jeudi 4 décembre 2008

Eric Zemmour n'existe pas !


Cet individu n'est pas scientifique!

Malgré l’incertitude qui caractérise toutes les opinions humaines, il est possible de penser qu’Eric Zemmour est un con. La part de vrai contenue dans cette affirmation est probablement forte, mais pas totale : comme chacun de nous, Eric Zemmour est plus ou moins con.
Quand il forme le projet de prendre le contre-pied des tartineurs de bons sentiments médiatiques (que leur fréquentation permet la plupart du temps de classer dans la catégorie des faux culs), il a raison. Quand il aspire à se battre contre les icônes du Bien, quand il veut débusquer la sottise conformiste planquée sous les discours convenus, le plus souvent rebelloïdes d’ailleurs, il a raison. Mais ça ne le met pas à l’abri de la connerie. Comme lorsqu’il s’est frité avec Augustin Legrand (pourquoi pas) en s’en prenant aux SDF eux-mêmes. Il était peut-être excédé que la France entière fasse une statue de saint laïc à Legrand (jalousie ? envie ?), ou que ce dernier passe pour moralisateur (et lui, ne l’est-il pas ?), mais il s’est trompé de cible. Les gens qui dorment dans la rue ne le font pas pour poser au rebelle, ni parce que c’est cool. Ils sont dans la merde et, à part quelques punks à chiens englués dans le romantisme antisocial, ils aspirent à en sortir. Les mépriser parce que Legrand les défend, c’est un peu comme si on s’attaquait aux femmes battues au simple prétexte qu’elles sont défendues, représentées voire « sanctifiées » par un type qu’on n’aime pas. C’est con.
En ce moment, Zemmour est emmerdé par une affaire de vocabulaire. Qui a dit que les Français ne s’intéressaient plus à leur langue ? Quel est cet autiste ? Le mot en question, on le devine, est le mot « race ». L’existence de Zemmour, son opinion sur la chose et ce qu’il en dit ne change rien à la question de savoir si oui ou non il y a des races humaines. Comme toute chose, si les races humaines existent dans les faits, il suffit d’en démontrer l’existence. Or il est facile de démontrer qu’il existe des êtres humains noirs, d’autres jaunes, d’autres blancs, etc. mais il est beaucoup plus compliqué de se satisfaire du mot « race » pour les regrouper. Pourquoi ? J’essplique.
Tout le monde sait ce qu’est un phénotype (mais je précise quand même) : ce sont les caractères morphologiques et anatomiques d’un individu, en gros, c’est l’apparence de quelqu’un. Quand on dit qu’un mec est noir ou blanc, on n’a rien fait d’autre que constater son phénotype. Mais des Noirs et des Blancs, il en existe beaucoup de variétés : quoi de commun entre James Brown et Naomi Campbell, entre Hulk Hogan et Gandhi ? Dur à dire. La chose qui peut paraître la plus formidable, devant ce débat passionné où l’on veut convoquer les Tribunaux, le Droit et le Cachot, c’est qu’on s’acharne à se crêper le chignon sur une broutille. Une broutille, oui. Quand on dit « race noire » ou « race blanche », on ne fait, après tout, que désigner la couleur de la peau, c'est-à-dire ce qui se voit d’emblée, même si on est nul en maths, même si on ne sait pas lire, même si on est aux Jeunesses UMP! Quel intérêt en retire-t-on ? S’il y avait encore une seule personne pour prétendre que les « races » sont inégales entre elles, ou plus précisément qu’appartenir à l’une d’entre elles déterminerait non seulement un phénotype mais aussi des comportements, des aptitudes morales ou intellectuelles, des compétences, un psychisme, etc. l’usage du mot « race » serait justifié. Mais puisque personne, ni Zemmour ni un autre, ne vient jamais prétendre ça dans le débat public, puisque tout le monde convient que les différences s’arrêtent au phénotype, c'est-à-dire à l’apparence, au physique et qu’on ne peut rien déduire d’elle au sujet du potentiel intellectuel d’un individu, pourquoi se cabrer autour de ce mot ? Je précise que cette remarque devrait valoir autant pour les fanas du mot « race », que pour ses adversaires. Si le mot ne désigne rien d’autre que l’apparence (et bien imparfaitement, d’ailleurs), il perd à la fois son intérêt (en effet, pourquoi l’apparence serait-elle un critère plus important qu’un autre ?) et son potentiel scandaleux (puisqu’en parlant d’apparence, on ne déduit rien des capacités et qualités de l’individu désigné, on ne le situe pas dans une hypothétique hiérarchie).
On se cabre sur des mots. Personne, dans ce genre de débat affligeant, n’est à l’abri de ce qu’il reproche à l’adversaire. Quand on reproche à Zemmour d’utiliser un concept n’ayant aucun fondement scientifique, qui n’est pas précis, on oublie qu’on a soi-même salué la victoire d’Obama quelques semaines avant, l’élection d’un « Noir » à la Maison Blanche : pas plus précis. Le mot « race » n’est pas précis, il n’est pas scientifique, et d’ailleurs à l’exception de quelques connards exclus du débat public en France, personne ne prétend qu’il l’est. Quand on parle d’une passion, et l’attachement à la « race » (ou parfois son refus) en est une, il est donc important de faire le tri entre les arguments solides et les galéjades. Le mot « race » n’a aucune base scientifique, OK. Mais « je t’aime » non plus, ne repose sur rien de scientifique. « J’ai la tête dans l’cul », « je suis à la bourre », « la flexibilité du droit du travail est un bien », « ami », « peuple » ou « une baguette pas trop cuite s’il vous plait » sont des expressions dont on use quotidiennement SANS QU’ELLES AIENT LE MOINDRE FONDEMENT SCIENTIFIQUE. En fait, n’en déplaise aux adversaires du mot, personne ne prétend à une quelconque scientificité. En face de Zemmour, nous avons même des gens qui arrivent à exiger que le mot « race » ne soit pas prononcé : puisque les races n’existent pas, il ne faut pas en parler. Ça paraît logique, mais on pourrait objecter que l’humanité parle sans cesse de dieu alors qu’il n’existe pas plus. Faut-il interdire qu’on l’évoque ? On parle également de « l’amour » alors que c’est un des concepts les plus imprécis qui soient. On évoque volontiers « l’amitié entre les peuples » dans le flou poétique le plus total, et ça ne gêne personne, etc. Il semble donc clair que dans ce domaine passionnel, la raison et le bon sens aient été massivement écartés du rang des méthodes valables.
« Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots », dit Jean Jaurès en son temps. T’avais raison, Jeannot, et il semble bien qu’on soit ici devant un cas d’école ! Traumatisés à la seule évocation du mot « races », certains en arrivent non seulement à soutenir qu’elles n’existent pas au sens strict mais aussi qu’il n’y a pas de Noirs, de Blancs, de Jaunes. Comme Sartre prétendit que le Juif n’est juif que dans l’œil de celui qui le définit comme Juif, on serait blanc ou noir uniquement selon l’opinion qu’on se fait de vous… Je vous laisse méditer là-dessus. Partant de là, il ne resterait plus qu’à bannir totalement le mot « race » pour que mécaniquement, disparaisse le racisme… riche idée ! (j’ai moi-même essayé de pas prononcer le mot « taxe d’habitation » depuis trois jours : rien à faire, cette garce est toujours là, impayée, menaçante, sur ma table, rappelant les heures les plus sombres de mon portefeuille). Il est évident que quiconque croit à ce simpliste passe-passe quitte instantanément le monde des humains pour s’installer dans celui, plus peuplé, des grosses têtes de nœuds. Mais il faut parler aux têtes de nœuds, même aux grosses. Il faut leur dire que si le mot « race » était universellement remplacé par le mot « phénotype », par exemple, nous assisterions à un développement du phénotypisme, et ça ne changerait rien. A quand une dénonciation des ravages de la mélaninophobie ? Si on arrêtait de prononcer son nom, Eric Zemmour disparaîtrait-il? Croire et soutenir de facto que le racisme n’existe que par amour d’un mot devrait vous interdire l’accès aux émissions de télé, même celles du plus bas niveau.
Pourquoi Zemmour est-il un con ? Parce qu’il préfère provoquer d’autres cons en utilisant des mots-clés dans un rapport frontal plutôt qu’essayer de les amener à reconnaître que tout ça n’a pas beaucoup de sens. Ce metteur de pieds dans le plat tend progressivement à ne plus rien faire d’autre que scandaliser les bien-pensants (qui ne sont pas automatiquement dans l'erreur parce bien-pensants) : exercice limité, petit plaisir fugace qui l’entraîne souvent à avancer des propositions ridicules. C’est dommage parce que, tout con qu’il soit, il n’est pas bête… Et j’espère qu’on aura tous compris que Zemmour n’est pas, loin s’en faut, le seul con dans cette affaire.
En somme, il apparaît bien que le mot « race » répond à un désir de classification (j’écarte de ma conclusion les authentiques racistes, dont Zemmour n’est pas, ceux qui pensent qu’il y a une hiérarchie et qu’ils en occupent le haut) mais qu’il ne classifie rien de bien précis, ni de bien utile.