samedi 17 octobre 2009

L'ultime spectacle de Zangô Tralpak - 8/8


La police vient de recevoir l’ordre d’enfoncer les portes !
- Michel ! Michel! tu m’entends ? Les bourriques arrivent, tiens-toi prêt... Je veux toutes les images de tout !

Après un tumulte dont les quelques vingt-cinq Michels postés aux fenêtres d’en face ne perdirent presque rien, la police engouffra par grappes les spectateurs hébétés dans des paniers à salade de circonstance. Le Ministre de l’Intérieur déclara que l’opération avait été menée par des professionnels et que l’ordre régnait de nouveau dans la République. Deux heures plus tard, il démissionna.
Tout le monde fut mis au bloc. On interrogea les plus loquaces : tous les témoignages concordaient. Les acteurs de la troupe Tralpak et Zangô Tralpak lui-même étaient morts, soit par suicide, soit par assassinat. Soir après soir, la pièce la plus tragique que l’art dramatique ait jamais produite s’était déroulée, captivant les spectateurs et s’imposant à eux jusqu’à ce qu’ils se retranchent derrière des barricades de fortune pour qu’elle pût continuer. La Loi en faisait des complices objectifs. Le problème des responsabilités se posa alors avec urgence puisqu’on ne parvenait pas à extraire une personnalité plus marquante qu’une autre, un caractère un peu charismatique dans le groupe des prisonniers. Allait-on devoir condamner des centaines de gens ? Les services techniques du Ministère de la Justice s’employaient à constituer sur dossier le profil d’un bouc émissaire satisfaisant. A la police de faire son travail ensuite.
Peu à peu, il apparut qu’un espoir demeurait, susceptible d’éviter la démission de tout le gouvernement. Le dernier acteur survivant avait disparu.
- Comment ça, disparu ? Comprends pas ça, moi, disparu ! interrogea l’inspecteur Pifoyan.
- Je vous dis ce que nous avons tous vu. Le dernier soir, l’acteur qui jouait Simon restait seul en scène. Il monologua brillamment pendant une vingtaine de minutes, dans un silence de sépulcre. Il se rendait compte trop tard de l’horreur de son geste. Il avait agit d’instinct, sans penser à ce qu’il faisait. Pour survivre, il avait tué la femme qui portait son enfant. Il en était même arrivé à la certitude qu’elle aurait mis au monde des jumeaux, et qu’ils étaient eux les Elus dont on parlait. Dieu n’aurait pas permis qu’une vieille salope entre au paradis, mais sans doute ses deux enfants, pour tout recommencer. La gloire immortelle d’être l’origine de la nouvelle humanité lui échappait donc.
- Qu’èèèèèèst-ce que c’est que ce charabia ?
- Laissez-moi finir, inspecteur. C’est ici que tout se complique.
L’inspecteur Pifoyan, qui avait tout de même eu son bac d’action commerciale du premier coup, se sentit soudain dépassé : comment pouvait-on compliquer encore une telle fable ?
- Chaque spectateur s’attendait à ce que Simon se suicide. Pris d’un incompréhensible sentiment de pitié, certains projetèrent même de l’en empêcher. Celui qui avait survécu aux épreuves que nous tous avions vécues ensemble ne devait pas mourir. Mais une grande lumière se fit dans l’arrière scène. Une lumière d’un blanc intense, comme mille néons. Pensant qu’il s’agissait d’un incendie que ce pauvre fou avait déclenché, une panique faible gagna la salle. Il faut vous dire, monsieur l’inspecteur, que nous n’avions plus la force de nous affoler... Puis quand les plus vifs d’entre nous se décidèrent, nous sommes tous allé voir ce qui se passait. Et bien, croyez-moi si vous voulez, il n’y avait rien, rien du tout.
- Pas de trace d’incendie ?
- Rien du tout. Le sol était propre, le plateau vide d’être vivant. Aucune trace de Simon.
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- Dites-moi, mon cher, nous allons avoir beaucoup de mal à condamner quelqu’un dans l’affaire Tralpak. En trois mois, vous n’avez pas été fichu de me trouver le moindre complice. La République est ridiculisée. Vos services, zéro.

Fin