lundi 29 octobre 2007

"Moi, ma langue, c'est ma vraie patrie" 1. (C.Nougaro)

L'enfer de l'école !


Il y a quelques années, on avait cherché des poux à Alain Finkielkraut parce qu’il avait osé dire que l’intégration des immigrés passait par leur accession à la langue, et pas seulement à celle utilisée en banlieue pour régler de façon simple des problèmes complexes. L’idée d’une norme et d’une référence incontestables (la langue française, la seule, l’unique, la vraie, la bonne) était visiblement devenue scandaleuse, surtout aux yeux de ceux qui la maîtrisent correctement.
Parler le français en France, quelle drôle d’idée ?

La question de l’intégration des immigrés est ici largement dépassée : il s’agit plutôt d’une bataille idéologique contre la norme par excellence que représente le langage (la plus subtile des activités humaines : voir les pitoyables essais de traduction informatique, comme les chansons des Beatles…). Les films dits populaires des années trente font partie du patrimoine français, avec l’argot qui y était parlé. On en connaît des tirades entières, qui valent bien celle du Nez, on se les répète mi-rigolards, mi-admiratifs, elles donnent au cinéma de ce temps un charme spécial qui ne laisse insensibles que les plus blasés d’entre nous. Les personnages de ces films, petits malfrats, grands voyous, marginaux de tous poils, parlent une langue qui leur est propre, qui leur permet de se comprendre sans être compris des non-initiés, et surtout de marquer une différence entre leur monde, et celui des caves. D’un côté, les flics et les caves ; de l’autre, les affranchis. Le Jean Gabin de cette époque ne demandait pas le respect, il l’imposait. Il ne réclamait pas que la société des honnêtes gens et des bourgeois l’accepte et lui tape sur le ventre, il s’en excluait par sa façon de vivre, de s’habiller et de parler. Céline le dit : « l’argot, ça veut dire : je vais t’crever ! ». Deux mondes, deux langues. L’apache vit en marge des lois, n’est pas assez con pour travailler, et accepte implicitement que son jeu de gendarmes et voleurs le conduise de temps en temps en cabane.

Bande de caves !

Le paradoxe actuel, qui serait presque noyé dans le flux de paradoxes où nous barbotons, c’est qu’on cherche à valoriser l’argot issu (pour aller vite) des banlieues, à lui reconnaître a priori les mêmes qualités littéraires que l’argot du siècle passé (sur le principe, pourquoi pas, mais attendons quand même qu’il en sorte des œuvres, et rangeons les clairons), on en utilise volontiers certains traits pour faire rire à table, et surtout on recommande à ses utilisateurs d’en être fiers puisque il s’agirait d’une langue d’une valeur égale à celle de la langue bourgeoise, mais sans accepter qu’ils en paient le prix : l’exclusion. On veut parler zyva mais trouver un boulot d’hôtesse d’accueil ! La caillera à crâne rasé vient se plaindre à l’assistante sociale que personne ne veut lui donner ce boulot de commercial dont il rêve… Minute !

Le langage rassemble ceux qui le parlent, qui en respectent les règles, mais rejette forcément les autres. La différentiation est une de ses fonctions. Le marlou d’avant-guerre est rejeté de la bonne société, comme le cave l’est du monde des « hommes ». C’est dur, c’est pas gentil, ça fait pas dans le social, mais c’est comme ça que ça marche. Ceux qui ont fait l’expérience de passer une soirée au milieu de gens dont on ne parle pas la langue savent très bien que, même avec les meilleurs intentions du monde, les discussions se font sans eux, qu’ils sont exclus de facto de ce qui se passe.

Il faudrait donc que les belles âmes qui trouvent « limite facho » de recommander l’apprentissage du français le plus excellent, le plus subtil, le plus nuancé, le plus beau, au nom d’un relativisme aberrant, sachent que l’Exclusion (si tant est quelle est un phénomène guettant le citoyen comme la mort guette l’être vivant) se nourrira aussi de cette incapacité à se fondre dans le langage de tout le monde, de la majorité. Tant que la majorité des habitants de ce pays parle français, il n’y a pas d’autre moyen d’y trouver sa place qu’en apprenant le français, le seul, le bon, l’unique ! Il ne s’agit pas de vouloir abolir les argots, les patois et les jargons (quelle absurdité) ou de savoir si l’argot est mieux ou moins bien ou plus utile que la langue de Molière, il s’agit de comprendre que l’argot appartient par essence à un groupe (ou population) qui renforce sa cohésion à la mesure de sa différence d’avec « les autres », et qu’il est donc inconséquent de prétendre en faire une norme pour tous : le genre s’y refuserait. Que chaque enfant apprenne le français le plus classique ne devrait d’ailleurs pas empêcher qu’il connaisse, en plus, la langue astucieuse de son quartier, de sa ville, de sa région.

(à suivre)