lundi 15 octobre 2007

Nos ancêtres les Gaulois

Le Galate mourant. IIIème siècle av. J.C


On aurait pu dire nos ancêtres les Romains, nos ancêtres les Germains, nos ancêtres les Francs, le problème reste le même. Je m’explique.

Depuis pas mal d’années, on se moque de la formule qui m’a servi de titre au prétexte qu’elle est fausse, simplificatrice et, par-dessus tout, qu’il y a dans les écoles de France beaucoup d’enfants dont les ancêtres NE SONT PAS des Gaulois. C’est une erreur fondamentale ou, au mieux, un malentendu.

Quand on apprenait aux gosses que leurs ancêtres étaient des Gaulois, on ne prétendait pas faire la généalogie précise de chacun d’entre eux. Cent mille écoliers ont forcément cent mille généalogies différentes. Par cette formule, on prétendait dire qu’EN TANT QUE FRANÇAIS (c'est-à-dire membres de la Nation), nous avons des ancêtres, dont les Gaulois, ceux qui habitèrent ce pays il y a plus de vingt siècles, et qui continuèrent d’ailleurs de le faire, sous d’autres appellations (croyez pas qu’ils ont soudain disparu en tant qu’individus). Les ancêtres des Français actuels, d’un point de vue territorial, sont les Gaulois, et tous les autres peuples qui ont successivement campé ici. Historiquement, la formule est incomplète, fausse, réductrice, elle s’apparente au mythe, oui, mais il ne faut pas se tromper sur ce qu’elle signifie profondément. Elle s’adresse à chaque petit citoyen actuel en lui disant que ce pays existe depuis un paquet d’années en tant que tel, que des gens y ont vécu, comme nous le faisons aujourd’hui, et ces gens-là sont forcément nos ancêtres. Pas génétiquement, pas ethniquement, mais « nationalement ».

En tant que Français, je me sens tout à fait descendant des Romains, par exemple et entre autres. Je suis né à Lyon, à un kilomètre du théâtre antique, et je ne vois pas pourquoi je refuserais cet héritage. Parce que mes parents ne viennent pas de Rome ? mais ce serait un hors sujet complet ! Et que signifie, à l’échelle de l’Histoire, l’origine des parents d’un pauvre type comme moi ? Celui qui, en tant qu’individu, veut en savoir plus long sur ses ascendants a toujours la possibilité de faire des recherches généalogiques. Ce n’est quand même pas l’école qui va se charger de ça, et pour chacun d’entre nous en plus !

La question tourne en réalité autour de ce qu’on appelle une Nation. Sans être forcément « nationaliste », on ne peut pas faire l’impasse sur le fait que nous vivons dans un système appelé Nation. La Nation française repose sur ce qu’on appelle une communauté de destin. En clair, qu’on soit Savoyard, Piémontais, Polonais, Togolais (c'est-à-dire qu’on soit originaire d’un « ailleurs » plus ou moins lointain), on accepte de partager son destin avec les autres membres de la nation à partir du moment où on devient « français ». Ça ne signifie pas que notre arbre généalogique personnel soit subitement modifié, ça veut dire qu’on ne parle plus de ça, ou que ce n’est pas le sujet. Gambetta ou Mac Mahon, ou Bonaparte, ont des noms qui fleurent bon l’étranger, ce qui ne les empêche pas de faire partie de l’Histoire et de la nation françaises.

Prétendre que l’école doit apprendre aux enfants dont les parents viennent d’Afrique ou d’Asie que leurs ancêtres sont les Béninois ou les Cambodgiens, par exemple, revient à introduire une idée ethnique dans un système qui veut justement dépasser cette question archaïque. On ne peut pas à la fois être universaliste, vouloir abolir les différences de traitement selon l’origine « ethnico raciale » des citoyens, et ne parler que de leur origine ethnico raciale, à tous moments et dès l’école primaire ! Faire partie de la Nation, c’est faire théoriquement COMME SI les ethnies n’existaient pas. Ça paraît gonflé, mais c’est exactement ça. Et dans tous les pays où on ne fait pas ça, les problèmes se traduisent toujours en termes ethniques (un peu comme on commence à le faire en France depuis quelque temps). La merde. D’ailleurs, si on extrapole la situation actuelle des échanges entre les peuples, on peut prédire qu’au bout de quelques siècles de mélanges et de migrations intenses, les ethnies proprement dites disparaîtront. Autant ne pas se fier à cette réalité changeante…

Je propose d’ailleurs aux lecteurs de cet article de faire un petit exercice, pour que chacun puisse relativiser la notion de racines, autrefois exclusivement réservée aux poireaux, aux pissenlits, aux platanes et autres molaires, mais qu’on entend évoquer à tout bout de champ, sous prétexte d’exactitude. Voilà :

Chacun d’entre nous a deux parents (réels, génétiquement parlant), quatre grands-parents, huit arrière grands-parents, etc. Si on considère qu’il y a une génération tous les 25 ans, nous avons quatre générations par siècle. Un gosse né en l’an 2000 a donc sur un siècle 2 parents + 4 grands-parents + 8 arrière grands-parents +16 arrière arrière grands-parents ascendants, c'est-à-dire trente personnes qui ont fait génétiquement qu’il existe. Sur un siècle donc, 2 exposant 4 ascendants. Si on veut remonter jusqu’en l’an 1500, ce qui n’est pas de la haute antiquité, nous avons 2 exposant 20 ancêtres, c'est-à-dire 16 777 216 gugusses ! Que celui qui croit connaître ses ancêtres vienne me donner les noms de ces millions de papys, pour voir ! et leur ethnie, leurs opinions, leur religion, le pays où ils ont vécu, et s’ils avaient les yeux verts !

Non, on voit par un simple calcul que les limites de notions comme origines, racines, race, ethnie, sont vite atteintes : il s’agit pour une grande part d’un MYTHE auquel on se raccroche (genre « ma famille vient de Bretagne », qui signifie souvent que les grands-parents viennent de là-bas, au mieux qu’on a fait des recherches et qu’on a trouvé des noms sur quelques centaines d’années, des noms le plus souvent masculins, ce qui exclut mathématiquement des millions d’ancêtres féminins, et qui de toutes façons ne remontent pas bien loin si on considère que chacun d’entre nous à forcément des ascendants depuis des millénaires !). Et ce mythe est le plus fragile qui soit, pour peu qu’on y réfléchisse : un individu issu d’un peuple très homogène, par exemple un Japonais, qui fait un enfant avec un individu issu d’un peuple hétérogène, Américain, Français, Turc, Colombien, etc. produit donc immédiatement un enfant dont l’origine ethnique se perd pour moitié dans le labyrinthe du temps et des hasards, c'est-à-dire un enfant qui n’a plus d’ethnie proprement dite. C’est fini. Or c’est qui nous arrive à tous, ou ce qui nous arrivera à travers nos enfants.

La question des ancêtres d’un individu est donc une question privée qui touche à la croyance, à la représentation, au mythe. L’école ne peut pas en parler, sinon pour en rappeler justement les limites. Elle doit en revanche apprendre à ses jeunes citoyens que les gens qui vécurent ici furent successivement des Gaulois, des Romains, etc. Simplement l’histoire du pays, merde !

A cette liste, nos descendants dans deux siècles ajouteront probablement des Vietnamiens, des Turcs, des Marocains, des Portugais, etc. c'est-à-dire que la liste sera tellement longue qu’elle perdra peut-être à leurs yeux tout sens.