jeudi 11 décembre 2008
La place des nazes
Il est de tradition, quand un fâcheux prétend que « c’était mieux avant », de rigoler de sa bêtise, et de son culot d’exister. Quiconque avance que quoi que ce soit ait pu être « mieux avant » passe immédiatement pour un vieux con, c’est une expérience que je ne tenterai donc pas (et si je dis : le cinéma muet c’était mieux avant, se trouvera-t-il encore un rebelle pour asséner que je radote, et que le muet d’aujourd’hui est bien plus silencieux que du temps de Pickford ? OK, je m’écrase.)
Depuis tout petit, j’entends dire que la culture générale est une des variables fondamentales pour distinguer le gentleman de la brute épaisse. Enfin, les sociologues et autres diplômés en sciences du langage ne le disent pas comme moi, naturellement, puisqu’ils sont cultivés. Tout le monde semble parfaitement d’accord pour estimer qu’on a trop donné d’importance relative aux mathématiques dans l’enseignement primaire et secondaire, et que le recul de l’enseignement du français est une erreur qu’on fait payer aux générations qui viennent. Il y a quelques années, on a même prétendu qu’entre deux personnes de bon niveau, également diplômées, la différence se faisait souvent grâce à la culture générale, celle qui, par les nombreux repères qu’elle met à disposition de celui qui la possède, permet de mieux apprécier certaines situations, de mieux s’adapter, d’avoir une vision plus ample, etc. Balivernes ! Tissus de mensonges ! La culture générale, c’est juste bon à créer de L’INEGALITE ! (brrr)
Cette Révélation est d’origine gouvernementale, c'est-à-dire que les conséquences sur notre dos ne vont pas tarder à se faire sentir. Deux EDMF (experts de mes fesses) ont torché un rapport vite fait au ministre, après que celui-ci leur a bien expliqué ce qu’il fallait qu’il comporte, et nous voilà partis pour faire baisser encore le niveau de culture générale dans les concours administratifs. C’est André Santini (secrétaire d’Etat aux fautes d’orthographe) qui en a après la culture générale, et on le comprend bien. Il s’est avisé que les concours administratifs donnaient une part trop grande à la culture générale, au détriment de… de quoi, au fait ? Oui, le problème est cornélien : des thésards en physique se présentent à des concours de catégorie C (niveau CAP/BEP) parce qu’ils ne trouvent rien d’autre et ont légèrement tendance à mieux y réussir que les titulaires de CAP ; le nombre des candidats aux différents concours est en augmentation permanente et la tendance, pour les départager, a été d’élever le niveau des questions. Fallait-il l’abaisser ? Peut-être : si on posait des questions vraiment débiles à une grosse tête, il serait aussi désavantagé qu’un con à qui tu demandes d’expliquer la dialectique hégélienne, logique ! En clair, il est prévisible qu’il faudra bientôt arrêter de lire trop de livres si on ne veut pas se retrouver tricard aux concours des PTT.
Par quoi remplacer les questions de culture générale ? J’ai une proposition : le bras de fer ! On verra bien si les bons élèves (abominables privilégiés) et les gens cultivés sauront se débrouiller entre les paluches aguerries d’un vigoureux cancre. On va rire. Evidemment, l’option « bras de fer » risque de défavoriser nos amies les femmes, qui ont droit au respect comme tout le monde, et qu’on ne voudrait surtout pas ostraciser. Mais le fait qu’elles soient généralement plus diplômées que les hommes indiquent qu’elles ont déjà dû prendre leur part du gâteau administratif, et qu’elles ne verront pas de mal à ce que les choses changent un peu. Du reste, il est parfaitement envisageable d’appliquer l’option « discrimination positive » à l’option « bras de fer » en organisant des concours réservés aux dames. Si ces deux options cumulées ne suffisaient pas à ce que TOUTES les parties de la population soient représentées dans l’Administration en proportion de leur poids dans la société (la ménagère télédépendante, par exemple), une « option télé » serait profitablement mise en place. Quelques questions bien senties sur Derrick, sur la Nouvelle Star ou sur les présentatrices de la météo, et on verra bien la tête qu’il fera, le je-sais-tout qui passe son temps à bouquiner des livres ousqu’y a pas d’images dedans !
Tout le monde a forcément eu affaire à un fonctionnaire un jour ou l’autre. Loin de l’idée de me moquer bêtement de l’Administration, on a quand même du mal à croire que le recrutement s’y fasse sous la loi de l’élitisme le plus absolutiste ! Hé bien c’est encore trop pour monsieur Santini… A la France de « l’élite », il veut substituer la France des têtes de nœud. Comme dit ma boulangère, c'est un choix.
Mais halte à la raillerie ! Il est parfaitement logique, cohérent, normal, honnête ! que la France cherche à fournir des débouchés aux recalés de l’école, aux clampins du fond de la classe qui en savent long sur le dernier gel capillaire des jeunes, le portable de sa race qui tue et le salaire de Thierry Henri : on n’a pas lésiné sur les moyens du décervelage : maintenant, il faut assumer.