samedi 2 janvier 2010
Mourir du cul d’un vigile
A moins d’être totalement naïf, de sortir de l’œuf ou d’être con comme un manche, il n’est pas permis en France d’avoir une bonne opinion de ceux qu’on appelle des « vigiles », pour la bonne raison qu’ils ne la méritent pas. Dans tout corps de métier, tout groupement, il y a forcément des abrutis. Chez les vigiles, c’est l’inverse : il y a forcément quelques types bien. La plupart du temps, les vigiles sont des brutes incapables du plus petit discernement, que seules des instructions strictes, un encadrement scrupuleux et la peur du licenciement retiennent de tabasser des femmes à poussettes pour refus d’obtempérer. Attention, ce tableau n’est pas spécifique aux vigiles en tant que tels : l’ensemble de l’humanité est majoritairement composé de brutes de cet acabit mais voilà, toutes ne sont pas vigiles. Quand un comptable chez Carrefour est un gros con, il n’emmerde que ses collègues de bureau. Quand le même con est vigile, il a potentiellement des milliers de gens à emmerder : les clients.
Oh, je sais bien que les clients sont, eux aussi, des cons, par la même logique et suivant le même constat qui me faisait débuter cet article amer. Mais voilà, encore une fois : ils ne sont pas vigiles, ils n’agissent pas en groupe, ils n’ont pas d’uniforme (avec tout ce que cela implique psychologiquement chez un abruti), ils n’ont pas de chef, pas de mission, pas de matraque et, sauf pour les plus désœuvrés d’entre eux, ils ne font pas de gonflette.
Aux tristes années où j’étais étudiant, j’ai travaillé deux ans dans une boîte de surveillance. J’ai donc fréquenté du vigile, pour en avoir été un moi-même. Je peux ainsi témoigner que je n’y ai rencontré que des brutes, des voleurs, des gens sans aucune moralité, incultes au-delà de tout espoir, parfaitement abrutis par leur nature et par les trésors de mimétisme que la vie en commun met à la disposition de chacun, des crétins de la pire espèce, de celle qui écraserait sciemment un mec parce qu’il n’a pas mis son clignotant. Ce n’est pas compliqué : même à l’Université, même chez les professeurs, je n’ai jamais vu autant de cons rassemblés.
Quand notre civilisation sera détruite et que quelques survivants faméliques voudront expliquer le monde ancien avant de crever eux-mêmes, il se serviront d’une image unique, j’en suis sûr, pour résumer tout ce que nous avons inventé de laid, de dégueulasse, de foncièrement pervers et dégradant : il parleront du Supermarché. C’est un maelström des plus bas instincts de l’homme, comme même le sport professionnel ne donne pas d’exemple. Le supermarché est ce qui se fait de plus grandiose dans l’art d’être minable, et de rendre minable le reste du genre humain. J’ai connu un menuisier qui vivait assez peinard, qui fabriquait des volets, des escaliers, qui les posait chez de jeunes couples ou qui réparait sa porte à la mémé du coin. Il n’avait qu’un défaut : des amis. L’un d’eux l’a mis sur un coup fumant : fabriquer des présentoirs ou comptoirs pour Cabino. Ce con a eu le marché, il a commencé à gagner de l’argent (ou plutôt, son chiffre augmentait, en même temps que le nombre de ses ouvriers, que ses charges, que ses heures de taf, etc), il est vite devenu dépendant de son client, puisque celui-ci a exigé qu’il ne travaille plus que pour lui (raison invoquée : par ses fonctions de fournisseur fabricant, il connaissait des « secrets » commerciaux de Cabino !!), il est donc devenu aussi con et dictatorial que son maître/ client et, pour résumer sa chiante histoire, il a été lourdé au bout de cinq ans, après des investissements énormes, parce qu’on s’est rendu compte qu’on pouvait aussi bien importer des comptoirs moins chers. Je ne vous raconterai pas comment il est mort : de toutes façons, tout le monde s’en fout.
Des vigiles d’un supermarché Carrefour lyonnais ont assassiné un pauvre type. Il avait peut-être fauché une canette de bière, ils l’ont interpellé et se sont assis sur lui, jusqu’à le faire mourir d’asphyxie. Selon les caméras de surveillance de ce supermarché de la mort, l’agonie a duré une bonne quinzaine de minutes. Et le pire, peut-être, dans cette atrocité, c’est que ces brutes ont probablement été inconscientes de ce qu’elles étaient réellement en train de faire. Mourir comme ça, sous les coups de la force et de la bêtise réunies, c’est la plus sordide des fins, c’est à vous glacer le sang. Mourir du cul d’un vigile de chez carrefour… C’est comme imaginer finir sa vie dans un accident de voiture et n’avoir, pour dernière image du monde, que le tablier maculé de tags d’un pont autoroutier plein de crasse.
Si l’analyse lucide de ce qu’est un supermarché ne suffit pas à rendre les gens définitivement allergiques, j’ose espérer qu’il se trouvera au moins un homme, en France, pour refuser désormais d’aller faire ses courses dans son Carrefour habituel, en pensant au local dégueulasse où on a tué un type pendant qu’à quelques mètres de là, d’autres trouvaient si pratiques ces nouvelles caisses automatiques sans caissières.