samedi 9 janvier 2010
Précaution imprudente
Le principe de précaution est l’image la plus visible, la plus connue aussi de la nouvelle ère où nous sommes entrés : le matriarcat. Je ne sais pas si c’est la nature qui a prévu ça, ou si c’est la répartition des rôles que les sociétés humaines ont établies, mais les femmes ont ceci de différent d’avec leurs mecs : elles sont pleines de précaution. Je le sais : j’ai une mère ! Après tout, pourquoi ne pas prendre ça au sérieux : s’occuper quotidiennement des petits rend forcément prévenant, précautionneux, et l'on sait que les femmes, malgré leur "libération" et la vie moderne, s’occupent beaucoup plus des enfants que les hommes. Avoir la responsabilité de morveux toujours prompts à sauter dans le fossé, toujours à l’affût d’une connerie à faire, de préférence de celles qui font saigner, vivre en permanence avec le souci d’épargner des bobos à cette bande de sauvages, est-ce que ça ne rendrait pas précautionneux le plus flegmatique des amorphes ? Oh, je sais bien que ce que j’affirme n’a rien de scientifique, mais une simple observation quotidienne et un minimum d’expérience nous amènent à penser que les femmes sont plus prudentes que les hommes (d’ailleurs, j’ai les statistiques pour moi). Le principe de précaution tel qu’on le connaît aujourd’hui, pour aller vite et ne pas y passer vingt chapitres, peut donc être regardé comme l’extension à la société entière d’une façon typiquement féminine d’envisager l’existence. Pourquoi pas ?
Evidemment, dès qu’on parle de prudence, les casse-cous se pointent, on en arrive même à découvrir que les précautions défrisent une bonne partie de la société, et pas seulement des mecs. Plus précisément, la société travaillée au corps par le principe de précaution est portée à crier casse-cou ! dès qu’une critique s’élève. Il y a, comme ça, quelques expressions parfaitement artificielles, c'est-à-dire créées de toutes pièces par les médias, qui servent de sésame aux ahuris et qui les dispensent d’argumenter : quand un clampin affirme, par exemple, que « c’est une question de santé publique », le silence se fait immédiatement et on est prié d’opiner. Pareil pour « la justice de mon pays », dont, paraît-il, les décisions ne se « commentent » pas et en laquelle on a forcément « confiance ». Nous avons depuis peu, mais son avenir est assuré, l’étrange « violence faite aux femmes », qu’on devrait peut-être orthographier violenzfètofam tant il crépite comme une salve. Nous admirons plus rarement, mais toujours avec autant d’incrédulité, les « forces vives de la Nation », dont on ne sait si ce sont elles qui sont gonflées de peps ou si le reste du corps social paraît flapi en comparaison, enfin, nous sommes assez régulièrement bombardés de sentences ridicules, fausses et vidées de sens, mais qu’on emploie à tour de langues. Le principe de précaution en fait partie mais il a un avantage qui sème la jalousie partout : il est inscrit désormais dans la Constitution, et ça, ça se respecte !
Loin de moi l’idée de vouloir démontrer la sottise d’un principe, fût-il de précaution, fût-il inscrit dans le marbre de la hiérarchie des normes, non, d’autres s’en sont déjà chargés, avec plus ou moins de brio. En revanche, je ne résiste pas à l’envie de montrer ce qu’une application quotidienne de ce fameux principe peut avoir de burlesque, et de coûteux.
Avant d’exposer mon exemple tout chaud devant la blogosphére qui n’en reviendra pas, je précise que les militants du principe de précaution sont des militants comme les autres, c'est-à-dire aussi faux culs. Après avoir réussi à faire inscrire le principe de précaution dans la Constitution, certains précautionautes s’étonnent qu’un gouvernement ait dépensé un milliard d’euros pour acheter des vaccins contre la grippe A et qu’il se trouve aujourd’hui réduit à en brader la moitié sur Ebay. Un principe de précaution, en plus de faire bien dans la conversation et de vous permettre de poser au responsable sérieux, ça coûte de la thune.
J’habite à cinquante kilomètres au sud de Lyon. Jeudi soir, les conversations n’avaient qu’un seul sujet : la neige. On annonçait de fortes chutes de neige pour la nuit (car la neige, l’as-tu remarqué, lecteur distrait, tombe souvent la nuit, comme pour faire la surprise aux enfants quand ils se réveillent), et on s’échangeait le chiffre de 35 centimètres. Pour un lyonnais, trente cinq centimètres de neige, c’est une sorte de record (en 1990, il y en a eu un peu moins de trente en une fois, et ça fait donc vingt piges, et on s’en souvient). Pour un québécois, en dessous d’un mètre de neige, ce n’est pas vraiment de la neige, mais pour un lyonnais, c’est un coup à rester à la maison. C’est en effet ce qui s’est globalement passé : des milliers de personnes sont resté chez elles, attendant en vain ces 35 cm de neige précédant de peu l’Apocalypse. D’ailleurs, principe de précaution, les transports scolaires ont été annulés, les bus des TCL aussi, les camions de plus de 7,5t interdits de bouger tandis que la SNCF annulait certains trains. L’aéroport de Lyon, principe de précaution, décidait de ne plus faire voler les avions et fermait même carrément. Mieux : les stations de Velov (vélos en libre service) elles-mêmes ne distribuaient plus de biclous ! Pour être complet, la préfecture conseillait enfin aux gens « d’éviter de prendre leur véhicule ». Dans un tel contexte, et à moins d’habiter à 300 mètres de son boulot, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui ne se sont pas rendues au taf ce vendredi, pour rien. Oui, j’oubliai un détail : à Lyon, il y a eu moins de 10 cm de neige ce vendredi.
On aurait tort de sous-estimer les conséquences immédiates d’un tel affolement : la propagande sécuritaire fait des dégâts, du genre qu’on ne voit pas d’emblée. Je n’ai aucun moyen de savoir ce que coûte cette chiasse climatophobe qui a fait serrer les miches à la moitié du département, mais je pense aux postes non pourvus, aux commandes non livrées, aux restaurants désertés, je pense aux réservations de toutes sortes annulées, aux rendez-vous non honorés, aux nounous renvoyées chez elles, enfin je me dis que tout ça a un impact économique réel, et que l’exemple lyonnais n’est qu’un exemple parmi d’autres. Encore s’il y avait eu le demi mètre annoncé, on pourrait se dire que l’activité est soumise aux caprices du temps. Mais là, et ce n’est pas la première fois qu’on l’observe, ce sont les caprices de la préfecture, du plan vigilance de mes deux, de météo France et de la Direction du Trouillomètre qui nous pourrissent l’existence, avec la complicité intéressée des médias, qui sont prêts à tout pour vendre du papier. Au sens propre, on nous prend pour des gosses. J’entends déjà le « oui, mais SI il y avait eu 35 cm de neige ? ». Eh bien, qu’on nous laisse nous empêtrer dans les embouteillages s’il doit y en avoir, qu’on nous laisse perdre quatre heures de nos existences au cul des camions, mais qu’on ne fabrique pas de la peur pour qu’au final, on perde des journées entières à glander devant les bulletins météo comme Drogo face aux tartares. Car le paradoxe de cette pantomime, c’est que le péquin affolé reste chez lui, ne prend pas sa voiture, ne va pas bosser, les routes sont dégagées par les chasse-neige mais les camions ne roulent pas, les bus ne roulent pas, les vélos ne roulent pas, les chars à bœufs ne roulent pas et nous avons le spectacle ahurissant d’un réseau routier intact, propre, accueillant, désert et inutile : personne !
J’ai déjà entendu justifier ce type de propagande alarmiste au prétexte qu’il faudrait en dire beaucoup pour que les gens, ces gros cons, se mettent à bouger un peu. On force donc le trait pour la bonne cause, on annonce une grippe aviaire dévastatrice, une grippe A phénoménale, des vagues d’attentats atroces, des canicules en veux-tu en voilà, des réchauffements climatiques époustouflants, on met la pression à son maximum parce que, en fin d’épisode, les populations soufflant de soulagement ne se souviennent plus des énormités annoncées. Mais si on se mettait à douter de la réalité factuelle des Bérézinas à venir, si, instruits par le genre d’expérience ci-dessus, les populations (ces gros cons) se mettaient à ne plus vraiment avaler les montées des eaux, les effondrements de banquise ni les disparitions des forêts, on serait bien emmerdés, soudain…