mardi 23 février 2010

Les fellateurs meurent prématurément.


Dans les bons westerns, mes personnages préférés sont ces bigotes agressives qui défilent, habillées de noir, pour la moralisation des bistrots, l’interdiction du jeu ou la lapidation des putains. Ces mères la pudeur ont une phrase qui fait mouche à tous les coups, et qui revient comme un slogan publicitaire : « ce n’est pas ce que nous voulons pour nos enfants ». Sésame censé ouvrir toutes les portes du Progrès, cette phrase-sentence ne saurait recevoir de contradiction. C’est probablement pour ça qu’elle continue de faire partie du vocabulaire courant des Américains, qui savent aller au plus court quand il le faut.
Les représentants français de ces pies morales sont au travail depuis des lustres pour éradiquer la cigarette de la surface du globe, mais s'y prennent toujours plus mal. D’année en année, elles inventent et renouvellent l’art de s’enliser au service de la bonne santé. Leurs campagnes de propagande sont stupides, ce qui ne saurait être reproché à une campagne de propagande : les pubs du camp adverse le sont tout autant. Seulement, les fabricants de clopes, eux, ne prétendent pas s’adresser à la raison, ils ne prétendent pas proposer le résultat d’études, de réflexions, d’une subtile prise de conscience. Ils disent des choses aussi simples que « Hum, la clope, c’est bon » en pensant que ça va suffire à faire aimer la clope (et ça marche !). Ils montrent Lauren Bacall en train de fumer et, aussitôt, des laideronnes s’y mettent en pensant devenir séduisantes. C’est de la pub, c’est bête. De leur côté, en revanche, les militants anti tabac se présentent comme des gens ayant mené une réflexion, ayant analysé un phénomène et repéré ses dangers, mais se comportent toujours de la même façon que ces imbéciles de pubards. On se souvient tous du ridicule de certaines campagnes célèbres. Une question se pose alors : est-il possible de réaliser une publicité quelconque qui ne soit pas débile ? La réponse est non.

Les militants anti tabac se mêlent de ce qui ne les regardent pas : c’est le propre des militants, toujours portés à militer sur les pieds des autres. Ils essayent désormais de faire disparaître une pratique dangereuse, honteuse, abominable et « qu’on ne veut pas léguer à nos enfants » : la fellation. Leur dernière campagne montre en effet qu’avaler la fumée est une pratique menant à la mort, quelle que soit la nature de la fumée. Très peu gay friendly, manifestement mal renseignée aussi, cette campagne associe une bonne vieille pipe à l’esclavage, à la plus grande surprise des pompeurs de dards volontaires (PDV, association reconnue d’utilité publique par le Président Félix Faure, en son temps). Si on ne les connaissait pas si bien, on pourrait encore se demander dans quel monde vivent ces militants-là, et ce qu’ils font de leurs longues soirées d’hiver. Au vu de la campagne et de ce qu’elle dit des phobies de ses auteurs, on déduit qu’ils sont plus à plaindre qu’à blâmer. On comprend aussi qu’il est nécessaire de leur expliquer deux ou trois choses sur la sexualité, et d’abord celle-ci : elle ne regarde pas la ligue anti-tabac.


La filiation entre les thèmes abordés successivement par les « militantitabas » (néologisme que je propose à la Postérité), dessine le tableau de la société hygiéniste parfaite qu’ils appellent de leurs vœux, de moins en moins obscurément. Entre l’injonction de ne pas mourir de tabagie, celle de conserver des dents saines et celle, inattendue, de ne pas mettre de quiquette dans sa bouche, il y a là un programme propre à rassembler les bigots au-delà des différences millénaires, au-delà des schismes, au-delà des mythologies ! Qu’on ne s’y trompe pas, ce rapprochement soudain entre sexualité et tabagisme montre que les militantitabas se sentent acculés : malgré la montée vers le trash, ils constatent que leurs messages ne sont pas efficaces, alors ils décident d’affirmer ce qu’ils pensaient secrètement depuis le début. Ne jouissez pas ! Ne vous faites pas plaisir, et surtout, ne faites pas plaisir aux autres !

N’étant pas fumeur, je m’accommodais sans peine des interdictions frappant les accros de la tige. Solidaire dans le principe mais me fichant concrètement de leur sort, j’écoutais d’une oreille distraite le constat de fascisme mou qu’il appliquaient à cette société d’interdits bien pensants, chaque fois qu’une campagne ou qu’une mesure contraignante frappait leur petit plaisir fumeux. En toute franchise, je trouvais qu’ils poussaient un peu mémé dans les cendriers. Mais la prévisible criminalisation de la pipe me fait entrevoir la chose d’une façon différente, et j’avoue que la perspective de voir débarouler une M.A.B. (milice anti bouffarde) dans ma chambre à coucher risque d’avoir des effets désastreux sur mon aptitude virile. Oh, bien sûr, on peut passer sa vie sans bander, les militantitabas en sont la preuve vivante, mais enfin, quand on a certaines habitudes, et l’âge venant, abandonner des loisirs si doux pour faire plaisir à ceux qui ne s’en donnent jamais serait ressenti comme une punition pour une faute qu’on n’a pas commise, et qui n'en est pas une.