L’express publie un article assez succinct sur une « enquête mondiale » sur le moral des jeunes. http://www.lexpress.fr/info/societe/dossier/jeunes/dossier.asp?ida=463508
20 000 pélots en Europe, Asie et Amérique du nord ont donc été interrogés sur leur vision de l’avenir, et, pour faire synthétique, les Français sont ceux qui « y croient » le moins. L’article nous montre les réponses internationales à des questions assez burlesques, comme « la belle vie, est-ce devenir célèbre ? », censée repérer les aptitudes à chérir ce « bling-bling » qu’on évoque en boucle depuis un mois, pour s’en gausser, mais qui fait l’armature conceptuelle des journaux du genre de Paris-Match depuis cinquante ans.
L’Express relie le résultat de son enquête à mai 68, sans que le lien nous soit expliqué, d’ailleurs. Mai 68 – mai 2008, il va y avoir un chiffre « rond » (tu parles d’un élément signifiant !), il faut donc qu’on fasse des bilans, qu’on blablate autour du truc, et qu’on vende de la feuille. Le jeune Français est donc représenté comme un grand garçon qui a peur du monde, qui pense, entre autres, qu’il ne faut pas trop l’ouvrir pour être bien vu (il a raison), qui estime que les gens ne peuvent pas changer la société (bingo !), et qui affirme ne pas vouloir payer des impôts pour les vieux ! A une époque où le téléthon draine des milliards, où un chanteur ne peut plus chanter que pour défendre des victimes, où on ne trouve plus de paquet de chocolat qui ne réserve un quelconque pourcentage de son prix de vente à l’aide d’innombrables malheureux, où le moindre slogan pubard pour un slip en coton harangue le citoyen à coups de liberté ! et de résistance ! il est étonnant que les 16/29 ans se sentent si peu en phase avec leur temps…
Il y a bien sûr quelque chose d’irritant à écouter les opinions toutes tranchées d’un Nils, 28 ans, français, imprimeur, qui affirme, du haut de son incommensurable expérience que « se réorienter, c’est presque impossible », mais si c’est une parole représentative de l’opinion des jeunes cons, alors écoutons-là. Trouver du pathétique dans les résultats d’un sondage qui prend pour cible les 16/29 ans, c’est un peu la règle du jeu. Nos sous-trentenaires sont donc pessimistes, ils sentent que le monde est méchant avec eux, qu’il n’y a pas d’avenir et que les sports d’hiver deviennent hors de prix. Chacun de nous a déjà dû entendre aussi cet argument scientifique : « Ouais, heu, mais avant, c’était pas si difficile ! » et que dire devant autant de justesse ? Pour un jeune frenchy né en 1920, par exemple, la vie sous Hitler n’empêchait pas l’optimisme, pas plus que les déportations, les bombardements et la guerre d’Indochine. Pour son fils, s’il avait pu échapper à la fois au charme de Staline et à la guerre d’Algérie, l’avenir fut radieux. Les soirées au coin du feu étaient l’occasion de longues discussions avec pépé, seul de sa large fratrie à n’être pas mort totalement entre 1914 et 1918, ce gros veinard. Non, il n’y a pas à dire, aucune génération, pour ne prendre que le siècle dernier, n’a eu autant de raison d’avoir peur de l’avenir que celle de nos pauvres 16/29 ans. L’I-Phone, par exemple, qui peut savoir s’il est réellement water proof ?
C'était l'bon temps!
L’Express nous permet d’apprendre que selon Etbissem et Najoua, 22 et 23 ans, françaises, étudiantes en langues : « Un nom à consonance étrangère sur un CV, ça aide pas. » L’évocation de cette simple phrase, au-delà même de ce qu’elle peut avoir de vrai ou de faux, fut pour moi comme une replongée dans l’insouciance de mon adolescence, un temps où l’on vit dans une sorte de bulle, un temps en dehors du temps et du monde, où la réalité ne pénètre que rarement, et fortement déformée par le romantisme, l’ignorance, la fraîcheur naïve, un temps où l’on ose encore toutes les affirmations, mêmes les plus hardies, pourvu qu’elles soient ridicules. Hé oui, chères jeunes femmes stigmatisées, profitez de votre jeunesse, balancez ce qui vous passe par la tête, continuez de dire qu’un nom à consonance étrangère, « ça aide pas », MEME dans un pays qui vient d’élire à 52% un fils de hongrois nommé Sarközy de Nagy-Bosca…
Ce que ce sondage ne révèle pas, mais permet d’affirmer, c’est que les jeunes générations ont intégré à la perfection que nous sommes entrés dans un nouvel âge de la civilisation : l’âge plaintif.
Si l’on observe ce que font les humains depuis l’origine des temps lorsqu’ils sont dans la merde, on doit logiquement en conclure que les jeunes français de 26/29 ans vont bientôt émigrer en masse. S il ne trouve plus sa pitance, ni l’espoir d’en retrouver, l’homme se tire, c’est une règle aussi universelle que la gravitation, à moins qu’il soit devenu trop faible pour seulement sortir de son trou. Mais devons-nous croire que nos jeunes colosses d’1M85, si à l’aise sur des skateboards bariolés, si concernés par le réchauffement climatique et la paix dans le monde en soient déjà là ? Non. Nous sommes donc à la veille d’un départ en masse de nos forces molles vers un ailleurs appétissant, et nous leur souhaitons bon voyage.