lundi 20 avril 2009

La peur sans fin


Dans le catalogue des futilités que les médias nous servent chaque jour, il en est une qui, par sa régularité obsessionnelle, mérite le plus monolithique des mépris : la météo. Comme toutes les futilités, sa signification est cachée, elle ne se donne pas spontanément et n’a aucun rapport avec ce qu’on pourrait imaginer de prime abord.
En dehors de quelques reliquats d’époques anciennes, comme les paysans ou les marins, peu de professions ont un intérêt direct à savoir trois jours à l’avance le temps qu’il va faire. Pour avoir travaillé jadis pour un marchand de glaces, je témoigne qu’en été, qu’il fasse soleil ou qu’il pleuve, on dresse quand même les tables sur la terrasse. La seule différence quand il pleut, c’est que les clients ne s’y installent pas. Savoir qu’il va pleuvoir ne change donc rien au triste quotidien des gens de la restauration.
La météo que donnent les médias n’est d’ailleurs pas destinée à informer les professionnels. Pour cela, il y a, par exemple, la météo marine, lancinante évocation de zones lointaines (Ouessant, Nord Cabrera, Fisher, Golfe du Lion, etc.) d’une précision chirurgicale (« vent force 6 soufflant sud, sud-est sur la zone au début »), parfaitement imbitable à la longue pour toute personne non concernée. Non, la météo de monsieur Toulemonde s’adresse bien à lui, à lui seul, c'est-à-dire qu’elle s’adresse à un glandeur. Il n’y a pas une seule situation de sa vie quotidienne ordinaire qui justifie sérieusement qu’un citadin sache à l’avance le temps qu’il va faire. En y réfléchissant bien, que risque un mec qui n’a pas pris son parapluie en partant au boulot ? S’il pleut, il se mouille la tête, c’est tout. Bien souvent, il se déplace en voiture, ou en bus, ou en métro (c'est-à-dire dans des véhicules étanches) et ne parcours pas plus de cinquante mètres à pinces dans toute sa journée. Il peut s’être lui-même convaincu que la météo est importante, mais objectivement, ce n’est pas le cas. La météo sert à autre chose, autre chose dont il n’a pas conscience.


La mise en scène des bulletins météo est organisée pour faire croire qu’il se passe un événement, alors qu’il ne se passe rien. Les jours se succèdent comme ils se sont succédés depuis des millions d’années, la pluie tombe et le soleil tape. Mais il faut faire croire que cette pluie annoncée pour la fin de soirée est quelque chose comme la première pluie depuis l’invention du monde, qu’il est bon d’en savoir plus sur elle, de la connaître avant qu’elle advienne, et de la surveiller comme le lait sur le feu. Variante débilo-climatique de l’idéologie sécuritaire, la météo n’est là que pour générer de l’angoisse, et en tirer un profit. Il s’agit de maintenir artificiellement en alerte la vigilance des citoyens désoeuvrés, pour créer dans le vide une sorte de solidarité des tranchées unissant les combattants de la vie quotidienne, ceux qui se sont mouillés les cheveux ensemble, qui ont affronté le soleil d’août sans faiblir, côte à côte ! Comme une tribu primitive qui utilise la guerre comme moyen de renforcer sa cohésion et n’a plus besoin d’autre justification pour s’y livrer en permanence, la société médiatique moderne a besoin d’ennemis à sa mesure pour transformer ses pompistes et ses chirurgiens dentaires en guerriers perpétuellement sur le qui-vive. Il faut entendre le ton des annonceurs de catastrophes, ces envolées lyriques pour dénoncer une température qui pourrait descendre en dessous de trois degrés ( !) ou les fameuses « alertes météo » pour un après-midi un peu chaud, une averse de printemps ou une gelée matinale ! Il faut voir comment cette phobie fictionnelle créée de rien se marie parfaitement, et de façon institutionnelle, avec la prévision routière, autre grande dénonceuse de dangers pour warriors en peau de lapin. Alerte purpurine ! on annonce de la NEIGE sur la région de Montluçon ! NE PRENEZ PAS LA ROUTE !! Evitez au maximum de vous déplacer et ne le faites que si vous ne pouvez faire autrement ! En quelques années, il est devenu parfaitement banal d’accepter le terme de « vigilance » pour qualifier l’action éventuelle de chasse-neige et de saleuses sur un réseau routier. Quel est cet ennemi insatiable contre lequel on appelle la population à une perpétuelle vigilance ? Quel est ce fléau, ce Gengis Khan moderne ? Quel est ce destructeur de civilisation qui rôde pendant qu’on regarde Drucker à la télé ? C’est, selon le cas, le froid, la chaleur ou les redoutables gouttes de pluie ! On a les angoisses qu’on peut.
En nous « informant », les médias participent à ce qu’on pourrait appeler un stress social, fait d’émotions impuissantes, de prises de conscience dans l’impasse, de douleurs sans réel objet (c'est-à-dire sans objet à la portée de celui qui souffre). On nous apprend qu’un train a déraillé à Seattle, puis qu’une mine d’argent a englouti trente mineurs en Chine, puis que le gouvernement du Pérou a chuté, pour finir par le drame de la jalousie qui a ensanglanté une famille au pôle nord. L’ensemble de ce flux anxiogène travaille le corps social en permanence, mais sans aucune raison. Pour que ceci ait un sens, il faudrait qu’existent des liens de filiation, de solidarité, des affinités quelconques entre les mineurs chinois et l’auditeur français dans son embouteillage, ce qui n’est évidemment pas le cas. Mais les médias étant par nature intéressés à « ce qui se passe », ils continuent de nous parler de ce qui ne nous regarde pas, nourrissant l’idée que le monde est violent, et surtout qu’il n’est que ça. La météo, malgré la futilité de son objet, c’est la même chose.
Maintenir en éveil l’angoisse du citoyen devant l’instabilité du monde est la véritable raison d’être de cette pantomime. Par toutes sortes de moyens, il faut travailler le populo pour qu’il ne puisse jamais connaître cet état dangereux : la paix. On doit lui donner des raisons de se plaindre sans raison. Même quand on veut lui vanter les délices d’un séjour touristique au bord d’une mer sereine, on s’arrange pour lui faire comprendre que l’occasion ne doit pas être ratée, que le prix ne sera pas toujours aussi bas, que l’opportunité ne se reproduira pas, que c’est maintenant ou peut-être jamais plus ! C’est l’effet soldes : on irait jusqu’à se battre, jusqu’à se foutre dans le ravin pour ne pas manquer une bonne affaire !
Dans ce monde soumis à l’instabilité comme d’autres furent soumis à des idoles, il était écrit que la météo, le temps qu’il fait, trouverait une place centrale. Pour transformer la banalité de ses changements incessants en « information », il ne manquait que les médias, et leur intérêt mercantile à vendre du papier (ha, qui dira la violence tartarinesque du « front pluvieux » ?). Depuis quelque mois, France-Culture elle-même s’est mise à la météo : quelques phrases jetées en fin de journal, des bribes de bulletin parfaitement incompréhensibles, absurdes, incomplètes, décalées, à peine suffisantes pour créer l’angoisse recherchée… un début.

jeudi 16 avril 2009

Tavernier dans la brume totale


Mercredi matin, Bertrand Tavernier parlait de son dernier film sur France Culture. Au volant de ma voiture, sur les routes désertes qui vous font traverser le massif du Pilat, je négociais virage après virage en jouant au chat et à la souris avec le soleil rasant, et j’écoutais le vieux cinéaste raconter une anecdote sur Clint Eastwood, livrer un trait de caractère de Tommy Lee Jones ou analyser une scène d’un film de Raoul Walsh que je n’ai pas vu. Je l’ai entendu parler du Cambodge, qu’il a appris à connaître à la faveur d’un tournage, des flics, de Lyon, « sa ville », dont son père lui disait qu’elle fut libérée en 1944 par des Noirs, des Noirs d’Afrique et d’Amérique, dont les descendants sont chassés comme gibier par Brice Hortefeux et Eric Besson, puis de son amour de l’Histoire... Je ne savais pas que le soir même, une trentaine de personnes verraient son nouveau film dans une salle du Méliès, à Saint-Etienne, et que je serais du nombre.
« Dans la brume électrique » est un film qui dure trois bonnes heures. Son originalité première est que, quand vous sortez de la projection et que vous consultez votre montre, deux heures seulement se sont écoulées. C’est une surprise que seul le cinéma français est encore capable de vous donner.
Qu’est-ce qu’un mauvais film ? A vrai dire, je n’en ai aucune idée. Je sais dire quand un film est une vraie merde, ou quand il est un chef d’œuvre, mais un mauvais film, c’est trop compliqué pour moi. Je sais juste qu’en général, c’est un film réalisé par quelqu’un qui se croit (à tort) plus intelligent que ses spectateurs, même s’il clame partout le contraire. Avec son énorme bagage culturel cinéphilique, Bertrand Tavernier est évidemment porté à ce genre de comportement. C’est la raison principale qui explique la grande quantité de mauvais films qu’il laissera derrière lui à sa mort.
Quand un mauvais film se déroule en Louisiane, quelle qu’en soit la trame, quel qu’en soit le sujet, on peut être sûr qu’un événement « inexpliqué » y surviendra à un moment ou à une autre. Inexpliqué ou surnaturel, étrange ou inquiétant, cet événement devra toujours répondre à un cahier des charges précis : celui qui régit les Clichés. Ce cahier des charges est si précis que peu de cinéastes ont pu y résister (même Eastwood s’y soumit, avec son « Minuit dans le jardin du bien et du mal », film justement oublié). Avec à ses marécages, la Louisiane offre un cliché splendide à ceux qui y voient encore une zone non définie, un entre-deux inusable et pratique pour y fourguer une dose variable de mystère, de vaudou, de loi du silence et de vieux Nègre qui sait, qui voit tout mais ne dit rien, ha, ha. Les spectateurs ont beau trouver la ficelle usée, les cinéastes intelligents perpétuent cette sympathique tradition sans broncher. Allez, on ne leur dit rien, ils s’amusent tellement…
Dans un mauvais film où apparaissent des revenants ou, pire, où le héros est peut-être en train de rêver qu’il cause avec un revenant (mais en fait c’est impossible, car tout occidental cultivé SAIT que les revenants n’existent pas), il y a toujours la Scène de la Photo (ou de l’Objet) : le héros se fait prendre en photo avec le revenant (ou lui emprunte un couteau de poche, une montre, un slip) et nous retrouveront en fin de film, alors que tout est rentré dans l’ordre, cette photo qui prouve que le revenant était réel (ou le couteau suisse, ou la montre, ou – mais c’est plus rare – le slobard) !! Une variante de ce désolant tour de bonneteau est restée tristement célèbre dans un film insignifiant ou Sharon Stone, naguère, montra sa chatte. Bertrand Tavernier, en fin connaisseur du cinéma américain, ne pouvait faire autrement que suivre : mission accomplie.
J’ai entendu Tavernier narrer une engueulade qu’il eut avec des producteurs de son film (je crois), qui soutenaient qu’il fallait simplifier une scène, car le risque était trop grand que les spectateurs ne la comprennent pas, ce qui ferait baisser mécaniquement le nombre d’entrées. En bon pourfendeur professionnel de salauds qu’il est (P.P.S), notre Bertrand leur balança « fuck the american audience ! » aux groins, prouvant qu’il sait être à la fois intrépide, visionnaire et poète. Les spectateurs ne sont pas des imbéciles, c’est Tavernier qui vous le dit, tas de tireurs de niveau vers le bas ! On se demande donc pourquoi il a autant simplifié son film… En effet, quand la brume électrique se lève un peu, on s’aperçoit que le personnage que joue Tommy Lee Jones démasque les méchants, et les punit. Qui sont-ils : ce sont des Blancs, ils sont riches, ils sont puissants, ils ont des perversions sexuelles, ils sont vieux, et on apprend de l’un d’eux qu’il a une petite bite (le maffieux Balboni, joué par John Goodman). Ha oui, j’oubliais de dire que ces méchants-là tuent des Noirs et des femmes. C’est simple, non ?

Une touche dissonante : la très bonne musique de Marco Beltrami.

dimanche 12 avril 2009

Ecologique pas logique


Ça fait maintenant pas mal d’années que les préoccupations écologiques ne sont plus l’apanage de spécialistes, et que les médias de masse s’y sont mis. Une catastrophe est toujours la bienvenue quand on doit vendre du papier, c’est bien naturel. En plus des « catastrophes » elles-mêmes, il y a les « phénomènes », écologiques, les dangers et périls pesant sur l’environnement, les « dégradations » du même environnement, les « atteintes » à l’environnement, etc. Oh, bien sûr, tous les scientifiques ne sont pas totalement d’accord sur tel ou tel point du diagnostic, mais on est tous devenus à peu près persuadés que ça chie considérablement du côté de l’atmosphère, que la flotte qu’on boit a un goût de mort, que les animaux sauvages feraient bien de cotiser à la Sécu fissa et que l’expression « comme un poisson dans l’eau » doit bientôt cesser d’illustrer une vie facile et parfaitement peinarde. Quand je dis qu’on est tous persuadés de ça, j’évoque évidemment des gens qui ont la chance de vivre dans un pays encore vivable, les habitants des bidonvilles de Calcutta ou d’ailleurs n’étant pas au courant qu’il existe, où que ce soit, un machin qu’on puisse appeler environnement.
C’est dans ce contexte ultra favorable que les écologistes français raflent un peu plus de 1, 5% des voix aux dernières élections présidentielles. Jamais, dans l’histoire des coups foireux qui en compte pourtant de formidables, jamais on n’était allé aussi loin. Jamais la logique des choses n’avait été aussi insultée. Les écologistes, pourtant experts dans l’art de la palabre, sont restés à peu près muets sur les raisons de la déculottée et surtout, personne n’a entendu le commencement du début de l’amorce d’une autocritique de la part de ces grands visionnaires. Pendant que la planète s’écroule, le Vert français se bat pour la régularisation des sans papiers, le mariage homo, le droit de porter la jupe dans les sous-marins, et le fait savoir fièrement.
Les quelques personnes sincèrement désolées d’avoir à faire avec cette écologie-là vont pouvoir se rassurer : les écolos français, s’ils veulent essayer de ne pas disparaître électoralement, vont bien être obligés de parler d’autre chose, et de sortir enfin leurs idées radicales au grand jour. C’est ce que vient de faire Yves Cochet, député Vert parisien.
Pour lui, il faudrait inverser la logique des allocations familiales, notamment celles qui sont versées à la naissance du troisième enfant. Cette mesure, qu’il juge incitative, va donc à l’encontre d’une vision malthusienne du monde, la sienne, où il devient urgent pour l’espèce humaine de penser à décroître. Cochet n’étant après tout qu’un homme politique, il n’a pas pu s’empêcher de mélanger ses fiches et ses pinceaux, en tentant de faire le savant. En faisant le parallèle entre « le coût écologique d’un enfant européen » et « 620 trajets Paris-New York », il n’a pas seulement donné un argument à ceux qui déplorent la réification des humains (au moins dans les esprits), il a aussi faire rire ceux qui ont remarqué que son parallèle est absurde, en contradiction avec un des credo enflammés des Verts. J’essplique : on apprend que ce coût écologique suspect (comment est-il établi, et par qui ?) concerne en fait « un Européen de sa naissance à ses 80 ans ». Ce n’est donc pas l'enfant qui coûte si cher, mais le péquin moyen vivant en Europe. J’imagine donc que, si on suit la logique Cochet, on doit inciter les parents à ne pas trop faire d’enfants, et les nombreux candidats à l’immigration à rester hors d’Europe. En effet, prenons l’exemple d’un Ougandais moyen qui a envie de vivre en Europe mais qui n’a pas de papiers légaux pour ça. Grâce à l’action de philanthropes divers, au nombre desquels on remarque les écologistes français, immergeons-le dans le mode de vie européen, et nous obtenons rapidement un gaspilleur de première classe, qui coûte affreusement cher à la planète !
Il faut donc faire un choix : soit on laisse les gens d’Europe pondre de la marmaille en pensant que les problèmes de la planète ne se résument pas à une affaire de quantité, et dans ce cas on peut défendre aussi l’immigration. Soit on pense que la réduction des effectifs humains des pays développés est la solution (ne riez pas, sots), et on fera tout pour stopper le flux humain en direction de ces pays de gaspi. CQFD.


Si on faisait faire 620 trajets Paris-New York aux couillons, t’aurais pas fini tes allers-retours, hé girouette !