Il est de bon ton de se moquer des anglicismes les plus sauvages, les plus inattendus, surtout dans les premiers temps de leur apparition. Puis l’habitude fait son œuvre, et on se met à les employer, pour être compris, parce qu’après tout, ils disent bien la chose à dire, parce que nous sommes des francophones, c'est-à-dire adeptes d’une langue qui « recule ». Les optimistes de principe diront que la langue évolue, ce qui n’est pas contradictoire avec la première affirmation, mais la question n’est pas là. Les anglicismes sont pratiques, car ils sont faciles à repérer. Quand on veut se moquer sans risque d’un couillon (un publicitaire, par exemple), on relève les anglicismes qu’il emploie. Les anglicismes, remarquons-le, ne sont utilisés nulle part autant que dans le français « de l’entreprise », cash flow, joint-venture, le ridicule reporting, etc. C’est sans doute explicable par le fait que les économistes et les chefs d’entreprises en général se foutent complètement de la langue française, comme ils se foutraient de l’anglaise si elle n’était pas un vecteur de puissance et de pognon. Le monde du sport, qui est un laboratoire idéal pour la compétition économique, s’est brutalement anglicisé depuis peu : on disait poules pour désigner les catégories en championnat de rugby, on utilise désormais l’extravagant TOP 14 ! En foot, la coupe des champions a été soudain remplacée, on ne sait pourquoi, par la champions league. Habituellement, le mot ligue évoquait les organisations d’extrême droite des années 20 et 30, les Camelots du roi, les Croix-de-feu, les Jeunesses patriotes ou le fameux Faisceau, autant dire qu’on ne se précipitait pas trop sur ce mot depuis. On parle désormais de ligue 1 (en français, s’il vous plait !) pour désigner l’ancienne première division, ce mot de division étant probablement chargé de tant de négativité qu’il effrayait les requins du ballon rond eux-mêmes ! Brrr ! En formule 1, le warm up est apparu sans nécessité, à la joie et à l’initiative des journalistes sportifs. On pourrait y passer trois pages…. Mais justement, les anglicismes plaqués brutalement sur le langage courant sont tellement repérables qu’ils font de l’ombre à un phénomène bien plus grave, qui est lui de la pure connerie, et que personne ne semble remarquer. Il y a quelques décennies, personne n’aurait compris ce que désignent les expressions « idées recettes » ou « gâteaux sésame ». Aujourd’hui, ces purs anglicismes travestis sont parmi nous, ils remplacent les ringardissimes idées de recettes et les néanderthaliens gâteaux au sésame. Accoler brutalement deux mots pour créer une expression valide est une pratique que le français laissait à l’anglais, jusqu’à ce qu’on se rende compte que tout le monde s’en fout. Ouvrez n’importe quel magazine, n’importe quel prospectus publicitaire (attention, le mélange abominable de couleurs vives peut provoquer des vomissements), vous trouverez de ces attentats grammaticaux : les fameuses fiches produits, le gigantesque Carrefour Hypermarchés France, le très occupé responsable achats, les poétiques billets avion, les pédophiliques vélos enfants, les bienvenues astuces bricolage, les rassurants produits bois, les aventureux projets vacances, la puissante barre chocolat et une gamme proliférante d’autres expressions de la même farine. C’est laid, c’est stupide, c’est surtout inutile, c’est pour ça que ça plait. « Bousculade au guichet départ de Lagardère Active De nombreux salariés se sont portés candidats au guichet départ mis en place dans la branche presse de Lagardère Active. » (stratégies.fr) Au-delà de cette forme d’anglicisme, le français est régulièrement ravagé par des vagues d’expressions publicitaires stupides qui ont toujours un vif succès avant de se ringardiser et, heureusement, de disparaître. Laissent-elles de profondes traces ? Ce n’est pas sûr. Mais, par leur foudroyant succès et leur capacité à être reprises par tout ce que le pays compte de moutons, elles font souffrir quotidiennement les âmes sensibles pendant des années. Il y a quelque temps de ça encore, après un petit-déjeuner malin, je téléphonais à mon chef produits (une expérience de pro) avant de passer déposer ma bagnole à l’espace pneus. Pas facile.
Si on rencontre des opposants officiels aux anglicismes voyants (ce genre d’opposants invite toujours au débat une québécoise acariâtre), personne ne semble faire attention à ces sournoises attaques grammaticales qui pénètrent le langage courant et qui ont l’avantage de pouvoir être prononcées plus facilement, même par une grand-mère qui n’aurait pas fait d’anglais. On ne dira jamais assez à quel point le langage du commerce et la publicité pervertissent la langue, probablement sous prétexte d’innovation (attention, une explosion de rire trop franche peut entraîner des postillons dégueulasses sur l’écran). Un idéologue parlerait sûrement d’influence néolibérale et de conséquence de la mondialisation sur le langage, mais pas moi… Dire autrement le même baratin, c’est le lot quotidien des pubards. Evidemment, l’inventivité est ce qu’ils possèdent le moins, et c’est ainsi qu’ils se pompent les uns les autres les plus ridicules expressions. Quelques années à ce régime ont fait que personne ne se formalise plus de rien et, plus grave encore, que personne n’a même plus envie d’en rire.