mercredi 4 mars 2009
L'Europe propre
Quand tu descends de ta tour d’ivoire, lecteur élitiste, et que tu arpentes les rues fréquentées par le peuple, tu cours un certain nombre de risques, dont celui, trivial, de mettre ton pied dans une crotte de chien. C’est la rançon du modernisme. De par le monde, certains vivent sous la menace de marcher sur une mine antipersonnel, et de se bousiller un pied ; nous autres, nous craignons pour nos godasses.
Les plus philosophes d’entre nous diront que ce n’est pas très grave. D’autres pesteront comme des poux parce que chaque jour de leur vie, ils rencontrent ces témoins mous de l’amitié canine, s’y ridiculisent, y glissent, et parfois s’y étalent dessus. On les comprend, mais chacun sa merde ! On ne va quand même pas en faire des victimes, eux aussi… On nous présente quotidiennement tant de grandes causes à défendre qu’on ne sait plus où donner du porte-voix. On n’en peut plus, on s’épuise. On se bat pour l’égalité, pour la justice, pour défendre la Palestine, pour sauver les Haïtiens, pour le droit des femmes à se comporter en hommes, on lutte contre la violence des jeunes, contre l’alcoolisme autoroutier, contre la perte de l’orthographe, on se défonce pour le Québec, on participe à l’effort anti tsunami, on est modernes contre la mafia et contre Ben Laden, on gueule pour améliorer les repas dans les cantines scolaires, on est contre le porno soft, on s’indigne du sort des vieux dans les maisons de retraite, l’avortement nous prend tous nos mercredis, la défense de la planète tous nos week end, on mange bio, on se méfie du sel, on reboise pour la paix, on donne pour l’éducation, on s’intéresse au bouddhisme, on se laisse pousser la barbe pour protester contre la pub à la télé, on déforeste les champs d’OGM, on déteste l’homophobie, on est citoyen 24 heures sur 24… faut-il, en plus de tout ça, partir en croisade contre la défèque attitude des clébards ?
Un con, Peter Stein, député chrétien-démocrate teuton, pense que oui. Pour lui, toutes les causes sont à empoigner, et fissa (de préférence avec des gants, pour le cas qui l’occupe). Ce visionnaire propose en effet de traquer le chieur urbain à quatre pattes grâce à l’ADN de ses étrons ! Son idée, fliqueuse à souhait, est d’une simplicité biblique : on fiche les trous de balle de tous les clebs d’Allemagne (puis bientôt, de l’Europe, puis du mooooonde, Deutschland über alles !) et on pratique un test de dépistage chaque fois qu’une crotte illicite est découverte sur un trottoir (uniquement dans les quartiers rupins, je suppose). Une analyse et, illico, le Fichier Central des Cacas te file les coordonnées du maître de la bête, qu’une patrouille spéciale est aussitôt chargée d’interpeller, de verbaliser, d’embastiller en cas de récidive. On a les combats qu’on peut.
Les sécurocrates rêvent du chien qui ne mord pas. Chaque fait divers mettant en scène un molosse et un enfant mordu les fait gagner du terrain. Pour que leur triomphe soit accompli, la science permettra peut-être bientôt de fabriquer un chien de synthèse sans dents, sans instinct, et qui ne chie plus.