samedi 13 octobre 2007

Les muscles du ministère



Ne niez pas : beaucoup d’entre vous sont allés jeter un œil discret et fébrile sur le calendrier du XV de France. Une brochette de malabars passés à la gonflette, huilés, cambrés comme des sirènes, c’est un spectacle qui ne se refuse pas.

Chacun sait par ailleurs que le patron de cette équipe, Bernard Laporte, est pressenti pour un secrétariat d’Etat aux sports à partir du 21 octobre prochain.

Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est que le futur secrétaire d’Etat avait proposé au gouvernement de réaliser un calendrier supplémentaire : un calendrier mêlant joueurs (force de frappe, jeunesse) et … ministres (sérieux, expérience) !

L’idée, qui peut surprendre au pays de Raymond Barre et de Jean-Pierre Raffarin, fut accueillie diversement par les responsables politiques, mais fut jugée « formidable et dépoussièrante » à l’Elysée. Dès lors, les réticences tombèrent une à une, en vertu du principe qui veut qu’on est beaucoup mieux vu du Chef si on évite d’avoir des opinions contraires aux siennes.

Les photographes spécialisés dans ce genre de chef d’oeuvre rassurèrent rapidement les novices : on peut mettre en valeur le corps d’un bureaucrate aussi facilement que celui d’un athlète trentenaire. Il suffit d’étudier la pose en fonction des avantages et des disgrâces du corps à traiter, d’avoir dans l’équipe des éclairagistes de génie, d’utiliser Fotochope comme un Stradivarius, et de répandre sur les fessiers flapis l’huile camphrée nécessaire pour les faire scintiller. L’affaire fut presque faite, mais…

Les révolutionnaires de l’image politique n’avaient pas prévu la persistance des préjugés sexuels.

Les rugbymen se foutent à poil entre eux, soit. Mais l’idée qu’apparaissent sur un même support glacé des joueurs sexuellement crédibles, des ministres hommes et des ministres femmes, non ! Madame Boutin fut la première à soulever le problème de cette affolante promiscuité, et bientôt tous les pudibonds s’engouffrèrent dans la brèche. Madame Bachelot prit aussitôt la tête de la résistance et se battit comme une lionne pour (selon certains) « au moins faire un petit essai perso, merde ! ». Les avis étaient partagés, les pour et les contre, en nombre presque égal, se faisaient face autour de la table du Conseil. On se traita de « gros cul » et de « mollets de coq »… Le revirement d’un seul fit pencher la balance dans le camp des réfractaires : fidèle au franc-parler qui l’a rendu célèbre et à une certaine idée de la constance en politique, le ministre des relations extérieurs lâcha un « me foutre à poil sur un calendrier alors qu’on a des bombardements en retard, mon cul ! ».

Voilà ce à quoi nous avons échappé. Le mélange prometteur de la politique et du spectacle sportif ne déclenche pas encore l'adhésion complète, contre toute attente. La France, dans cette affaire, a une nouvelle fois perdu l’occasion de se distinguer du reste du monde et surtout de définir pour lui, comme aux temps héroïques des révolutions, un nouvel horizon pour les siècles à venir.

Amen.