On vient d’apprendre qu’un coureur du Tour de France, Riccardo Ricco, est « tombé » pour dopage (France-Inter dixit, l’invraisemblable Claire Servajean ce matin à 8 heures), entraînant dans sa chute toute l’équipe Saunier Duval. Jusqu’à présent, employer « tomber » dans le sens de « se faire choper par les flics » était exclusivement réservé aux malfrats. Cet argot du Milieu supposait, bien entendu, que la personne « tombée » pratique une activité illégale mais surtout que l’illégalité est son lot habituel. On n’aurait pas eu idée d’utiliser ce terme pour un pauvre cave qui se fait serrer en franchissant un feu rouge ou qui enfreint la loi presque involontairement. Désormais, donc, les coureurs cyclistes sont des hors-la-loi de profession et, à ce titre, sont appelés à tomber. Ça ne nous surprend pas, il faut le dire.
Qu’un cycliste se dope comme une volaille, ce n’est pas nouveau. Que le public le sache, ça ne l’est pas non plus : ce sport est à la pointe de ce qui se fait en matière de tartuferie, les affaires de dopage se succédant de mois en mois depuis des années sans que personne ne remette publiquement en cause, mais de manière radicale, la pérennité de la discipline. Le Tour de France est lui-même à la pointe de la pointe puisque, épreuve réputée phare, elle concentre à la fois ce qui se fait de mieux en matière de mollets, la crème des médecins spéciaux et, peut-être, le must des contrôleurs anti piquouze… Mais on continue de fêter le vainqueur à l’ancienne (c'est-à-dire pleins d’admiration) alors même qu’il devrait être considéré comme celui qui franchit la ligne d’arrivée en premier ET QUI ne s’est pas fait prendre avec de la dope dans le sang, double exploit. J’ai quelques anciens dans mon entourage qui continuent de meubler leur retraite en écoutant le Tour de France à la radio (petite radio à transistors qui rappelle, elle aussi, un temps béni où on ne savait pas) en sachant parfaitement ce qui arrive dès qu’on fait pisser un coureur dans un petit verre. D’après mon enquête, ils semblent avoir besoin d’admirer quelqu’un et font passer ce besoin au-dessus de tout. Admirer comme on admire son papa, le plus fort de tous, quand on est gosse…
... des transformations génétiques!
Les adultes, en revanche, sont théoriquement mieux armés contre ce genre de sentiment. Ils sont susceptibles d’admiration à certaines conditions, que le cyclisme pro ne remplit plus depuis longtemps. Mais quand on parle d’adulte, ont entend généralement un être mûri par l’expérience et qui dispose des clés pour décoder le monde qui l’entoure sans (trop) être le jouet benêt des événements… Visiblement, dans le staff managérial de l’entreprise Saunier Duval, personne ne répond à ces simples critères. Interrogé sur le sujet par France Inter, un de ses responsables nous a servi le couplet de « l’image de l’entreprise », un blabla que je croyais réservé aux films comiques traitant de la chose pour faire poiler les mômes. Il faut imaginer ces quadras à la mine grave, tout entiers consacrés à la conquête de marchés nouveaux, absorbés par les chiffres, les tendances nouvelles et la surcharge pondérale, exposant l’idée géniale au grand big boss : on va investir dans une équipe cycliste ! Tour de France, monsieur le Président…
Evidemment, ce matin, le cadre responsable de la boulette montrait un peu moins d’enthousiasme. Il parlait certes d’image, mais pour dire que la sienne venait de se couvrir de caca… C’est ça qui est admirable avec les cadres d’entreprise : on dirait qu’ils vivent dans un monde parallèle, ils font comme si l’image d’une bande d’enculés était positive parce qu’elle l’était au moment où eux-mêmes glandaient en Sup de Co. Ils sont tellement fainéants (ou limités, ou les deux) qu’ils espèrent utiliser ad nauseam les mêmes recettes pour blaireaux jusqu’à la retraite, sans jamais tenter autre chose. J’imagine qu’en 1950, il devait encore se trouver des cadres de la com pour proposer des « la gaufrette du Maréchal ! » au conseil exécutif de leur boîte ! Là, on a une entreprise richissime qui met du fric sur des cyclistes, en 2008, après que le maillot jaune de l’an dernier, le très filant Rasmussen, convaincu de dopage, ait été obligé de s’enfuir du Tour pour échapper à la pendaison ! Et bien sûr, la boîte communique toujours sur « les valeurs du sport », « l’esprit sportif » et autres couillonnades d’un autre siècle !
L’entreprise est, on le sait, un lieu de grand mensonge. Rien de ce qui est mis en avant n’y est vrai. Les ressources humaines aimeraient bien se passer des humains, le contrôle de gestion verrait très bien la mort des contrôles… mais on oublie trop souvent l’immense bêtise des dirigeants, leur conformisme, leur inculture, leur manque de recul, enfin on oublie qu’ils n’ont généralement aucune des qualités qui les pousseraient probablement à faire autre chose de leurs vies. Saunier Duval, l’esprit d’équipe !