jeudi 13 mai 2010
Le moral à zéro
Un cimetière est une enceinte sacrée. Là sont les morts, seuls témoins tangibles qui nous lient au passé, à notre propre famille comme à l’ensemble du genre humain. La tombe est souvent la seule trace un peu durable à la portée du pauvre humain, le seul endroit où son nom continuera un peu d’être, avant l’oubli fatal. Rien n’est plus important que cette broutille : quand tout sera fini, de la plupart d’entre nous ne subsisteront qu’un nom, et deux dates. C’est l’unique consolation à la portée de ceux qui ne sont presque rien, ni personne. C’est le cortège des humbles.
Le cimetière est le lieu des peines, des chagrins, des remords, des prières, des douleurs, des sentiments les plus profonds et les plus sincères qu’un homme puisse connaître. Là finissent les amours.
On n’attend rien d’un cimetière, fut-on le plus rapace des winners. Un cimetière ne produit rien, il n’exporte pas ! Il reçoit, il abrite, il recueille. Il est l’enceinte où s’achèvent nos vies, et où notre condition se contemple.
Les hommes n’ont pas toujours construit des centres commerciaux. Tous n’ont pas construit des stades, des boutiques ni le world trade center. Mais tous ont pris soin de leurs morts, et les tombes sont souvent les seules traces restant de la première humanité. C’est même par ce souci de donner des tombes solides à leurs morts, que les hommes anciens ont appris la taille et la manipulation des pierres. La civilisation s’est progressivement faite ainsi.
Attenter à des tombes, c’est donc insulter tout ceci.
Dans le registre des actes qui disqualifient le plus leurs auteurs, la profanation de cimetière est probablement un sommet d’abjection. Il faut avoir abandonné tout point commun avec le reste de l’humanité pour mépriser à ce point le respect de ses morts, constante universelle qui nous sépare des rats, des hyènes et des scolopendres.
A titre personnel, je n’imagine pas destin plus profondément pitoyable que celui des gens sans sépulture, soit perdus en mer, soit abandonnés dans l’ombre des forêts, soit avilis par la fosse commune.
Et quand j’entends parler de profanation de tombes, je regrette chaque fois qu’on n’ait pas adopté la longue tradition chinoise de supplices éducatifs (arrachage d’ongles, lacération citronnée, enculade à la gauloise, giflement perpétuel, etc.).
Un autre cas mériterait exactement les mêmes traitements, celui des hommes politiques qui se servent de ces attentats pour se faire de la pub, pour alimenter un feu dangereux et pour mentir. Il y a quelques jours, des tombes de soldats musulmans du cimetière Saint-Lazare, à Tarascon, ont été profanées. Évidemment, à première vue, ça ressemble à du racisme. Mais, alors qu’on dit partout qu’il faut être prudent, qu’il ne faut pas céder à l’hystérie médiatique, qu’on a déjà vu des Timisoara et des pseudo viols dans des trains de banlieue se révéler être des arnaques, que personne n’est obligé de réagir en moins de 24 heures à une nouvelle, fut-elle atroce, les charognards professionnels ont fait leur pub en poussant l’habituel cri, dénonçant la montée de ceci, exigeant cela sur le mode offensé. Alors que la police se montrait très prudente, les professionnels du racisme donnaient vigoureusement la charge, chantant la chanson du racisme français comme un air connu. Or, le profanateur déclaré est un abruti de 14 ans, qui n’a rien trouvé de mieux que d’aller donner du talon sur le souvenir des morts. Et il serait d’origine maghrébine. Le racisme va être difficile à établir… Et la LICRA, qui annonçait se porter partie civile, va certainement venir nous expliquer qu’elle s’est trompée, ce qui serait une première absolue, à peine croyable.
L’écoeurement devant l’acte ignoble est renforcé par la bêtise et la saloperie unies sous forme de vibrants discours. On conçoit parfaitement que des responsables politiques soient en quelque sorte obligés de se rendre sur place, de prendre publiquement la parole pour dénoncer de genre de crimes, mais on souhaiterait aussi qu’un conseiller quelconque (quelqu’un qui lise les journaux, qui sache en tirer des leçons, et qui ait un peu de mémoire) leur suggère prudence et dignité. Car, lorsqu’on s’est répandu en imprécations hors-sujet devant des tombes outragées, on a perdu toute dignité.