samedi 25 juillet 2009

Dieudonné en spectacle


Pendant que tu glandes, lecteur estival, autour de piscines javellisées écrasées de soleil, je joue un spectacle au festival Off d’Avignon. Oui, tu le sais peut-être déjà, en plus de commettre des articles sur ce blog, je suis un musicien, ou, pour être plus imprécis encore, un artiste. Tout le mois de juillet sera donc exclusivement consacré à ce travail quotidien, explication de mon mutisme ici. Mais j’ai quelques minutes à moi en cet après midi, et je voudrais parler de Dieudonné. Pourquoi ? parce que le bonhomme a eu l’idée de débarouler au festival d’Avignon, justement, avec son propre bus aménagé pour pouvoir y jouer son dernier spectacle : Sandrine. Il s’est installé à côté de la gare, et on a pu voir quelques potes à lui distribuer des tracts dans les rues de la ville, regardés comme des extra-terrestres par les centaines d’autres « tracteurs ». Autant te le dire tout de suite : je n’ai pas pu voir son spectacle. J’aurais voulu le faire, mais nos horaires étaient incompatibles. La question de son spectacle n’est d’ailleurs pas celle qui m’importe.
L’occasion était trop belle pour ne pas être tenté : j’ai innocemment posé la question de Dieudonné à divers « collègues » théâtreux, musiciens, adeptes comme lui du one man show. Il faut le savoir, d’une manière générale, l’artiste modèle du festival est un ami de la liberté. Il clame tout haut son amour de la liberté d’expression, vomit la censure, les idées sectaires, il abomine l’exclusion et prétend qu’il ne faut pas juger les gens. Surtout, d’une manière quasi obsessionnelle, il revendique le droit de tout dire, merde. Pourtant, je n’ai pas trouvé un seul, je répète : un seul) de ces Che Guevara pour trouver paradoxal que Dieudonné soit contraint d’affréter un bus pour jouer dans une ville où, durant juillet, environ mille spectacles (1000) se jouent quotidiennement !
Dans les années 80, la machine médiatique est partie en croisade. Son ennemi : l’intolérance. Il fut clamé et répété qu’il fallait « accepter la différence », selon une expression hélas inoubliable. L’idée était que devant l’afflux de personnes immigrées de moins en moins « semblables » au français courant, il fallait travailler le peuple pour éviter qu’il se laisse aller à de mauvaises pensées. Idée louable. Evidemment, en ces temps reculés, seuls les moins humains de nos compatriotes se risquèrent à chanter les louanges du droit à la ressemblance de préférence au droit à la différence. On les oublia bien vite.
Le paradoxe apparut quand certaines parties de la population immigrées osèrent le « chiche » ! Ha vous chantez le droit à la différence ? OK, allons-y, je mets mon tchador, j’excise ma fillette, je réclame des espaces publics non mixtes et je dégaine ma burqua ! C’est de la différence, ça, pas vrai ? ça doit vous plaire ? Dans un mouvement de valse dont l’habitude remonte très loin, les apôtres de la différence s’insurgèrent immédiatement : la différence, c’est valable si tu penses et vis comme moi, hé banane ! Jospin balança même sa loi contre le voile scolaire, soutenu par l’armée des anciens toléreurs et respecteurs de différence. Finalement, respecter uniquement ce qui ne change rien à ses habitudes, ses principes ou ses idées, c’est un peu pratiquer comme les intolérants, non ? Problème et limite de l’universalisme : comment jouer le rôle du gentil avec les méchants, sans perdre ? Impossible. On doit nous aussi se montrer méchant, et l’assumer.
Dieudonné, c’est un peu le même principe, avec les mêmes acteurs en présence. En parole, on déteste la dictature du pouvoir, de l’argent, de la pensée moralisante, on moque les tenants de la pensée correcte et on lutte contre le retour de l’ordre moral, mais sauf quand c’est un enculé comme Dieudonné qui s’exprime. Contre lui, les principes ne valent plus. On a le droit de l’ostraciser, de le diffamer, de le blacklister, de lui refuser ce qui est permis à tous les autres, de chercher à le ruiner. A-t-il commis un crime ? Dans l’affirmative, que fait-il en liberté ? Dans le cas contraire, pourquoi le traiter en pestiféré ? C’est le phénomène fascinant de la « double pensée », abordé par Jean-Claude Michéa de façon magistrale. Les gens semblent portés à faire le contraire de ce qu’ils disent, surtout quand leur discours est du modèle héroïque. A force d’augmenter la mise sur le sujet de la morale, des principes, du droit, de la liberté, de la tolérance, de la consciencitude et autres citoyenneté, il devient impossible à la quasi totalité du genre humain de se montrer à la hauteur de ce qui est partout vanté. Alors on continue de blablater à coups de grands mots mais, dès qu’un rouage grince, on pratique comme le Taliban de base : on décapite. Or, être tolérant n’a de valeur que si on l’est avec ce qui est réellement différent. Etre courageux n’a de sens que face au danger. Avoir l’amour de la liberté aux lèvres ne devrait pas donner le droit de condamner l’expression, fût-elle celle d’un ennemi, fût-elle fausse ou dégueulasse. Pour condamner les opinions dégueulasses, il faut avoir pris le risque de prévenir qu’on ne les accepte pas, qu’on n’est ni tolérant ni sympa, ni des saints, et qu’on vous emmerde.
La solution est simple : qu’on cesse de donner des leçons au cosmos et qu’on reconnaisse que nous ne sommes pas mieux que les empaillés d’en-face. Ni mieux ni moins biens, mais légitimes ici et maintenant. Ça réduira le confort des consciences, mais ça simplifiera la donne. Evidemment, ça suppose de renoncer au monopole occidental du droit moral sur le reste du monde, à l’universalité du Bien made in France. Difficile, je le reconnais.
La différence entre eux, les toléreurs, et nous, les gros cons, c’est que nous ne prétendons pas avoir raison ailleurs qu’ici, nous ne prétendons pas que l’excision soit une monstruosité ailleurs qu’en France, que les scarifications rituelles parfois mortelles soient intolérables en Amazonie, que la polygamie doive être éradiquée de la surface du globe, ni que l’Afghane de base doive porter le string apparent par-dessus la burqua. En gros, nous tolérons parfaitement que chacun fasse chez lui comme il l’entend et qu’il oppose à nos prétentions morales un gros merde dans sa langue fleurie. Ce qui nous permet au passage de faire de même quand il le faut, dans un rapport de réciprocité parfaitement inattaquable. Dans la Trilogie de Pagnol, César se lamente que certains peuples lointains croient à un dieu à plusieurs bras : que tous ces gens se fassent couillonner, ça lui fait de la peine. Le seul vrai dieu, évidemment, c’est le sien. Sagesse bonhomme, mais profonde. Surtout quand on sait bien, comme Pagnol, qu’il n’y a pas de dieu.
Au final, on pourrait croire que je suis en train de défendre Dieudonné, alors que ce n’est pas vraiment mon sujet. Ce que dit Dieudonné, je m’en tape. L’antisionisme et le complotisme ufophile, c’est de la connerie. Mon sujet, c’est la tartuferie de l’époque, omniprésente et tentaculaire, qui transforme les beaux mots de tolérance, de liberté, de résistance ou de courage en slogan publicitaire, portés aux nues par des pantins qui n’attendent que la victime expiatoire de circonstance pour former leurs pelotons. Et on en arriverait presque à défendre leurs ennemis, contre ses propres opinions, par dégoût de ce qu’ils sont.
Je suis d’accord avec vous sur tout, mais je suis prêt à me battre pour que vous fermiez vos gueules.