dimanche 6 janvier 2008

Don d'organes: mourrons sympa !

Retournez l'image: Oh, un splendide bouquet !


De temps en temps, une association quelconque nous rappelle les bienfaits du don d’organes. Au moment où l’on s’y attend le moins, (mais s’attend-on vraiment à ce qu’on nous fasse jamais une telle requête ?) on vient nous dire que tant de gens attendent un rein, un œil, un cœur ou un gros orteil gauche, comme si cela concernait tout le monde, comme si le mec qui a la malchance d’avoir le cœur fragile comptait sur nous pour le dépasser en malchance, et crever.

Le don d’organes est un domaine où, paradoxalement, on utilise les arguments de la logique la plus matérialiste pour convaincre qu’une fois mort, vos boyaux ne serviront plus à rien. Cette injonction à mourir utile est une variante particulièrement gonflée du consumérisme moderne, un apogée dans ce que la société est capable de demander au pékin moyen en matière de sacrifice. Bien convaincu, tout au long de sa vie, qu’il ne travaille que pour avoir de l’argent, et qu’il n’a d’argent que pour le dépenser et faire tourner le système, le clampin de base que je suis devrait aussi appliquer cette règle post mortem et continuer d’être au service de la communauté jusque dans le sapin. Niet !

Imaginons un citoyen religieux, croyant, assuré en son for intérieur qu’il possède une âme, qui est tout, vouée à la vie éternelle auprès de dieu, tandis que son corps, poussière passagère, n’a qu’une importance temporaire. Si en plus la religion de ce brave homme postule l’aide à autrui comme règle de vie, et l’amour comme ambition suprême, on comprend parfaitement que nous avons là le client rêvé, idéal, parfait, indépassable pour le don de ses organes. Une paire de poumons, qu’est-ce que c’est comparé au souffle divin ? Un œil ou même les deux, face à la lumière de dieu ? Un authentique croyant devra se soucier comme d’une guigne de son méprisable amas de tissus, il ne jettera certes pas la moelle osseuse par les fenêtres, mais il se montrera généreux avec ceux qui n’ont pas encore la chance d’être entrés dans le temps éternel. Ses organes sont à vous, il n’y a pas à discuter.

Considérons maintenant un citoyen athée. Pas agnostique, douteux, déiste, flanchant : un athée pur et simple pour qui dieu n’existe pas, pour qui il n’y a pas de paradis, pas d’enfer, pas d’âme, aucun arrière monde formidable ni terrifiant, nib. Cet athée-là ne possède en propre que son corps. Sa richesse, son avenir, il les porte sur lui en permanence. Il sait que la mort ne lui apportera rien, et même qu’elle lui prendra tout. L’éternité pour lui, ça ne dépasse pas le sentiment qu’on éprouve en poireautant sur un quai de gare, un jour de grève. Comme il ne croit à aucune promesse de vie après la mort, qu’il ne l’envisage même pas, pas plus que la réincarnation, le karma ou la métempsychose, il se contente de son corps et de tout ce qu’il permet, des aptitudes physiques comme des envolées lyriques. Ce brave sera tout naturellement porté à vouer un intérêt jaloux à sa propre personne, à sa santé, à ses bras et jambes, à ses reins, ses oreilles, sa bite, enfin à tout ce qui devient objet de convoitise dans cet âge moderne d’abondance. Il sera également fondé à vouloir conserver son unique richesse entière, jusque et y compris dans la tombe. Comme il n’espère et n’attend rien, n’attendons rien de lui.

Part.Vds foie neuf, jamais servi, garanti non-fumeur.


Evidemment, une fois mort, un organe ne sert plus à grand-chose, sauf à faire bonne figure malgré tout. Question de dignité que chacun juge à sa propre mesure. Mais qui a dit qu’un organe devait servir une fois son créateur mort ? D’où sort cette lubie ? Quand on enterre un macchabée, que je sache, on ne le roule pas en boule dans un trou vite bouché, on ne lui ôte pas ses dents en or, on ne le manipule pas au tractopelle, merde ! Or son corps, c’est incontestable, ne lui « sert plus à rien » ! Non, la différence avec ces enculés d’animaux, c’est que nous, humains, nous aimons ce qui ne sert à rien, nous y voyons un sens, nous avons besoin de ça. Ne servir à rien, c’est utile ! Nous inventons des rites splendides (et des discours banals) pour enterrer nos morts, nous les parons, nous les habillons, nous leur faisons des cadeaux, nous leur offrons des bijoux, nous les embrassons ! Tout ça ne sert à rien. Nous posons un bloc de pierre sur le sol et, encore plus inutile, nous venons nous y recueillir de temps en temps, cons que nos sommes, comme si le granit goûtait les sanglots étouffés ! Mais c’est l’exacte différence qui nous distingue des porcs et des scolopendres.

Chacun d’entre nous connaît ou peut-être fréquente des gens qui ne se servent pas de leurs organes. Je veux dire de TOUS leurs organes… Un glandu pétant de santé, par exemple, non fumeur, qui ne se promène jamais en montagne ni ne fait de vélo. Et pour que le cas soit tranché, imaginons que cet oisif soit écrivain, ou blogueur assidu ! Il est incontestable qu’un individu aussi minable pourrait TRES BIEN se débrouiller avec un seul poumon. Une vie passée le cul collé à une chaise ne réclame pas des éponges modèle suisse ! Pourquoi ne pas envisager de retirer un poumon surnuméraire de cette poitrine paresseuse pour le greffer dans celle d’un authentique nécessiteux : un gros fumeur, un chanteur d’opéra, un tribun populiste ? Et le coude gauche de ce pompiste flegmatique, ne serait-il pas plus utile à la société s’il s’entait au bras d’un célèbre tennisman tricolore trop souvent blessé ? On fabrique des fausses dents, certes, mais des femmes qui ne rient jamais s’enorgueilliraient de fournir à Ségolène Royal une salle à manger 100% naturelle !Elle a la France à charmer, tout de même ! Après tout, pourquoi faudrait-il attendre la mort d’un donneur pour que le citoyen demandeur jouisse de son droit de vivre en bonne santé ? (et je ne veux pas aborder le sordide sujet du trafic d’organes que d’épouvantables ordures volent à des malheureux pour fournir ces putains de demandeurs, c’est trop pour moi).

Le double anus: une rareté très recherchée

Ce diktat de la communauté sur l’individu vise à lui retirer ce qu’il a en propre, son individualité même, son intégrité physique, au profit d’un autre parfait, logique et irrémédiable : la victime pantelante dont le sort est suspendu à nos tripes. Puisque l’histoire nous met provisoirement à l’abri des guerres, périodes où le sacrifice individuel est au pinacle des valeurs morales, la science, dans son volet médical, exige de nous aujourd’hui la même abnégation dans d’autres combats. Donnez votre sang ! Comme à la guerre, citoyens Poilus, versez-en de bonnes rasades pour le bien de tous ! Mais les avancées de la science étant ce qu’elles sont, donner son sang ne suffit plus, ce sont des tranches entières de nous-mêmes qu’il faut à présent sacrifier sur l’autel de l’altruisme. Que la société demande, insiste puis exige moralement ce genre de sacrifices serait presque un progrès au regard de ce que nos ancêtres ont vécu. Mais qu’on ne puisse plus refuser ce principe sans passer pour un rétrograde attardé ou un égoïste inconcevable (et le demandeur, attend-il mon foie par altruisme, peut-être ?) est sans doute le signe qu’on peut vraiment TOUT demander, tout faire au Français moderne.