mardi 23 décembre 2014

L'art menacé de l'insulte



Insulter une personne est un art dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Avant que l’Homme n’invente l’agriculture, avant qu’il n’invente l’élevage, la charrue, le feu et le rôti de bœuf, il insultait déjà les connards de la grotte d’en-face, c’est certain. En cette matière comme en tant d’autres, il est probable aussi que les Égyptiens et les Grecs antiques furent des insulteurs de première, et que les Romains les imitèrent sans jamais parvenir à égaler blabla blabla.
A une époque beaucoup plus récente, les Pieds noirs d’Algérie se distinguèrent non par un sens politique remarquable, mais par une inventivité dans l’insulte qu’on n’avait plus connue depuis la fin des guerres de religion. Hélas, nous vivons des temps modernes où l’insulte trop directe, trop efficace, trop imagée, trop poétique subit l’acharnement des puritains, des peine-à-jouir, des ligues de vertu et des avocats. L’arsenal des lois venant chaque jour renforcer le bras de ces censeurs, il est probable que le compliment et le léchage culier deviennent bientôt les seules façons légales d’apprécier l’action de nos contemporains. HELAS !

Devant ce recul civilisationnel, il est urgent de sauver les insultes qui peuvent encore l’être. Puisque nous ne pouvons plus insulter le tout-venant librement, insultons moins mais insultons mieux, insultons plus précisément, insultons qui l’on peut, insultons les faibles, insultons les enfants, insultons même les sourds, mais n’abandonnons pas notre passion d’insulter! Dans cette course à l’efficacité, essayons de définir des insultes qui puissent blesser uniquement les gens à qui on les destine. Posons-nous donc la question : des insultes sans dommages collatéraux, en quelque sorte, sont-elles possibles ?

dimanche 21 décembre 2014

Zemmourophobia


A peine viré de I-télé et menacé par ce qu'il nomme "une fatwa médiatique", c'est chez Beboper, temple de la liberté d'expression, que Eric Zemmour s’adresse à la France.


" Par mes analyses, par mes écrits, par mes livres et les sujets que j’ose aborder, je dérange un lobby très puissant, qui a des relais partout, qui possède des leviers dans toutes les sphères de la société française. Un lobby qu'il n'est pas bon de se mettre à dos...
Mais aujourd’hui, je peux le dire : je suis victime du lobby maghrébin !"

samedi 20 décembre 2014

Censure et sans reproche



Je signale une série épatante de cinq entretiens d’une demi-heure avec l'éditeur Jean-Jacques Pauvert, sur France Culture, datant de 1990. Pauvert y aborde en long et en large les diverses questions que posent les lois et la pratique de la censure littéraire en France, et y livre son incomparable expérience de la chose (8 ans de procès pour la publication de Sade à la fin des années 1940, entre autres). En praticien avisé de la limite, il s’y montre d’ailleurs beaucoup plus cohérent et raisonnable que bien des rebelles de salon, notamment quand il reconnaît (avec ses juges) que certains livres sont effectivement dangereux, pour autant qu’ils soient lus...

Sa thèse est simple : quand on lui reproche de mettre Sade sous les yeux de la jeunesse (ce qui est un abus de langage), et quand on prétend que cette lecture est dangereuse, il reconnaît qu’elle peut effectivement l’être, mais au même titre que les journaux. La délectation avec laquelle on se jette sur les faits divers les plus sordides lui paraît plus grande et plus mimétiquement dangereuse que la lecture d’un truc aussi chiant que Sade ! D’ailleurs, les experts psychiatres sont tous d’accord sur ce point : les névropathes qu’ils soignent ne lisent pas Sade, ni Bataille, et on s’en serait douté. Partant de là, qui est d'accord pour interdire les journaux ?

Jean-Jacques Pauvert était ce qu'il est convenu d'appeler un esprit libre. Il possédait aussi et surtout le courage de traduire dans les faits cette belle liberté. Il a ainsi été l'éditeur de Sade, de Pauline Réage (Histoire d'O), de Henry David Thoreau (La désobéissance civile) ou de Lucien Rebatet (Mémoire d'un fasciste). Dans sa collection Libertés, il a mis à disposition du lecteur toute une littérature engagée et enragée qu'on ne trouve souvent nulle part ailleurs. Littérature de combat de toutes époques et de toutes tendances, disait la notice : Barbey d'Aurevilly y fréquentait Trotsky, D'Holbach y côtoyait Pie IX... L'amateur de pamphlets, d'engueulade et de langue forte, s'il ne veut pas mourir idiot, devra un jour ou l'autre y glisser un œil.

Il se dégage de ces entretiens, qui datent de 25 ans, ne l’oublions pas, une impression de liberté de ton qu’on ne retrouve plus aujourd’hui dans les médias. Jean-Jacques Pauvert dit simplement ce qu’il pense, et l’on ne sent aucune tentation moralisante de la part de son interlocuteur. Il parle ainsi de Robert Faurisson, qu’il a failli éditer, et de ses étranges thèses. Sa position vis-à-vis de lui et de l’école qu’il a inspirée me paraît très équilibrée. On est évidemment bien loin des positions réflexes de nos animateurs télé à brushing…

Nous remarquons aussi que Pauvert n’hésite pas à qualifier d’atroce la littérature pornographique qu’il est amené à éditer lui-même : comme tout penseur un peu sérieux, il ne reproche pas à la censure de censurer des œuvres remarquables, mais simplement de censurer ce que les citoyens sont capables de lire et de juger par eux-mêmes. Eternel débat sur la liberté d’expression, que résumait parfaitement Noam Chomsky : « Si l'on ne croit pas à la liberté d'expression pour les gens qu'on méprise, on n'y croit pas du tout».

Pour la première émission, clique ici mec!
Pour la deuxième, clique ici bordel
Pour la troisième, clique ici on te dit
Pour la quatrième, clique ici ou tire-toi
Pour la cinquième, clique ici sale boulimique !

mardi 9 décembre 2014

Aujourd'hui, l'enfer



A Lyon, il est une vieille tradition qui consiste, le 8 décembre au soir, à poser des lumignons sur le rebord des fenêtres. Les lumignons, ce sont de petits verres dans lesquels on fait se consumer une bougie plate. Chaque famille fait consciencieusement sa petite décoration pour le bonheur des enfants, entre autres. Le principe est simple et commun à tous : en posant ainsi des lumignons blancs ou de couleur, qui ne coûtent presque rien, sur le rebord de chaque fenêtre, chacun participe de façon modeste à une illumination générale de la ville. Son devoir fait, chaque famille sort admirer le résultat dans les rues, gratuitement, et se baguenaude le nez en l’air. Cette tradition lyonnaise, qui infuse une bonne part des villes et villages alentours, remonte à 1852 et est d’essence religieuse (fête de l’Immaculée Conception, fête de la Vierge). Depuis que je suis en âge de comprendre, j’ai toujours entendu parler de cette fête comme de la fête du 8 décembre, ou des illuminations.

Le paragraphe ci-dessus aurait dû être conjugué à l’imparfait. Depuis la fin des années 1980, en effet, la municipalité de Lyon, versant dans un festivisme des plus contemporains, a jugé bon de donner de l’ampleur à cette gentille tradition et en a profité pour la tuer. Comment fait-elle ? Subventions ! Elle fait un appel d’offre public pour trouver des artistes, des éclairagistes, des illuminateurs (appelez ça comme vous pouvez) pour « animer » tout le bordel, et elle en trouve. L’animation populaire des rues n’était sans doute pas assez frénétique aux yeux des édiles. Mieux : depuis quinze ans, les illuminations ont été vampirisées, les Lyonnais se sont fait faucher leur fête, à présent remplacée par la « Fête des Lumières » (visez les majuscules), et qui dure… quatre jours ! Quatre jours d’enfer.

mardi 2 décembre 2014

Révisionnisme orgasmique


Lisant un article dans la presse de masse, il est de plus en plus fréquent qu’on en vienne à se demander « mais qui, qui a écrit ce truc ? ». La plupart du temps, on tombe sur un nom inconnu, qui mériterait de le rester jusqu’à la fin des siècles. On se dit alors qu’on a affaire à un pigiste, ce qui n’est pas nouveau, dont le rédac chef n’a pas relu l’article, ce qui est inouï.

Ce n’est pas l’absence de style qui dérange le plus, ni l’art si particulier de se prendre les pieds dans le tapis de la langue française (la langue française est un tapis, oui, je l’affirme, je le décrète, car c’est mon choix !). Ce n’est pas la minceur de ce qui est dit, le flou du contenu informatif ni l’approximation qui règne en maîtresse. C’est la prétention à écrire absolument n’importe quoi en toute impunité.

Prenons un exemple sur le site du Figaro. Dans la rubrique Culture ( !), un articulet d’une certaine Violaine Morin veut nous apprendre quelque chose sur le soi-disant « mythe de l’orgasme de Meg Ryan », mythe qui, d’après elle, s’effondrerait. Meg Ryan + orgasme : on pense immédiatement au film Quand Harry rencontre Sally, et l’on voit mal a priori pourquoi parler de mythe.

lundi 1 décembre 2014

L'Internationale de francs-tireurs


Écrivain et critique littéraire, Bruno de Cessole vient de sortir L’Internationale des francs-tireurs, excellente série de portraits d’écrivains qui eurent la bonne idée de ne pas suivre bêtement le La de leur époque. Et il y a beaucoup à prendre dans cette internationale-là.

Un aphorisme de Gomez Dàvila, cité dans l’ouvrage, semble avoir été fait pour qualifier le travail de Cessole : « La postérité n’est pas l’ensemble des générations futures, c’est un petit groupe d’hommes de goût, bien élevés, érudits, dans chaque génération ». Homme de goût, bien élevé et érudit, voilà l’homme tel qu’il transparaît dans ses croquis.

De sa proliférante bibliothèque, Cessole extrait une quarantaine de noms disparates mais qui ont en partage un certain parcours de vie. Quel point commun entre Borges, Hemingway, Orwell, Casanova, Hamsun, Nietzsche ou Jack London, sinon une certaine façon de ne pas prendre place dans une école, d’être et de créer en dehors des lignes ? Francs-tireurs au sens de tireur pour eux-mêmes, choisissant leurs cibles au gré de leur fantaisie. Un franc-tireur est, apprend-on, un soldat qui ne fait pas partie de l’armée régulière. On peut dire que l’aréopage ici présenté ne rappelle en rien une armée, et surtout pas une régulière.

vendredi 28 novembre 2014

Bégaudons !

L’historien du futur qui aura l’idée d’étudier les archives des médias pour reconstituer ce qu’aura été la vie quotidienne de gens au XXIème siècle risque une gourance de première catégorie. S’il croit par exemple que les polémiques médiatiques, les offuscations automatiques des barons de la presse et de leurs relais citoyens, ont un quelconque rapport avec la vie réelle des gens, eh bien je ne donne pas cher de l’Histoire qui s’écrira après nous.

Il y a quelques semaines, un certain Willy Sagnol a eu la mauvaise idée de parler des joueurs africains et des joueurs qu’il appelle « nordiques » (comprendre : blancs). Or, il est impossible de faire voisiner ces deux thèmes non pas dans une même phrase, mais dans une même interview, sans déclencher l'hystérie. Partout ailleurs dans la société, vous pouvez discuter des mérites respectifs de vos joueurs préférés, vous pouvez critiquer celui-ci, encenser celui-là, dire qu’un troisième est une glinche finie et qu’un quatrième est visiblement con comme un manche. Mais dans les médias, pas question. Ce qu’on a reproché au gars Sagnol est cousu de fil blanc : racisme. Qu’avait-il donc dit ? Que les joueurs africains « typiques » étaient choisis pour leur puissance physique et le faible coût qu’ils représentent. Bon, le mec est entraîneur, il doit connaître son marché, c’est sans doute vrai. Cependant, il a ajouté une chose impossible : « Mais le foot, ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline ». Horreur ! Immédiatement lui sont tombés dessus tous les vigiles patentés de la morale et de la bonne marche du monde. En disant cela, Sagnol sous-entendrait que technique, intelligence et discipline ne sont pas les qualités habituelles du joueur « typique » africain. Ceci est un épouvantable scandale.


dimanche 2 novembre 2014

L'atonalisme contre les heures sombres


Lecteur, je te conseille furieusement de prendre cinquante-neuf minutes de ton temps pour regarder la vidéo ci-dessous. C'est un document exceptionnel. Il traite de la musique atonale, autrement appelée musique moderne, autrement appelée musique contemporaine. Il en traite d'une façon à la fois savante et simple, démonstrative et drôle, ce qui est extrêmement rare, et en fait tout l'intérêt.

En avril 2013, Jérôme Ducros donne une conférence au Collège de France : l'atonalisme. Et après ? Il y développe une analyse et une critique de la musique atonale en utilisant les ressources de sa propre expérience, celles du corpus atonal, et une belle dose d''ironie. Il y démontre de façon claire et implacable que l'atonalisme est une impasse. Son idée est tout entière contenue dans le titre de sa conférence : constatant les limites de l'expérience atonale (et ne jetant certainement pas celle-ci aux orties), il prédit le "retour" prochain de la musique tonale.

Comme tu t’en doutes, lecteur, Jérôme Ducros est, depuis lors, régulièrement traité de nazi. On l’a comparé aux pires monstres du siècle passé et, si personne n’a osé évoquer Dracula, c’est probablement parce que nous ne connaissons pas précisément les goûts du Comte pour la musique. Comme chaque fois avec les avant-gardes, nous sommes obligés de constater que la critique est non seulement impossible mais aussi interdite. Interdite sous peine de se voir traîner dans la boue, de se voir attaqué bassement par les défenseurs auto-proclamés de la liberté. Interdite surtout parce qu'elle suppose le risque d’une mise à l’écart de la vie professionnelle et sociale : qui voudrait continuer de fréquenter un nazi ? Qui lui donnerait du travail ? La seule critique autorisée est donc celle qu’on pratique entre soi, la critique de surface qui ne remet jamais réellement les choses en cause.
Curieux renversement des valeurs : l’art contemporain est né de la volonté de faire table rase du passé, il s’est développé au nom du droit à la déconstruction des valeurs anciennes, il a pris la liberté comme valeur fondamentale mais, sitôt qu’un insolent à la moindre velléité d’appliquer ce programme à l’art contemporain lui-même, il est réduit au rang des nazis. Si on critique vraiment l’art contemporain, non pas comme un beauf qui ne comprend rien mais grâce aux secours de la grande culture, à la manière d’un Jean Clair par exemple, c’est qu’on est nazi. A croire que pour les idolâtres de l’art contemporain, les nazis ont le monopole de la critique !

A part sa vanité absolue, ce qui étonne le plus, dans ce genre d’accusation, c’est le gouffre qui la sépare de la réalité constatable. On peut reprendre les arguments de Jérôme Ducros un à un, on ne trouvera rien qui puisse l’apparenter à ce que les nazis pensaient de l’art moderne. Nulle part il n’est dit quoi que ce soit qui puisse faire penser que Ducros souhaiterait qu’un sort horrible soit fait aux musiciens de l’atonalisme, nulle référence à des déportations, à des procès de lèse bon goût, à la fameuse « dégénérescence » de l’art, nulle proposition d’un art nouveau et formidable censé relever le moral du peuple, rien. Il reconnaît ses mérites à l’atonalisme mais, à l’inverse de ses bigots, il en démontre les limites. C’est un genre de crime, définir la limite, qu’un moderne conséquent ne saurait pardonner.


mardi 21 octobre 2014

Le son du jour qui te rend moins populaire auprès de tes amis

En avril 1981, Frank Zappa enregistre un hommage à Edgard Varèse au Palladium, salle rock new-yorkaise, avec l’Orchestra of our Time de Joël Thome. Il y donne cinq pièces, écrites entre 1921 et 1954. Cet enregistrement a été récemment, et par hasard, retrouvé dans les archives de la radio publique de New York (New York public radio).


Comme on le sait, Zappa a toujours été fasciné par Varèse, et sa musique lui doit énormément. Il raconte encore dans cet enregistrement qu’à l’âge de 15 ans, il a appelé Edgar Varèse (qui habitait alors New York) pour lui dire toute son admiration (il avait droit à un cadeau de cinq dollars pour son anniversaire et, plutôt que demander à sa mère de lui acheter une merdouille à ce tarif, il lui demanda un appel longue distance). Ce 17 avril 1981, il jouait la musique de Varese devant sa veuve, Louise, alors nonagénaire.

Le public du Palladium est un public rock. Il vient écouter Frank Zappa et entend bien sacrifier au bordel ambiant qu’il a toujours favorisé dans ses concerts. Sauf que pour écouter du Varèse, et surtout pour le jouer, un minimum de calme est requis… Les interventions de Zappa en début de concert et entre les morceaux sont savoureuses à cet égard.

En avant pour une heure et demie de musique qui, comme le dit Zappa lui-même, est « not bigger than the Beatles, but better » (excuse-moi Fouquet !)
1- Ionisation, pour percussions
2- Density 21.5, pour flûte solo
3- Intégrales, pour petit orchestre
4- Offrandes, pour soprano et orchestre de chambre
5- Déserts, pour instruments à vent, percussions et bande électronique

Pour écouter, CLIQUE ICI !

dimanche 19 octobre 2014

Le plug anal mis à mal par ses dénégateurs mêmes



Il faut reconnaître un mérite aux cyniques : ils disent clairement ce qu’ils font. Ils ne trafiquent pas leurs coups en douce, ils plastronnent. Un peu comme les terroristes qui revendiquent leurs actes, ils n’hésitent pas à dire : cette merde que vous découvrez posée sur votre paillasson, eh bien, c’est la mienne !

Paul Mc Carthy est un cynique. Pour un artiste contemporain, le qualificatif est banal. Toute son œuvre est placée sous le signe de la défécation, de la sodomie, de la laideur formelle et de la mise en scène de l’ignoble. Il est comme ça Paulo, il colle à son époque. Il en adopte en général le cynisme ordinaire et ne fait pas mystère de son inspiration. Il y a une dizaine d’années, par exemple, il créa une œuvre excessivement familiale pour la ville de Rotterdam : un père Noël (Santa Claus) de six mètres de haut, exhibant – surprise, un plug anal ! On se demande pourquoi le personnage gentil qui apporte des jouets aux enfants suffisamment innocents pour croire en lui se promènerait avec un tel objet, mais enfin, s’il fallait chercher une raison à tous les fantasmes de nos artistes majeurs, on n’en sortirait pas. A l’époque, lecteur abasourdi, l’œuvre s’appelait tout simplement Santa Claus with a butt plug. Au moins les choses étaient-elles claires.

mardi 22 juillet 2014

Le dernier mot


Il se fait que je ne possède pas de smartphone, et que, par conséquent, le monde des applications Internet m’est tout à fait étranger. Je navigue sur le Net à l’ancienne, en tapant mes recherches à la main (qui eût cru qu’on puisse si rapidement utiliser l’expression « à l’ancienne » dans un domaine aussi neuf ?). J’apprends qu’il existe une application pour envoyer (et recevoir) un mot. Un seul et unique mot. Et encore, quand je dis un mot, je m’avance : il s’agit de « YO », c'est-à-dire tout de même moins qu’un mot. Un truc qui se fait passer pour un mot. Un myo, à la rigueur, pas plus.

Moi, je croyais qu’on pouvait envoyer toutes sortes de mots avec un outil aussi bête que le SMS, mais j’ai dû rater un épisode. En tous cas, quand je veux envoyer un mot (ou plusieurs) à ma femme, comme par exemple « je n’en peux plus, je te quitte », j’utilise le SMS. Si je n’avais droit qu’à un seul mot dans la phrase précédente, je serais fort embêté : lequel choisir ? Quitte ? Je ? Peux ?

lundi 21 juillet 2014

Les gens qu'on déteste : les copromanes



Nous ne manquons pas de raisons de détester nos semblables, oh non. Nous manquons parfois de temps, nous manquons d’énergie ou d’opiniâtreté, mais de raisons, point. Parmi des innombrables raisons, beaucoup tiennent à ce que nos semblables font, d’autres à ce qu’ils sont, et d’autres encore résument ces deux catégories : ce qu’ils disent.
On néglige souvent un fait considérable : un con est souvent un con qui s’exprime. L’être humain est ainsi, il a de la gueule. Il dégoise, il ne peut s’en empêcher. Il gagnerait sans doute à la fermer, il passerait – qui sait ? pour un sage, un type fréquentable, au moins pour un inoffensif. Mais non, il blablate et, le faisant, donne sa mesure. Car le propre du connard est de parler avec les mots, les expressions des autres. Inutile d’attendre de lui la moindre originalité sur ce point, la moindre marque infime de personnalité. Et, entre tous les mots et toutes les expressions existants, c’est vers les plus débiles que porte toujours son choix.

Que penser en effet d’un homme qui utilise l’expression « caca nerveux » et qui, entre toutes les façons d’exprimer une idée, choisit la plus absurde, la plus vulgaire, la moins réaliste, la plus rebattue, la plus conne ? Car elle est conne, cette expression infâme, et je vais le démontrer.

mardi 15 juillet 2014

Rendez-nous Thierry Roland


Il est courant de se moquer des journalistes sportifs. Tout nous y pousse, il faut le reconnaître. Leur vulgarité décomplexée semble n'avoir plus de limite. De leur discours, ils ont progressivement supprimé toutes les formes, qui n'étaient déjà pas formidables, et s'expriment désormais sans plus aucune retenue, se tutoyant à qui mieux mieux, ne faisant plus mystère de leur connivence avec les gens qu'ils sont pourtant censés interroger. Partant de ce débridé des formes, il était prévisible que le reste suive la même pente. Ils font donc assaut de "naturel" dans ce qu'ils se permettent de dire à l'antenne comme dans les piteuses lignes qu'ils produisent, qu'on peut qualifier de "nature" au sens où l'on emploie ce mot pour désigner une pratique estivale consistant à s’exhiber publiquement sans mettre de slip.
Quant à l'appellation de "journalistes", elle est fortement douteuse de la part d'une caste qui lie des liens de consanguinité avec les sportifs eux-mêmes, avec tous les acteurs du monde sportif, tant et si bien que la plupart des "affaires" touchant ce milieu ne sortent jamais sous la plume d'un de ces spécialistes patentés...
Et pourtant, les journalistes sportifs sont des modèles.

samedi 12 juillet 2014

Le son du jour qui lui brise son coeur de garce


Après la vidéo de Bill Withers, la semaine dernière, on m'a demandé si j'avais une music list soul sous le coude, pour diffuser. Ce n'est pas vraiment le cas. En matière de musique comme en général, rien ne vaut les découvertes qu'on fait par soi-même, au gré des conseils et des hasards. Ceci dit, puisque j'évoquais 1972 comme une année remarquable, restons-y.

1972, Stevie Wonder a déjà dix ans de carrière derrière lui, bien qu'il ne soit âgé que de 22 ans. Il sort l'album Music of my mind, très grand cru. Il y joue tous les instruments (sauf une partie de trombone et, ici, la guitare solo) et donne la mesure de ce qui va devenir sa période classique, sa décennie miraculeuse. Il se place au sommet de la soul et définit pour quarante ans sa grammaire. Nos chanteuses actuelles de néo soul n'arrivent toujours pas à sortir du phrasé du maître, comme si plus rien n'était possible après lui. Elles ne manquent pas de voix, ces petites, mais elles manquent totalement d'intérêt. On ne fait pas de la soul après Stevie Wonder, c'est tout. Et puis, on ne peut pas chanter cette musique si le moindre soupçon d'y avoir un intérêt commercial subsiste. La soul, c'est sincère, c'est religieux, ou ça n'est rien du tout.

Superwoman (Where Were You When I Needed You) est une chanson en deux parties, deux parties bien distinctes, comme son titre à rallonge l'indique. Autant le dire tout de suite, la première partie ne me semble pas exceptionnelle. C'est une chanson comme Stevie Wonder et d'autres soul men en ont fait beaucoup. Mais à partir de 3.05, la deuxième partie nous entraîne dans un des plus beaux morceaux soul jamais réalisés, tout simplement. Où étais-tu quand j'avais besoin de toi l'hiver dernier, chante Stevie Wonder, il ne dit presque rien d'autre que ça, et pourtant le morceau prend une ampleur épique, chaud et vivant comme le feu d'un amour bafoué. La mélodie atteint immédiatement son but : le cœur. Et l’orchestration fait le reste avec une sorte d’évidence insensée. C’est le propre des grandes chansons d’amour : elles font passer la perfection pour de la simplicité. Elles nous consolent des sommets, qu’elles déposent là, entre nos mains.




dimanche 6 juillet 2014

Le djihad électrique


Vendredi matin, je suis allé acheter des ampoules électriques. Sans compter le déplacement vers le magasin et le retour chez moi, cela m’a pris une bonne vingtaine de minutes. La rayon des ampoules était si fourni, les modèles étaient si nombreux, les sigles et pictogrammes si complexes, que je restai longtemps stupide devant l’abondance. Plus les minutes passaient, plus le choix à faire devenait compliqué. Me ressaisissant, je demandai l’assistance d’une vendeuse. Celle-ci m’expliqua le topo et répondit de bonne grâce à mes questions. Une vieille dame tenta de s’immiscer dans la conversation. « Des ampoules gros culot de 70 watts, vous avez ? » Aussi sec, je lui fis remarquer que j’étais en train de poser mes propres questions, et qu’il allait lui falloir patienter. Elle s’éloigna, continuant d’engueuler son mari, incapable de trouver l’aiguille de 70 watts dans cette meule de foin (je le comprends).

Les explications de la vendeuse finies, je demandai s’il y avait moyen d’avoir des ampoules normales. Normales ? fit-elle, toutes ces ampoules sont normales ! Des ampoules comme avant, répondis-je, à incandescence (j’ai beau me désintéresser un peu du grave sujet des ampoules, je connais quand même le principe des ampoules à incandescence, n’allez pas imaginer que je sois débile). Elle m’apprit que les ampoules « normales » vivaient leurs derniers instants, qu’elles cesseraient leur existence en 2016, réglementation européenne (ou pire) oblige. Vous en avez donc ? risquai-je. Non, elle n’en avait pas. Un magasin qui devance ainsi la loi, c'est sûrement pour notre bien...

Après vingt minutes, et après avoir eu besoin qu’une gonzesse m’explique l’art et la manière d’acheter des ampoules électriques, je remontai dans ma limousine, mes achats en main. J’étais soulagé d’avoir eu le courage d’acheter mes ampoules ce matin (c’est une des choses que je déteste le plus faire – après acheter des fringues), mais j'étais gêné, sans trop savoir pourquoi. J’ai compris plus tard.

Je suis maintenant devant mon ticket. Mes cinq ampoules m’ont coûté 39,07 euros. Tout en bas du ticket, un ligne discrète m’indique ce prix en francs : 259 francs (aux plus jeunes générations et aux collabos ayant oublié jusqu’à la valeur des francs, je précise que 259 francs représente une somme énorme). Je suis là, frappé d’hébétude, incapable de comprendre comment on a pu en arriver là. Que s'est-il passé, comment m’a-t-on habitué à me faire enculer de la sorte sans réagir ? Par quelle fatalité l’homme que j’étais s’est-il transformé en connard payant cinq ampoules 259 francs sans même penser à sortir un flingue et buter à tout va ? Comment est-il possible qu’un peuple qui, il y a deux siècles encore, coupait la tête des rois, accepte de payer 259 francs ce qui, quinze ans pus tôt, coûtait 12 francs ?


Mes ampoules sont installées, elles ne me donnent pas de la lumière, elles me la font chèrement payer. Quand l’une d’entre elles claquera, le souvenir de cette humiliation fera peut-être naître en moi une rage meurtrière incontrôlable. Peut-être deviendrai-je à mon tour, rendu fou par le sort qu’on nous fait, un candidat au djihad, le seul djihad authentique, le vrai : le djihad électrique ?

Le son du jour qui te donne envie d'être utile


Il y a deux jours, Bill Withers a fêté son soixante-seizième anniversaire. En pleine forme. Avoir du génie, ça permet aussi de bien vieillir, c'est comme ça.

Dans le petit nombre des grands artistes existe une race à part : ceux qui font des standards. Bill Withers en est. Créer une musique qui flatte tellement le cœur que les autres artistes s'empressent de la jouer, c'est ça, créer un standard. Ça n’est pas forcément une « bonne chanson », c’est autre chose. C’est un genre de truc qui semble avoir toujours existé, et qu’un type soudain redécouvre. Et comme il a toujours existé, on le connaît par cœur sans avoir vraiment besoin de l’apprendre. C’est une musique qu’on reconnaît.

On a beau dire, 1972 fut une bonne année. Entre Ziggy Stardust (Bowie), Can’t buy a thrill (Steely Dan), Harvest (Neil Young), le premier Inspecteur Harry, le Parrain, l’Argent de la vieille (Comencini), Pain et chocolat (Brusati) et Orange mécanique, les gens de l’époque auraient eu du culot de se plaindre. Ce fut aussi l’année de Use me, magnifique chant d’amour soul, morceau reconnaissable entre cent.



dimanche 22 juin 2014

Le son du jour qui redonnerait une âme à la France hollandienne

Attention, voici l'un des plus beaux morceaux de soul music jamais enregistrés. Ouais. Donny Hathaway, 1972, album Live au dessus du lot, osmose avec le public parfaitement rendue, plages longues et chargées d'électricité humaine, african style. Musique de transe, répétitive, lancinante et inspirée, ça s'écoute à fond en relâchant le nœud de cravate. ça s'installe, ça tourne, ça se promène, ça monte légèrement, puis ça digresse autour d'un rythme, ça se fait de plus en plus vivant jusqu'au point culminant (9.50 environ), une joie parfaite en pleine communion avec les petits veinards présents ce jour-là. Une perfection soul. 
Il n'est pas possible de se dire gentleman sans avoir le Live d'Hathaway dans sa discothèque et dans son cœur. Album indispensable et d'une intense homogénéité. Sa reprise de You've got a friend est à faire pâlir Carole King, et celle de Jealous guy rendrait Lennon jaloux...

Donny Hathaway fut un météore dépressif qui ne survécut pas à la décennie 70. Il se suicida en janvier 1979, à 33 ans. Il a travaillé avec de nombreux artistes,  de Curtis Mayfield à Roberta Flack, en tant qu’auteur, compositeur ou arrangeur. En dépit de sa brève carrière et du statut écrasant d’un Stevie Wonder, il demeure un des plus importants musiciens soul, une voix qui n’a pas vraiment eu le temps de se faire entendre, mais qu’on ne peut oublier. 
Qu'on en  juge right now !...

 

samedi 14 juin 2014

Enfin sortir de la jungle



Tout le monde ne sait pas ce qu’est un straggler, mais tout le monde en a entendu parler. Les stragglers (traînards) sont ces soldats japonais qui ont continué la guerre bien après la capitulation du Japon. Ils étaient tellement isolés (sur des putains d’îles, dans des putains de jungles) que l’information ne leur était jamais parvenue. Ou, peut-être, étaient-ils tellement va-t-en-guerre qu’ils ont préféré continuer la baston, même sans adversaire… Toujours est-il que le dernier straggler a rendu les armes en 1974, trente ans après la fin de la guerre. Preuve éclatante que pour se battre, on n’a besoin ni d’ennemi, ni de danger. Du reste, des pourfendeurs d’ennemis disparus, imaginaires, ou crevés depuis des lustres, nous en connaissons beaucoup d’autres.

Il est des gens qui croient qu’il faut se battre pour contrer l’influence de l’Eglise. Il est des gens qui redoutent un putsch militaire à Paris. Il en est qui militent contre la peine de mort. Il en est qui défendent le droit des femmes à se promener sans sac à main. D’autres qui pensent devoir lutter pour garantir le droit des écoliers de ne pas porter la blouse. D’autres encore qui refusent tout net de chanter la Marseillaise ! D’autres qui pensent que parler grossièrement, écouter du rock ou tordre la bouche en regardant l’objectif sont des actes subversifs. D’autres encore, plus radicaux, qui luttent contre les nazis. On se demande où les gens vont chercher tout ça. On se demande surtout où ils étaient, dans quelle partie isolée du monde ils ont vécu ces cinquante dernière années. En tout cas, ils conservent intacte leur capacité à se battre, même après la disparition du dernier des moulins à vent. Les stragglers sont partout.

samedi 7 juin 2014

Le retour de la grosse chatte poilue


Vous voulez passer pour un immense connard ? Dites du mal de Gustave Courbet. Dites que vous n’aimez pas son œuvre, ou que vous vous chiez sur sa mémoire, ou que vous dites merde au réalisme en peinture. Pire encore : dites que « l’Origine du monde » n’est qu’une blague de potache poussée à son point de perfection. Alors là, si vous soutenez ça dans certains cercles éclairés, vous êtes sûr de recevoir pour votre anniversaire le T.shirt « je suis un sale nazi ».

L’Origine du monde est une œuvre totalement merdique, et ceci depuis 1866. La différence d’avec 1866, c’est que notre époque a tellement saturé l’espace public de chattes, que plus personne aujourd’hui ne peut être « interpellé » par la foufoune originelle. Ni interpellé, ni choqué, ni même excité. Aujourd’hui, Gustave, on a des chattes sur les paquets de lessive, ou presque ! Les chanteuses pour adolescentes nous la foutent sous le nez en rigolant ! Évidemment, on ne peut pas reprocher à Courbet de n’avoir pas deviné que 2014 exposerait l’entrecuisse de ces dames jusque sur les abribus. Le Gustave, il a fait une œuvre de commande carrément olé-olé, il est allé à l’essentiel pour un commanditaire désireux d’étoffer sa collection d’érotiques.

dimanche 25 mai 2014

Les gens qu'on déteste : les pastabriseurs


Le monde obéit à des règles. De grandes lois nous régissent, que nous ignorons parfois, mais qui n’organisent pas moins nos vies. L’homme se présente volontiers comme la créature qui s’affranchit de ces lois, alors qu’il ne peut que composer avec. Que risque-t-il, sinon ? La mort, la ruine ou, pire encore, le ridicule.

Nous ne manquons pas de raisons de détester nos semblables. L’une d’entre elles, parmi les plus éminentes, est leur tendance à ne pas respecter les grandes lois universelles. Et entre ces grandes lois, la plus couramment bafouée est peut-être celle qui prescrit que les choses sont faites pour un usage précis. La méconnaissance de cet usage, quand ce n’est pas son mépris affiché, est le propre du benêt, du plouc et du barbare (c’est parfois une seule et même personne). Prenons un exemple : les spaghettis.

jeudi 22 mai 2014

Les heures sombres de Tarascon


*

Alors que le Président Hollande et ses ministres démontrent leur incapacité à inverser la moindre courbe, le cinéma français d'avant-guerre inversait déjà le salut nazi. Raimu, célèbre nazi méconnu et comédien emblématique de notre âge d'or, n'avait pas son pareil pour rappeler les heures les plus sombres de notre histoire. Mais pas comme le premier nazillon venu : il rappelait ces heures sombres dix ans avant qu'elles ne survinssent!

Cette photo tirée de Tartarin de Tarascon, film de Raymond Bernard (fils de Tristan) de 1934, parle d'elle-même. Elle devrait permettre à certains de démontrer que de tout temps, le Français fut fécond de surgir... le Français surgit du ventre immon... le Français d'où a surgi le ventre est... la bête féconde l'immonde Français du ventre est surgi, oui, c'est cela même !


samedi 17 mai 2014

Musique légère et grâce mélodique


Petite chanson bien agréable du canadien Marc Jordan, tirée de l’album Mannequin (1978), mine de choses intéressantes dans le style jazz folk funky propre à la fin des 70’s.
Pour cet album, Marc Jordan était accompagné d’une flopée de musiciens épatants, Jeff Porcaro (batterie), Chuck Rainey (basse), Donald Fagen (claviers), Larry Carlton et Steve Lukather (guitare), Tom Scott (saxo), ce qui est bien. Album produit par Gary Katz, ce qui est encore mieux.



vendredi 16 mai 2014

Réponse des sangs impurs



Je suis comme beaucoup de gens, j’aime Lambert Wilson. Il est ce qu’on est convenu d’appeler un grand acteur, c'est-à-dire que son registre est très large, son style bien identifié, et sa carrière remarquable. A un très bon niveau il est capable de danser, de chanter, d’être drôle ou tragique, sérieux ou léger. Il est l’héritier d’une certaine école et d’un certain style de comédiens très français, dont le charme personnel renforce encore le métier, pourtant solide. Tout ceci ne l’empêche nullement de dire d’énormes conneries.

Il vient de donner son avis sur la Marseillaise, vous savez, le chant qui servait d’hymne national quand ce pays était encore une nation. Comme la Taubira déclenche de justes reproches suite à son refus de chanter la Marseillaise (que même des citoyens aussi peu concernés que les footballeurs entonnent désormais), chacun en profite pour donner son avis sur un sujet qui s’en passerait très bien. Et selon Lambert, la Marseillaise est un chant « raciste et xénophobe ». Il précise que sa musique en est « fantastique », mais que ses paroles sont « d’un autre temps », et qu’on devrait bien sûr en changer.

Le nom maudit de nos pères



Quand ils ne peuvent plus faire l’Histoire, certains peuples font des histoires. C’est le cas des Français. En ce moment, les Français font des histoires avec la commémoration de l’esclavage. Autant l’esclavage ne pose plus de problème (au sens où il n’a plus aucun partisan affirmé de par le monde, sauf dans certains pays d'islam...), autant la question de sa commémoration ne va pas de soi. D’abord, que commémore-t-on ? L’abolition de l’esclavage, ou l’esclavage lui-même ? Se souvient-on de la loi d’abolition ou, par des cérémonies, veut-on qu’on n’oublie pas que l’esclavage a existé ? Les deux. Les autorités veulent qu’on célèbre les deux, et là est le problème. Si l’on fêtait le décret de Victor Schoelcher comme une avancée humaniste remarquable, pourquoi pas ? Un peu comme le 4 août et l’abolition des privilèges. Mais célébrer l’esclavage pour qu’on n’oublie pas qu’il a existé, c’est rendre la souffrance des esclaves totalement exorbitante par rapport à toutes les autres, et on se demande bien au nom de quoi. Pourquoi commémorer l’esclavage et pas les déportations, les villes passées au fil de l’épée, les pestes, les gibets, les conquêtes sanglantes, les populations décimées ? Pourquoi le Commerce triangulaire et pas Holodomor ? C’est de là que viennent, à mon avis, toutes les réticences ; c’est le péché originel de cette initiative boiteuse.

dimanche 11 mai 2014

Piquons Giscard



Il est parfaitement inutile de dire du mal de Valery Giscard d’Estaing. Aux yeux des amnésiques, sa position d’ancien Président de la République lui confère la qualité de vieux sage, alors que son bilan personnel le range, aux yeux des autres, dans la catégorie des vieux cons. Valery Giscard d’Estaing, c’est une certaine idée de la médiocrité à la française. L’homme sait parler de tout mais ne comprend rien. Il brille dans le vide absolu. De l’avis de ceux qui l’ont fréquenté, on ne saurait trop le sous-estimer. Je mets d’ailleurs publiquement au défi le genre humain : qu’on me cite une chose excellente faite ou dite par ce crâne d’œuf, et je verse un an de salaire à la ligue mondiale pour le tatouage / piercing.

La dernière connerie de Giscard est révélatrice de cette médiocrité intellectuelle dont il est le parangon : il estime qu’en temps de crise, compte tenu de l’état merdique du pays, le 8 mai dernier, il aurait fallu travailler. Selon lui, pour redresser la France, cette vieille peau, ce jour ne devrait plus être chômé. Il n’y va pas assez franchement : il n’y a qu’un 8 mai par an, tandis que des dimanches, nous en avons plus de cinquante ! Si on veut redresser le pays, supprimons les dimanches chômés ! D’ailleurs, c’est ce que ses soi-disant adversaires socialistes sont en train de faire, en commençant par autoriser l’ouverture dominicale des camps d’achats de bricolage. Et en attendant pire… Le lundi de Pâques, quand on y pense, de combien de millions d’heures de taf il nous prive, l’ignoble ?

samedi 10 mai 2014

Les gens qu'on déteste : les méprononceurs



En inaugurant une rubrique intitulée « les gens qu’on déteste », j’ai conscience d’entreprendre une tâche immense. Je mesure le travail à accomplir, les responsabilités en jeu, le poids de la démographie mondiale et la disproportion des forces en présence. D’un côté, moi ; de l’autre, au bas mot, le reste du genre humain. Pas tout le genre humain, non, restons raisonnable, seulement les connards, les abrutis, les moules à gaufres, les têtes de con, les pénibles, les boursouflés, les pédantiques, les tarlettes, les nuisibs, les enflards, les mochetés, les sournois, les troncheux, les hyènes lubriques, les fils de poux, les piercés du nœud, les gobeuses, les qui-ne-comprennent-pas-qu’on-puisse-ne-pas-être-d’accord, les avaleurs de travers, les bourriques velléitaires, les répéteurs de refrain, les protesteurs de bonne foi, les éthiques sous décodeur, les fanatiques tolérants, les enjambeurs de vieilles femmes, les montreurs de plaies, les importateurs de djembés, les poignardeurs dans le dos, les señoritos à mutuelle, les briseuses de tabous et de mes couilles, les loucheurs en biais, les bâtisseurs de barbecue, les porteurs de keffiehs, les dénonceurs d’ordures, les bétonneurs joufflus, les sportifs, les trouveurs de marchés porteurs, les joueurs d’euromiyon, les faisans, les brebis du transhumanisme, les flatteurs de connes, les militants pour ton bien, les sots, les fats, les pimbêches cultivées, les positiveurs, les shampooineurs concernés, les emmerdeurs transgenres, les buveurs d’eau gazeuse, les astiqueurs de joncs, les élégants du survêt’ blanc, les incontinents du selfie, les lustreurs de concepts, les téléphages, les donneurs d’organe, les hystériques, les bigleux à Google glass, les ravis du lotissement, les fouteurs d’ambiance, les branlocheuses d’Iphone, les touristes hyperactifs, les filles trop grandes avec des pieds énormes, les tatoués sur le cou, les syntaxo-déficients, les optimistes, les-qui-emploient-sans-arrêt-le-mot-partage, les twitter-teufeurs, les afficheurs de conviction et les malpolis.

samedi 5 avril 2014

Le baratin


Le métier politique n’est certes pas facile. Il faut faire face à de réelles difficultés, aux contraintes héritées, à l’opposition de toute sorte de gens, à l’incompréhension, à ses propres limites. Il faut faire face au mensonge qu’on est forcé de pratiquer, quoi qu’on dise. Il faut lutter contre les manœuvres des adversaires et les ambitions de ses amis. Toutes ces choses sont connues, et vieilles comme l’Histoire. Dans la démocratie moderne, en plus de tout cela, gouverner s’assortit aussi de la nécessité de baratiner.

« Gouvernement de combat ». L’expression est lâchée, elle restera. François Hollande invente lui-même les instruments de son dénigrement. Le Flan tend le flanc pour se faire battre. Il fait le boulot à la place des Guignols de l’info. C’est la mascotte des chansonniers. Avec lui, plus besoin de se creuser les méninges pour trouver une vanne, un bon mot : il galèje à la place des pitres. Gouvernement de combat… pourquoi pas Tortues ninja du redressement ? Pourquoi pas Légionnaires du plein emploi ? Pourquoi pas Poilus du renouveau et de la balance commerciale ? Pourquoi pas Conquistadors du vivre-ensemble ?

lundi 31 mars 2014

Le vide fait verbe



Dans l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide, la seule question qu’on ne pose jamais est celle de l’intensité de la soif. C’est pourtant cette seule question qui donne sa valeur à l’appréciation du verre. En effet, qu’ai-je à foutre qu’un verre soit « à moitié vide » si je n’ai pas soif ? Il peut aussi bien être à moitié plein, aux trois quarts plein, ou plein totalement, je m’en passe. En revanche, si je crève de soif, à moitié vide ou à moitié plein, ce verre sera insuffisant. Que l’on soit plutôt optimiste ou plutôt pessimiste n’a jamais eu le moindre effet sur le taux de remplissage d’un verre.
L’appréciation de l’individu et le mot qu’il colle à ce qu’il voit (plein ou vide) n’ont donc aucun rapport avec la quantité d’eau contenue dans le verre, ni avec l’utilité immédiate de celle-ci pour l’individu.
En somme, la seule chose qu’on oublie ici, c’est le réel.

lundi 10 mars 2014

Les dents de Michel Houellebecq


Lors de la publication de son dernier livre, Michel Houellebecq a fait un passage dans les médias bien plus court qu’à son habitude. Passage médiatique assez peu remarqué puisque le livre en question est un recueil de poésies, et que la poésie n’intéresse plus personne en France. Si Victor Hugo publiait la Légende des siècles aujourd’hui, il devrait le faire sur un blog gratuit.
Personne ne semble avoir remarqué que Houellebecq est édenté. Sur les plateaux de télévision, temples du propre, du clinquant, symboles du paraître, il est venu parler poésie sans même mettre un dentier. Or, il est peut se payer un dentier. Il a donc fait ce geste sciemment : venir mettre un peu de réel au milieu des quadras liftés, des ratiches blanchies au laser, des tartineurs d'antirides compulsifs. Depuis la mort de Paul Léautaud, on ne pensait plus revoir un écrivain sans ses dents, non pas que ces outils soient tout-à-fait indispensables à son art, ni même à sa carrière dans le monde des lettres, mais tout simplement parce que personne, à part les clochards, ne se promène plus ainsi. Houellebecq l’a fait.

vendredi 7 février 2014

Axe franco-nippon

Nous venons d'apprendre qu'un musicien japonais (Mamoru Samuragochi) connu pour être une sorte de phénomène à la Beethoven, compositeur précoce et génial et sourd (!) n'était en fait qu'un imposteur : le saligaud faisait bosser un nègre pour la musique, et il n'était pas plus sourd que vous et moi ! Pendant des années, il a réussi à duper le peuple japonais et à lui vendre sa musique.

Ce n'est pas pour dénigrer les Japonais en général et leurs imposteurs en particulier, mais en matière d'escroquerie, la France peut légitimement revendiquer la palme.

jeudi 23 janvier 2014

Les gens qu'on aime : Leadbelly




Si la longévité humaine était vraiment remarquable, Leadbelly fêterait aujourd'hui ses 129 ans, peinard. Il était né un 23 janvier, en 1885, en Louisiane. C'était un chanteur de blues, comme de bien entendu.

En plus d'avoir composé un bon nombre de morceaux qui illumineront les années 1960/ 1970, repris et réinterprétés par d'autres bien après sa mort, Leadbelly est le père du superbe Black Betty, repris et rendu fameux en 1970 par les Ram Jam, qui lui donnèrent un son et une énergie très rock. Leadbelly, lui, jouait sur une guitare à 12 cordes ou, comme sur Black Betty, chantait a capella en battant juste une pulsation. D'ailleurs, en écoutant cette chanson, essayez donc de battre la mesure comme lui...

vendredi 17 janvier 2014

Pierre Bergé, le thaïlandais




En ce moment, et depuis plusieurs semaines, la Thaïlande connaît de très grosses manifestations anti-gouvernementales. Lassée de la corruption et de l’impunité de ses élites, le peuple est dans la rue et fait ce qu’il peut faire : il gueule. Hier, au beau milieu d’une manifestation de plusieurs milliers de personnes, une bombe a explosé.
Une bombe au beau milieu d’un cortège de manifestants, quel meilleur hommage la Thaïlande pouvait-elle rendre à Pierre Bergé, humaniste, homme de gauche et précurseur français, qui a su montrer la voie à ce courageux pays pour le traitement des opposants et autres vermines ?


En ces temps de morosité et de perte de confiance, n’ayons pas peur de revendiquer l’excellence française et ses réalisations hors de nos frontières. Au-delà d’Airbus, de la fusée Ariane et des eaux minérales, la France exporte aussi un certain sens du pragmatisme humaniste.

Pierre Bergé, un modèle pour le Sud.

lundi 13 janvier 2014

Question récurrente


Les Français et l'ensemble des peuples du monde se réjouissent qu'une réponse claire soit enfin donnée à une question qui demeurait jusqu'ici suspendue à l'apparition d'un homme politique responsable et volontaire, ayant su mettre la puissance publique au service du droit, de la liberté et de sa carrière la justice.




vendredi 10 janvier 2014

Orientation haussière sur le marché du cul




Je me souviens de cette vieille blague de deux mecs qui se rencontrent dans un bar. Ils se mettent à discuter de choses et d’autres et à un moment, l’un d’eux pose une question purement théorique : pour mille euros, est-ce que vous vous feriez enculer ? Ça va pas la tête ? répond l’autre.
- Oui, mais pour dix mille euros, est-ce que vous feriez enculer ?
L’autre s’énerve : vous me prenez pour qui ? Je mange pas de ce pain-là !
- Ok, ok… mais pour cent mille euros ?
- Lâchez-moi avec ça, putain de merde, je suis pas une tante ! Je vous dis non, bordel !
- J’ai compris, excusez-moi, j’avais mal estimé la chose… j’ai compris que vous êtes un homme un vrai, et pas question de revenir là-dessus, ah, ha… Vous rebuvez quelque chose ?
- Je reprendrais bien un Cognac.
- Garçon, deux Cognacs ! Au fait, pour être vraiment sûr d’avoir bien compris, pour un million d’euros, vous vous feriez pas enculer ?
- Vous avez dit combien ?
Moralité : c’est pas les enculés qui manquent, c’est le financement.


samedi 4 janvier 2014

Emporté par la foule




Il y a quelques années, le Washington post a organisé une expérience dans les couloirs du métro. Un violoniste d’exception, Joshua Bell, beaucoup plus subtil que son nom pourrait le faire croire, s’y est pointé, habillé comme un musicien de rue, sans trop en faire néanmoins. Il a sorti son crin-crin (un Stradivarius coûtant 4 millions de dollars, oui QUATRE) et en a joué pendant ¾ d’heure, au milieu du flux des péquins. L’expérience se déroula dans une station fréquentée très majoritairement par des employés et des cadres travaillant dans les buildings alentours (administrations, centres de recherche, cabinets d’avocats, agences fédérales). Joshua Bell joua des airs choisis pour leur très haute qualité musicale, des sommets dans leur genre, Bach, Schubert, Massenet et consorts, des choses à la fois belles à entendre et particulièrement difficiles à interpréter. Une caméra cachée filma la scène.

Que croyez-vous qu’il arriva ? C’est une question que les gonzes du Washington post avaient préalablement posée à Leonard Slatkin, directeur de l’Orchestre symphonique national, qui paria que 35 à 40% des gens reconnaîtraient la qualité de la musique entendue, et que 75% prendraient un peu de temps pour s’arrêter et écouter.
Il n’en fut rien.

NKM- des-sans-abris



Après la déchéance de DSK...
Après la chute de Roselyne Bachelot...
Après l'agonie d'Ariel Sharon...



mercredi 1 janvier 2014

Bonne résolution pour 2014


"On comprend sans doute mieux la nature véritable de la désolation présente ("dans quelle sorte de monde nous vivons") en s'en remettant à ses seuls sens, plutôt qu'à des systèmes d'interprétation, tous déroutés, et qui n'apportent guère que des consolations : l'illusion d'une maîtrise, au moins intellectuelle. Se tenir ainsi à la perception sensible, s'y tenir sans pour autant en rester là, est de toute façon le passage obligé pour quiconque veut reconstruire son intelligence sur le tas, sans le filtre des représentations : c'est le début, forcément individuel, de toute désincarcération, d'aller réveiller au fond de soi la sensibilité atrophiée. Que cela soit d'abord douloureux, comme toute désintoxication, montre seulement sur quels ravages intimes repose l'apparente adaptation de tous."

René Riesel : Du progrès dans la domestication. Ed. de l'encyclopédie des nuisances. Paris. 2003.