dimanche 25 janvier 2009

Deux jours de foutu


Il y a cent façons de réaliser un nanard. La plus courante, la plus facile sans doute, consiste à prendre une histoire débile, des personnages insignifiants, des acteurs lamentables, un réalisateur inculte, un chef op dépassé, enfin de réunir les plus performants trous du cul autour d’un budget de crise en tentant de faire un film avec. Dans cette catégorie, les Etats-Unis servent de modèle au monde entier, de référence, d’étalon souvent dépassé. Et puis, il y a la french touch
De bons amis à moi m’ont vanté les mérites du dernier film de Jean Becker, « Deux jours à tuer », avec l’épontel Dupatant (ou l’épatant Dupontel, je m’y perds) dans le rôle principal. La qualité et la sincérité de la promotion étaient telles que je me régalais d’avance, prêt à entonner un vibrant éloge à mon tour pour que le fameux bouche à oreille ne manque pas de carburant. Venant de voir ce film, je me trouve dans l’obligation d’apporter ma note au concert, mais de changer complètement la tonalité.
Nous avons donc l’histoire d’un type qui apprend qu’il a un cancer incurable, qui n’a plus que quelques jours devant lui, quelques mois tout au plus avant de claquer et qui se sépare de sa famille, de ses amis (en envoyant chier tout ce monde) pour aller crever tout seul dans un trou perdu. Le sujet n’est pas d’une folle originalité, mais il est suffisamment riche pour qu’on en tire moult chefs d’œuvre. Mais voilà, nous sommes en France, et en France, les chefs d’œuvre sont comme les grands hommes, comme les charges de cavalerie, comme les peintres de génie, comme les révolutions : des choses du passé.
Même dans un grand film, il peut arriver qu’une scène ne soit pas à la hauteur de l’ensemble, il peut arriver qu’un film peine un peu à trouver son rythme mais qu’il vous enchante par la suite. Enfin, il faut savoir être patient quand on se plante devant un écran, patient et bon public. C’est le genre de conneries que je me suis surpris à penser après la première scène importante du film, celle où Telpondu (nan, Du-pon-tel) annonce à sa femme qu’il va la quitter. Certes, les scènes de rupture étant très répandues au cinéma, et il ne doit pas être facile d’y briller par originalité, et on n’en demandait d’ailleurs pas tant à Jean Becker. Mais on pouvait attendre au moins qu’il fasse vivre la saynète, que le dialogue soit un peu réaliste, que les acteurs soient convaincants, que le montage soit efficace. Au lieu de ça, on a une série de questions-réponses indigestes, bien ordonnées (chacun attend que l’autre ait gentiment fini de parler, comme dans un séminaire sur la non-violence), surjouées comme rarement, un truc qui s’éternise en poses ridicules, une scène éclairée façon sitcom, le tout d’une lourdeur et d’une lenteur à faire pâlir un Jean-Pierre Raffarin des meilleurs jours. Puis vient la scène prétexte qui va marquer la vraie rupture du héros avec ceux qu’il fréquente : la scène où il est censé dire leurs quatre vérités aux amis venus chez lui pour son anniversaire. Censée être violente, dans les mots puis dans les actes, cette scène a tout pour endormir les enfants (placez donc le plus turbulent de vos bambins devant l’écran, et vérifiez par vous-mêmes la véracité de mon affirmation). Cependant attention, même dans un film raté, la moins complaisante des critiques doit savoir reconnaître et signaler les éléments exceptionnels, et le film de Becker n’en manque pas, notamment dans cette scène : les acteurs jouent exceptionnellement mal. Tous les acteurs et toutes les actrices réussissent en effet l’exploit de jouer admirablement à l’unisson, mais rigoureusement faux. Ils laissent bien sagement le personnage de Tondelpu balancer des énormités sans lui couper la parole, en restant assis à table, sans s’énerver, parfois même en gardant un sourire accroché à la lèvre comme un herpès disgracieux et quand finalement des coups de poings sont échangés, les actrices se mettent toutes à jouer sur le même et unique registre (éploré non expansif) sans la moindre trace d’hystérie, sans même une mèche dérangée (un détail, pour donner le degré d’amateurisme franchouillard atteint, Pelduton se prend un verre de vin en pleine poire, son T shirt est trempé mais sur le plan suivant, le plan immédiatement suivant, hop ! plus de trace de rien du tout sur le T shirt, puis ça réapparaît, et ça repart selon les plans pendant trois minutes – bordel, suis-je le seul à avoir remarqué ça ? ).


C’est à ce moment-là que je me suis rappelé que Jean Becker est l’homme qui réalisa jadis « Effroyables jardins », un film épouvantable, mal fichu, gnan gnan, stupide, à la photographie de supermarché, où tous les acteurs jouaient faux (je mets de côté Thierry Lhermitte, qui joue faux depuis trente ans dans tous les films où il sévit)… J’en arrive donc à la conclusion que c’est Becker lui-même qui corrompt les acteurs et que sous sa direction, même une Claire Nebou ne peut rien faire de crédible. Rideau !
On vous aura prévenus, Deux jours à tuer, c’est surtout une heure vingt à perdre.