samedi 20 octobre 2007

le génie de Gary Larson



Personne ne sait vraiment pourquoi un homme comme Jacques Chirac a pu séduire la France au point de devenir, par deux fois, Président de la République. Ni pourquoi, ni comment, ce mystère nous dépasse et, j’en prends le pari, il laissera les historiens sur le cul. La chose est comparable avec Gary Larson.

Les dessinateurs étrangers traduits en France sont souvent des dessinateurs de bande dessinée, assez rarement des dessinateurs de daily comic strip. Mais il est curieux que le meilleur d’entre ces derniers soit justement le moins connu chez nous. C’est un mystère qui ne s’explique pas plus que celui du règne chiraquesque.

Rapidement, pour situer le bonhomme : il est né en 1950 sur la côte ouest, il a commencé à publier des dessins dans le Seattle Time en 1979, puis dans d’autres journaux dont le San Francisco Chronicle, sans interruption jusqu’à sa retraite en 1995. Son œuvre doit être vue comme elle fut construite : un exercice quotidien, une plongée dans un monde personnel (le sien) parfaitement cohérent.

L’humour de Gary Larson est fait de quelques grands principes qu’il décline avec virtuosité, et de quelques personnages types qu’on retrouve plus ou moins modifiés tout au long de l’œuvre. Parmi ceux-ci, des figures typiquement américaines (cowboys), des matrones domestiques dictatoriales, des savants qui semblent totalement tombés en enfance, des débiles innocents, des hommes préhistoriques et des explorateurs paumés. L’ensemble de cette population est en permanence confrontée au personnage principal de Larson : l’animal. Là où Disney utilise des lions ou des ours pour en faire de gentils compagnons des enfants, Larson introduit l’animal comme miroir de nos comportements, c'est-à-dire comme source inépuisable d’inquiétudes, de dysfonctionnements et surtout de grotesque. Quand un explorateur et un crocodile se rencontrent, chez Larson, ils ne vont pas se mettre à danser ensemble en clignant des yeux face caméra, l’explorateur va se faire bouffer et ça va nous faire rire.

"Par Jupiter! Nous l'avons trouvé, Simmons!...
La mystérieuse aire de jeux des éléphants!"

Les animaux sont utilisés de plusieurs façons, soit une scène les montre seuls dans des situations typiquement humaines, soit humains et animaux sont mélangés comme si de rien n’était (des hommes et des cochons dans un restaurant, c’est courant), produisant toujours un déséquilibre qui touche. On peut même dire que Larson dépasse ce principe en utilisant aussi des personnages végétaux : c’est le monde sauvage qui est ici montré à notre place (des carottes au petit matin tapinent en aguichant un homme céleri, par exemple).

Dans le monde de Larson (le Far Side), la catastrophe est là, imminente, souvent cruelle, souvent noire ou burlesque, et toujours grotesque. C’est un des ressorts de son humour. C’est aussi pourquoi les savants (je préfère parler de savants, à l’ancienne, que de scientifiques pour désigner ses personnages, allez voir pourquoi) en sont des acteurs familiers : ils représentent l’effort jugé risible de l’homme pour échapper à la sauvagerie et à l’anarchie du monde. Les dessins les mettant en scène sont sûrement ceux qui définissent le mieux la vision Larsonienne de l’humanité : de grands enfants doués, totalement bordéliques, que leurs instincts ramènent toujours vers le chaos et la farce.

Un fait curieux, les catastrophes qu’on voit se réaliser sous nos yeux sont toujours sources de rire. Il montre ce qui arrive quand une logique est poussée à bout, ou quand un élément habituel est remplacé par l’étrangeté imprévue, mais sans aucune noirceur. Larson rit de tout, avec tout le monde, car il sait bien que la lutte est ce qui définit le mieux la vie. Il ne s’en formalise pas, et la « cruauté » ne l’intéresse que dans la mesure où elle est drôle. Il semble nous dire que finalement, nous allons tous (plus ou moins abruptement) vers notre destin, qui est d’y passer. Pas de quoi en faire un plat.

Son oeuvre est abondante, d’une constante tout à fait exceptionnelle dans la qualité, et il serait vain d’essayer de la saisir autrement qu’en la lisant. Sa puissance est tout à fait hors de proportion avec les dessinateurs que nous avons par chez nous. Il n’y a ni Cabu, ni Wolinski, ni Bosc, ni Reiser ni personne qui puisse lui être comparé. Depuis quelques années seulement, une petite partie de son travail est disponible en français. Je recommande pourtant de l’acheter en anglais : sans avoir un niveau formidable, on peut parfaitement s’y retrouver (disons avec un bon niveau terminale) et elle est moins chère... Andrews and McMeel l’ont compilée en quelques tomes. En revanche, son site est un des plus merdiques du monde Web : il doit s’en foutre énormément (. http://www.thefarside.com/)