Quand j’étais gamin, on a fait une sortie avec l’école pour aller voir une pièce de Labiche à l’opéra de Lyon. Je ne me souviens ni de l’intrigue, ni des acteurs, ni même du titre mais je me souviens bien de l’ambiance. Une salle rouge, cossue, des velours, du bois, des sièges d’un incroyable confort, des accoudoirs formidables, des balcons ouvragés, une scène toute en rondeur que la profonde connaissance de la nature humaine et l’influence du Louis XV avait protégée des sécheresses de la ligne droite. Je me souviens finalement plus de l’esthétique de ce temple que de ce que la troupe tenta de faire sur scène, et je ne fus pas le seul. Les gamins, c’est comme ça.
Puis on considéra que le bâtiment était désuet, qu’il était insuffisant, qu’il n’était pas moderne, et on chargea Jean Nouvel de le vider de ses tripes. Le chantier dura plusieurs années : on décida de garder la façade, on plaça des structures de bois dans ses ouvertures de fenêtres, on démolit tout l’intérieur, caves et toit compris, et on rebâtit un édifice moderne à l’intérieur de la coquille, à grand renfort de béton. Tout le monde a dû voir ce genre de chantier : considérant qu’un bâtiment est beau, que sa façade est séduisante, on le vide comme un poulet et on le farcit d’escalators, d’ascenseurs, de matériaux intelligents. Les quelques originaux qui considèrent qu’un bâtiment ne peut se résumer à sa façade n’ont plus alors qu’à aller voir ailleurs si on respecte le passé. Dans une époque qui sait si bien surfer à la superficie des choses, il est parfaitement cohérent qu’on n’attache plus aucune importance à ce qui ne se voit pas, à ce qui existe à l’intérieur, et que d’un bâtiment qui a parfois plusieurs siècles de vie, on envisage de ne garder que la façade. C’est l’architecture du fake. Ça a l’air d’être ancien, ça a l’air d’être un vrai bâtiment, ça a l’air d’avoir été construit par les anciens, ça a l’air de témoigner de leur art de vivre, mais zobi ! A l’heure du body building, de la chirurgie esthétique, de la culture wikipédiesque et du crédit à la consommation automobile pour tous, il est bien normal que l’architecture participe au mouvement. D’ailleurs, plutôt que s’attacher aux pompeux et désuets concepts de notre devise nationale, Liberté, Egalité, Fraternité (et ces majuscules, j’vous demande un peu !)
Evidemment, quand vous entrez aujourd’hui à l’opéra de Lyon, tout est moderne, c'est-à-dire froid et noir. Il faut cependant reconnaître que la transformation a été bien faite, et que les matériaux utilisés furent choisis parmi les plus nobles. Lignes épurées, murs lisses, sol glacé, ombres satinées dans une ambiance de cimetière chicos, l’endroit affiche la couleur (si j’ose dire) : vous n’êtes pas là pour rigoler.
Rigoler, en revanche, ça a longtemps été la raison d’exister de la bande dessinée. Mais depuis quelque temps, elle semble avoir mûri, on y rigole moins, on y dépense plus de fric et on s’y emmerde souvent. Entre les épopées héroïco teutoniques, les serial killers en goguettes, les polars bien pensants, les anti-héros autofictifs et les vengeuses aux seins gonflés maniant le gros calibre et
Il y a des gens assez pervers pour estimer qu’un bâtiment du XVI ème siècle est mieux avec des poutrelles en béton, des jacuzzis, des Velux géants et un espace salon résolument bio, mais qui n’envisagent pas d’aller communier avec le XXI ème siècle dans un endroit construit pour. Il se trouve aussi des gens pour qui Edgar Pierre Jacobs est un vieux con, dont il est bon de piller l’esthétique de façade en bousillant frontalement le reste de l’œuvre, la vision du monde et la mémoire. Qu’ils aillent donc pondre de