Cette fois encore, le gouvernement lâche les arguments les plus spécieux pour convaincre les Français pauvres qu’ils ont « intérêt » à s’y mettre. Mais on a beau étudier la chose, il n’existe qu’UN SEUL argument en faveur de l’ouverture des magasins le dimanche, décliné sous diverses variantes, et il est de nature économique. Soit on nous promet de nous donner le double d’un salaire courant, soit on nous dit que ça relancera l’activité, soit que ça fera reculer le chômage. De l’économique, point final. Et de l’économique pas très solide, tout le monde en conviendra. L’idée d’avoir un jour commun où l’on ne travaille pas, où les esclaves se retrouvent pour faire autre chose que suer ou dépensuer (« dépenser dans la gêne»), où le rythme de la vie se détend, où le bruit du périph s’amenuise, un jour qui soit un rendez-vous commun à tous et qui symbolise l’existence de la simple vie en dehors de l’activité salariée, simple vie banale comme du repos pris ensemble, comme une balade dans un parc ou un tour en vélo, cette idée-là est trop insupportable aux tristes requins et aux imbéciles. C'est vrai qu'entre les services Carrefour, les produits Auchan et les conseils culinaires Shopi, on a vraiment de quoi combler son week-end.
Politique de civilisation
Il faut aussi rappeler que pas mal de gens bossent déjà le dimanche, par dérogation au droit du travail. Le dimanche, on peut aller se faire poser des points de suture à l’hosto parce qu’on a glissé du plongeoir, on peut bien entendu acheter son pain ici ou là, ou son journal, on peut conduire son camion frigorifique sur les routes chargées de glandeurs et, quand on bosse dans l’industrie, on peut se faire ses huit heures sous certaines conditions. Bon. Mais la grande question, celle qui occupe les ministres et le Pèzident, c’est celle de l’ouverture des magasins. Quand ils évoquent le travail du dimanche, il faut comprendre avant tout l’ouverture des boutiques. Il ne s’agit pas de permettre l’ouverture des centrales EDF, elles ne ferment jamais, il s’agit d’autoriser les philanthropes de la grande distribution à ouvrir en permanence pour que ce cochon de citoyen puisse y dépenser tous les jours. Il s’agit d’achever de transformer la vie des gens en une longue file d’attente aux caisses de l’hypermarché. Inciter le pékin à passer du temps dans la laideur d’une galerie marchande en dit long sur la vision du monde des dirigeants politiques, mais insister pour qu’il y passe aussi ses dimanches, c’est le signe d’un mépris qui ne s’était jamais vu. Il n’y a peut-être pas de mesure plus antisociale que celle qui fera définitivement graviter la vie des gens autour du boulot et de la dépense, les deux faces les plus laides de l’aliénation moderne.
Femme avec caddie. Duane Hanson 1969.
Par un hasard extraordinaire, un sondage publié dans le JDD révèle à point nommé que les Français seraient favorables au travail le dimanche, alors que le même JDD annonçait l'inverse il y a dix mois à peine ! Rien ne remplacera jamais une bonne propagande de presse… Nous avons même un petit numéro de clown parfaitement au point, et que le Pèzident lui-même utilise ad nauseam sous l’œil des plus patentés lécheurs de cul. J’ai parfaitement conscience de proposer une épreuve douloureuse au lecteur, mais je crois qu’il faut voir et entendre ça pour se rendre compte de la bassesse des vues. Du courage !
On peut tirer une leçon générale de ce laïus populiste : quand on laisse ouvrir une partie des magasins le dimanche, il ne faut pas attendre autre chose de l’avenir que l’ouverture généralisée de tous les magasins ! Aujourd’hui, le VRP Luc Chatel cherche à amadouer les benêts en défendant le volontariat et la majoration salariale pour justifier le travail dominical. Mais dans quelque temps, si on laisse faire ça, on pourra s’asseoir à la fois sur la majoration salariale et sur le volontariat. On bossera le dimanche comme les autres jours, aux mêmes conditions, puisqu’on nous aura convaincus que le dimanche est un jour « pas plus long que les autres »… Et on trouvera toujours un président de
Les turbinophiles ont toujours le mot « choix » à la bouche et on les comprend : quand vous vous adressez à des gens qui n’ont jamais aucun choix à faire, parce que trop coincés, trop pauvres, trop baisés par la vie, il est bon de leur faire miroiter ce bien rarissime, le choix. Ainsi, ils auraient enfin un choix à leur disposition ? Alléluia ! Ha, bien sûr, il ne s’agit que du choix d’aller bosser pendant que d’autres ne bossent pas : après tout, pauvre, n’ayant que ta force de travail, tu as le choix de l’utiliser ou pas…
Le travail le dimanche peut se justifier par la nécessité, par le caractère naturellement imprévisible des services à rendre (un hôpital, par exemple, ou un commissariat). Toute l’activité humaine n’est pas dans ce cas, loin de là. Il est évident que si AUCUN magasin n’était ouvert le 24 décembre, par exemple, la population se débrouillerait pour faire ses achats AVANT. Exactement comme chacun de nous se débrouille chaque jour pour acheter son pain avant que le boulanger ne ferme sa boutique ! Va-t-on demander l’ouverture PERPETUELLE des boulangeries parce que trois cons ne sont pas assez organisés pour y passer avant 20H ? En fait, on cherche à augmenter le temps d’ouverture au public pour augmenter mécaniquement les recettes. Mais alors, pourquoi ne pas ouvrir la nuit? Pourquoi ne pas laisser Carrefour ouvert continuellement 365 jours par ans, puisqu’il est si important de pouvoir faire ses putains d’achats en toutes circonstances? Pourquoi ne pas exiger des coiffeurs qu’ils soient au turf à quatre heures du mat? Quand un ministre a besoin de se faire raccourcir la mèche, comment fait-il, je vous l’demande?
Quand je circule en voiture le long des plus lamentables périphériques, je suis toujours effrayé à l’idée que des gens habitent ces immeubles dégueulasses, que des vies se déroulent là, au dessus du flux routier, dans le bruit et la misère esthétique la plus complète. Des gens qu’on a parqués ici et qui s’en contentent, faute de pouvoir faire autre chose. Mais on voit aussi que des maisons neuves viennent décorer les bords d’autoroutes, des lotissements complets qui, telles des mouches sur un étron fumant, s’agglomèrent au cul des bahuts. Des gens achètent ce type de maisons et la vie qui va avec. Ils sont volontaires pour ça. Devenir propriétaires doit leur paraître plus important qu’un détail comme 40 000 véhicules par jour sous les fenêtres. Ils ont eu le choix, et l’ont fait. Nul doute que parmi eux, on trouvera de nombreux volontaires pour bosser le dimanche ou faire ses courses, ce qui revient au même.