mardi 1 mars 2016

La femme à part


S’il fallait courir mettre une gifle à tous ceux qui le méritent, la vie ne serait plus qu’un interminable galop.
La connerie est une source d’énergie qui, à la différence de l’énergie éolienne, est disponible indépendamment du temps qu’il fait. Cet avantage est sans aucun doute à l’origine de la confiance que tous les gouvernements placent, depuis la nuit des temps, dans cette manne inébranlable.

Le développement inouï des moyens de s’informer va de pair avec l’effarement qui saisit l’honnête homme lorsqu’il se rend compte qu’il est à peu près seul au monde. Car ce qu’on appelle « s’informer » revient, la plupart du temps, à constater que la bêtise est universelle, et qu’elle ne se calme pas. Comme on le sait, il y a de nombreuses façons d’être un imbécile. Le point commun évident entre elles, c’est tout simplement leur résultat, à quoi aboutit toujours l’imbécillité : mélange d’aveuglement, de certitudes foireuses, de conclusions illogiques, de mauvaise foi, d’ignorance, de partis-pris délirants, d’idéologies forcenées, de conformisme crasse, d’erreurs triomphantes et de bonne conscience. Un exemple ?

Nous apprenons que les contributeurs à Wikipédia, gens qui prennent de leur temps pour rédiger et corriger les millions de fiches composant cette encyclopédie, sont à près de 90% des hommes. Oh, oh, que signifie donc ce déséquilibre ? Les rédacteurs de Wikipédia sont des bénévoles, qui écrivent leurs trucs depuis leur salon, leur bureau, en pantoufles, peinards. Ils n’ont pas à porter de lourdes charges, à utiliser leur force physique, à souffrir dans un environnement bruyant ou poussiéreux, ni à survivre dans un contexte rendu hostile par la prolifération des spadassins. Il est donc assez curieux qu’on ne retrouve pas chez eux la proportion naturelle qui sépare l’humanité en deux. Pourtant, comme chez les peintres, les dessinateurs de bandes dessinées, les rockers, les jazzmen, les alpinistes, les poinçonneurs des Lilas, les taulards, les Grands Maîtres Internationaux des échecs, les geeks, les guitare-héros, les philosophes, les serial-killers, les prophètes et les pizzaïolos, les rédacteurs de Wikipédia sont très (très) massivement des mecs. Heureusement, des explications à cette étrangeté nous sont données par l’ex-directrice de l’encyclopédie du web en personne : Sue Gardner. Neuf explications, toutes rocambolesques :
1. Un manque d’amabilité vis-à-vis de l’utilisateur dans l’interface d’édition de Wikipédia
2. Un manque de temps libre.
3. Un manque de confiance en soi.
4. L’aversion des conflits et la perte d’intérêt à livrer de longues guerres éditoriales.
5. La croyance que leurs contributions vont être reprises ou éliminées.
6. Certaines trouvent l’ambiance générale de Wikipédia misogyne.
7. La culture de Wikipédia est sexuelle sous des formes qui leur sont désagréables.
8. Celles dont la langue présente des genres grammaticaux trouvent désagréable qu’on s’adresse à elles comme si elles étaient des hommes.
9. Les femmes ont moins d’occasions qu’ailleurs de créer des relations sociales et de rencontrer un ton accueillant.

L’univers impitoyable de Wikipédia ! Cette farceuse arrive sans problème à fournir des raisons à ce déséquilibre, mais elle n’a visiblement aucun souci de leur valeur. A la lire, une certitude nous apparaît : ce n’est pas à sa rigueur argumentative qu’elle dût son splendide poste chez Wikipédia. Il faut en effet être méchamment inconsciente pour tracer, en creux, un tel portrait des femmes, incapables de trouver du temps pour une activité bénévole et utile, ou infoutues de s’y retrouver sur une interface un peu technique…
Grâce à madame la Directrice, nous apprenons que les femmes ont « l’aversion des conflits ». Laissons tous ceux qui ont déjà rencontré de vraies femmes dans le monde réel se faire leur avis sur cette singulière révélation… Un sage a pourtant dit « si les femmes dominaient le monde, il n’y aurait plus de guerre, mais des pays se feraient la gueule pendant des siècles sans que personne ne sache pourquoi ».


Dans cette liste à la con, j’avoue ma préférence pour la huitième raison, qui est un peu la huitième merveille du monde des débiles : « Certaines femmes dont la langue maternelle distingue les genres, trouvent désagréable qu’on s’adresse à elles comme si elles étaient des hommes ». Oh, les pauvres ! En somme, ces dames consentiraient à œuvrer pour le bien commun si l’on inventait une langue spéciale pour elles, jetant le français, l’anglais, le russe, le chinois ou le sanscrit aux oubliettes. Une modestie aussi franche, ça force le respect.

Pourtant, pour une femme moderne, travailler sereinement derrière son ordinateur, à l'abri de la société et du regard pesant de ces fumiers d’hommes, ça devrait être THE place to be pour faire jaillir sa soif insatiable de science, quand on a été refrénée depuis la nuit des temps par le pouvoir phallique. Non ? Pas besoin d’être une wonderwoman pour rédiger des articles d’encyclopédiste, non ? Du temps du papier, être étudiant ou rat de bibliothèque y suffisait bien.

A la lecture de cette liste comique, on voit bien tout ce que les femmes auraient à gagner à un apartheid radical les séparant des hommes : plus de conflit avec les eux, plus de compétition, plus de controverses ni de polémique pour établir un fait, plus besoin de se mesurer à rien d’autre que soi-même. Il faudrait interdire aux hommes d’être ce qu’ils sont, pour permettre aux femmes de devenir ce qu’elles n’ont jamais été. Le plus beau, c’est la persistance décomplexée des clichés : la dirlo cause comme si l’on vivait sous le règne du patriarcat le plus moustachu, sous le joug d’une religion toute-puissante, confite en dogmes misogynes ! Putain, on est en 2016 ! Il serait temps d’arrêter de geindre et de nous monter de quel bois d’allumettes vous vous chauffez, bande de tapettes ! Ce que dit l'article, en fait, c'est que pour briller par l'esprit, les femmes auraient besoin d'un lieu sans débat et sans affrontement intellectuel, sans réponse, sans personne en face, sinon c'est trop dur et trop "agressif"... Un lieu comme ça, madame Gardner, ça s'appelle une cuisine !

J'aurais bien une explication à tout ce bintz, mais je préfère laisser parler les acteurs...



(A l'attention des associations vigilantes : les allégations les plus misogynes contenues dans ce texte infâme ont été soufflées par Xix!)