mardi 26 juillet 2011
Contre la discrimination, discriminons.
A certains égards, l’affaire DSK est une répétition de ce que deviendra la France d’ici vingt ans, si les partisans du communautarisme l’emportent sur les républicains pur sucre.
Au départ, il s’agit d’une plainte d’une femme de chambre contre le patron du FMI. Curieusement, toutes les voix, en France, qui dénoncent à longueur d’année « l’essentialisation » consistant à traiter les gens par catégories (LES Arabes, LES Juifs, LES Noirs) ne se sont pas gênées pour essentialiser LES femmes de chambres, LES mères célibataires, LES Noires, LES hommes, LES puissants. Oui, soudain, la parole s’est libérée, comme on dit, laissant voir les donneurs de leçons tels qu’ils sont : de parfaits hypocrites. Soudain, les hommes devinrent des violeurs, des batteurs d’épouses, les femmes noires devinrent des victimes, les procureurs américains devinrent des héros, ou des salauds (selon les opinions), les femmes du monde entier devinrent des biches pourchassées et les féministes devinrent des exemples de courage. On a essentialisé à tour de bras, on s’est vautré dans l’essentialisation comme des pourceaux. Les mêmes qui expliquent qu’on ne peut pas parler des gens selon la couleur de leur peau ni selon leur origine s’en sont donné à cœur joie dans la réduction de ces mêmes personnes à ces deux catégories. Mais, attention : pour la bonne cause !
A un moment, le français fut épaté de ce qu’aux Etats-Unis, au moins, la Justice ne plaisante pas avec le sexe. Et chacun de se dire que « c’est pas en France qu’on aurait vu ça » ! Qu’un homme puissant soit amené à répondre de tentative de viol, vraiment, le Français, ça l’a scié… Puis, les mêmes qui ne juraient que par l’indépendance et la rigueur de la Justice made in New York se sont mis à faire l’inverse : le procureur qui révèle les mensonges de la plaignante, ça ne pouvait être qu’une histoire d’intérêt, de lobby, de pression. Bref, autant le dire tout de suite : si on veut conserver un peu de l’humanisme qui est en nous et continuer d'aimer son prochain, il faut éviter de discuter de cette affaire avec qui que ce soit. Trop d’imbéciles.
Comme je l’ai déjà dit, un procès n’est jamais qu’un cas unique. On juge un individu pour des actes et, si l’on veut éviter la grandiloquence autant que l’erreur judiciaire, on se gardera bien de juger quiconque « pour l’exemple » ou pour racheter des injustices par ailleurs impunies. Ainsi, les simplettes d’esprit qui tentèrent de faire passer les femmes comme victimes par essence, ne se gênaient pas pour en tirer les conclusions logiques : elle n’a pas pu mentir, il faut respecter sa « présomption de véracité », donc DSK est coupable. Heureusement, depuis les derniers développements de l’affaire, Osons le féminisme semble s’être transformé en Osons-fermer-notre-grande-gueule. C’est toujours ça de pris.
Mais la France, décidément, n’est pas encore tout à fait américaine. Oui, malgré les vacheries que j’ai eu l’audace de lancer sur mes compatriotes en introduction, je suis bien obligé de convenir que la foire aux conneries s’est un peu calmée, en France, depuis que DSK est redevenu un être humain presque comme tout le monde. Même Gisèle Halimi s’est tue ! Aux Etats-Unis, en revanche, la rage justicière ne s’arrête pas à un détail aussi mince que l’innocence de l’accusé. Non, il faut encore que l’accusé soit innocent de la couleur de sa peau.
Comme toute maladie, le communautarisme produit ses effets sans état d’âme : les Noirs « défendent » donc les intérêts des Noirs, et les Blancs, ceux des Blancs. Il ne s’agit plus, dès lors, de savoir où se trouve la justice ni l’intérêt général, il s’agit de se serrer les coudes entre soi. C’est ainsi qu’on voit se former des manifestations de Noirs pour exiger que le procès de DSK ait lieu. Bill Perkins, sénateur noir, endosse même le rôle de défenseur de la communauté noire, ce qu’il est d’ailleurs très exactement ! Ils exigent le procès non en raison de leur goût pour la justice, mais parce qu’ils pensent qu’un procès sera favorable à une femme noire. Si madame Diallo avait accusé de viol un homme noir, croyez-vous que le sénateur Perkins serait venu froncer le sourcil devant les caméras de télévision ? Et si madame Diallo était une femme blanche, les belles âmes de Harlem, soudain devenues féministes, se seraient-elles manifestées ? Non. Si des manifestations ont lieu et si l’on se démène pour Diallo, c’est pour une raison d’ordre tribal : elle fait partie de la famille.
Le communautarisme et le racialisme sont tellement vivaces, là-bas, que personne n’est plus choqué quand un groupe de Noirs, sénateur en tête, demande et exige. Que l’on veuille qu’un procès ait lieu, pourquoi pas, mais que ce soit des Noirs qui le demandent, et uniquement des Noirs, ça donne aperçu de ce que devient la justice quand les individus sont intrinsèquement rattachés à une communauté ethno-raciale, qu’ils le veuillent ou pas.
Pendant ce temps, chez nous, des activistes font campagne pour l’adoption de statistiques ethniques. Dans un article qui ne le montre pas à son avantage, un certain Kamel Hamza, président d’une « association nationale des élus locaux de la diversité », nous raconte son récent voyage aux Etats-Unis où, affirme-t-il, le meilleur des mondes est déjà bien établi... La langue de bois n’ayant aucun secret pour lui, il débite une quantité d’insanités malhabiles, propres à le faire entrer rapidement dans le Top 10 des Très Grands Comiques, chouchou des médias. Ce type a au moins le mérite d’être décomplexé, ce qui est toujours un avantage pour ses adversaires. Il affirme qu’aux Etats-Unis, des élus issus de la diversité « ont porté plainte pour que le redécoupage électoral soit plus représentatif des minorités ethniques. Ils ont réussi à sensibiliser la population sur l’idée de «voter pour quelqu’un qui vous ressemble». Ce qui n’est pas le cas en France. » Ce qu’Hamza souhaite, il le dit, il le proclame sans ambages, c’est qu’on lui réserve un corps électoral à lui, ethniquement pur, pour simplifier ses réélections futures ! Que les Blancs votent pour des Blancs, que les Noirs élisent des Noirs, et que les Arabes restent entre eux : immense progrès, auquel on doit reconnaître que la République Française n’avait pas pensé.
Je me souviens d’une réplique de Robert de Niro, dans Brazil. A quelqu’un qui a peur des terroristes (parce que les médias en font leur sujet continu), il demande : « mais toi, un terroriste, tu en as déjà vu ? ».
Les statistiques ethniques, c’est la même chose. Leurs partisans posent comme base de la discussion que les discriminations existent, qu’elles sont « d’ordre ethnique » (lire : racisme) et qu’elles sont les seules explications possibles au fait qu’il n’y a pas dix pour cent de députés d’origine arabe au Parlement, par exemple. Tout est fait pour qu’on ne discute même pas de ces axiomes pourtant bien branlants. Et, bien sûr, si ces discriminations existent, il faut des stats ethniques pour en prendre la mesure. Faisons comme Robert de Niro, demandons-nous si ce qu’on nous dit est vrai.
Basons-nous, par exemple, sur le rapport du CREST (Centre de Recherche en Economie et Statistique) de mars 2011, portant sur l’évaluation de l’impact du CV anonyme (CV qui ne comporte aucune mention du nom, du prénom, de l’adresse ni de la date de naissance du candidat). Ce rapport établit clairement que les recruteurs recrutent par « homophilie », c'est-à-dire qu’un homme recrute plutôt des hommes, une femme fait de même avec les femmes, un jeune avec les jeunes, etc. Dans cette perspective, il est probable qu’un Blanc a tendance à recruter des blancs, et un Noir des noirs. Or, si la grande majorité des recruteurs est composée de Blancs, il est mécaniquement probable qu’ils recruteront « plutôt » des blancs. Il s’agirait alors non pas de racisme, mais d’un effet mécanique dû au grand nombre des acteurs en présence.
Cette « homophilie » est quantifiée, et devient très instructive : « Lorsque le recruteur est un homme et que le CV est nominatif, les femmes ont une chance sur 27 d’être reçues en entretien et les hommes une chance sur cinq ». Cela revient à dire que dans ces circonstances, les femmes ont 3% de chances d’être recrutées, et les hommes 20%. Bigre ! Le clou du spectacle arrive quand on aborde les différences ethniques : « Avec des CV nominatifs, les candidats issus de l’immigration et/ou résidant en ZUS-CUCS ont 1 chance sur 10 d’obtenir un entretien, tandis que le reste de la population a 1 chance sur 8 ». C'est-à-dire 12% pour les « de souche » et 10% pour les autres. Vous avez bien lu : la différence de traitement selon l’ethnie est insignifiante, tandis que celle entre les hommes et les femmes est gigantesque ! La différence de traitement selon l’ethnie est donc hors de proportion avec ce qu’on raconte dans les médias, avec le discours dominant, avec les accusations de racisme endémique qui gangrènerait la France, et les jérémiades des victimes professionnelles qui vont avec.
Mais ce spectacle a un second clou, encore plus formidable, que voici : quand le CV est anonyme, cette fois : une chance sur 6 pour les femmes, une chance sur 13 pour les hommes. La première tendance (homophile) est donc inversée. Mais pour les candidats « issus de l’immigration et/ou résidant en ZUS-CUCS », on passe de 10% de chance d’obtenir un entretien à…4% ! SCANDALE ! C’est donc quand les recruteurs connaissent le nom et l’origine de Mohamed qu’il a le plus de chance de trouver un boulot ! Mais alors, où est passé le racisme congénital des Français ? Si on leur file un CV anonyme, s’ils jugent donc « sur pièces » et non en fonction de leurs épouvantables préjugés, ils divisent par deux et demie les chances du candidat ! Il y a de quoi se les mordre, non ?
On peut trouver quelques explications à ce phénomène, mais ce n’est pas mon propos. On est en revanche obligé d’admettre qu’il n’y a pas de discrimination à l’embauche basée sur l’origine ethnique en France. On est obligé de l’admettre, sauf à nier les conclusions de cette étude. T’en as déjà vu, toi, des terroristes ?
Mais, chacun l’aura remarqué, ce que j’avance est paradoxal : je m’oppose aux statistiques « ethniques » MAIS je me base sur les conclusions d’une étude « ethnique » pour démontrer qu’elles n’ont pas d’objet ! C’est une absurdité circulaire, c’est la politique de la France livrée aux Marx Brothers, c’est l’Eternel retour de la galéjade !
En fait, l’enjeu des « statistiques ethniques » ne se situe pas là. Il ne s’agit pas de quantifier les discriminations ethniques dans un domaine ou dans un autre. Ça, au fond, tout le monde s’en fout. Et d’ailleurs, comme le montre l’étude du CREST, on peut bien prouver qu’il n’y a pas de discrimination, ça ne diminue en rien le zèle des militants antiracistes amateurs de stats raciales. L’objectif final, c’est la partition d’une nation en groupes, en communautés, en tribus. C’est aussi, bien sûr, la nouvelle donne politique qui irait avec (collèges électoraux séparés, ou découpage électoral racial – qu’on appellerait autrement, tu parles !). C’est, si l’on regarde loin en délaissant les détails qui ne font qu’obscurcir le tableau, une véritable passion racialiste qui s’exprime, un désir profond de régression tribale fondée sur un entre soi primitif, c’est une profonde haine symétrique de l’autre et de soi (honte d’être victime et ressentiment d’un côté ; honte d’être raciste et militantisme xénolâtre de l’autre). Quand la mondialisation des échanges laissait les peuples dans leurs contrées d’origine, quand les migrations n’étaient pas très massives et surtout quand elles n’avaient pas encore produit leur effet de cumul, il était « facile » de détester les étrangers. C’était une tradition sans conséquence. Les étrangers, c’était ceux qui habitent de l’autre côté de la frontière, de la mer, de l’autre côté du monde, ces ploucs, ces couillons ! Maintenant que la mondialisation s’emballe et que les peuples s’interpénètrent comme jamais, l’étranger habite la maison d’à côté, on ne peut plus le considérer comme une abstraction. Lui-même, cet étranger, venu ici pour gagner sa vie, s’aperçoit bientôt qu’il doit abandonner une grande part de ses habitudes, de sa « culture d’origine ». D’où les revendications particulières, d’où les lieux de culte, d’où la viande halal, d’où le voile, d’où un jour la charia, c’est mécaniquement prévisible. Contrairement à ce qu’on entend souvent, la mondialisation et les migrations ne produisent pas la peur et le repli uniquement chez les populations d’accueil. Les déplacés aussi aspirent au communautarisme parce qu’ils sont déboussolés par la perte de leurs repères, par l’obsolescence soudaine de leur mode de vie, de leurs façons de penser, de leur vision de l’avenir, du rôle des parents dans l’éducation. Comment, sinon, expliquerait-on que leurs enfants deviennent soudain massivement délinquants ?
Dans son excellent « Les yeux grands fermés », Michèle Tribalat défend et réclame des statistiques ethniques. Ses arguments semblent frappés au coin du bon sens, et par certains côtés, ils le sont. Mais Tribalat néglige les conséquences de ce changement, y compris les conséquences psychologiques. Déjà bien assez vivace, le communautarisme serait renforcé par une lecture systématiquement racialisée des problèmes sociaux, que les statistiques ethniques permettraient. Comment en serait-il autrement ? Autoriser des stats ethniques, c’est renforcer la conscience de groupe et faire la promotion des origines, ces boulets. Tout cela au détriment du sentiment d’appartenance nationale.
La difficulté de la position anti communautariste vient de ce que la communauté est un mode d’organisation « naturel » à l’homme. Il est parfaitement humain de vouloir vivre au milieu de gens qui partagent votre mode de vie, votre langage, votre histoire, vos codes sociaux, votre façon de faire la bouffe, etc. Les étrangers se regroupent en quartier (et on les y regroupe) depuis l’Antiquité. C’est à une tendance bien « naturelle » de l’homme que l’on s’oppose, quand on supporte l’idée de nation (au sens révolutionnaire français du mot). Les Etats-Unis sont une nation composée dès l’origine de populations différentes et toutes immigrées ; par la même logique, c’est le pays des communautés. Mais ce qui est logique et explicable pour les Etats-Unis ne l’est pas pour la France. Il n’y a pas, aux Etats-Unis une population ayant conscience d’être « là » depuis Jules César (que ceci soit vrai ou pas), à part les Indiens, noyés sous la masse. Ce qui a fonctionné là-bas ne pourra que faire exploser la nation ici, surtout dans une époque où la nation a honte d’elle-même, de sa nature, de son histoire, de ses principes et de ses réalisations. Quand on s’oppose au communautarisme et à ses méthodes, on s’oppose à ce risque. Le racisme n’a rien à faire là-dedans, n’en déplaise aux imbéciles et aux faux-culs.
Si on accède aux désirs des gens comme Kamel Hamza, si l’on tronçonne les populations en fonction de la couleur de la peau, il faut s’attendre à ce qu’en 2040, des processions « ethniques » viennent manifester pour soutenir la Nafissatou d’alors, coupable ou victime, qu’importe. On avait la justice de classes, on lui aura substitué, comme lors de l’affaire O.J. Simpson, la justice de races.