jeudi 7 janvier 2010

Minaret aux arrêts.


Je signale aux lecteurs de ce blog un article de l’excellent Abdelwahab Meddeb au sujet de « l’affaire des minarets »
Il reprend quelques éléments d’histoire propres à éclairer les raisons de la défiance diffuse contre les mosquées en Europe et, au-delà des bâtiments, de la réticence avec laquelle l’islam en général est perçu. Plutôt que d’accuser les européens dits « de souche » d’être la réincarnation de la bête immonde, il avance quelques faits qui, plaisants ou non, sont à l’origine de ce que nous sommes, de ce que nous pensons et de notre façon, certes imparfaite, de voir le monde. Meddeb est un des rares à envisager sereinement que dans un domaine aussi complexe, les « torts » ne sont pas uniquement d’un côté, et que les musulmans doivent s’interroger aussi sur ce qui, chez eux, dans leurs fondements civilisationnels, dans leur attitude, dans leurs comportements au niveau mondial autant que dans l’Histoire, peut générer méfiance, rejet ou hostilité. Il est bien sûr plus simple de désigner une partie de la population comme méchante, soumise au mal : raciste. Du reste, les imbéciles et les fumiers ne s’en privent pas. Comme cette partie de la population est aussi ce qu’on nomme simplettement « le peuple », il est ensuite assez commode d’envisager de se passer purement de lui et de ne le consulter qu’avec parcimonie, et tant qu’on n’a pas trouvé d’autres moyens de faire. On y travaille, d’ailleurs.
Au risque d’être le seul pays dans cette situation, il est désormais connu que la France n’a pas d’identité nationale. Des gens bien plus calés que moi le décrètent cent fois par jour, et signent même des pétitions pour que personne ne s’avise de l’oublier. Cependant, n’en déplaise aux modernistes, les peuples ne sont pas nés d’hier, et ils possèdent encore en propre ce qu’on pourrait appeler une personnalité. Comme toute personnalité, la rationalité et le sens de la mesure n’y ont qu’un rôle mineur, contrairement à l’Histoire et ses blessures, aux idées et fantasmes qu’elle a fait naître. C’est probablement la raison pour laquelle certains cherchent à réduire la place de l’enseignement de l’Histoire, après en avoir gommé toute référence jusque sur les billets de banque et les pièces de monnaie… Un peuple sans histoire, avatar libéral de la tabula rasa. Or, c’est peut-être à cette « personnalité » qu’ Abdelwahab Meddeb se rapporte pour essayer de comprendre, non de juger, les raisons de la coince. Etant musulman lui-même, et des plus cultivés, il est plutôt bien placé pour juger du travail qui reste à faire dans les populations musulmanes pour la grande réforme propre à rendre compatible cette religion-monde avec un monde qui a évolué et changé sans elle, parfois contre elle, en tous cas un monde dans lequel sa transcendance et sa Révélation n’ont pas plus de sens que n’importe quelle autre. Car s’il est évident que les nations accueillantes sont appelées à changer, et profondément, au contact des populations migrantes, il est également indiscutable que ces dernières ne peuvent espérer recréer sur tous les continents ce qui faisait l’identité séculaire de leurs si mignons villages d’origine. Après tout, si la foire au boudin de Saint-Hilaire-Cusson-La-Valmitte n’est pas totalement adaptée à la mondialisation qui vient, les fêtes à you-you ne le sont pas plus.
La première fois que je suis allé en Égypte, j’ai été intrigué par la promiscuité entre les églises et les mosquées. J’ai pris ça pour un exemple de tolérance, ou au moins d’un sens de la cohabitation dont nous aurions pu, nous autres Français, nous inspirer. J’avais oublié une chose importante : les chrétiens sont en Égypte depuis longtemps, depuis plus longtemps que les musulmans. C’est le rapport des forces et surtout le temps qui a permis aux différentes composantes de la société de vivre ensemble. Les égyptiens ont mis des siècles à composer une société (qui n’est certes pas un modèle) qui accepte de grandes entités plus ou moins rivales sur un mode assez pacifique. En Égypte, dit-on, entre 8 et 10% de la population est chrétienne. Seul un parfait imbécile pourrait faire une comparaison arithmétique entre ce chiffre-là et celui du nombre de musulmans en France, car ce serait justement ignorer ce qui fait la différence entre un principe, édicté dans un livre, et une réalité, née de l’Histoire. Autant il serait invraisemblable que l'Égypte musulmane, après vingt siècles de christianisme, ne compte pas d’églises ; autant il est assez cohérent que la France laïque ne soit pas encore, en moins de cent ans, couverte de mosquées.


Ce qui me plait le plus, peut-être, dans l’article de Meddeb, c’est qu’il instille une dimension esthétique à sa critique d’un phénomène que tout le monde traite sur le seul plan politique. Les minarets sont moches, voilà l’affaire. J’entends d’ici les grandes têtes responsables crier à la fadaise, hurler à la dictature du goût ! Qu’ils le fassent, rien n’y fera : les minarets resteront moches. Qui n’a pas souffert à la vue de ces petites églises néo néo néo gothiques qui pullulent sur le sol des Etats-Unis ? Qui ne souhaiterait un tremblement de terre localisé pour foutre à bas ces épouvantables églises en béton que les années 50 nous ont léguées ? C’est pareil pour ces mosquées nouvelles : elles sont laides et en ça, pas de doute, elles s’inscrivent dans une certaine modernité… Et sur la pratique de l’appel à la prière amplifié à coups de hauts parleurs, comment ne pas lui donner raison ? Pour les spécialistes auto proclamés des questions de société, soulever ici des problèmes d’ordre esthétique est une sorte d’enfantillage, le signe évident qu’on n’est pas sérieux. Je prétends, au contraire, que vouloir construire des minarets sur le modèle mal imité de la Koutoubia en miniature, revisitée par Castorama et par des architectes à lotissements, c’est une forme de sottise qui sera ressentie par les peuples autochtones comme une insulte, une forme de colonialisme. Quand une architecture s’implante telle quelle dans des pays de cultures et de climats différents, c’est qu’elle ne tient compte que d’elle-même et qu’elle se présente comme une entité étrangère que rien ne saurait changer. On s’en passera.