Cinq personnes viennent d’être arrêtées pour avoir fait une entaille de dix centimètres dans Le pont d’Argenteuil, célèbre tableau de Monet, qu’on pouvait voir jusqu’ici au musée d’Orsay. Une belle bande de cons qui disent s’être bourré la gueule et avoir pratiqué la boxe contre le tableau. L’enquête en dira plus, et plus précisément.
La liste des attentats contre les œuvres d’art est très longue. Sans remonter très loin, on se souvient de la mutilation d’une œuvre de Richard Tassel (La résurrection du Christ), coupée en deux en 2006 dans la collégiale de Beaune (cas de banditisme flagrant), du passage à tabac au musée de Milwaukee d’un David tenant la tête de Goliath, d’Ottavio Vannini, par un type qui ne supportait pas la violence de l’image, et qui décida qu’une bonne raclée allait rendre le tableau plus doux, ou d’un lapideur fou qui balança une pierre sur
La Résurrection du Christ. Richard Tassel. 1618.
La question est assez rarement celle de la « valeur » de l’œuvre : les vandales sont dérangés par ce qu’ils veulent détruire. Le fait qu’ils soient très souvent eux-mêmes dérangés ne doit pas faire sous-estimer la puissance des œuvres. Les gens affirmant qu’une toile de De Kooning (par exemple) est un paquet de merde sont en quelque sorte révoltés par ce qu’elle représente, prouvant ainsi qu’elle n’est pas « rien ». Ce fut la même chose avec les impressionnistes, qualifiés de barbouilleurs avant que « l’œil commun » puisse les apprécier. On ne peut pas à la fois dénier tout caractère artistique à un travail et vouloir le détruire : on n’a jamais vu quelqu’un s’acharner contre une photo de Michel Drucker et ses enfants glanée dans Paris-Match ! Non, pour qu’un vandale existe, en dehors du vandale involontaire ou inconscient, le couillon qui ne fait pas attention qu’en labourant son carré de patates, il bousille des mosaïques antiques, pour qu’un vandale agisse, il faut qu’il ait conscience de s’attaquer à quelque chose de sacré, ou de sacralisé, et qu’il ne supporte pas. Il y a une forme de respect inversé dans le geste du vandale : les révolutionnaires ou les huguenots qui martelaient les têtes des saints aux portails des églises avaient le sentiment qu’il tuaient quelque chose de bien vivant, qu’il y avait une authentique force dans la pierre taillée. S’ils avaient considéré les statues comme de risibles gadgets, on les aurait encore. Idem pour les évangélisateurs destructeurs d’idoles indiennes en Amérique. Quand les Allemands bombardèrent la cathédrale de Reims en 1914, ils annonçaient qu’ils ne respecteraient plus rien après ça. S’étant attaqué à un des plus anciens symboles de
La volonté de détruire une œuvre d’art est peut-être aussi à l’origine des coups de feu que Valérie Solanas tira sur Andy Warhol en juin 1968. Au lieu de s’attaquer à des œuvres proprement dites, Solanas tenta de détruire la personne qui, d’une certaine façon, représentait elle-même l’art à cette époque. On peut même se demander s’il n’y avait pas un fond de vandalisme dans Shoot, la performance de Chris Burden : un ami se place à quelques pas de lui, une carabine 22 long rifle en mains, et lui tire une balle dans le bras. Détruire (partiellement) l’œuvre que constitue son propre corps, le soumettre au danger de la disparition, à la violence des coups, le désacraliser enfin.
Dans Fight club, le personnage de Jack, après avoir gratuitement défoncé la gueule d’un type, avoue avoir eu envie de « détruire quelque chose de beau ». Qu’une œuvre d’art soit jugée « belle » ou « laide », ne change rien à ce principe du vandale : détruire quelque chose de sacré.