dimanche 17 décembre 2017

L'interdiction du mois - rouler à 90Km/h sur les routes


En démarrant, il y a trois semaines, une rubrique intitulée « l’interdiction du mois », je comptais bien avoir le temps de glander entre deux dénonciations rageuses. Connaissant le goût moderne pour la contrainte (dans un concert assourdissant de paroles libertaires, libérales, et libertophiles), j’imaginais qu’une chronique au rythme mensuel rendrait compte de l’activité des fanatiques qui, sans relâche, trouvent et imposent toujours plus de limites à la liberté de ce dangereux personnage nommé Autrui. Hélas ! Ces cons-là ont le vent mauvais en poupe, et filent avec un entrain de bacheliers vers l’horizon marron des lendemains qui fliquent. Cette semaine, donc, la nouvelle interdiction qui nous menace est d’ordre routier : ne plus dépasser 80km/h sur les routes départementales.

Si cela ne dépendait que de moi, il n’y aurait plus une seule voiture en France. Plus une voiture, plus un m² de goudron, plus de tire-fesse, plus une piscine, plus un seul golf, plus de parcs à jeux, plus de musées et, naturellement, plus d’écoles. Le retour de la préhistoire, ce serait. Et, pour être plus sûr, la préhistoire à ses débuts ! Tous à pinces, et chacun avec le droit d’aller se faire enculer. Ça simplifierait à peu près tous les problèmes qui nous accablent. Les bouchons quand tu pars à la neige ? Fini. Les encombrements parisiens ? Oubliés ! Les connasses qui te bloquent la rue quand elles déposent leur lardon juste en face de la porte de l’école, là oùsque la voie est justement rétrécie pour ne laisser passer qu’une seule voiture à la fois (Sainte sécurité, priez pour nous) ? Ter-mi-né ! Plus jamais ça ! Alors, l’abaissement de 10km/h sur les routes, à côté de mon programme à moi, ça ressemble au pet d’une mésange au-dessus d’un camp de manouches !


Mais voilà, les maniaques qui nous contraignent ne savent pas être radicaux quand il le faudrait. Plutôt que de sucrer carrément aux gens le droit à la route, mesure qui aurait au moins l’avantage de ne plus les faire souffrir, ils envisagent froidement de les obliger à rouler comme des merdes sur la route, en continuant d’appeler cela liberté de circulation. Car, en effet, rouler à 80km/h (les deux mains posées à dix heures dix sur le volant) sur une route parfaitement droite, bitumée comme au paradis, bordée par des barrières de sécurité comac, au volant d’une limousine climatisée qui t’a coûté 34 999 euros, avec airbags, anti-patinage, anti-cafouillage, guidage satellitaire, caméras à l’avant, à l’arrière, sur le toit et dans le coffre à gants, ABS, anti-crevaison, siège chauffant sous ton cul et rétroviseurs gonflables, c’est probablement l’acte le plus absurde qu’un individu de moins de 95 ans puisse commettre (à part voter Benoît Hamon, cela va sans dire). Quand ce même automobiliste suréquipé se voit contraint à un « 50km/h maxi » sur un boulevard urbain où nul écolier ne vient s’ébattre, que nulle grand-mère ne traverse avec son cabas chargé de rhumatismes, où tout fut fait à l’origine pour ne pas entraver le flux bagnolesque, on se dit qu’il vaudrait mieux dire aux mecs de chez Audi de remballer leur camelote, de se tirer de chez nous, et rendre obligatoire la voiturette sans permis ! Ou, comme je le soutiens honnêtement, interdire la bagnole.


Les interdictions de rouler sont dictées, nous dit-on, par l’impérieux devoir de faire baisser le nombre d’accidents routiers. Mais, justement, il baisse, il baisse depuis des années, il ne fait que baisser tandis que le trafic routier, lui, augmente sans frein. En 1972, plus de 18 000 personnes périrent, en France, dans des collisions entre des Renault 12 et des 204 Peugeot. En 2016, 3477 morts, cinq fois moins. Entretemps, le nombre de kilomètres parcourus explosa. La plupart des gens ignorent ce chiffre : les 39 millions de véhicules en France parcourent près de 700 MILLIARDS DE KILOMÈTRES par an sur les routes. 700 milliards de kilomètres, d’un côté, et 3477 morts de l’autre. Sachant qu’il suffit de parcourir un mètre cinquante pour être « en danger » (à en croire les accidentologues eux-mêmes…), on est quand même bien content de n’être pas tous crevés quand arrive la fin de l’année ! On est bien plus nombreux sur les routes, on roule beaucoup plus de kilomètres, les voitures sont cent-trente mille fois plus sûres que les Fiat 500 des années 1960, on meurt cinq fois moins MAIS il serait urgent de foutre une interdiction supplémentaire sur les routes…

Dès qu’on évoque le risque routier, on nous parle d’alcool. Sur le site de la sécurité routière (dépendant du ministère des transports) chacun peut voir que les chiffres se contredisent, et dans les grandes largeurs ! En haut de la page, on apprend que « l’alcool est en cause dans près d’1/3 des accidents mortels » ; en bas de la page, il est affirmé que « dans 55% des accidents mortels, l’alcoolémie du conducteur dépasse 1,5g/l ». La seconde proposition infirme la première radicalement. Une telle contradiction dans leurs propres chiffres, dès la première page, ça ne donne pas envie de lire leur Pdf ! C’est un peu comme avec les chiffres des violenzfétofam, on passe du simple au double comme si le sujet, présenté pourtant comme l’un des plus sérieux qui soient, ne souffrant aucune plaisanterie, aucun bémol, aucune remise en question, n’avait pas fait l’objet d’une attention suffisante de la part des alerteurs professionnels eux-mêmes…


Churchill disait : « je ne crois qu’aux statistiques que je trafique moi-même ». Celles qu’on nous sert quand il s’agit d’alcool au volant sont tellement traficotées que le portail gouvernemental lui-même s’emmêle les pinceaux, comme tous les menteurs qui, après deux cents mensonges, ne s’y retrouvant plus, se trahissent. Les statistiques nous renseignent surtout sur l’opinion des statisticiens. Quand on affirme que « l’alcool est en cause dans un tiers des accidents mortels », on ne dit pas que dans deux tiers des cas, ce sont les gens sobres qui sont morts ! Et pour que ces chiffres aient un sens, il faudrait impérativement savoir combien de gens circulent avec de l’alcool dans le sang sans avoir d’accident. C’est une question de logique : un tiers des accidents, c’est un chiffre qui n’est ni important ni faible si on ne connaît pas la proportion de gens qui boivent avant de conduire. Si, par exemple, 80% conduisent avec de l’alcool dans le sang, et qu’ils ne causent que 33% des accidents, il faut rendre l’alcool obligatoire ! Un enfant de cinq ans comprendrait cela ; un statisticien, non.

On le voit bien, Homo interdictus frappe non pas parce qu’il est nécessaire de le faire, mais parce qu’il ne sait plus faire que ça. C’est sa raison d’être, son impératif catégorique à lui. J’interdis, donc je suis. Quand il est ministre, il habille son interdiction d’un discours de père fouettard ; quand il émane d’une association, il ne s’embarrasse même plus d’arguments un peu construits, il glapit, jappe, frétille et range derechef ses éventuels contradicteurs dans le camp de Belzébuth. Avec des phrases terrifiantes comme « Même s’il n’y avait qu’un seul mort par an, ce serait encore trop ! », il chasse le mal en utilisant, la conscience toujours claire, les moyens de la tyrannie. Comme tous les esprits totalitaires, il ne veut pas seulement « améliorer les choses », il veut éradiquer les défauts, supprimer l’imperfection, génocider le négatif !

On dit que certains Hollandais craignent tant qu’on leur vole leur bicyclette, qu’ils préfèrent la laisser chez eux, et marcher à pied… Les Français en arrivent à construire les plus sûres routes du monde, puisqu’ils auront bientôt l’obligation de n’y rouler qu’au pas.