vendredi 11 octobre 2013

Plantu bricole le dimanche




Evidemment, Plantu a toujours été et sera pour l’éternité une sorte de merde. Un bien-pensant comme on n’ose plus les imaginer, comme on n’en trouve plus même dans les romans d’Alexandre jardin, une machine à penser comme un manche qui plastronne depuis un demi millénaire dans le plus formidable torchon de la presse globale. Evidemment, nous ne sommes pas encore assez séniles pour penser à « commenter-le-dessin-de-Plantu », cet exercice qui définit le con aussi sûrement qu’un thermomètre mesure le réchauffement des haricots. Nous pouvons même nous vanter de nous en foutre énormément, du dessin de Plantu, et à longueur d’année de nous en torcher le figne en guise d’hommage.
C’est pas compliqué : le con-qui-commente-le-dessin-de-Plantu est généreusement partisan de tous les lieux communs, de toutes les certitudes de benêt que ce gribouilleur étale sans frémir sur le puant fleuron de notre presse crevée. Il a même un credo, une conviction d’ordre religieux qu’il claironne de toute la force de son museau dégoûtant : « un bon dessin vaut mieux qu’un long discours ». Là, quand on atteint ce degré de niaiserie, il n’y a plus que l’euthanasie. Quand on se montre aussi fier de sa bêtise, il n’y a plus qu’à prier pour le retour de la grippe espagnole. Quand un imbécile est si sûr de son impunité, quand il ose exprimer un tel étron verbal, il n’y a plus qu’à distribuer les armes à la populace, et que tout finisse dans un bain de sang !
(Faites un essai : tapez « Plantu » sur gougeule et jetez un œil aux dessins qui en sortent : vous saisirez immédiatement les nuances entre « affligeant », « médiocre », « lamentable », « poussif », « pas-drôle-du-tout », « à vomir » et « absolument à chier ». Vertu du dessin plantudesque, sans doute : il en dit plus long dans l’infâme que de longues définitions !)



Cependant, pour une fois, pour la première et la dernière fois, je vais te le commenter, moi, le dessin de Plantu ! C'est un dessin de la semaine dernière, encore fumant comme une bouse de rosée.



Plantu, c’est un dessinateur engagé. Ce terme vieillot signifie que quoi qu’il affirme, c’est pour le bien des gentils, et c’est pan dans ta face pour les méchants ! Engagé, c’est dans ce sens que ça marche. Plantu, il est comme ça depuis quarante ans, et ça fait du bien à la planète. Il a bien repéré que les méchants, ce sont
1- les hommes
2- les barbus
3- les gros
4- les prolos
5- les cons qui travaillent de leurs mains au lieu de faire des dessins pour la presse bourge
C’est sa division du travail à lui : d’un côté les épouvantails, de l’autre, les femmes, les colombes de la paix, et sa putain de souris ! Il dessine cent mille fois moins bien que Cabu, mais il est largement aussi subtil !

Plantu le dit : si les gens ne travaillent pas le dimanche, s’ils n’ont pas cette liberté inouïe que les plus belles nations d’esclaves ont connue, c’est la faute des hommes. Pas les Hommes, les hommes. Encore une question de domination sexuelle. C’est aussi simple que ça : les gonzesses, tu leur demandes leur avis, elles sont toutes joyeuses à l’idée d’aller au taf pendant que tu glandes à la messe. Mais voilà, c’est leur homme qui veut pas. Oh, comme elles sont victimes d’un sort cruel, les femmes, et d’un ordre machiste injuste ! 

Selon ce gland patenté, donc, l’interdiction de travailler le dimanche serait une sorte de survivance du machisme, quelque chose de commun entre le gros beauf franchouillard et le muzz version hard ? Empêcher les gonzesses de turbiner le dimanche, il t’explique ça en un petit dessin, c’est comme priver les fillettes d’école. Ben ouais, c’est connu, fillette, tu apprends beaucoup en vendant de l’enduit monochouche à Casto le dimanche ! Mais voilà, des gros cons font barrage à ta liberté. Ils opposent leurs certitudes ringardes au vent de la modernité que rien n’arrête. Ils se recroquevillent sur leurs livres moisis, livres vieux, construits sur de vieilles valeurs, reliques d’un temps fini qui ne reviendra plus.
Le code du travail, c’est un peu le coran des prolos, quoi !

L’école, quand on y songe, l’école de Jules Ferry et de monsieur Peillon, c’est l’école de la liberté, c’est elle qui nous la rend possible ! Les fillettes afghanes le savent bien, d’ailleurs, qu’on enferme et qu’on cache au fond de leurs cuisines. Eh bien, Castorama le dimanche, c’est la même mécanique, c’est tout simplement la liberté. C’est Plantu qui le dit. « Le travail, c’est la liberté », ça ne vous rappelle rien, bande de rétrogrades ?

Ne nous y trompons pas, sur le dessin, le muzz barbu est là pour servir de mettre-étalon de l'ignoble, à quoi le bidochon rouge est comparé. Si le muzz barbu refuse que sa fille aille à l'école, c'est pour en faire son esclave, ou au moins l'esclave des hommes, ces gros cons. Le gars de la Cégette, c'est pareil, il refuse que sa femme aille travailler le dimanche pour se la garder pour lui tout seul, ce sale égoïste. Ce qui la sortira de son esclavage, c'est Plantu qui l'affirme, c'est la grande distribution, organisation bien connue d'émancipation des individus.

Ha, les cons façon Plantu sont trop nombreux. Ils sont trop assidus, forcenés, ligués et proliférant à nous gâcher l’agonie ! Ils fourmillent de trop, ces neuneus, ils grouillent sans répit pour donner sur toute chose ici-bas un avis à pisser de rire. Mais s’il fallait pisser de rire à chaque nouvelle connerie des bien-pensants, à chaque dessin de Plantu, on importerait des vessies par tankers ! S’il fallait faire comprendre à Plantu qu’il ne sert à rien d’aller à l’école si c’est pour finir caissière à temps partiel obligée de taffer le dimanche dans un magasin appartenant à la plus grosse fortune de France, on y passerait trois générations ! On s’épuiserait. Il y aurait trop de choses à lui faire apprendre, on part de trop loin. Même à coups de gifles, il ne comprendrait pas, on s’y gâterait la main. S’il fallait faire entrer dans son crâne d’enflé que les gros cons de la CGT sont un des derniers remparts contre la barbarie, la vraie, la dure, celle qui paye ton esclavage d’une monnaie de singe et le vante sous forme publicitaire dans les journaux qu’elle possède, celle qui détruit tout ce qui fait le prix de l’existence, comme les moments libres passés en commun à ne pas gagner d’argent, à ne pas faire marcher cette putain de machine. S’il fallait lui faire toucher du doigt que le peuple n’a bientôt plus que ça, le dimanche, pour ne pas disparaître totalement en tant que groupe un peu vivant, s’il fallait lui faire admettre que la Zone d’Activités Commerciales n’est ni un droit de l’homme, ni son avenir, mais sa putréfaction sur pied, on épuiserait toutes les ressources de la rhétorique, on gaspillerait le dernier morceau de temps que les hyènes, les porcs et les enculés s’appliquent chaque jour à nous voler.