mardi 17 mai 2011

La flamme est l’avenir de l’homme.


On le sait d’expérience, la réalité est la mère supérieure de toutes les fictions. Quand la fiction se débride, la réalité lui rappelle bien vite qu’en matière de fantaisie comme en matière d’horreur, elle ne saurait être dépassée.
Il n’est pas d’usage ancien qu’on brûle les morts en occident. On ne sait pas le nom du premier con qui a trouvé sympa de se faire volontairement chauffer le lard à quelques centaines de degrés, mais on constate son succès. En effet, il n’est désormais plus possible d’avoir une conversation sur la mort sans qu’un plaisantin vienne affirmer qu’il voue son corps aux flammes, « parce que c’est mieux que les asticots »… Ingratitude des viandes vives ! Inconséquence des éphémères ! Dire que des générations d’Européens ont nourri, entretenu, élevé, oui, é-le-vé des milliards de générations d’asticots en leur fournissant post mortem un copieux repas chaud farci de protéines, et nous voici au seuil du troisième millénaire à rationner le bifteck à nos compagnons d’éternité ! Nous vivons l’âge du Rationnement.
Quoi qu’il en soit, il faut se rendre à l’évidence, le crématoire est désormais devenu la destination très prisée des macchabées de par chez nous, on s’y précipite ventre à terre et les osselets en bataille.

Dans le catalogue des « raisons » censées justifier le choix du chalumeau plutôt que la vénérable tombe « pierres apparentes » qui fit la joie de nos ancêtres, on trouve l’argument de l’encombrement. Habitué à faire la queue chez Carrefour, à s’embourber par milliers sur les plages d’août, à faire du bite-à-cul sur le périph matin et soir pendant une vie d’employé modèle, le Français d’aujourd’hui n’est plus qu’un mec qui s’efface, un timide qui craint d’abuser, un modèle qui condamne l’usage de tout ce qui fait « du mal à la planète ». Cette tendance navrante est renforcée depuis peu par l’assurance que les humains, vivants ou morts, sont trop nombreux sur la terre. Les humains, et surtout moi-même ! se dit le Français moyen courant au four crématoire y trouver ses vingt centimètres cubes d’éternité.
On ne dira jamais assez ce que la rage écologiste a ajouté aux peurs traditionnelles de l’être humain, et les justifications nouvelles qu’elle a apportées à sa bêtise. La planète ayant été décrétée « trop petite » pour les milliards que nous sommes, l’homme moderne (donc responsable) se doit désormais de se faire mince. Le viatique écologiste (donc responsable) prescrit dix commandements impérieux :
1 Manger peu (des légumes),
2 jeter encore moins,
3 se déplacer seulement en cas de force majeure,
4 et JAMAIS EN BAGNOLE,
5 prendre des douches sans eau,
6 trier ses déchets, voire ceux des voisins,
7 limiter son empreinte écologique,
8 renoncer à jeter ses vieilles piles à la poubelle
9 préférer le suicide (assisté) à l’acharnement
10 se faire incinérer

Ne pas prendre de place, même la sienne, est devenu l’ambition suprême.
On doit donc en prendre son parti : il est de la dernière tendance et du plus haut chic de partir en fumée dès que la mort nous en donne l’occasion. Il est alors écrit que les fours municipaux se multiplieront, résurrection inattendue des fours banaux. Comme autrefois, au village, chacun viendra y porter non plus son pâton à cuire, mais son vieux père à griller…


Le village de Redditch, affreux bled d’Angleterre, a fait parler de lui il y a quelques mois pour un projet surprenant. L’affaire semblait un canular : le conseil municipal envisageait d’utiliser la chaleur produite par le four crématoire pour chauffer la piscine municipale. D’un côté, des citoyens calcinés par les flammes ; de l’autre, des citoyens engourdis par la flemme. Mourir pour inciter les autres aux délassements aquatiques ! Hé, Cindy, tu viens te baigner, demain ? Pas folle ! j’attends que la mère Brighton ait cassé sa pipe !
L’idée était frappée au coin du bon sens écologique : on ne va quand même pas dépenser du combustible à seule fin de faire disparaître le corps d’un mort ! Faut que ça profite ! Quoi ? Vous voulez qu’on vous incinère, comme ça, tout seul ? Un feu rien que pour vos os ?! ‘Rendez pas compte de l’impact, ou quoi ? Terrible ! Une apocalypse de retombées ! Non, si vous voulez qu’on chauffe vraiment le four à fond, faut partager la chaleur avec les avaleurs de Javel. Si vous n’êtes pas content, faites-vous incinérer à froid !

On imaginait alors que le bouchon était poussé un peu loin et que tout ça finirait dans la décence, denrée britannique s’il en est. Macache ! Non seulement la mesure a été adoptée, mais le village vient d’être récompensé d’un « green award » de mes deux pour l’excellence de ses pratiques vertes ! Une récompense nationale visant à encourager la chose, à la faire essaimer et, qui sait, à la rendre bientôt obligatoire ! A ceux des lecteurs qui lisent l’anglais, je conseille cet article, où un neuneu assure même que sa vieille tante, récemment morte, aurait trouvé formidable de servir de combustible pour que les as du maillot de bains ne se les gèlent pas quand ils font trempette. Là encore, on croit à une bonne farce. Mais non, c’est réel, c’est contemporain, c’est imprimé, ça se porte en étendard.

La machine est en marche, le mouvement nous entraîne. Déjà, quand on affirme à la cantonade qu’on refuse de donner ses organes post mortem, on se voit opposer que « nos organes ne nous servent plus à rien quand on est mort ». On a beau argumenter, on ne récolte qu’incompréhension et condamnation morale. Si l’on vante les mérites d’un cimetière particulièrement bucolique, on nous oppose que les cimetières prennent de la place, argument de promoteur immobilier qui recoupe par miracle les dogmes écologistes les plus avancées. Quand on attend que la Sécu rembourse les soins d’un nonagénaire, on entend dire que la société dépense en pure perte.Et demain, en généralisant les initiatives à la Redditch, on comprendra que les individus ne doivent plus rien attendre de gratuit de la société.


L’utilitarisme le plus massif gouverne désormais la morale, guidé par la bonne conscience du Soldat du Bien qui piétine traditions, modes de vie, croyances, mythes et principes moraux de ses deux pieds plats. Les intérêts des chantres du libéralisme et ceux des écologistes progressistes se trouvent, ici encore, mêlés. Du côté libéral-les-affaires-y-a-que-ça-dans-la-vie, on se focalise sur l’utilité économique du citoyen dépenseur transformé dès l’enfance en consommateur quantifiable. Notion d’utilité d’ailleurs largement dévoyée et qui ne dépasse guère le niveau de la rentabilité de court terme. Par exemple, bien que totalement inutile au bien-être général (pour parler comme Jeremy Bentham), la fabrication de crèmes pour retendre la peau des genoux des vieilles dames rapporte gros, et à ce titre, elle prend son utilité dans notre système comme dans les esprits. Idem pour un publicitaire vantant les mérites d’un pneu discount hyper casse-gueule, d’une pâte au chocolat qui te foutra les tripes en vrac, d’une huile de palme à faire crever trente-six hyènes, d’un circuit touristique qui détruira les plus beaux paysages, les paysans et le mode de vie qui vont avec. La morale s’est simplifiée à l’extrême : tant qu’un enculé produit du pognon, il est utile.

Du côté écologie-et-modernité-nous-voilà, il s’agit de changer la société en comptant qu’elle reste hébétée devant la brutalité et l’audace des attentats qu’on lui fait. La chirurgie écolo se pratique à la hache : PAN ! interdire les voitures en centre-ville, ou interdire les voitures un peu anciennes, là, comme ça, pan ! T’as pas de solution de rechange ? Tu te démerdes ! PAN ! on interdit les ampoules à incandescence, qu’on remplace par des merdes qu’éclairent que dalle ! Tu te re-démerdes, fils ! PAN ! on t’ordonne de mourir utile et collectif en utilisant tes cendres pour payer la note de chauffage de l’aqua-splatch local ! PAN! on décrète qu'il faut construire des immeubles de cent étages en plein centre historique parce que ça prend moins d'place au sol, hé ballot! Etc. La morale reste simple: tant que ça fait du bien à la plapla, à la plapla, à la planète, RIEN ne vous sera épargné.
L’écologiste surfe sur l’urgence, il utilise ce concept comme un bélier, il en tartine toutes ses certitudes. Réduire la crémation d’un être humain à un geste qui doive servir à quelque chose d’autre, comme si brûler du combustible uniquement pour ça n’était plus envisageable, comme si le mort ne méritait même plus qu’on lui sacrifie quelques fagots. Et pourquoi ? Parce que la planète se meure. Evidemment, réduire la combustion des centrales à charbon allemandes, ou chinoises, c’est plus compliqué que faire chauffer l’eau d’une piscine à couillons avec la peau des vieux. Alors on y va : on pond l’idée la plus indécente possible, on l’habille de bonne conscience et d’esprit de responsabilité, et l'on se convainc bien fort que ça va sauver la planète, cette conne !

Post Scriptum : lisez l’amusant et désespérant « L’écologie en bas de chez moi », de Iegor Gran. Ça vous rappellera Redditch.