lundi 16 février 2009
Boulangerie et Fin des Temps
Le 14 août 1555, une flotte de deux navires quitte le port de Dieppe, à destination des Indes occidentales, de Guanabara plus précisément. Guanabara, c’était le nom indien de ce qui est universellement connu aujourd’hui comme la Baie de Rio de Janeiro, qui fut donc habitée par des Français avant que les Portugais ne la leur ravissent. La flotte est dirigée par Nicolas Durand de Villegagnon, un marin expérimenté, Chevalier de Malte, homme dur, mélanchtonien de caractère puritain, ancien condisciple de Calvin à la faculté de droit d’Orléans, mais qui se convertira bientôt au catholicisme. Pour l’amiral de Coligny, instigateur de cette politique et encore catholique à l’époque, cet embryon de colonisation avait pour objectif principal de contrer les Portugais et les Espagnols sur « leurs » terres, en exportant loin de la métropole des contingents de protestants qu’on estimait déjà assez nombreux en France.
Villegagnon ne se fait pas remarquer des historiens par son intelligence politique, ni par son habileté stratégique. C’est un brutal, un fonceur. Par son attitude rigide, il s’aliène rapidement quelques tribus locales, dégoûte ses subordonnés qu’il soumet à un régime de travaux forcés assorti d’une stricte prohibition sexuelle : pas touche aux Indiennes ! Imagine un peu, lecteur repu et entouré de femmes, d’avoir mis quatre mois à traverser l’Atlantique, de t’être installé sur un îlot aride (qui porte aujourd’hui encore le nom de Villegagnon), d’y avoir trimé comme un âne pour bâtir un fortin sans avoir la moindre possibilité d’un quelconque réconfort, de la moindre tendresse ! On le sait, l’homme sans femme dépérit, devient con ou se révolte. C’est ce que firent nombre d’entre eux, entraînant à leur suite les dernières tribus amies. Le fort fut donc bientôt soumis à un véritable état de siège, d’autant plus périlleux que l’île ne fournit pas d’eau potable…
Villegagnon se décida à faire appel à Calvin, espérant que celui-ci lui enverrait des colons à la moralité plus stricte, d’authentiques protestants moins soumis à la loi des gonades que les raclures de bagne qu’il avait dû recruter dans son premier contingent. Il lui écrit donc en janvier 1556 pour le prier de lui venir en aide. Mais les communications étant ce qu’elles sont à cette époque, c’est seulement en mars 57 que trois navires accostent dans l’île, apportant vivres, bétails, outillage, artisans, femmes à marier et quatorze grenouilles de bénitier de Genève, des purs, des durs. Parmi eux, Jean de Léry, futur auteur du fameux « Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, autrement dite Amérique », ouvrage qui influencera la vision de Montaigne, entre autres, dans son chapitre sur les cannibales.
Nous avons donc affaire à une expédition voulue par le pouvoir, qui mêle des catholiques et des protestants, qui a l’ambition de fonder une « France Antarctique » en concurrence directe avec Espagnols et Portugais, c’est du sérieux. Voici pour l’aperçu de la situation.
Mais le jour de la Pentecôte 1557, une controverse s’engage entre Villegagnon et les Genevois. Une controverse qui aura des conséquences fatales pour la colonie et, d’une manière générale, sur l’aventure française au Brésil. Sur quoi porte cette controverse ? Sur un problème militaire ? Sur une question stratégique, sur le ravitaillement, sur les alliances locales, sur la discipline, sur la mission elle-même ? Non, lecteur impatient, cette controverse repose sur une grosse énorme connerie : la Présence réelle. Villegagnon soutient en effet que le corps du Christ se trouve réellement dans l’hostie, alors que les salopards qui lui tiennent tête pensent que non. Rappelons que le Concile de Trente (1551) venait de définir cette Présence réelle, la Transsubstantiation, comme dogme de l’église catholique, et que bon, le Concile de Trente, c’est quand même pas rien… Voici donc nos Conquistadors bloqués par un urgentissime problème : quand nous mangeons l’hostie, mangeons-nous réellement le corps du Christ ? Et les débats sont si vifs que les Genevois sont contraints à l’exil, sur la terre ferme, où ils auront le temps de réfléchir aux choses sérieuses en compagnie des Tupinambas, charmants Indiens proches de la nature et qui pratiquent le cannibalisme à tour de gencives, un cannibalisme réel, avec du sang et des coups de massue. Après quelques mois de vie difficile, certains exilés tenteront un retour chez Villegagnon : il les fera noyer. Bien fait. (Aux catholiques modernes tentés par la commisération, je précise que le dogme de la Transsubstantiation est toujours d’actualité : au sens strict, si t’y crois pas, tu peux pas te dire catho !)
Bientôt, la petite colonie de l’île Coligny sera submergée par les troupes portugaises de Mem de Sà, pendant que Villegagnon chicane en France pour justifier son zèle, et c’en sera fini des couillonnades pour amateurs. Fin de partie.
Cette disproportion entre les enjeux et les circonstances paraît incroyable : imaginons que l’opération ait été un succès, c'est-à-dire que ses dirigeants ne se soient pas entretués pour d’invraisemblables foutaises, et une partie de l’Amérique du sud parlerait peut-être français… Mais nous voici revenus au XXIème siècle, siècle éclairé par les erreurs du passé, siècle de la rationalité et de l’entendement. Ouf! C’est pas des religieux d’aujourd’hui qui baseraient leurs actions sur des galéjades pareilles ! On sait tous que les religieux sont assez cons, mais enfin pas au point de… enfin, pas… heu… En fait, si ! Venons-en donc aux « Chrétiens sionistes »…
Environ cinquante millions d'Evangélistes aux Etats-Unis se disent « Chrétiens sionistes », et ceci pour des raisons strictement religieuses. Se basant notamment sur les prophéties d’Ezéchiel (37.21), ils croient qu’il faut tout faire pour inciter les Juifs du monde entier à revenir en Israël, et ceci pour que s’accomplisse, un soir de semaine, je vous l'donne en mil, l’Apocalypse ! Oui, la révélation, la Fin des Temps, en toute simplicité. Je rappelle que selon la Bible, pour la fin des Temps, une grande baston opposera les agents du Bien et les agents du Mal en la plaine d’Armageddon, et qu’à cette occasion, le Christ himself paraîtra de nouveau aux hommes et que cette fois-ci, la conversion sera o-bli-ga-toi-re ! Il est sans doute inutile d’insister sur le fait que la présence d’un max de monde est requise, pour une conversion vraiment totale et un bon déroulement des cérémonies. D'ailleurs, cette distribution de ramponneaux ne pourra se faire que lorsque TOUS les Israélites seront rassemblés sur leur Terre (imaginons qu’un Juif trop fêtard ait loupé le dernier avion du Retour parce qu’il n’a pas entendu sonner son réveil, eh bien, selon les propres termes de la Bible, la Fin des Temps est ajournée !) Oui, lecteur rationaliste habitant le pays de Descartes, des millions de types votent et agissent auprès de leur gouvernement pour qu’une aide absolue soit apportée à Israël en vue de réaliser la Fin des Temps... Ces gens-là, qui représentent un poids électoral considérable, ne pensent et n’agissent qu’en fonction de la Bible, et ne seraient pas surpris que des anges viennent leur annoncer que le Christ donne une conférence de presse en compagnie de Tzipi Livni ! Evidemment, ces grands stratèges explosent de rire à l’idée de la création d’un état palestinien, puisque les Palestiniens, tout simplement, n’existent pas (non référencés dans la Bible, désolé, vous n’avez pas droit à un état !). Daniel Mermet leur a consacré une belle émission, à écouter d’urgence pour en savoir plus.
Voilà, les siècles passent, les religieux demeurent. Rien de ce qui est réellement grand dans la sottise n’est inaccessible au génie des croyants.