le sujet, certains en profitant pour réclamer son limogeage et son emprisonnement (oui), d’autres affirmant qu’il était trop en avance sur son temps et que, « tel Isidore Ducasse », il touchait les points les plus douloureusement sensibles de l’âme humaine.


Comme il l’a lui-même récemment confié au magazine Winners, pour résumer sa vie:
- "J’en ai vraiment chié!"
(à suivre)

vendredi 9 janvier 2009

Libé s'acharne sur Israël !!

RECTIFICATION DE FIN DE SOIREE
Comme on pouvait s'y attendre, les grands professionnels de Libé ont remarqué la boulette pointée il y a quelques heures(ils lisent ce blog). Et toi, lecteur honnête, tu penses qu'ils ont rectifié leur erreur... Tu penses qu'ils ont remplacé simplement "763 morts suite aux attaques palestiniennes" par "763 morts suite aux attaques israéliennes"... Ben oui, ce ne sont que des hommes, après tout, ils ont droit à l'erreur...
Tu ne crois pas si bien dire: ils ont même droit à toutes les erreurs qu'ils veulent(pas fou, j'avais pensé à la copie d'écran).

AVANT

APRES


Sacré Libé, toujours le sens de la formule !

jeudi 8 janvier 2009

Libération bombarde Israël !!

En plus d’être un piège à cons, l’information est un flux qui laisse peu de temps à ses esclaves. Ainsi malmenés, ils en arrivent à un stade où ils disent le contraire de ce que l’information était censée leur apporter (la Vérité), c'est-à-dire qu’ils se comportent comme s’ils n’avaient reçu... aucune information. D’où la tentation de prétendre que l’information ne sert à rien, ce que je fais ici.
Sur Libération, on apprend donc que les attaques palestiniennes sont meurtrières (le bandeau au-dessus de l'image). De quoi se plaignent donc ces Arabes-là?!

La Tête de nœud du mois©

Malgré une méfiance instinctive contre les tendances grégaires de l’époque, je ne peux m’empêcher d’avoir quand même le souci de la croissance, pourtant mère de toutes les tendances. Je parle de la croissance de mon audience, bien sûr. Comment faire pour augmenter la fréquentation de ce blog ? Le premier réflexe est de se prendre la tête entre les mains, de froncer le sourcil et de chercher une idée originale. Or justement, la fréquentation d’un blog ne semble pas fonction de l’originalité qu’on y développe, mais bien d’autre chose, d’un insaisissable caractère qui séduit ce furtif con d’internaute. Interrogés sur ce point, mes plus proches conseillers citent la famapoil. « Une famapoil, t’es peinard pour booster tes visites de moitié », assurent-ils en fins connaisseurs. Et je constate d’ailleurs que certains BLOGS pratiquent cet art original et peu usité de la nymphe dévêtue, pour la plus grande joie des amateurs.
D’un autre côté, nous sommes tous contraints de reconnaître qu’il existe des gens pour qui la lecture d’articles parfois longs est hors de portée, par manque d’habitude, par impatience, parce qu’ils sont illettrés ou, plus couramment, parce que ce sont de gros blaireaux. « Trop de mots », pensent-ils en zappant. A ceux-là, je parie que la force d’une image, d’une image seule, toute nue, conviendra mieux.
Cependant, ajouter bêtement ma contribution dans le flux ininterrompu de famzapoil qui triomphe sur le Net est une idée qui me dérange. Des images, oui, mais pas les mêmes que partout ailleurs. C’est donc par souci d’efficacité, et nullement par voyeurisme, que je vous proposerai désormais une Tête de nœud du mois©, plutôt qu’une famapoil dont vous auriez trouvé l’équivalent ailleurs.
Mais laissons parler les images…


mardi 6 janvier 2009

L'enfoire du dimanche


Entrez, je le veux!

Dans « Le retour de Jean » (inséré dans le film collectif « Retour à la vie », 1948), Henri- Georges Clouzot met en scène un blessé de guerre logeant dans une pension (Louis Jouvet), qui recueille dans sa chambre un nazi blessé, traqué par les partisans. Comme il s’agit d’un personnage de Clouzot et non d’un imbécile, il ne le livre pas aux résistants, mais se le garde pour lui : il veut l’interroger, lui faire dire pourquoi et surtout comment il a pu torturer tant de gens en étant apparemment comme tout le monde (c’est un père de famille). Il tient un authentique monstre humain, un être profondément différent de lui, il ne veut pas rater l’occasion d’en apprendre sur l’espèce humaine. J’ai repensé à ce film ce dimanche (28 décembre), et j’ai décidé, quoi qu’il pourrait m’en coûter de souffrances, de prendre ma bagnole, de faire cinquante bornes et d’aller à la Fnac !
Où peut-on trouver les plus admirables têtes de nœuds, sinon dans les allées d’une enseigne qui semble faite pour les attirer ? La Fnac était décidément désignée pour ma petite expérience anthropologique. Et comme, sous le prétexte fallacieux de la fin de l’année, les grandes surfaces ont l’autorisation de pratiquer leur philanthropie non stop, je me suis demandé qui fréquente ces boutiques. Avant que la loi sur l’ouverture perpétuelle des magasins ne soit votée, j’ai donc tenu à aller voir de près l’avant-garde des collabos. Mû par la curiosité, aiguillonné par le récent article de l’Amiral sur le syndrome d’Ignatius mais quand même inquiet devant la cruauté de l’épreuve que je m’imposais, j’ai consciencieusement vidé mes poches de toute piécette, j’ai ôté la carte Visa de mon larfeuille, j’ai tendrement embrassé mes amis, serré la main de ma femme et j’ai fondu sur la ville.
Dans la voiture, Wagner.

Rhaaaaa !
La narine frémissante, je commence à imaginer des situations insoutenables, des gens qui me prennent à partie, le vigile qui veut me péter les rotules mais je lui file un grand coup de boule au milieu du nez (et non l’inverse), j’essaye de me calmer par avance, sachant que toute forme d’indignation (même supermince) dans les allées de la Fnac, risque de se remarquer comme des pieds de cochon à un cocktail afghan, et je trouve enfin tout le courage nécessaire à l’entreprise en repensant à la mort, qui viendra bien un jour. J’essaye surtout de m’auto convaincre de ne pas céder à la provocation, de rester stoïque comme l’ethnologue assistant au festin rituel d’une bande de cannibales. La pointe d’inquiétude persistante vient surtout du choix de la Fnac comme terrain d’analyse : j’aurais peut-être dû choisir un truc moins naze, un Gifi, une Halle aux chaussures, une Foirefouille…
Je passe ordinairement mes dimanches dans la paix et la tranquillité, comme tous les autres jours de la semaine. J’ai donc marqué un temps d’arrêt (dix bonnes minutes) face au flux de pèlerins qui s’engouffraient dans la gueule du monstre. Une foule affamée, ininterrompue, fournissait le hall de la Fnac d’un combustible palpitant. Planté devant la façade en meringue de l’établissement industrio culturo moche, je me suis demandé comment tant de pélots pouvaient tenir ensemble là dedans, et quelle chaleur devait régner dans cet enfer. Mais la mission, c’est la mission, me suis-je dit à haute voix et, relevant fièrement le menton en rentrant la tête dans les épaules (n'essayez pas, ça m’a bloqué le cou !), je posai enfin un premier pas armstronguien sur ce sol hostile.


Voyage dans le grand Tout...

Ma première surprise vint des clients eux-mêmes : des gens tout à fait normaux ! Je pensais trouver des enculés d’un modèle exceptionnel, et je n’aperçus que des modèles standard. La Fnac est bien le royaume des surprises. Les petits cons, par exemple, qu’on s’attend à voir pulluler comme des taons sur le cul d’un âne, je n’en vis presque aucun… tous au ski, probablement. Non, la majeure partie des faiseurs de courses le dimanche à la Fnac était composée de gens de trente, quarante ans, voire plus, habillés comme des comptables en goguette, flairant dans les rayons les plus épouvantables clichés culturels produits par le génie humain. J’ai vu des gens acheter des livres. Je me demande bien quel usage ils pourront en faire… s’en débarrasser ? Mais oui, suis-je bête, c’est l’époque des cadeaux !
Mais mon périple documentaire ne visait pas particulièrement la Fnac, et ce que les clients viennent y trouver m’indiffère considérablement. Non, la raison scientifique de mon excursion était bien de voir de près quel genre de peuple se déplace dans les magasins le dimanche, et quel type de jouissance cette avancée sociétale majeure (selon l’Elysée) procure à ceux qui s’y adonnent. Hé bien, autant le dire tout net, et ce fut ma seconde surprise, c’est pas la joie. Un individu assez désoeuvré pour conclure que son dimanche sera consacré à des achats dans un univers aussi laid qu’une grande surface a, de toutes façons, peu de chance de respirer la joie de vivre. Je ne m’attendais donc pas à une ambiance jubilatoire. Mais enfin, les turbinocrates associent tellement la « liberté » de faire ses courses quand on veut au Bonheur, au Progrès, ils insistent tellement sur les « contraintes » de la règlementation actuelle, que j’imaginais que la suspension de ces atroces contraintes dériderait les gens, qu’une atmosphère détendue règnerait entre les gondoles… Tu parles !
J’ai donc décidé de leur faire cracher le morceau. Grâce à une technique d’approche transmise de père en fils depuis des générations et tenue secrète par serment, j’ai pu demander à quelques nazes ce qu’ils faisaient ici, pourquoi ils avaient choisi de venir le dimanche, spécialement le dimanche, etc. « C’est vachement pratique » fut la réponse la plus profonde, la plus réfléchie, la plus grandiose. On m’a aussi répondu « ha bon, c’est dimanche ? »… Dans la catégorie des belles envolées, j’ai entendu que « le dimanche est un jour comme les autres », l’expression « judéo-chrétien » est revenue deux ou trois fois et un plaisantin est même allé jusqu’à me dire qu’il n’avait le temps de rien faire de la semaine (moi, si ma liberté se résumait à seulement au dimanche, putain, je viendrais pas me la salir dans les allées d’un supermarché, mais passons). Quant à la question de savoir si ces profiteurs étaient prêts à travailler eux-mêmes le dimanche, je ne l’ai pas posée, étant donné que je n’en ai rien à foutre.
La grande surface est probablement le symbole le plus complet de l’assujettissement de l’homme à la vanité et à la tristesse de la consommation. Internet est en bonne voie pour passer devant, mais restera probablement un espace où, en plus, il s’échange autre chose que de la camelote. Les grandes surfaces, non. Ces camps d’achat essayent furieusement de mettre un chouia de vie dans leur mise en scène d’elles-mêmes, mais ça ne marche pas. La Fnac a beau installer un bar avec sa machine à café italienne (chromée comme une dentition de Gitan), personne n’est assez dégénéré pour y foutre son cul (en tous cas, j’y ai vu personne). Le supermarché est probablement le lieu où la solitude s’exprime avec la plus naturelle brutalité. Des milliers de monades au coude à coude n’échangent aucun regard, sinon pour veiller jalousement à sa place dans la file d’attente, sous le patronage du soupçon. Vider le lieu de toute humanité, et faire de même avec les robots qui poussent le caddie, voilà ce qu’on a réussi à y faire. Voilà surtout ce qu’on propose comme alternative au repos dominical qui nous était commun… Si le monde devenait soudain parfaitement sincère, les grandes surfaces accueilleraient leurs pigeons avec une grande inscription, lumineuse, pétante de couleurs, éclairée en permanence, brillant dans le ciel des zones commerciales qui tapissent la France. Chaque client, entrant dans le paradis climatisé, pourrait y lire : toute résistance est inutile.