samedi 28 mars 2009

Up your asses !



En début de semaine, on apprenait que le préfet du Rhône se scandalisait par écrit que l’aéroport de Lyon (Aéroport Lyon- Saint Exupéry) soit renommé « Lyon Airports ». Je ne me suis jamais senti aussi partisan du corps préfectoral qu’à ce moment !
Au départ, en 1975, l’aéroport de Lyon s’appelle « aéroport de Satolas, du nom de la petite commune iséroise où il se trouve, à trois ou quatre kilomètres d’une autre qu’on aurait pu choisir comme éponyme, et qui s’appelle Montcul (authentique)... En 2000, pensant que Satolas n’était pas assez prestigieux, on lui change son nom, et on l’appelle « aéroport Lyon –Saint Exupéry », du nom d’un écrivain mineur que le hasard a faire naître place Bellecour. Presque dix ans plus tard, chaque lyonnais qui se respecte continue de dire qu’il va attendre sa mère à Satolas, et c’est très bien ainsi.
Une bande de gros nazes gras et épais, au premier rang desquels Guuy Mathiolon, président de la chambre de commerce et d’industrie de Lyon et président du conseil de surveillance ( ?) de Lyon Airports, ont résolu de faire vraiment beaucoup de fric grâce à cet aéroport. Avec d’autres ambitieux, ils veulent que Lyon deviennent une plaque tournante du commerce, une Babel des contrats en or, une Silicone Valley du dîner d’affaires, une Babylone de l’attaché-case. Ils veulent qu’à terme, New York et la City de Londres prennent exemple sur Lyon pour finir leurs fins de mois, et que les Princes d’Arabie viennent y quémander des crédits pour finir leurs palais. Le pognon, les affaires, ça, c’est de l’ambition, ça, c’est de la vision du monde ! Evidemment, ce genre de rêve ne saurait reculer devant aucun moyen, à commencer par les plus ringards. Ces incultes ont donc mandaté plus grotesque qu’eux pour pondre un concept-communication à la hauteur de leur bassesse : l’agence Brainstorming, dirigée par Jean-François Bourrec, ancien cancre de fond de classe reconverti dans les idées originales.
Devant les 200 000 euros de budget dévolus à l’opération de débaptisation de ce pauvre aéroport, ce mec s’est dit qu’il ne fallait pas y aller avec le dos de la cuillère. Pour un prix pareil, l’honnêteté et la conscience professionnelle commandent de se sortir les doigts du cul et de trouver une idée que les siècles futurs reconnaîtront comme une des dates de lancement du vingt-et-unième siècle, bordel. Illico, il a mis au travail son équipe de mousquetaires (consigne : « je veux du jamais vu » !) et, moins d’un quart d’heure plus tard (délai secret jamais révélé au public, mais que je livre en primeur sur ce blog), ils avaient pondu l’œuf : un nom anglais ! Il fallait y penser.
Au départ, la vérité est que le bon Bourrec s’est trouvé un peu effrayé par l’audace du concept : les commanditaires ne vont-ils pas reculer ? ne seront-ils pas trop déboussolés ? Ont-ils seulement entendu prononcer un mot en anglais avant ce jour ? Mais galvanisé par le souvenir de Baudelaire, de Van Gogh et de Galilée, qui surent eux aussi être en avance sur leur temps, le hardi tint bon et c’est le front haut qu’il proposa sa trouvaille à la CCI ivre d’enthousiasme et de petits-fours.
Le 24 février dernier, le nom de Lyon Airports est donc balancé au public dans un café lyonnais (le Gotha, ça ne s’invente pas) par les nullards réunis pour l’occasion, Mathiolon en tête, devant la presse locale endormie. On annonce également qu’un « consumer mag » va bientôt être lancé, trimestriel à destination des passagers qui n’en demandent pas tant. Il aura fallu un mois pour que le préfet, Jacques Guérault, écrive à la société Lyon Airports pour lui rappeler que l’Etat, actionnaire à 60% de la boîte, considère encore que la langue officielle de la république est le français, et qu’il faut changer ce putain de nom angliche et fissa (mot arabe signifiant « magnez-vous le train ») ! On note avec satisfaction qu’un Etat fort et centralisé est ce que l’homme a inventé de mieux pour cintrer les potentats locaux prompts à vendre leur langue maternelle contre un plat de pudding.

A part pour les quelques tocards responsables de cette pantalonnade, personne en France n’est assez dégénéré pour trouver normal qu’un aéroport (donc des panneaux indicateurs implantés sur les routes environnantes, etc.) porte un nom anglais. Quand les premiers yéyés sont apparus, au début des années 60, leurs noms à consonance américaine faisaient déjà pisser de rires nos parents, sans même parler de leur musique. A l’époque, qui aurait pu imaginer que cinquante ans après les Dick Rivers, les Johnny Halliday, les Richard Anthony, les Sheila & Ringo et les Stone & Charden, des individus doués de raison puissent utiliser la même ficelle, l’anglais, pour « faire rêver », ou donner une « dimension internationale » de la mort à un joli petit aéroport de province (et qui vous emmerde) ? Qui aurait pu prévoir qu’on tomberait aussi bas dans le mépris de soi ?
Pour l’instant, l’histoire se termine bien. Les ânes sont renvoyés près du radiateur, et les élèves normaux continuent de parler français en France. Qu’on laisse faire les chefs d’entreprise et les pubards de toutes sortes, et on verra bientôt des villes changer de noms pour rafler des marchés à l’export ! Lisez les arguments du Mathiolon, ils sont limpides et instructifs (le fichier PDF vaut son pesant de gifles, un résumé ICI). Ce faux-cul est capable de soutenir, dans une syntaxe à crever de rire, que les inventeurs de Lyon Airports sont des gens fiers : « Toute entreprise a une nationalité et en est fière. La nôtre est française. Elle est affichée à travers le nom de sa ville ». Ben oui, il faut reconnaître qu’ils n’ont pas changé le nom de la ville, et c’est bien dommage. Les Anglais disent Lyons, ça serait quand même moins franchouillard que Lyon. Une ville bi millénaire en a vu d’autre, elle pourrait faire cet effort-là !