lundi 20 juin 2011
Tu seras un slip, mon fils !
En ce moment, une association féministe fait feu de tout bois avec succès pour qu’on parle d’elle. Cette association de braves s’appelle « Osons le féminisme », nom qui en dit bien plus long que n’importe quelle profession de foi militante. Ses milices de la Bonne Morale Féministe surveillent le paysage mondial en quête d’un dragon à combattre, d’une hydre à terrasser, d’un tsunami macho à sa mesure, bigre ! La plupart du temps hélas, elles ne trouvent que menu fretin mais savent parfaitement s’en accommoder : on en découd avec des pucerons, certes, mais on en découd !
Osons le féminisme, l’expression laisse supposer qu’il faut du culot, du courage, une forme de radicalisme frisant l’inconscience, une témérité de taureau pour se proclamer féministe et agir comme tel. Ce nom suggère que dans un contexte hostile, dans une société qui bafoue chaque jour le droit des femmes et fait prospérer le patriarcat le plus absolu, il faudrait « oser » - quel exploit ! se dire féministe, le revendiquer à la face moustachue du monde, comme il fallait sûrement du courage pour se dire Protestant dans l’Espagne de Philippe II ou se clamer pacifiste à la cour de Gengis Khan ! Quels types épatants, ces féministes (sans parler de leurs gonzesses) !
Après tant d’autres associations pour l’Etablissement Universel de l’Ordre Moral, Osons le féminisme se fait donc une spécialité de militer sur les pieds des Méchants. C’est dans l’ordre des choses. Rien à dire. Dans le viseur des escadrilles féministes, Petit bateau, l’entreprise spécialisée dans les fringues moches pour gosses, boîte dont le nom lui-même ne fait aucune place au genre féminin, et qui aurait aussi bien pu s’appeler Petite embarcation que Petite chaloupe, Petite caraque ou Petite pirogue, si ses fondateurs avaient été plus modernes.
Petit bateau est donc accusé d’un crime proprement inconcevable : proposer des layettes « pour garçons » et des layettes « pour filles » ! Oui, citoyen, tu as bien lu ! Pire que ça, les layettes susnommées sont caractérisées par des inscriptions d’une bêtise surprenante, il est vrai, qui alignent les poncifs les plus éculés sur les qualités qu’on veut prêter aux bambins : le garçon s’affiche « fort », « vaillant », « déterminé » tandis que la fifille est « jolie », « coquette » ou « amoureuse ». C’est tellement bête qu’on croirait lire l’ébauche précoce d’un programme électoral pour 2012, mais non : ce sont des layettes !
Nous sommes donc contraints d’imaginer une scène pénible, celle de la genèse du bintz. Le patron de Petit bateau commande à son staff « créatif » une nouvelle idée pour booster la vente des layettes. Les équipes se jettent sur leurs dictionnaires à idées et, après trois mois de labeur, proposent au boss le chef d’œuvre en question. Le vieux est trop endormi pour saisir le potentiel proprement révolutionnaire du projet, il donne son accord et retourne à Deauville finir une partie de bridge. La machine est désormais en marche, rien ne peut plus arrêter la course des événements et bientôt, la France entière découvrira que les « créatifs » (mmouahahaha !) de Petit bateau sont les plus étonnants tocards connus depuis Auto macho, auto bobo! de comique mémoire.
Une précision : il n’a jamais été question d’aller chercher quoi que ce soit d’intelligent dans les productions de la marque Petit bateau. Malgré les efforts des propagandistes de la publicité, je reste, tu restes, nous restons tous radicalement méprisants à l’égard d’un quelconque fabricant de slips, et c’est la moindre des choses. Qu’il s’affuble d’un nom « malin », qu’il fabrique ses layettes, mais qu’il ne nous prenne pas pour des billes.
Cependant, il est dans la nature humaine de toujours se surpasser, et la sottise inhérente à tout boutiquier (fût-il côté en bourse) est vouée à être dépassée par la sottise conquérante des militants, cette Nouvelle frontière. Car les militants, en l’espèce, prennent la guignolade au sérieux. Certains brandissent même le nom de la Halde, comme on invoquait jadis le tribunal de l’Inquisition ! Au lieu de s’en foutre, au lieu de se moquer outrageusement des guignols et leur faire la contre-pub qu’ils méritent, on dégaine l’Ordre et le Bâton. Le féminisme moderne n’est pas du genre à se laisser gagner par la tiédeur.
Dans la France médiatique qui s’annonce, tout indique qu’un titre de Méchant du Jour sera bientôt discerné, sous le haut patronage d’une de ces innombrables Associations de sauveurs de monde dont l’Histoire n’a pas su prévoir l’effarante prolifération. Les Méchants du Jour sont donc les fabricants de slobards cités plus haut, Méchants d’autant plus facile à cibler qu’ils sont connus pour leur grande bêtise. Ils ont aussi mauvais goût. Il n’y a qu’à regarder leurs productions, en effet, pour se convaincre qu’on laisse décidément les adultes faire n’importe quoi aux enfants dans ce pays. Dans l’Histoire de l’habillement, jamais aucune population n’a été aussi mal accoutrée que la nôtre, jamais l’alliance du pantacourt, du pull dégueu, du truc qui pendouille sans raison et du boxer à élastique supermoche n’a été poussée aussi loin. Jamais les parents n’ont dépensé autant de génie à fagoter les gosses plus mal qu’eux-mêmes dans l’extase auto-admirative la plus totale. Et sans le bienfaiteur de l’humanité qui eut un jour l’idée d’inventer les poignées latérales, il serait désormais impossible de distinguer l’homme de la poubelle.
Mais ce n’est pas d’esthétique que s’occupent les Oseurs de féminisme, c’est de conformité au nouvel ordre moral qui stipule que fille = garçon et que la poupée, tu vois, c’est fachiste ! Il ne s’agit pas tant de respecter une loi que d’être conforme à une nouvelle échelle des valeurs dans laquelle la différenciation des sexes équivaut à peu près à l’extermination de masse : crime imprescriptible. Il faut rendre illégale la prétention à élever les enfants comme on le veut (y compris en leur fourguant des stéréotypes lourdingues façon Petit bateau) et obliger le populo, ce con, à tâter des fourches caudines associatives. Certains féministes poussent le dogme de l’individualisme si loin qu’ils refusent que la société assigne le moindre rôle à quiconque en fonction de sa nature, notamment sexuelle. Ainsi, pour être parfaitement libre, l’animal mimétique qu’est pourtant l’homo sapiens ne devrait plus se construire en imitant papa ou maman, mais plutôt en lisant les productions pleines de bon sens des gender studies. Petit bateau n’a sans doute enfreint aucune loi, puisque la loi n’est pas encore assez dénaturée pour interdire que le petit dernier s’identifie à papa et que la cadette prenne maman comme modèle. Mais le crime contre les préjugés féministes n’est pas loin, l’avenir nous le montrera... Il s’agit bien d’un ordre moral, puisqu’il définit une ligne de partage du Bien et du Mal, ligne d’ailleurs semblable à celle que nos grands-parents ont connue, à ceci près qu’elle s’est déplacée : elle ne sépare plus désormais les hommes et les femmes en deux groupes distincts, mais s’insinue au beau milieu de leurs fesses pour bien marquer que la dualité a son fondement dans le nôtre.