Une société ne pouvait pas s’engouffrer dans le culte de l’image au point que nous connaissons sans produire un effet sur la politique elle-même. Quand des techniciens à catogan passent des semaines à peaufiner le look d’un aspirateur ou l’ambre d’une biscotte, on peut comprendre que les politiciens aussi soignent leur image. OK. Qu’ils le fassent avec cet affligeant conformisme et le redoutable mauvais goût que chacun constate est une autre histoire, mais nous ne pouvons pas espérer y échapper. A moins d’avoir les yeux totalement bouchés, on ne peut pas NE PAS se souvenir de Ségolène Royal des années 90 : grassouillette, laide, sans grâce, les dents de traviole. A l’époque, en revanche, elle n’apparaissait pas particulièrement débile, ni particulièrement brillante d’ailleurs : un ministre comme on en trouve à peu près partout, qui parle de ce qu’il fait semblant de connaître. Or nous avons aujourd’hui une diva au sourire florentin racontant à peu près n’importe quoi sur tout. On voit donc qu’elle a fait des efforts considérables dans le domaine qu’elle estime capital : le look. En quinze ans, elle a gagné en beauté plastique ce qu’elle a perdu du peu d’intérêt que ses mots pouvaient avoir pour les moins exigeants d’entre nous. Elle a sciemment changé en fonction de ce qu’elle croit que le Français attend. Elle n’a peut-être pas tort…
Le show de Ségolène Royal au Zénith met mal à l’aise pour deux raisons principales : parce qu’elle s’y montre d’une maladresse inouïe en tant qu’actrice (« on a honte pour elle » dit-on partout), mais surtout parce qu’on la voit enfin décidé à faire ce qu’il faut pour gagner : un spectacle. On le sait désormais, elle va mettre le paquet. C'est un pas de géant qui vient d'être franchi dans la starisation des élites politiques, là, sous notre blair. Qu’elle se présente au Zénith en nuisette pourrait surprendre : autant s’y habituer, cette tenue annonce clairement que l’intimité de la star sera servie à tous les repas. Qu’elle soit élue un jour, et les mises en scène pipolisées de Sarkozy nous paraîtront timorées en comparaison. Nous sommes là au seuil de son loft personnel, la loft story qui montre tout de Ségolène ! Nous l’avons vue en tunique flottante, nous la verrons en short, prenant négligemment son thé en culotte, sortant de son bain couverte seulement d’une serviette enroulée, la lumière éclatant sur les perles d’eau parsemant les épaules, nous la verrons peut-être au lit, éteignant dans un geste plein de douceur la lumière après la prière du soir…
Ségolène Royal: la chirurgie au service de la France.
Ce qu’elle dit ne mérite sûrement pas une analyse très fine : pour la finesse, qu’elle commence d’abord. Mais un simple coup d’oreilles suffit à confirmer qu’au contraire de ses cheveux, désormais bouclés, rien n’a changé dans le « message » royalien. Elle fait une longue litanie de ce qu’on reconnaît comme des mœurs politiques banales : pressions, menaces, trahisons, combats, oppositions, luttes, etc, pour prendre à témoin son public de faux jetons : voyez ce qu’ils m’ont fait ! Mais que veut-elle dire au juste, que les gens ne sont pas gentils avec elle ? Que le peuple, comme un seul homme, ne s’est pas levé pour lui donner les clés du pouvoir malgré ses adorables pommettes ? Que la politique est un dur métier ? Qu’elle est la seule à ne pas céder à ses règles ? Qu’elle n’a jamais fait acte d’autorité envers un détracteur, fût-il de son camp ? On a du mal à imaginer un candidat à la présidence d’une nation nucléarisée venir se plaindre publiquement qu’il fait un boulot difficile. S’il n’a pas les épaules, qu’il aille se faire foutre ! Et qu’il le fasse avant d’être élu, de préférence !
Rien n’a changé dans le discours ? Presque : soudain, elle demande « à quand les interdictions de délocaliser, de licencier… ? » (05: 53 sur la vidéo, allez-y voir) et là, c’est comme si le temps et l’espace se confondaient pour ouvrir autre chose, une ère comique et burlesque où plus rien n’aurait d’importance, où plus rien n’aurait de sens, un temps éternellement adolescent où chaque parole pourrait être dite au moment où le caprice le souhaite, sans qu’aucun rapport avec la réalité ne soit recherché. La parole spontanée, libérée enfin des contraintes du sens, de la logique, de la cohérence et de la vraisemblance. Par ces mots, que le show entier renforce, Ségolène Royal entre enfin dans la récente mais active tradition des responsables politiques français qui surent dépasser les anciennes règles du discours, surannées comme un vœu, démodées comme un serment. Du Chirac guevariste de 2002 au Sarkozy interventionniste d’aujourd’hui, en passant par le Raffarin compassionnel des années de plombs, elle n’est pas la première à se foutre des mots, à rigoler des concepts, à se torcher des conséquences, à dire l’inverse de ce qu’elle fait (ou fera) ni à chier dans la colle. Dans une même journée, dans le même instant, elle nous apparaît donc sexuée à mort ET divaguant totalement, elle se montre décidée à faire ce qui est sa profonde vocation, son unique projet : séduire. Il est incontestablement plus facile de séduire quand on s’est fait RETOUCHER LA BIDOCHE que quand on ressemble à un pneumatique hard discount, et quand on dit des choses magnifiques plutôt que la simple vérité. Le geste à la place du verbe, la beauté à la place de la stature, le sourire à la place du regard, la décontraction maladroite à la place du charisme.
Le meilleur candidat pour la France!
Sa gestuelle ferait honte à une élève de quatrième jouant dans un théâtre amateur le samedi après midi. On lui a conseillé de montrer son corps, de face, de ne plus poser derrière un pupitre censé représenter la barrière d’avec le peuple, de parcourir le plateau (« prendre la scène ») de long en large et de bouger les bras. Et de sourire, naturellement, mais la pauvre ne peut de toutes façons plus rien faire d’autre depuis sa dernière chirurgie plastique en date. C’est manifeste, elle fait une catastrophe de ces conseils-là. Les lèche-culs dont elle s’entoure lui passeront peut-être la main dans le dos en la félicitant, mais le reste de
Philippe Muray l’a dit en son temps bien MIEUX que moi, Ségolène, c’est la femme d’une seule mission : sourire.