vendredi 28 novembre 2014

Bégaudons !

L’historien du futur qui aura l’idée d’étudier les archives des médias pour reconstituer ce qu’aura été la vie quotidienne de gens au XXIème siècle risque une gourance de première catégorie. S’il croit par exemple que les polémiques médiatiques, les offuscations automatiques des barons de la presse et de leurs relais citoyens, ont un quelconque rapport avec la vie réelle des gens, eh bien je ne donne pas cher de l’Histoire qui s’écrira après nous.

Il y a quelques semaines, un certain Willy Sagnol a eu la mauvaise idée de parler des joueurs africains et des joueurs qu’il appelle « nordiques » (comprendre : blancs). Or, il est impossible de faire voisiner ces deux thèmes non pas dans une même phrase, mais dans une même interview, sans déclencher l'hystérie. Partout ailleurs dans la société, vous pouvez discuter des mérites respectifs de vos joueurs préférés, vous pouvez critiquer celui-ci, encenser celui-là, dire qu’un troisième est une glinche finie et qu’un quatrième est visiblement con comme un manche. Mais dans les médias, pas question. Ce qu’on a reproché au gars Sagnol est cousu de fil blanc : racisme. Qu’avait-il donc dit ? Que les joueurs africains « typiques » étaient choisis pour leur puissance physique et le faible coût qu’ils représentent. Bon, le mec est entraîneur, il doit connaître son marché, c’est sans doute vrai. Cependant, il a ajouté une chose impossible : « Mais le foot, ce n’est pas que ça, c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline ». Horreur ! Immédiatement lui sont tombés dessus tous les vigiles patentés de la morale et de la bonne marche du monde. En disant cela, Sagnol sous-entendrait que technique, intelligence et discipline ne sont pas les qualités habituelles du joueur « typique » africain. Ceci est un épouvantable scandale.




J’avoue ne pas savoir si les joueurs africains manquent de ces trois qualités, mais ça m’étonnerait. Il y a forcément des joueurs fins et malins partout dans le monde et, moi qui n’y connais rien, je prends même le risque d’affirmer qu’il y a des joueurs africains petits, frêles et qui courent lentement. Mais voilà, ce n’est probablement pas le genre d’hommes que les recruteurs de chez nous vont d’abord chercher en Afrique : les nazebroques, on ne sait déjà plus quoi en faire chez nous ! Non, à ce qu’on comprend d’instinct, les joueurs africains qui intéressent nos Thénardier, ce sont de belles brutes rapides et musclées, fonçant et bousculant un ailier portugais comme au champ de foire, renversant un attaquant microscopique d’un coup de fesse et défonçant un mur de clampins d’une frappe de mulet ! Si cela est vrai, alors il est assez logique qu’un entraîneur précise que le football n’est pas « que ça », et qu’il lui faut aussi une pincée de discipline, une livre d’intelligence (intelligence de jeu, pas intelligence conceptuelle, dont TOUS les footballeurs semblent dépourvus sans distinction de race) et un chouia de technique.


Comme chaque fois, sitôt la phrase Sagnolesque diffusée, l’armée du nombre sort ses armes et lance l’attaque, chacun s’offusque et témoigne en place publique de son effarement citoyen. Comme d’habitude, François Bégaudeau est du lot, qui fustige en quelques lignes les ennemis du genre humain. « Quelque chose se dit là, qui est peut-être le fond du fond, opaque à leur auteur, des propos de Willy. Un sentiment, un ressenti, une sourde rêverie qui irriguent maints discours contemporains. D’Eric Zemmour, nostalgique des braves Bleus de 1982, au journaliste Daniel Riolo, déplorant la « racaillisation » du foot, en passant par les vannes sur les cheveux de Pogba ou la complainte de l’essayiste Jean-Claude Michéa sur la disparition du football paysan plein de bon sens, court l’idée, pas raciste, pas méchante, juste un peu étriquée, un peu bourrue, un peu auvergnate comme Willy, qu’on se sentirait quand même mieux avec des footballeurs issus du petit peuple blanc. »

Dans un texte que je recommande vivement, Michéa se fait donc un devoir de remettre à sa place le perfide Bégaudeau, pris en flagrant délit de falsification. Et il y parvient très bien. Il y relève le parti pris de mentir où se complaît son adversaire, et propose un néologisme épatant, synonyme de trafiqué, maquillé intentionnellement en vue de tromper, ou monté de toutes pièces : bégaudé ! On pourrait ainsi dire : j’ai bégaudé des photos de François Hollande en train de vaincre le chômage, on s’y croirait !

Vous me direz que le combat est trop inégal. Certes, il suffit de comparer les livres de Jean-Claude Michéa, maître de l’ironie, avec ceux du laborieux bégaudeur en série, le Nabila de nos lettres contemporaines, pour deviner qui va rouler dans la poussière. Mais pour que le triomphe soit complet, amis lecteurs, propageons le verbe bégauder, qui est à la malhonnêteté intellectuelle ce qu’Alain Minc est au plagiat, parlons autour de nous du bégaudage, tous ensemble donnons au donneur professionnel de leçons (DPL) sa seule chance de laisser son nom dans l’Histoire !