lundi 2 décembre 2013

Escalves rech. maître, même petit




L’information n’est pas seulement un piège à cons, c’est aussi une formidable machine à en produire. Illustration.

Tout le monde sait que le type qui se prétend Président de la république a promis d’inverser la courbe du chômage d’ici la fin de l’année. La France entière s’arc-boute sur cette formule, comme si elle avait la moindre chance d’avoir un intérêt. La courbe peut bien être inversée, si elle continue de passer au beau milieu de ton cul de chômeur, ça ne change pas grand-chose. Mais passons.

Les chiffres du chômage sont incomplets. Pôle emploi annonce chaque mois les chiffres des chômeurs n’ayant eu aucune activité le mois précédent. C’est ce qu’on appelle la catégorie A. Or, de nombreux chômeurs signent un CDD court, par exemple, ou un contrat d’intérim. Ils travaillent mais restent inscrits comme chômeurs, car leur situation n’est pas durable. Si ils déclarent moins de 78 heures de travail, ils sont basculés dans une autre catégorie (B). S’ils travaillent plus de 78 heures, ils passent en catégorie C. Quoi qu’il en soit, ces gens doivent être considérés comme des chômeurs, ils n’ont pas trouvé un CDI à temps plein, ils demeurent des chômeurs qui ont, pour quelque temps, un emploi.
Pour être encore plus précis, ces deux catégories B et C sont le marqueur d’une engeance aussi collante que le chômage : la précarité. Elles représentent les gens qui vont de petits extras en CDD, de micro contrats en boulots de merde. Ces deux catégories méconnues représentent 1,5 millions de personnes, et le type qui a été désigné Président de la république n’en parle pas. Si l’on doit évoquer les chômeurs en France, il faut donc parler d’au moins 4,8 millions de personnes, sans même compter les deux dernières catégories (D et E) ni les gens d’outre-mer. Rappelons que c'est sous Giscard que la France est passée au dessus de son premier million de chômeurs. On voit le progrès réalisé en quarante ans grâce aux politiques  lancées à grands coups de menton, et, bien sûr, grâce à l'Europe.





Or, depuis le début de l’année, les journalistes tiennent leur marronnier : l’inversion de la courbe de mes deux, sujet impeccable qui permet de raviver le suspens chaque mois, qui fait parler, qui fait vendre, qui fait croire qu’on s’intéresse à la chose. Et leur esprit collaborationniste s’y déchaîne comme jamais. Pour prendre un exemple récent, le Midi libre titre : « Chômage : les bons chiffres d'octobre, Hollande satisfait » Ce titre annonce donc clairement qu’Hollande remporte un succès : les chiffres sont « bons », et Hollande est content. Mais, dans le corps de l’article, le Midi libre explique que « avec 39.600 inscrits supplémentaires [catégorie B et C], un nouveau record de 4,88 millions est enregistré en métropole ». C’est comme si on annonçait en titre « Jules Machin est en pleine forme », et qu’on explique ensuite qu’il vient de crever. Et pour que la propagande entre bien dans les crânes, l’article se conclut par un « sondage » à peine croyable : « Pensez-vous que la diminution des demandeurs d'emploi va se confirmer en 2014 ? » au cas où certains n’auraient pas compris qu’il faut retenir que le chômage BAISSE, même si l’article vient de dire l’inverse.

Qu’un type paraît-il Président de la république mente, c’est dans l’ordre des choses : on ne reproche pas à une charogne de puer. Il fait sa sauce, en nappe son misérable frichti, et nous le présente à grands coups de tadaaam ! On ne s’attend pas qu’il fasse lui-même la critique de son inaction. On s’attend en revanche que ses plus grossiers bobards ne soient pas rapportés tels quels, sans réplique. Face à un responsable politique, on est en droit d’exiger d’un journaliste qu’il fasse non pas l’article, mais un article.
Évidemment, le peuple n'est pas dupe. Il faut être au gouvernement ou être journaliste pour imaginer qu'on fera gober aux gens que le chômage est sur le point d'être maîtrisé.

Il serait trop long et trop douloureux de faire l’inventaire des trahisons journalistiques, des collusions avec les pouvoirs en place, de leur collaboration active avec le sens du vent, de leur mentalité de valetaille. On en vomirait de dégoût. Le plus atroce, sans aucun doute, est qu’ils agissent ainsi en se drapant en même temps dans les habits de Robin de bois, en se proclamant consciences éclairées qui traquent les ennemis du Bien, du Peuple et de l’Avenir. Eux si prompts à qualifier de dérapage le plus petit manquement au langage politiquement correct, si courageusement à l’affût d’une victime à dégommer en bande pour crime de lèse-transparence, si fins du nez qu’ils détectent le « nauséabond » même quand rien ne pue vraiment, ne sentent-ils pas la honte qui suinte de leurs propres corps, et que tout le monde remarque ? Ne comprennent-ils pas que le peuple se marre quand un type à moitié givré se met à défourailler dans leurs locaux, les faisant goûter, pour une fois, à cette insécurité qui n’existe pas ? Quand on sait que la plupart des journalistes rédigeant ces petits articles sont eux-mêmes des sous-smicards précarisés, on se demande quelle vérole intellectuelle les pousse à prendre toujours le parti du manche, de celui qui assomme des millions de gens, le manche de la com, du blabla, de l’embrouille novlanguienne qui fait passer une hausse du chômage pour un signe encourageant, un encrage dans la précarité pour un rebond de l’activité, et le travail dominical pour la nouvelle frontière de la liberté.

Les républicains du XIXème siècle considéraient la liberté de la presse comme une condition sine qua non de la liberté générale. Ils se sont trompés : devenus libres, les journalistes se sont surtout mis à servir la soupe de leurs maîtres, selon leurs intérêts, les ordres qu’ils reçoivent, et la pente de leurs opinions. Qu’ils soient même libres et indépendants financièrement ne sauve rien : ils demeurent prisonniers volontaires de leurs idéologies, c'est-à-dire du plus efficace filtre pour empêcher que le réel ne vienne chatouiller la conscience.

Entre nous, être libre, indépendant, et voter François Hollande... existe-t-il un meilleur plaidoyer pour l’esclavage ?