mardi 13 janvier 2009

Grand Hosto ! (1)


"Il n'y a qu'un héroïsme, c'est gagner sa vie". Bardamu.

On ne sait pas vraiment pourquoi mais certains événements ont le pouvoir de concerner tout un pays. Qu’il s’agisse d’une guerre et chacun admettra la chose mais quand il est question d’un jeu télévisé, cela surprend. Ce soir par exemple, personne n’ignore plus que nous allons assister à la première du Grand Hosto!, la nouvelle trouvaille d’Hippolyte Conda-Lasner. La publicité qui en a été faite constitue une sorte d’exemple étourdissant de ce qui ne peut être surpassé: affichage envahissant villes et campagnes, spots télévisés pendant plus de quarante jours, distribution gratuite de gadgets fluorescents rappelant le nom de l’émission à la sortie des écoles, campagne d’interviews de copinage orchestrée par le patron du groupe La Serpette, propriétaire de la chaîne de télé concernée ainsi que d’une pléiade de journaux, de radios, de vignobles, de boîtes de prod, de satellites révolutionnaires, d’écuries de courses (chevaux ou automobiles, on ne sait plus), de salles de spectacles, de centres de vacances, d’hôtels proliférants, d’usines de mise en conserve, d’un studio de cinéma, du principal fabricant de cotons-tiges du continent nord-américain, d’une bonne centaine de call-girls, du premier groupe européen de cliniques privées, de mines de cuivre en Zambie, de quatre banques, de restaurants, de tronçons d’autoroute et de grands magasins surfréquentés le samedi après-midi. Les seize plus grandes villes du pays ont même été survolées pendant un mois par des nuées de dirigeables parés aux couleurs du Jeu grandiose et rappelant, par la lenteur inquiétante de leur vol, l’invincibilité de ce qui vient d’en haut.
Encore une fois, l’imagination d’Hippolyte Conda-Lasner et son sens hypertrophié de l’organisation ont fait des miracles: pour lancer la campagne de publicité et pour les vingt premiers numéros du Grand Hosto! il a obtenu un budget susceptible d’effacer la dette extérieure des trois plus pauvres pays du monde , mais ceux-ci ne sont que très faiblement équipés en postes de télévision, nous n’en parlerons donc pas. Un sondage récent indique que pour 67% des femmes interrogées, M.Conda-Lasner ferait un excellent ministre de l’industrie cultuelle et un gendre impeccable.
Quelle ascension fulgurante pour celui qui débuta à la télévision comme apprenti électricien et dont on oublie trop souvent qu’il est l’inventeur de succès tels que
Suprême Les Filles!
Fantastikorps!
Mégamoche!
Cent Briques pour ma Pomme!
La Foire d’Empoignes!
Toujours Gagnant!
Tiroir-Caisse!
Palpe!
Merguez, merguez!
Jubilez!
Gain pour Tous!
Trisomix!
Do Sol Mi Ré Ré Ré!
La Bonne Bedaine!
Ça rapporte!
Le Grand Friçon!
Cultivés mais Riches!

C’est une liste enviable, non? Surtout qu’à 37 ans, Hippo semble encore loin d’avoir réalisé son chef d’oeuvre... Chacun de ses nouveaux jeux a certes supplanté ses concurrents du moment comme dans une course effrénée à l’efficacité où il est vital d’être toujours de plus en plus tout, chaque fois il a su marier la simplicité avec la frénésie du rythme, selon la formule qu’il répète partout:

Simplicité + Vitesse = Succès

Mais il faut se rappeler aussi qu’il n’a pas été épargné, car les grincheux ne manquent pas dès qu’il s’agit de critiquer systématiquement les réussites les plus visibles et les moins contestables. Très souvent d’ailleurs, ces gens-là ne regardent pas les émissions qu’ils condamnent puisqu’il s’agit pour eux de faire mal à un homme pour ce qu’il représente et non pour ce qu’il dit ou fait. On l’a même copieusement traité de saligaud AVANT, oui avant! que ne soit diffusé le premier numéro de Mégamoche! le jeu interactif qui passionna pourtant le pays, et qui consistait à faire s’affronter des équipes de citoyens moyens dans une compétition de laideur, l’équipe gagnante étant celle choisie par le public comme regroupant les gens les plus affreux.

Les gens pas beaux ont droit eux aussi à la célébrité! s’était défendu Hippo.
La télévision avait alors ouvert ses portes aux goitreux, aux obèses mammouthéens, aux variqueuses, aux édentés, aux scrofuleux de toutes espèces, aux becs-de-lièvre, aux gueules cassées de la route, aux pifs tordus, aux oreilles coupe-vent, aux grands brûlés, aux nains difformes, aux boutonneux purulents, etc. Même devant le succès inouï de la formule, les critiques ne s’étaient pas arrêtées: on l’a traité de monstre quand il fit venir d’Afrique des équipes de lépreux (quelle pagaille sur le plateau, souvenez-vous, quand l’équipe savoyarde des pieds-bots avait crié « à la triche » devant les museaux bouffés de lèpre des Africains hébétés); on a également tenter de l’interdire lorsqu’il organisa un défilé de dessous féminins présentés par des femmes victimes d’une chirurgie esthétique ratée. Cette émission présente une image de la femme absolument avilissante, s’était époumoné Gil Clobert-Chafouin, le parfumeur distingué qui est de tous les combats.
Hippo était-il allé trop loin? Cette question divisa la Nation. On en discuta lors des nombreux débats télévisés sur le sujet, certains en profitant pour réclamer son limogeage et son emprisonnement (oui), d’autres affirmant qu’il était trop en avance sur son temps et que, « tel Isidore Ducasse », il touchait les points les plus douloureusement sensibles de l’âme humaine.


Comme il l’a lui-même récemment confié au magazine Winners, pour résumer sa vie:
- "J’en ai vraiment chié!"
(à suivre)