Une belle brochette d'enculés
De l’avis de tous ceux qui me connaissent, je suis un garçon calme, posé, charmant. Jamais un mot plus haut qu’un autre, jamais de geste brusque, un bloc de savoir vivre enrobé de douceur. Même ma mère, qui est l’impartialité personnifiée, le confirmerait. Mais il arrive que les plus flegmatiques champions ne puissent retenir l’émotion, l’incontrôlable pulsion primaire qui mue l’honnête bourgeois en maquisard ou le placide chat de mémé en véritable bête fauve. C’est ce qui m’arrive en ce moment même, et je vous prie de croire que ce n’est pas pour un motif futile. La chose porte sur un mot : « encagoulé ». D’emblée, que ce mot soit laid comme un pou n’échappe à personne. C’est un mot qui insulte aussi bien celui qui le reçoit en pleine oreille que celui qui s’abaisse à le colporter. « Encagoulé » est censé désigner l’individu portant une cagoule mais semble plutôt indiquer que l’individu en question se l’enfonce dans le cul. C’est ce qui explique qu’entendre un journaliste parler « d’individus encagoulés » à sept heures du mat est insupportable.
L’affaire a commencé avec les Corses. Pour être précis, avec les Corses portant ordinairement des cagoules, ce qui ne fait pas une population bien nombreuse, quoi qu’on en pense. J’en ignore la raison, et les historiens du futur ne la découvriront peut-être jamais, mais il y eut un moment de bascule dans l’histoire de l’humanité, un avant et un après séparant la chronologie historique en deux fractions distinctes, celle où l’on disait « cagoulé », et celle où l’on dit « encagoulé ». Soudain, en effet, tous les journalistes francophones du globe se mirent à parler de hordes d’encagoulés corses tenant meeting, de commando encagoulé faisant main basse sur un coffre, de lascars encagoulés agressant des vieilles dames, etc. Le mouton et le journaliste partagent cette passion pour la meute, le geste commun et le bêlement synchrone, mais ils se distinguent au moins sur un point : le mouton sait d’expérience qu’un homme portant une cagoule est simplement dit cagoulé. Les Corses ayant quelques dispositions pour occuper périodiquement l’attention des médias, il y eut donc un temps où l’on se mit à ne plus parler que de gens "encagoulés", probablement dans un but de moquerie. Pourquoi pas ? Le rédacteur de billets encagouleurs en poste à Paris pouvait bien tenter de ridiculiser des gens armés de Kalachnikov dans un maquis perdu à l’autre bout du pays en grimant ce mot en galéjade pagnolesque : le courage ne manque jamais aux braves. Mais qui, faisant le premier cette farce langagière, aurait pu imaginer le succès de sa vanne, succès non seulement immédiat mais total, totalisant, totalifiant, entotalisé ? On ne trouve plus personne, en effet, pour résister à l’épidémie encagoulifère.
Il faudrait un athlète, ou un Ignatius opiniâtre, pour recenser tous les abus de langage de la junte journalistique, et ses impayables tics. Ce héros pourrait sûrement en dégager des enseignements sur la psychologie de ces sauveurs de démocratie en danger, ces rebelles à la censure, ces esprits forts et libres qui passent pourtant leur temps à s’engouffrer comme un seul homme dans la mode jargonnante et le gimmick branché de mes couilles, qui suivent les plus incontestables conneries dans la plus parfaite docilité. On se souvient de cet autre moment d’intense souffrance où trois cents fois par jour était répété sur les ondes le mot « marigot », après une initiative de Philippe Seguin, si ma mémoire est juste. Pourquoi Marigot ? Mystère. Et le fameux « grain à moudre », combien de silos de farine a-t-il généré ? et le funeste « détricotage », de quel connard sortait-il ? Et cette immonde « cour des grands », qui a régné sur les langues pendant plusieurs années, dans la plus inexplicable impunité ?
Pour le cas « encagoulé », c’est encore plus difficile à admettre. Si les journalistes à l’origine de l’affaire voulaient dire « enculés » à la place d’« encagoulé », et si les discours sur le l’audace journalistique ne sont pas de pure fiction, ils auraient dû oser le coup carrément. Les nervis corses savent sûrement apprécier le courage quand on le brandit fièrement… Au lieu de ça, ils ont trouvé ce pitoyable ersatz que d’immenses cons se refilent par paquets de douze à longueur de pages, au point qu’on se demande s’il existe encore un homme en France qui se souvienne du mot correct ! Profitant donc de l’audience mondiale de ce blog, je le proclame donc ici pour la première et dernière fois : tout connard employant le mot « encagoulé », même pour rire, doit être considéré comme un hors-la-loi, et doit immédiatement être balancé aux flics !