vendredi 22 janvier 2010
Un festival de violence.
Lyon organise chaque année un festival du polar. C’est aussi inintéressant qu’un festival de littérature normale, mais là, on s’emmerde avec des polars. Rien de bien méchant. Après tout, il existe des festivals d’à peu près n’importe quoi en France, pourquoi pas un festival chiant du polar. Cette année, pour la promo du festival, les organisateurs ont prévu un jeu de rôle en pleine ville, intelligemment nommé « Streetwars ». Un nom anglais, ça fait classe, non ? Il s’agit de jouer au pistolet à eau dans les rues de Lyon et de se dégommer les uns les autres. Oui, je sais, le concept est simple… mais après tout, d’autres jeux sont simples et pourtant si charmants : le rami, la bataille navale, le colin-maillard…
Tu te demandes sûrement, lecteur débordé par un boulot passionnant, et qui prend sur ton temps de pause pour mater ce blog en douce, tu te demandes sûrement pourquoi je t’emmerde avec de telles conneries. Patience, les plus belles arrivent.
Conseil municipal de Lyon (France), 18 janvier 2010 – 10h17 (GMT + 1)
Guylaine Breby, responsable des subventions culturelles, soumet le dossier du festival Quai du polar au vote. Il s’agit d’une petite subvention : 160 000 euros. Une misère.
Les choses semblent rouler comme d’habitude : on entendrait voler une mouche, et d’ailleurs on en entend une (les locaux sont surchauffés, les mouches n’y craignent pas l’hiver).
Patrick Huguet, conseiller municipal UMP et ardent défenseur de la morale, se lève. Une grosse miette de croissant est restée collée à l’une de ses incisives. Ça fait marrer tout le monde, mais il ne s’en rend pas compte. Il croit simplement que les gens sont heureux de le voir. Il tique, le Patrick. Il tique.
- Monsieur Huguet, tonne Gérard Collomb, que pouvons-nous faire pour v (la fin de phrase est inaudible – faux contact dans le réseau des micros)
- Je vois, mesdames et messieurs les conseillers (sans oublier les demoiselles, les bi trans gay et lesbien et sans-papiers qui ont droit à notre respect), que le festival propose cette année encore ce jeu de pistolet à eau à ses participants. Je trouve scandaleux que la ville subventionne une opération où l’on incite à commettre des « meurtres virtuels », même avec des armes à eau. Je trouve que ce n’est pas convenable.
D’habitude, la plupart des conseillers n’écoutent pas les orateurs. Cette fois-ci, pareil. Le Patron, en revanche, ne laisse pas passer l’occase de sortir une vanne. Hélas, le micro déconnant de plus en plus, l’Histoire n’enregistrera pas la saillie, qui fit pourtant rire aux larmes son auteur pendant une bonne minute.
Voilà. Philippe Muray nous a assez démontré que la France est devenue un terrain de jeu. De grands gosses y jouent à aller écouter du jazz, de la dub, du rock, de la bonne vieille merde festive ou n’importe quoi d’autre, mais en groupe, en nombre, en masse. On peut même y voir des adultes, bravant le ridicule, se flinguant à coup de pistolet à eau en pleine rue. D’un autre côté, pour faire comme si tout ça était encore sérieux, un tartuffe s’offusque (spécialité française) du mauvais exemple donné à une jeunesse déboussolée. Va-t-il faire remarquer qu'on dépense bien du pognon pour des enfantillages? Non! il trouve ça encore trop dangereux! « Simuler des meurtres » ? vous n’y pensez pas ! Le principe de précaution est entré si profondément dans nos fesses qu’il nous empêche tout mouvement, toute fantaisie, même les plus idiotes. Patrick Huguet n’ose imaginer qu’on puisse jouer à se tuer pour de faux, même avec des pistolets à eau. Quand on pense qu’il y a moins de dix ans, par le service militaire, on permettait à des centaines de milliers de petits gars de s’amuser à tirer réellement des vraies balles qui font des trous, à lancer des grenades, et qu’aujourd’hui, on craint publiquement de les exposer au spectacle atroce de quelques trentenaires bedonnant se tirant dessus avec des pompes à eau… On craint que ça leur donne des idées…
Le plus joli, dans cette pantalonnade, c’est que la majorité socialiste, débordée sur le point de la bien-pensance responsable par un droitard plus puritain qu’elle, a immédiatement précisé que les mots « meurtre » et « pistolet » seraient retirés des documents présentant le jeu.
Avis à vous tous : du 9 au 11 avril prochain, Lyon invente le polar sans meurtre et sans pistolet. On est loin d’Ellroy…