L’actualité, autre nom de l’information, est un piège à cons. Dès qu’on y prête l’oreille, on se retrouve au milieu d’un maelstrom d’âneries, d’événements grotesques, tragiques ou insignifiants, de faits lamentables ou poignants, révoltants ou assommants, une collection inépuisable de pitreries, de drames et d’enfantillages qui racontent plus ou moins bien notre histoire en train de se faire. Comme elle se renouvelle en permanence, l’actualité tient lieu de thriller à bien des désoeuvrés, mais aussi de roman humaniste, de recueil d’histoires drôles, de shoot quotidien ou de bible. Le plus étonnant, peut-être, c’est de trouver parmi eux des individus qui n’ont par ailleurs jamais ouvert un roman, ni un livre de philo, de sociologie ou d’ethnologie : mater leur suffit donc. Dans le fait d’être le jouet des événements, de penser par réaction à ce qu’un journal a décidé de traiter, de n’être finalement qu’un consommateur d’informations qui renouvelle chaque jour son frichti puis qui passe à autre chose, il doit se trouver une forme de plaisir qui explique le succès des gazettes. Ce plaisir masochiste, renforcé d’heure en heure par la certitude de ne rien pouvoir faire pour changer les choses (ou l’illusion du contraire), est à son tour ce qui nourrit l’indignation, le ressentiment, le dégoût, la colère, la peur, gamme exclusive sur laquelle notre société et ses dirigeants jouent l’horrible partition que chacun constate. Un chercheur qui analyserait une période historique en fonction de ses actualités pourrait-il conclure que les gens y ont été heureux, à un moment ou à un autre ? Sûrement pas.
Un des aspects les plus déprimants des actualités, en dehors d’être ce reflet de nous-mêmes, c’est leur côté disparate. On y accole la mort d’un enfant et un résultat de football, on glisse de la météo à la prochaine guerre mondiale, et on finit de toute façon par nous vanter des dentifrices et des bagnoles. Ce côté fourre-tout est la meilleure marque de l’inanité de la discipline (avant l’invention d’Internet, j’aurais sans doute dû donner une explication à cette dernière affirmation ; aujourd’hui, je m’en passerai). Mais il ne faudrait pas conclure que ce qui n’a aucun sens –littéralement - n’a pas d’intérêt. L’intérêt naît peut-être de ces frictions de faits a priori sans rapport entre eux, mais que leur mise en scène par les médias rendent soit proches, soit comparables, soit complémentaires, etc, pour peu qu’on fasse soi-même le travail.
Par définition, on devrait postuler que ce qui se passe à l’intérieur d’un stade n’a aucune importance et ne mérite pas qu’on s’y arrête. Même si cent mille personnes jubilent ensemble quand Machin frappe le ballon de la tête, il ne s’agit jamais que d’un jeu, d’un plaisir fugace, d’un micro événement qui ne change rien à la vie des hommes, au destin de l’espèce ni à la marche du temps. On nous a bourré le mou avec la victoire de l’équipe française à la coupe de football 1998, censée rembourrer le moral des français, doper leur appétit de consommer, de faire des gosses et de se raser le matin, mais : que dalle. L’euphorie fut de courte durée, comme d’hab. Il reste que certains événements sportifs ont des échos intéressants dans la société, et justifient à ce titre qu’on y prête une oreille. Le dernier en date est l’affaire de cette putain de banderole. Franceland©, ce parc de loisirs où l’on a gommé tout ce qui est sale, brutal, con, lourdingue, franc, humain et malpoli, Franceland© est en émoi. Hou ! les vilains ! Comme chacun le sait, les footballeurs sont raffinés, au moins autant que les boxeurs, et leurs supporteurs, entre deux dons caritatifs, n’aspirent à voir du beau jeu et que le meilleur gagne. Personne n’a jamais entendu « Ho ! Hisse ! Enculé ! » dans un stade, gueulé par vingt mille poitrines, scandé dans la joie régressive et la bonne humeur ? C’est pourtant une tradition, dans le plus pur esprit sportif. Huer un concurrent, prier pour qu’il se casse la gueule, n’avoir de joie que lorsque son propre« camp » marque un point, même de façon dégueulasse, c’est ça, le sport. Le sport, c’est : on gagne, et c’est marre ! Et on voudrait qu’après un siècle de ce traitement, les supporteurs se comportent dignement ? Passons.
Une bien belle image, qu'on aimerait voir plus souvent...
Cette insignifiante banderole devient quelque chose à partir du moment où un mouvement médiatico politique se développe autour d’elle, que le GIGN est mis sur le coup, que les labos d’analyse ADN enquêtent (authentique, merde !), que les juges peaufinent leurs chorus et qu’on s’apprête à rétablir la guillotine en place de Grève. Sur toutes les antennes, on tente de nous faire passer cette banderole comme le comble de l’ignominie, l’offense suprême, le blasphème atroce dont l’humanité croyait s’être débarrassé, et « on « réclame des châtiments moyenâgeux contre les coupables. A l’heure où des vidéos de gens décapités au sabre circulent sur Internet, où des accidents meurtriers sont relatés en images au journal de 20 heures, où chaque foyer sait qu’on tue, qu’on assassine et qu’on bombarde à peu près partout dans le monde, Franceland© ne peut supporter qu’on vanne les Ch’tis, les Lensois ni personne, et organise la résistance. Une certitude : la sévérité sera au rendez-vous.
L'année du handicap commence mal.
Parallèlement à ça, on apprend qu’une dame qui a tué sa fille vient d’être acquittée. Lydie Debaine n’en pouvait sans doute plus, elle avait sûrement des raisons de vouloir en finir, mais le fait est là : elle a tué sa fille, handicapée depuis toujours, et qui n’avait aucun espoir de « guérison ». Dans le droit français, les actes contre des personnes faibles sont plus durement punis que ceux commis contre des gens pouvant se défendre. Pourtant, madame Debaine a purement et simplement été acquittée, sans peine symbolique, sans sursit, sans un message de la justice qui dise à la société que tuer quelqu’un n’est pas rien. Le Parquet n’a pas fait appel, tout le monde à l’air de trouver ça dans l’ordre des choses. Et c’est forcément le nouvel ordre des choses, au moins sur le plan de la jurisprudence, dans lequel nous allons vivre désormais. Ne connaissant pas le détail de l’histoire, je n’en dirai rien de plus, sauf constater qu’on juge avec mansuétude un meurtre, et qu’on réclame une justice sévère pour une banderole grotesque. J’ai entendu que les auteurs de la banderole honnie risquent un an de prison ferme. Assisterons-nous à ça : un an de cabane pour une vanne (même de mauvais goût, même atroce, même insultante, même néanderthalienne !), et RIEN pour un meurtre (même compassionnel, même dramatique, même humain, même un meurtre d’amour) ? L’actualité nous le dira.