dimanche 21 juin 2009

Travail, famille, burqua.


Dans un monde soumis à la dictature quotidienne de la fesse rentable, publicitaire ou, pire, de la fesse adolescente (c'est-à-dire interdite), la burqua pourrait apparaître comme une solution raisonnable pour mettre les humains de sexe masculin (j’en suis) à l’abri des maux de tête. Pour avoir passé quelques mois de ma vie dans des pays arabes, je témoigne qu’on peut s’y promener des jours entiers sans jamais ressentir cet énervement sexuel dans le vide qui fait l’ordinaire d’une vie d’homme ici, et sa tragédie. Pas de gonzesse en vue, pas de nombril, pas de mollet galbé, pas de seins bondissants, pas de cuisse dénudée, le calme règne… Evidemment, à moins d’aimer les moustaches, les barbes et les sourcils broussailleux, on s’y fait énormément chier. C’est d’ailleurs un peu pour ça que les gonzes rêvent de venir en Europe : ici, même si tu n’as pas de boulot, tu peux quand même avoir une nana. Passons.
En réalité, la burqua est d’une épouvantable laideur. C’est sa fonction : transformer l’irrésistible beau en laid repoussant. On peut dire qu’en matière d’efficacité, les Afghans, chapeau ! On devrait les consulter pour fabriquer des Airbus. Il arrive parfois qu’un tchador enjolive une femme (les yeux des Arabes, c’est quand même quequ’chose), on peut aussi adorer le fichu qui couvre les cheveux et souligne l’ovale des visages, mais la burqua, non vraiment, c’est sans appel. Dans l’ordre de l’affreux, c’est l’équivalent féminin du pantacourt pour hommes ! Deux trucs à interdire, assurément. (on dit que Stanley Kubrick avait songé à introduire une burqua dans son Shining pour le rendre encore plus effrayant, mais qu’il n’a pas réussi à l’intégrer au scénario. Tant mieux).
Les grandes gueules défendant la liberté (comme moi) sont bien dans la merde : la liberté intègre-t-elle la burqua ? Faut-il interdire le port du sac à patate ? Au nom de quoi ? Autant le dire tout de suite, j’ai la solution à ce problème, mais je ne la donne pas tout de suite : ne jubilez pas, obscurantistes ! D’abord, il est évident que la liberté ne peut pas être évoquée hors de tout contexte. Comme toutes les choses délicates mais surpuissantes, la liberté réclame un apprentissage, un sens de la nuance, un certain doigté, une maîtrise qui ne va pas de soi. On ne peut pas tout faire au prétexte qu’on a simplement envie de le faire. C’est même, pour moi, l’exact inverse de la liberté, qui est avant tout maîtrise de soi, de ses passions, de ses peurs, de ce qui joue en nous à notre insu. La liberté n’est pas de faire ce qu’on veut, mais de vouloir ce qu’on fait © (c’est beau, c’est vrai, c’est de moi). Qui prétendrait qu’au nom de la liberté, on doive autoriser les gens à se promener nus sur les grands boulevards ? L’état d’esprit général est tel, les traditions et les mœurs sont telles que la nudité, fort normale en Papouasie, est rejetée en France dans l’espace public. Un Papou débaroulant sur les Champs aurait-il une quelconque légitimité à s’y montrer nu ? Non, car l’exercice de sa liberté (et de ses traditions) serait trop offensante pour la liberté et les traditions de nous autres, et que ça créerait des problèmes immédiatement. Or, la finalité de la liberté, c’est l’harmonie entre les gens, non la guerre de tous contre tous. En passant, c’est exactement le même principe qui me fait dire qu’une touriste en short moulant et débardeur ultracourt n’a rien à foutre en Egypte, et que son expulsion du pays devrait être automatisée. On ne peut donc pas se contenter d’invoquer la liberté individuelle quand on traite la façon de se comporter en public : c’est nécessaire, mais non suffisant.
Les contempteurs de burqua évoquent le droit des femmes, ou leur image, ou leur dignité, enfin ils se servent d’un truc astucieux pour que toute critique qui leur serait adressée soit a priori illégitime : qui, en effet, pourrait se dire contre le droit des femmes, qui aurait cette audace au pays de Martine Aubry, de MAM et de la mère Denis ? Evidemment, on leur objectera que les femmes, en matière de droit, pourraient aussi avoir celui de s’habiller en burqua, mais aussitôt, la massue de la dignité féminine s’abat sur le contradicteur, bien fait. Et que l’on soit ami de ces féministes ou qu’on soit leur adversaire, on doit bien reconnaître que la burqua est, même en Afghanistan, un élément d’oppression. Liberté ou pas, dignité ou pas, la burqua ne répond à aucun des critères qui, chez nous, définissent la tradition, le droit, la liberté, les mœurs. Chez nous, on ne se promène pas sous une capuche géante, pas plus qu’avec une plume dans le cul (le souvenir de la dernière gay pride me fait regretter d’avoir écrit cette dernière phrase, et en invalide une partie ; les militants gays donnent donc un argument de poids aux amateurs de burqua, bravo les filles). Bien qu’ils soient souvent chiants comme les mouches, les manieurs de dignité féminine ont quand même touché juste en disant que la burqua s’oppose à l’émancipation des femmes telle que nous l’entendons, ici, au pays de la minijupe et du french cancan. Là où je ne les suivrai pas, c’est quand ils prétendent que la burqua devrait être éradiquée d’Afghanistan : que peut nous foutre, ici, que les afghanes se voilent intégral ou que les chinoises aient les yeux bridés ? Comprends pas…
Si Philippe Muray était encore vivant, il trouverait sûrement à la burqua la vertu d’incarner la lutte contre la sacro-sainte Transparence, cette religion moderne qui stipule que tout doit être su, connu, pesé et contrôlé et qu’un père qui donne une fessée à son garnement de fils doit être dénoncé à la police autant qu’à la vindicte populaire. Je vois d’ici les amoureux de paradoxe se jeter sur l’occasion en utilisant la burqua comme un drapeau, l’étendard de la lutte anti moderne, le signe de ralliement des ennemis de la société de surveillance qui progresse partout. Pour certains, en effet, la haine des défauts de l’occident se traduit par la promotion de ses ennemis, ou la constatation que notre liberté n’est ni parfaite ni totale les fait souhaiter que triomphent des régimes radicalement oppresseurs, pour nous apprendre ! C’est la classique haine de la « décadence » qui pousse l’imbécile à rêver des barbares, pour qu’on en finisse une bonne fois. On peut d’ailleurs prévoir que, par haine du féminisme militant ou par anti-néocolonialisme primaire, un type comme Nabe va s’arranger pour qu’on sache tout le bien qu’il pense de la burqua, et il ne sera pas le seul. Au temps de la polémique sur le voile à l’école, on a déjà tenté de mettre en parallèle le string et le voile (Soral, par exemple), arguant que celui-ci ne rendait pas la fillette plus indigne que celui-là. Même en considérant que le voile renouvelle la tradition française de la dignité, il n’en reste pas moins un élément exogène qui, en cas de succès, tendrait à supprimer du paysage tout ce qui ne lui ressemble pas, un peu comme ces écureuils d’Amérique introduits en Angleterre artificiellement, et qui font disparaître les traditionnels écureuils roux définitivement, parce que c’est comme ça. Si nous n’avions que l’alternative entre le string-ras-du-fion et l’isoloir portatif, ça se saurait : l’éclaboussante majorité des femmes, en France, ne portent ni l’un, ni l’autre.
Comme on l’a vu au temps de la polémique sur le voile scolaire (je l’appelle comme ça), certains prétendent qu’on peut être à la fois hyper républicain, patriote de chez Patriote & Fils (maison fondée en 496) ET porter un voile maousse, voire une burqua en zinc. Mon corps est caché, mais mon esprit appartient à Marianne ! Evidemment, même parmi les nombreux faux jetons que la France abrite, personne n’y croit. Une nana pour qui se promener dans la rue comme tout le monde, sans masque, est inconcevable, ne viendra pas prétendre qu’elle adhère aux lois et à l’esprit d’une république à la française. Si nous vivions encore dans une époque saine, on se foutrait tout bonnement de sa gueule, on en ferait une bonne galéjade à raconter entre potes, on ne ferait pas semblant de croire que ça peut être éventuellement vrai si ça se trouve peut-être faut voir on sait pas. Imaginons un instant que la burqua se banalise un peu plus, et imaginons que ses adeptes soient vraiment de bonnes citoyennes républicaines attachées aux valeurs blablabla : certaines iraient jusqu’à se présenter aux élections et, pourquoi pas, seraient élues. On arriverait donc à voter pour une dame dont on ne connaît ni le visage, ni les regards, ni les formes, ni les gestes !... Hé ! Ho ! On est en France ! On se réveille ! On arrête de déconner !


Pour conclure, et pour tenir ma promesse, je propose donc qu’on se réconcilie tous autour de la solution, une bonne vieille loi républicaine, celle qui précise qu’en dehors des fêtes costumées comme Mardi Gras, il n’est pas permis de dissimuler son visage sous un masque. C’est bête comme chou ! En France, en temps ordinaire, on n’a pas le droit de se masquer, point final. La loi est ainsi, elle existe, on n’a qu’à l’appliquer. Le hasard fait qu’en ce moment retentissent les échos moisis d’un projet estrosien d’interdiction du port de la cagoule pendant les manifs, mais ce n’est pas le sujet. Sans parler des manifs ni des bagarres contre les bourriques, il n’est de toutes façons pas permis de se balader avec un masque. J’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi les femmes décidées à se voiler entièrement la truffe seraient les seules à ne pas tenir compte de cette loi, et surtout au nom de quoi. J’entends immédiatement les grenouilles de minaret alléguer un droit spécial pour cause de religion : ben merde ! Tout le monde sait bien que la burqua n’a qu’un rapport indirect à la religion, et qu’il s’agit d’une tradition locale du Burquanistan dont on a parfaitement le droit de se foutre en France. Et quand bien même il s’agirait d’une stricte recommandation religieuse, la France laïque n’a pas à déroger à ses règles pour qu’une bande de masos puissent l’appliquer. Sans compter qu’il s’agit d’un engrenage sans fin. Le Québec a cru bon d’autoriser le kirpan (un putain de poignard !) dans les écoles, pour cause de respect d’une prescription religieuse, je ne vois pas ce qui pourrait faire obstacle là-bas à toutes les fantaisies possibles (car, ne l’oublions pas, les religions ne sont, ontologiquement, que ça). La Terre est vaste, messieurs dames, allez burquer ailleurs si vous ne pouvez pas vous en passer, il ne manque pas de pays assez cons pour être dans le renoncement, l’égarement, le suicide culturel, la complicité d’abrutissement, et pour appeler ça tolérance.

Post scriptum : je précise que j’ai écrit burqua avec la forme Q-U-A (et non burqa) parce que le Q-U est une forme habituelle de la langue française. Comme burqua est appelé à devenir notre quotidien (non majoritaire, n’exagérons pas le pessimisme), je le considère donc dès à présent comme un mot français, au même titre que nikomouque. Je t’invite, lecteur grammairien, à en faire de même.