vendredi 30 décembre 2011

Le cancer libéral


Hugo Chavez est peut-être en train de réaliser ce qu’aucun homme avant lui n’avait fait : trouver l’explication imparable à tous les problèmes. Revenant sur le nombre élevé de cancers dans la population des chefs d’Etat et de gouvernement des pays d’Amérique Latine, Chavez affirme que ça ne peut être dû au hasard. Grâce à la Méthode Infaillible©, il désigne donc les coupables : les Etats-Unis. Il imagine parfaitement possible que les Etats-Unis inoculent des cancers à leurs adversaires politiques, plutôt que de recourir aux archaïques assassinats.

On se souvient qu’un agitateur à babouches avait prétendu qu’un sioniste se cachait derrière chaque divorce (je n’ai pour ma part jamais compris ce pénétrant message, mais j’imagine qu’il a une signification). Nous subodorons désormais que derrière chaque cancer, chaque tumeur, derrière chaque mélanome, il y a un yankee ! Pire ! Qui peut le plus, peut le moins : si les Etats-Unis sont en mesure de nous inoculer le cancer, ils sont sûrement capables de nous inoculer les accidents de la route, les tennis-elbow, les aphtes et les hémorroïdes ! Les fumiers !

On peut penser ce qu’on veut de Chavez et de ses accusations. On peut écouter ce qu’il dit ou crier au fou. Je ne me prononcerai pas sur cette question de cancer, mais il semble évident qu’il y a au moins une chose que les Etats-Unis savent désormais inoculer au reste du monde. C’est l’obésité…

mercredi 21 décembre 2011

Jubilance !

Une grande œuvre d’art est comme un arbre, la durée de sa vie dépasse de très loin ce qui est donné à l’homme. Au détour d’un chemin, le regard attiré vers un coin bizarrement éclairé, vous découvrez un couple de châtaigniers trapus, hérissés de ramures anarchiques, à moitié couverts de mousse. Deux monstres caparaçonnés qui sèment des quintaux de fruits ronds et brillants pour les biches, les sangliers de passage. Vous vous arrêtez : pour vous, c’est une découverte, et pourtant, ces deux-là sont plusieurs fois centenaires. D’autres les ont bien connus. Autrefois, il bordaient une propriété et servaient de bornes. Puis on les a un peu oubliés, ils ont continué de vivre trop loin des routes.

Une belle œuvre d’art, c’est pareil : elle donne sa beauté aux nouvelles générations avec la générosité d’une adolescente. Un siècle après sa naissance, on la découvre toujours aussi fraîche, telle (presque) que les anciens la virent. On peut l’avoir oubliée, elle demeure là, prête à séduire l’œil neuf. Ne vieillit-elle pas ? Si, en surface. Elle continue de vivre, de nous surprendre, de nous intriguer, alors que tout a été dit sur elle. C’est l’avantage d’être jeune : on découvre réellement et au sens propre ce que tout le monde connaît déjà.

- Quoi de neuf ?
- Molière !
C’est de Sacha Guitry, qui s’y connaissait en œuvres.

Hellzapoppin’ est une comédie musicale sortie en 1941. Il y a donc une éternité. Elle fut célèbre en son temps mais, le genre de la comédie musicale hollywoodienne ayant à peu près disparu aujourd'hui, la plupart des trentenaires n’en ont même jamais entendu parler. Introduisons donc la plus spectaculaire de ses scènes.
Slam Stewart et Slim Gaillard formaient un duo de musiciens comiques, mais tout à fait éminents par ailleurs, depuis quelques années déjà : Slim and Slam. Ce sont eux qui démarrent la scène jubilatoire que voilà. J’en entends déjà s'exclamer mouarf ! encore du vieux jazz moisi ! Qu’ils patientent un peu, ces sourds, et voient l’explosion finale de la scène… Qu’ils apprécient ce que l’humanité perdra, quelques années plus tard, avec l’apparition du triste rock’n roll, et comment les plus énergiques de ses prétentions semblent lourdes et pépères comparées aux bonds joyeux des Harlem Congeroos ! Voyez, regards neufs, ce jazz qui se dansait encore, voyez voltiger ces Noirs hilares et ces Négresses splendides ! Laissez-vous gagner par la Jubilance ! Ha, on est loin de la New wave anglaise !...
Paradoxe que les futurs historiens de l’art ne comprendront pas plus que nous : pendant un conflit mondial, dans un pays qui pratiquait la ségrégation raciale (le film l’illustre ici et là) et qui sortait d’une crise économique désastreuse, l’expression populaire de la classe la plus dominée, ce fut ça, le swing absolu, la joie !

Enjoy !

jeudi 15 décembre 2011

Eduquons, éduquons.


J’ai déjà eu l’occasion de louer le génie de Bertrand Blier, mais je manque à la fois de talent, de vocabulaire et d’énergie pour lui rendre l’hommage exact qu’il mérite. Avec Bertrand Blier, nous sommes tous condamnés à l’euphémisme.

Calmos est sorti en 1976, second volet de la quadrilogie magique de Blier (Les Valseuses, Calmos, Préparez vos mouchoirs, Buffet froid). Des quatre, c’est celui qui eut l’honneur d’être un échec public. Et Blier lui-même le renia quelque peu, preuve qu’il est meilleur auteur réalisateur que critique.
Un gynécologue (Jean-Pierre Marielle) quitte tout, son cabinet, sa situation et la civilisation elle-même pour échapper aux femmes. Il rencontre Jean Rochefort, tout aussi excédé, avec qui il part s’isoler chez un curé de village (Bernard Blier). Là, ils vont vivre non plus comme la société (c'est-à-dire les femmes) les oblige à le faire, mais comme ils en ont vraiment envie. L’ivrognerie, la bouffe et l’abolition volontaire de l’hygiène rendront enfin à ces fous le bonheur que la tempérance des mères, le bon sens des institutrices et l’appétit sexuel des gonzesses leur confisquaient. Le film culminera ensuite dans un burlesque encore plus gigantesque, des foules de mecs rejoignant les fugueurs, tournant le dos à leurs meufs tandis que celles-ci s’organisent, montent des armées et ramènent de force les couillons au foyer. Avec Blier, bien sûr, pas de discours raisonnable : les femmes veulent être baisées, les hommes servent à ça et c’est marre ! Tout ça finira dans une usine de foutage où Marielle- Rochefort seront réduits à l’esclavage sexuel, contraints de faire reluire des milliers de bonnes femmes à tour de rôle. Enfin, devenus vieux et épuisés, exilés au sommet d’une montagne imprenable, ils devront fuir encore, pour finir dans un con géant (scène qui enfonce Tim Burton lui-même), image de l’obsession sexuelle et du matriarcat, où nous sommes peut-être aujourd’hui.


Le film peut se lire comme une pure déconnade, et alors c’est un des plus grands films déconnants de l’Histoire, tout simplement. Il peut aussi illustrer à sa façon les conflits du milieu des années 1970, féminisme en tête, ou l’injonction faite de jouir, d’avoir une vie saine, d’être un bon père, d’être épanoui, de s’ouvrir au plaisir féminin, de s’adoucir etc. Le culte de la bonne santé (et la performance sexuelle qui en est l’image) en prend pour son grade : en écho à la Grande bouffe (1973) un des personnages de Calmos conseille de manger du sucre, surtout le soir, moyen imparable de se fabriquer de bons chicots…
Ce que fuient les hommes, en fait, dans ce film à sanctifier, c’est le désir, ce fil qui les relie aux femmes et les empêche d’être eux-mêmes, des enfants qui jouent et profitent innocemment de la vie. Une tentative de réhabilitation non sérieuse de l’irresponsabilité masculine. Et contrairement au mot d’ordre de l’époque, contrairement à la dénonciation de ce qu’on appelait alors la phallocratie, le désir est ici renversé : quand les hommes s’en libèrent, ce sont les femmes elles-mêmes, groupées en milice, qui viennent rétablir l’ordre, et leur pouvoir sur le monde. L’affiche est d’ailleurs assez parlante : la bouche d’une femme Léviathan déferle sur la campagne, engloutissant un type sur son passage : rien ne peut lui échapper. A méditer.

L’extrait proposé ici est un moment de grâce : tout y est parfait, les acteurs, le rythme, la position de la caméra, le montage, les dialogues. Un adolescent aussi imprudent qu’on peut l’être à son âge est remis sur les rails par ses aînés, qui font son éducation misogyne à grands coups de formules géniales, dont « plus pouvoir boire de vin ! » est le sommet. On jubile devant l’outrance, la provoc authentique, le renversement des convenances et des bons sentiments. On déguste les mots comme aucun amoureux de la Nouvelle vague ne pourra jamais le comprendre.


lundi 12 décembre 2011

L'art arme

Un an avant sa mort, William Burroughs se prête à l’un de ses exercices préférés : tirer des coups de feu. On le voit ici mitrailler le portrait de Shakespeare, scène pleine de sens pour celui qui connaît le projet global de Burroughs, son combat contre les mots et son rôle de grand bousilleur de la prose classique. D’ailleurs, les comparses du vieux Bill se moquent gentiment de lui quand il s’approche du portrait, lui assurant qu’il ne peut pas rater son coup à une telle distance ! Ce qu’ils n’ont pas prévu, ces couillons, c’est que Burroughs fasse un duel avec la légende. Il se place alors dos à la cible, fait sept pas en avant et lui décharge son feu sur la gueule. C’est ainsi que les génies doivent traiter les génies du passé. Face à face.

Evidemment, les amateurs d’analyse pseudo freudiennes peuvent y aller de leurs remarques sur ce meurtre du père si particulier. J’y verrais plutôt un geste à la Rauschenberg, quand il effaça un dessin de de Kooning en 1953.

Au-delà de la scène elle-même, on peut se demander si l’on trouverait encore un écrivain français pour se montrer dans une telle situation : l’arme au poing… Dans le concert de jérémiades qu’est devenu la littérature dans sa presque totalité, dans cette exposition permanente de petits Moi souffrant de bobos divers, dans cette course à la déprime récompensée par le Marché et ce concours général de bons sentiments non violents, y a-t-il encore une place pour ce genre de monstre ?

mardi 6 décembre 2011

C'est pas choli choli


S’il fallait relever toutes les attaques que les ligues de vertu modernes lancent contre la joie de vivre, on n’aurait plus le temps de rien foutre. En tête des ligues, bien sûr, détenteurs jaloux du label « Bien », les écologistes. Les écologistes français, précisons, les meilleurs, les plus performants. Tous les jours ou presque, ces grenouilles de saladier montent au créneau pour lâcher leurs offuscations sur les têtes qui dépassent. On insulte notre candidate ! viennent-ils de glapir, appuyés en paroles par tout ce que la France compte de faux-culs. Jugez-en : Patrick Besson a écrit un article où, phonétiquement, l’accent d'Eva Joly est reproduit. Ça donne des choses comme « Zalut la Vranze ! Auchourt'hui est un krand chour : fous m'afez élue brézidente te la République vranzaise ». Crime de lèse-norvégienne ! Assaut de la beauferie franchouillarde contre l’esprit frappeur d’Oslo! Attaque digne des heures les plus soires de notre histombe ! Racisme ! Xénophobie ! Ecolophobie ! Bobo bashing !Tout y passe, comme dans un conduit menant à la mer…

Quand les Guignols de l’Info foutaient un accent arabe à Arafat et Ben Laden, Noël Mammaire trouvait ça très drôle, mais quand sa championne à lunettes est égratignée dans ce qu’elle a d’ailleurs de moins grotesque (son accent), il crie Goebbels ! Quand deux cents imitateurs singent les tics de Sarkozy, et son phrasé, l’ensemble des écolos de France se gondolent en criant bis ! Mais si l’on ose suggérer qu’Efacholi dit ses conneries avec un accent à se pisser dessus, on convoque immédiatement la Résistance, Valmy et la Levée en masse ! Qué rigolade… Et l’accent de Giscard en son temps, et Barre, et Mitterrand, et Balladur ? J’arrête là…

Mélanchon, qui ne s’abaisserait jamais, lui, à proférer la moindre insulte en public, y est allé de sa défense des « Français nés ailleurs » dont il serait scandaleux de moquer l’accent, ni rien d’autre du reste. Il a vu ça où ? Où a-t-il pris qu’en France, on ne se moque pas des accents ? On ne fait QUE ça, à longueur de journées ! Pagnol en est plein ! L’accent, c’est le truc que Dieu a inventé pour rabattre le caquet du prétentieux qui se croit partout chez lui ! Macache : on voit tout de suite que tu viens de nulle part, norvégien ! On voit que t’es pas de chez nous, oh couillon ! C’est ça, le peuple ! C’est pas un ramassis de curés à la Mélanche qui pondèrent leurs expressions en fonction d’un code distingué, hé nouille ! Le peuple, qui s’y connaît en cons, il te fourre ton accent de merde sous le pif dès que t’a la prétention de lui pomper l’air, et il a raison ! Et il vote pas pour toi, en plus !
J’invite toutes les têtes de nœud à revoir cette admirable scène populaire, dans Gran Torino, où le vieux Kowalski / Eastwood amène son petit protégé chinetoque chez un coiffeur rital de ses amis. Le polac et le macaroni commencent à s’insulter en se traitant de bouffeur de saloperies et d’escroqueur d’aveugles. Et le Jaune devra apprendre comment se servir de la vanne raciale et à quoi elle sert : à t’intégrer dans un groupe où ton petit moi prétentiard aura d’abord été soumis à un test. Si t’es trop con, ou si t’es Mélanchon, t’as aucune chance !


Venant des écologistes, d’ailleurs, cette façon de refuser de voir clairement ce qui est limpide n’étonne pas beaucoup. Dès qu’il s’agit de leurs propres tabous, eux qui se vantent tant de leur courage politique sont toujours les derniers à voir ce que tout le monde constate. Ainsi, pour un écolo français, la criminalité, c’est uniquement le fait des cols blancs et des traders. La violence, c’est celle des flics et de Monsanto, la pollution, c’est le nucléaire. En quoi ils sont aussi partiaux et symétriquement lamentables qu'un militant UMP de base...
Puisqu'il faut donc leur ouvrir les yeux, que ce soit bien clair : dans un discours d’Efacholi, la chose la plus remarquable, c’est son accent ! Le seul truc qui mérite d’être retenu, qui fasse la différence d’avec le néant, c’est son accent ! Sans accent, cette femme passerait TOTALEMENT inaperçue. Car, dans une élection présidentielle, il ne suffit plus de dire n’importe quoi pour se distinguer : c’est devenu la règle générale. C’est ce que les sociologues sérieux appellent « le précédent Chirac ». Depuis lui, révélateur et pour ainsi dire accomplisseur de la modernité politique, il n’est plus possible d’échapper au n’importe quoi pour séduire le blaireau. Ainsi, les efforts d’Efacholi pour dire n’importe quoi sur à peu près tout, ne seraient que perte de temps si elle n’avait cet accent, seul caractère qui permette encore de la remarquer un peu.

Mais, bien sûr, j’allais oublier, il y a aussi ses lunettes. Probablement conseillée par le seul mec lucide de son camp, Efacholi a opté pour des lunettes ridicules, sortes d’œufs au plat portés à incandescence, puis appliqués directement sur le faciès. Ou, peut-être, aire d’atterrissage pour tomates, manière d’égayer les meetings. Assurément, leurres stratégiques derrière lesquels elle est censée disparaître complètement. Dans le secret de sa conscience, le conseiller en image (moouarf) a dû faire ce raisonnement à la hussarde : dès qu’elle va paraître, les journalistes et adversaires vont avoir tellement de bâtons pour la battre, qu’on va détourner leur fiel en leur agitant un joujou rouge sous le nez : pas bête ! Hélas, bien que conçues pour la gaudriole, ces lunettes se sont révélées beaucoup moins comiques que les idées et discours de la protégeuse de gazons. Aujourd’hui, c’est un drame, personne n’y fait même plus attention !

Les socialistes l’avaient bien compris : les écolos sont ingrats. Avec la candidate qu’ils ont, ils devraient remercier Besson de s’intéresser encore à elle. Au lieu de ça, ils l’attaquent, fidèles à leur sens stratégique si particulier. Soyez prudents, intégristes verts, si vous dissuadez trop les moqueurs, bientôt plus personne ne parlera de vous. Rendez-vous à la prochaine élection…

samedi 26 novembre 2011

Violenzfétofam : le scandale

A l'heure où nous publions cet appel, nous apprenons que la quasi totalité des femmes de France sont battues en permanence par des hommes.
Ce scandale doit cesser !



dimanche 20 novembre 2011

Guerre Totale: l'interview

Guerre totale a un ton tellement personnel, il sort tellement des conventions que j'ai voulu rencontrer son auteur.
Au milieu des romans autofictifs de trentenaires urbains mi- dépressifs, mi-concernés, et de choses vaguement écrites n'aspirant qu'à l'adaptation "série télé", ce roman remet de la littérature dans les épinards.

lundi 7 novembre 2011

Guerre totale, putain de roman


Qui ça intéresse, la rentrée littéraire ? A part quelques libraires, quelques rombières, quelques quinquagénaires, qui a encore assez de temps libre à consacrer à l’élagage de cette absurde jungle ? Combien de romans ? 600 ? 700 ? 654, très officiellement, à ce qu’il paraît…
Est-ce qu’on se figure bien ce que ça représente ? Il n’y a peut-être pas, dans l’histoire du monde, sept cents livres qui méritent d’être lus, et voilà que chaque année, en France, la littérature industrialisée déverse sur nos têtes un coulis romanesque toujours plus épais. La littérature est entrée dans l’âge massif.
Heureusement, des éditeurs continuent de publier des livres à leur rythme, et sans calcul. L’Editeur, par exemple.

Guerre Totale, premier roman de Jean-Luc Marret, est ce que les journalistes ont coutume d’appeler un « ovni littéraire », pour éviter d’avoir à trouver une meilleure définition. Un « ovni littéraire », en bon français, c’est un livre qui surprend, qui n’adopte pas les codes habituels et s’empare d’un sujet en créant sa propre partition. C’est aussi, peut-être, un livre qui paraît si éloigné des canons du succès public qu’on le croirait chu d’une autre planète. D’où l’image de l’ovni… C’est que Guerre totale n’est pas, comme on pourrait le craindre, un énième réquisitoire contre la guerre, pas plus que son apologie, d’ailleurs. C’est plutôt la version littéraire d’une réflexion sur cette activité fondamentalement humaine, l’auto violence globale, et l’exploration très fine de ses variantes. Un auteur qui ne pose pas sa morale comme un CV (avec ce que cela comporte de dénonciations convenues, d’offuscations de bon goût et de position morale supérieure), c’est devenu suffisamment rare pour être remarqué.

« Des limousines, de vieilles limousines popofs, des Volga, achetées à un trafiquant ukrainien, se garèrent face à l’entrée, autour d’un grand arbre calciné, et en faisant crisser le gravier gelé. Le Chef du Parti – la fonction officielle du mâle alpha du pays, le Phallus supérieur – se fit attendre. Comme toute dictature digne de ce nom, n’est-ce pas, mes chéris, le pays se trouvait sous le contrôle d’un parti unique, lui-même commandé par un seul homme, lequel à son tour était la proie d’un vertige. »


Il ne s’agit pas d’une guerre, mais de la guerre. L’action, s’il faut résumer, se passe partout, c'est-à-dire ici même. Partout en même temps, de façons différentes mais avec une remarquable constance, des hommes se battent. Le théâtre principal est l’Albanistan, pays de merde comme on en fait de plus en plus, conjuguant archaïsmes mentaux et moyens de destruction sales. Tout est ringard en Albanistan, les matériels comme les combattants, les communications comme le régime politique. La seule chose qui fonctionne encore, c’est la boucherie humaine, mélange hallucinant de violence crue, d’à peu près méthodiques, d’improvisations martiales et d’un burlesque à se pisser dessus. L’humanité en guerre totale ne fonctionne d’ailleurs plus qu’en deux modes simultanés : la haine active et le grotesque. Le héros peu reluisant de cette fresque n’a plus comme dernière religion que la volonté de s’en sortir. Passer entre les balles lui semble une raison de vivre bien suffisante. Dans la galerie de personnages inquiétants qu’il croisera, une femme incarne la guerre des sexes, qui se répand sous le feu de la guerre globale : Manjola, cinglée totale. C’est évidemment une hystérique, c'est-à-dire le pendant féminin du génie destructeur des hommes, avec son charme si particulier…

Une précision : la violence mise en scène ici n’a rien à voir avec celle que l’on trouve, par exemple, chez un Bret Easton Ellis, avec sa monotonie dans l’immonde, sa complaisance sadique et son esthétique de série Z.

Dans ce premier roman, Jean-Luc Marret réussit le coup de maître de conjuguer les tons, les rythmes, les plans narratifs, de superposer les modes lyrique, technique, comique, psychologique, poétique, de multiplier les angles de vue, d’embrasser le génie violent de l’humanité jusque dans ses implications sexuelles, pour nous donner une odyssée d’images fantastiques (explosion nucléaire vécue, parachutage de millions d’êtres, invasion atomique finale, etc). Le récit est haché, coupé, tronçonné d’interruptions impressionnistes ou d’informations qui forment un tout haletant, angoissant et drôle à la fois, et même poétique. C’est comme si l'on suivait les opérations d’une guerre devenue générale en étant soi-même dépassé par le rythme du monstrueux bordel. C’est une littérature qui pétarade de partout, qui bondit, s’affale et détale dans un même mouvement, qui zappe et s’hystérise en conservant une profonde compassion pour ceux qui font ce qu’ils peuvent. Mais ici, à la différence d’une certaine littérature contemporaine confite en mode compassionnel et devenue aussi chiante qu'une armée de bigotes, l’énergie de la langue, féroce, drôle, baroque, barbare, déferle sur un monde qui reste à plaindre, même s’il est habité par la démence.

mercredi 2 novembre 2011

Les transgresseurs mis à nus par leurs apologistes mêmes


En ce moment même, mes chers concitoyens, tandis que vous dormez sur vos vastes oreilles de sourds, la bête immonde rôde autour de la civilisation et fait peser sur cette partie du globe une menace qui rappelle les heures les plus soirs de notre histombre.
Des intégristes catholiques ont perturbé une pièce de Roméo Castellucci, variation scatologique sur le visage du Fils de Dieu. Attention, je précise que n’ayant pas vu la pièce et n’ayant aucun désir de la voir, je ne porterai ici aucun jugement sur cette merde ! Que ce soit bien clair : on ne badine pas avec la déontologie chez Beboper !

Il y a bien plus amusant à faire, par exemple écouter comment France culture relate la chose.
(cliquer ici pour écouter)
zSHARE - France cult.mp3

Le 24 octobre 2011, dans l’émission La dispute, d’Arnaud Laporte, une présentation des échauffourées nous est impartialement faite. Le chroniqueur Antoine Guillot évoque le courageux dramaturge, champion de la transgression, comme de juste. A l’heure où même les chanteuses de variété française renversent les tabous, où un animateur télé peut-être « dérangeant », où un T-shirt est « subversif », où un billet d’avion est « révolutionnaire et où ma boulangère « déplace les lignes », il serait étonnant qu’un artiste subventionné par l’Etat ne soit pas, au minimum, transgressif. Passons.

Le Guillot raconte donc l’histoire des perturbations cathos et évoque une autre pièce «dérangeante », Golgotha Picnic , de Rodrigo Garcia, bientôt donnée à Paris, et qui risque d’être à son tour attaquée ! A cette occasion, Rodrigo Garcia est présenté comme un artiste…devinez quoi : transgressif ! Bigre, encore un !!
On apprend même qu’il « bouscule protocoles et tabous » et que « les vociférations et images chocs sont ici assumées ». Bien...

Jusqu’ici, me direz-vous, nous sommes dans la parole ordinaire de l’élite cuculturelle, bien dans son rôle, ma foi, quand elle défend les artistes (surtout les transgressifs subventionnés) contre ces connards de Cathos. Mais là où la chose prend un tour cocasse, impayable et pour tout dire murrayien, c’est quand Joëlle Gayot, qui anime une autre émission sur France Culture, se fend de son commentaire outragé. Elle crie au scandale devant ces groupes qui « participent de l’extrême » et « qui n’ont plus de surmoi » et qui « au grand jour, se permettent d’intervenir sur tel ou tel artiste ». En trois mots, cette inepte reproche aux Cathos ce qu'elle applaudissait chez Castellucci. Extrême, sans tabous (plus de surmoi) et qui se permet d’intervenir sur tel ou tel Dieu, c’est bien le portrait que son collègue Guillot venait de faire du Roméo ! Elle se prend les pieds dans le tapis. La transgression oui, mais pas touche à mon théâtre subventionné ! Les tabous c’est caca, mais respecte mon statut ! La religion, je lui piétine la face mais j’appelle les flics si tu n’es pas d’accord. Ha, les braves…

Ce qui est beau, dans cette bouffonnerie, c’est de voir des usurpateurs pris à leur propre piège. De courageux compisseurs du Christ en 2011 (alors qu’il est mort depuis 1882) ressassent des attaques contre un ennemi déjà en putréfaction. La charogne a fini de puer depuis un siècle qu’ils en sont encore aux insultes. Leurs excès de retardataires sont tout désignés pour soulever le cœur de quelques nonagénaires, au mieux de quelques scouts. Mais dès que ces artistes "radicaux" trouvent en face d'eux des cathos tout aussi radicaux, on crie pouce ! On veut bien être radical, mais tout seul ! C’est à devenir fou : si l’on veut soutenir la transgression comme valeur, faut-il tresser des couronnes à un Castellucci, ou adhérer au combat des cathos intégristes qui « participent de l’extrême », selon le mot immortel de la Gayot ? L’un transgresse un tabou depuis longtemps tombé au sol. Les autres transgressent le tabou de l’artiste contemporain, supposé libre de clamer sa vérité tout en exigeant un désert critique. Faut-il applaudir l’esprit libre de Rodrigo Garcia qui " bouscule protocoles et tabous ", ou celui des scouts à cheveux courts qui n’ont carrément « plus de surmoi » ? Et, ce faisant, n’ont-ils pas atteint le nirvana contemporain que tout artiste cherche, le moment où le surmoi étant dépassé, enfin libre, on défonce les conventions bourgeoises ?


Quand Voltaire défendait Callas, il prenait des risques. Il ne combattait pas l’Inquisition pour obtenir un bon papier dans les Inrock, ni une chronique hagiographique sur France Culture. Les artistes contemporains pourraient tout à fait décider de ne pas se ranger dans la tradition voltairienne, mais voilà, il semble que la transgression et le combat militant soient devenus l’alpha et l’oméga de toute création. Eh bien, qu’ils transgressent vraiment, qu’ils se battent contre des dangers réels, et qu’ils laissent tranquille ce pauvre Christ auquel plus personne ne croit, puisque plus personne n’est prêt à mourir ni à tuer pour lui. Au lieu de chercher des poux dans la dépouille momifiée de la morale chrétienne, dont tout le monde se cogne depuis un siècle au moins, pourquoi aucun théâtre subventionné ne se penche-t-il, par exemple, sur les implications psychosociales du personnage d’AÏcha, troisième épouse et favorite de Mahomet ? La tradition nous rapporte des choses bien étranges sur ce modèle d’union proposé aux croyants : épousée à six ans, devenue femme à neuf… (Références ici)

Qu'attendent donc les transgresseurs ? L'autorisation de leur ministre de tutelle ?

lundi 17 octobre 2011

Nabe, cet enculé.


Le terrorisme moderne s’appuie sur deux piliers : la stratégie du faible au fort et la scandalisation. Il s’agit de produire des actes qui coûtent peu mais que leur aspect scandaleux (terrible) démultiplie ; agir non plus en recherchant l’efficacité matérielle, mais la puissance de destruction psychologique. Le terroriste moderne peut être un va-nu-pieds, un affamé, un éjaculateur précoce, il peut utiliser des armes archaïques et même s’en servir comme un con, il garde quand même la puissance de ceux qui frappent n’importe où, sans égard pour la bonne conduite. Le terroriste moderne est un enculé.

Marc-Edouard Nabe a maintenant plus d’un quart de siècle de mauvaises manières derrière lui. En publiant son dernier livre, l’Enculé, il démontre qu’il n’a rien perdu de la détestable habitude de se faire détester. Comme un terroriste, il frappe avec ses petits moyens « anti-édités », sans publicité, sans plateau télé, mais avec la capacité de nuisance d’un fanatique. Il ne se bat plus, il salafise !
Ayant abondamment déféqué, jadis, sur les petits cons du marketing et de la pub, Marc-Edouard Nabe montre pourtant en ces deux domaines un talent de première catégorie. Ainsi, avec un sens de l’opportunisme proctérien, il surfe sur l’actualité la plus colossale de l’année en sortant ces jours-ci le premier roman sur l’affaire Strauss-Kahn (l’Enculé du titre, c’est lui). Et avant tout le monde ! Alors que les américains en sont encore à courir après l’actu en tournant de pauvres fictions sur-maquillées, sur-jouées et sur-exposées, le Nabe se fend d’un roman taillé sur la bête encore chaude, un roman à la première personne, qui nous fait vivre « ce qui s’est réellement passé dans la chambre 2806 du Sofitel blablabla », et le reste de la saga. Autant le dire tout de suite, ce roman est monstrueux.

Depuis son Journal, en passant par Lucette, Je suis mort, Alain Zannini et finalement le reste de son œuvre, Nabe pompe la part romanesque contenue dans la réalité. Il brasse les faits, les gestes et les personnages de sa vie pour en sortir une grande salade littéraire. A coups de parti pris, d’interprétation, d’hénaurme subjectivité, d’une mauvaise foi biblique, il s’appuie sur le vrai pour produire de l’encore plus vrai, littéraire cette fois. La moulinette nabienne moud ainsi la grande Histoire et les ragots germanopratins, les péripéties de sa propre existence et celles de ses proches pour étaler en pages incroyables les choses les plus crues, et inversement. S’il y avait donc un écrivain français susceptible d’écrire sur l’affaire DSK encore fumante, c’était bien lui.

Par un auto-retournement typique de son style, il met ses personnages « fictifs » en situation de lire ce que lui-même est justement en train d’écrire sur eux (je sais pas si vous m’suivez).
Page 74, ce dialogue entre Anne Sinclair et DSK, en forme d’auto avertissement :

« - Nabe est une petite ordure, comme disait Simone Signoret.
- Tu exagères ! Son « antiédition », c’est une sacrée trouvaille commerciale ! Crois-moi, c’est l’économiste qui te le dit. Et puis moi, il me plaît, je l’ai croisé une fois, au Baron de la grande époque, il est très sympathique.
- Antisémite !
- Qui, lui ou moi ?
- Vous deux !... Rachel aussi l’aime bien, ce Nabe… Je ne sais pas ce qu’elle lui trouve. En tout cas, qu’il ne s’avise pas d’écrire sur ton affaire. Sinon, je lui fous un procès au cul ! »

Pas besoin d’atteindre la page 74 pour se rendre compte que Nabe a raison de se méfier du modèle de son personnage Anne Sinclair : ça sent le procès à plein nez. Entre la scène détaillée de viol du Sofitel, les tribulations de DSK, les considérations innombrables sur le réseau des amitiés juives, l’obsession sioniste de Sinclair, la sodomie live de cette dernière, les chants nazis préférés à la musique Klezmer, les attaques personnelles contre à peu près tout le monde (via le personnage de DSK – finalement assez bonhomme), les blagues sur la Shoah, Martine Aubry transformée en chienne, et les charges au cutter contre les phares médiatiques de notre époque, tout est en place pour le plus gros procès de la rentrée littéraire. A une époque où un Vincent Peillon compare Aubry à Marine Le Pen (sous-entendu : les heures les plus soires de notre histombre), simplement parce qu’elle a parlé de Hollande comme le « candidat du système », il est écrit que Nabe aura non seulement son procès au cul, mais peut-être bien pire. En bon terroriste, c’est probablement ce qu’il souhaite.


Dire que Nabe met les pieds dans le plat le serait atrocement, plat. Il plonge carrément son cul dans la soupière, pas moins ! Et sans slip ! Le mot « juif » est de toutes les pages, ou presque, comme pour indiquer au futur plaignant où il faudra trancher : suivre les pointillés... Même s’il ne donne pas d’explication en tant que narrateur, ses personnages sont menés et définis par une logique ethno tribale du plus mauvais effet, à l’heure du vivre-ensemble citoyen, obligatoire et remboursé par la Sécu. Simplisme de caricaturiste. Et c’est bien cela, l’Enculé, une charge, une caricature, un pamphlet qui sent la pourriture et la haine, la lutte à mort, un désir de l’irréconciliable.
Nabe travaille au corps ces personnages publics devenus tellement indignes qu’ils ont perdu partout le respect que leur « réussite » inspire. Il nous donne sa version du drame, très grossière, peut-être un poil en dessous de la réalité, cependant, quoi qu’il pense de son pouvoir sur celle-ci. Tout ça donne un roman mal léché, écrit au rythme de l’actualité – ce spasme infini, monstrueux d’ignominies en tous genres, comme un écho à ce que la France a pu dire, dans le feu des conversations de bistrot, de bureau ou de couloir, sur l’affaire de ce dernier printemps.

Nabe écrit en musicien. Il transpose l'atroce un ton au dessus.
Au sens propre, il exagère

jeudi 13 octobre 2011

Beboper répond à Montebourg : la question des véhicules de fonction !


Arnaud, c’est en tant qu’homme, en tant que bipède, en tant qu’être pensant et au nom de tous mes camarades que je réponds à la lettre que tu as rendue publique.
J’ai la trique, Arnaud, et c’est à toi que je le dois.

Pendant cette palpitante campagne primaire, tu as su défendre l’idée que le socialisme français n’était pas de droite, et nous sommes quelques uns à avoir versé des larmes de joie en l’apprenant.

Mieux : tu as fait croire à la France fascinée qu’il y avait un vrèdéba au PS, un vrèdébadidé que même chez les Verts, y’en a pas de si joli.

Arnaud, tu as certainement piqué des voix à Ségolène, et tu porteras donc jusqu’en enfer la responsabilité de cette scène atroce et pleine de larmes qu’elle a infligée à la France. Pour cela, Arnaud, je ne te remercie pas. Mais passons.

Depuis quelques années, tu as imposé ton verbe dans l’esprit de tous, et tu peux désormais sombrer dans la grandiloquence, même pour évoquer les couloirs de bus, même pour les Vélib mâconnais, même pour l’inauguration d’une maison de retraite, sans déclencher l’hilarité. Tu as redonné du mitterrandisme à la parole publique, et tu mérites ton Jack Lang. Sache que tu peux d’ores et déjà compter sur lui.

Tu as su dire zut ! à la mondialisation et les peuples te pardonneront cet écart de langage, car ils savent que le PS français a les moyens de les sauver.

Arnaud, à ceux qui prétendaient que le Poitou incarne l’espoir de rénovation de la politique française, tu as su dire que, merde, la Saône-et-Loire, c’est pas rien !

Je veux que tu saches, Arnaud, que je te conserverai mon admiration même si tu décidais de rejoindre Nicolas Dupont-Aignan pour un grand PACS entre gendres idéaux. Mais le mieux, quand même, si tu veux mon avis, c’est que tu continues de fricoter au PS.

Arnaud, comme le disent Benoît Hamon, Henri Emmanuelli et Marie Noëlle Linemann, tu donneras tes voix à Martine, parce que la Martine, « elle a su, sur des points essentiels, tourner le dos à l’idéologie dominante ». D’ailleurs, elle ne parle plus à son père depuis qu’elle a appris que l’Europe libérale, le traité de Maastricht et l’euro, c’était des idées à lui !

Arnaud, je sais que tu n’abandonneras pas non plus François Hollande, un homme tellement d’avenir qu’il n’a pas de passé, un homme qui ne recule devant aucun sacrifice pour redresser la France, et qui a même accepté de perdre vingt kilos pour elle !

Arnaud, si tu aimes le PS comme nous l’aimons tous dans ce pays, tu t’arrangeras pour donner juste ce qu’il faut de voix aux deux impétrants pour qu’ils obtiennent exactement le même nombre de suffrages chacun au second tour des primaires, donnant ainsi à la France non pas un, mais deux candidats socialistes. La VIème république, c’est avec deux présidents qu’elle s’imposera !

Arnaud, enfin, pendant que tu sauves la France, profites-en pour attribuer à la Direction de ce blog, les locaux et les véhicules de fonction que la Droite la plus réactionnaire du monde lui refuse depuis quinze ans !


Avec tes 17%, Arnaud, tu ressembles désormais à un Jean-Marie bien décidé à faire chier les ignobles qui font 35%. C’est bien fait pour eux, ils n’avaient qu’à pas lancer une primaire !

C’est dans l’émotion socialiste et protectionniste que je t’embrasse enfin, camarade, et qu'avec toi, je dis crotte aux méchants !

mercredi 12 octobre 2011

Espoir sur le Double apple©


Qui a dit que le peuple manquait d’enthousiasme ? Quel est le nom de ce con ? Le peuple ne manque pas d’enthousiasme, il en déborde. Il ne sait plus où le foutre. Il en a tellement qu’il s’enthousiasme à la va-vite, et même pour n’importe quoi (aucune allusion aux primaires socialistes dans cette phrase). Le dernier enthousiasme en date, c’est non pas Steve Jobs lui-même, sa vie, son œuvre, mais plutôt sa panoplie.

Le chroniqueur du parc de loisirs qu’est devenu le monde s’avise donc que les pulls supermoches de Steve Jobs sont en train de faire un tabac : les boutiques sont en rupture de stock et, à l’heure où j’écris ces lignes, des centaines d'ateliers Chinois sont sans aucun doute occupés à nous en fabriquer de nouveaux. Depuis quelques jours, des consommateurs (puisque ce qualificatif englobe toutes les activités des citoyens modernes) se ruent sur les cols roulés noirs façon Jobs, les jeans pendouillant et les baskets qui ne ressemblent à rien. Objectif : imiter le Boss, singer le Singe. On redoute que, devant la pénurie de cols roulés, des admirateurs perfectionnistes ne se jettent sur le célèbre modèle de slip que le grand Steve affectionnait depuis vingt ans : le Double apple©…

Dans les années 40, les jeunes gens se coiffaient comme Jean Marais. On a vu des fans s’habiller en Elvis Presley, copier l’impayable Johnny, danser comme Michael Jackson, karaoker comme Céline Dion ou se faire la tête, oui, de Superman (on attend avec impatience que la chirurgie vienne enfin en aide aux fans de Mickey voulant ressembler à leur héros). En mimant la vedette adulée, c’est un peu comme si on la portait sur soi en permanence. On en profite mieux, on se moule à ses mesures, on s’en habille. On y croit. Mais personne n’avait encore pensé à s’habiller comme un chef d’entreprise, qui se fringuait d’ailleurs comme tout le monde.

Steve Jobs ayant troqué le costard-cravate contre le polo-prolo, ses aficionados se voient contraints de s’habiller en employé des postes pour faire croire à leur amour des nouvelles technologies et de l’esprit d’entreprise ! « Ayez faim, soyez fous ! » qu’il leur disait : la force de ces conseils-là…
L’avenir, c’est peut-être ça : se grimer en mec connu dont l’image publique repose précisément sur une tenue standard. S’habiller comme tout le monde pour ne ressembler à personne deviendra le signe distinctif de ceux qui espèrent pourtant se distinguer dans les atours d’un autre. C’est à y perdre son latin, et son html.

Après tout, où est le problème ? m’objecterait un libéral bon teint, pour qui tout n’est qu’affaire de choix personnel. Question d’autant plus pertinente que, comme ceux des enfants trop gâtés par l’abondance et la vie insouciante, les enthousiasmes d’homo neo sont frénétiques, bruyants, dérisoires, mais qu’ils ne durent guère.

dimanche 25 septembre 2011

Abdallah, roi des femmes


Les Romains, qui n’étaient quand même pas des cons, appelaient en leur temps l’Arabie « heureuse ». En effet, à l’époque déjà, on se marrait bien du côté de l’empire des sables.
Aujourd’hui, c’est le riant roi Abdallah qui nous en fait une bien bonne : il vient d’octroyer le droit de vote aux femmes ! Mieux : elles auront aussi le droit de se présenter ! Youpi ! Là où la chose est cocasse, c’est que les voteuses devront en revanche patienter encore pour pouvoir passer le permis de conduire

Tu votes, d’accord, mais touche pas ce levier de vitesse, salope !

mardi 30 août 2011

Ikea über alles




Coincer une petite buanderie dans une petite salle de bains sans perdre sa zénitude - Ikea


Je connais des gens qui profitent de leur passage à Lyon pour aller acheter, chez Ikea, des merdes. Ces déshérités habitent dans des bleds impensables où le Suédois n’a pas encore jugé bon d’implanter un de ses labyrinthes à blaireaux. Sitôt arrivés dans notre bonne ville, ils foncent donc dans sa banlieue la plus laide, Saint Priest et sa désespérante zone « Champ du pont », pour communier comme des rongeurs dans les allées structurellement encombrées de cette brocante glacée. Oh ! un porte-cuillers nickelé ! Oh, une chaise en fibres de laine ! Oh, un cintre !

Je connais Ikea, j’y suis allé. C’était il y a bien quinze ans, sur les conseils d’un sot, un jour de mars. J’avais alors besoin d’une ou deux babioles pour meubler le trou à mulots qu’on me louait. Sitôt entré dans le dédale, je me mis à transpirer, non pas tant à cause de l’agencement criminel qui y régnait, mais parce qu’il était impossible de s’y mouvoir, coincé entre un couple de vieux instits à écharpes, une femme enceinte et son homme-bibelot, une foule de mères surexcitées à la vue d’un épluche-légumes tendance. Dès le premier mètre, il était clair que je me trouvais pris dans un piège : tout était fait pour que mon séjour ici soit le plus pénible, le plus long, le moins libre possible. Dès le second mètre, j’avais reconstitué la logique vivisectrice du concepteur des lieux : ralentir le flux des clients pour les contraindre à regarder les merveilles alentour et, partant, les convaincre d’en remplir leur deux-pièces. Ha, les fuuumiers, me dis-je, en m’immisçant de conne en conne.
Quelques bousculades plus tard, j’arrivai enfin à la caisse. Là, on me fit la surprise de me réclamer DEUX pièces d’identité pour accepter mon chèque. Je dubitativai, je circonspectai, j’incrédulisai, mais rien n’y fit, la signature du préfet du Rhône, au bas de mon unique carte d’identité, ne suffisait pas. J’hurlai donc un bon coup, lâchant des insultes inconnues au nord du cercle polaire arctique, laissant en plan mon chariot et me retrouvant bientôt nez à nez avec un imprudent péquin chargé de la sécurité des lieux. Ce con fut agoni d’injures avant de se retrouver à quatre pattes, cherchant en vain ses lunettes et sa dignité disparues, tandis que je me tirais, fissa, sous l’opprobre absolument général.



Quinze ans plus tard, de tatillons journalistes viennent chercher des poux sur le crâne octogénaire du fondateur d’Ikea. Le vieux serait un ancien nazi : tu parles d’un scoop ! De nos jours, nazi, c’est d’un banal ! Tout le monde est un ancien nazi ! Mais, comme d’habitude, on se trompe de cible. On va reprocher à Ingvar Kamprad (quel blaze de bourreau !) un amour de jeunesse mal digéré pour le nazisme, alors que son nazisme, authentique ou journalistiquement gonflé, est quantité négligeable, comparé à l’épouvantable traitement que les clients d’Ikea subissent comme des cons chaque jour ! Négligeable, oui, l’idée de la supériorité de la race aryenne ! Négligeable, le parti unique ! Négligeable, l’industrialisation de la mort ! Négligeable, la seconde guerre mondiale ! A côté de la veulerie intrinsèque du « concept » d’Ikea, à côté du spectacle de ces foules heureuses qu’on les traite en rats de laboratoire, à côté de la distribution totalitaire et néanmoins socialement valorisante d’un confort minable, à côté du culte général rendu à l’hypermoche standard, à côté de l’autosatisfaction du client Ikea pourtant partout cocu, tout, absolument tout devient négligeable.

Que chaque client d’Ikea le sache désormais, qu’il se le dise dans ses moments de lucidité : acheter une étagère suédoise ou vanter un ensemble bureau-lit-dressing junior, c’est honorer les heures les plus soires ne notre histombre !

samedi 20 août 2011

La mort aérosol.


Le rétablissement de la peine de mort en France n’a pas été une promenade de santé. Issu des élections triomphales qui portèrent la droite dite dure au pouvoir en juin 2020, le gouvernement Topoli dut batailler non pas au Parlement, mais sur tous les médias en même temps pour contrer les adversaires radicaux de cette mesure. On s’envoyait du fascisme à la figure, on répondait en publiant des chiffres aussitôt contestés, on s’injuriait au nom de la tolérance et se vouait aux gémonies en invoquant les Droits de l’Homme. Même quand l’affaire fut entendue et la loi promulguée, les opposants continuèrent de promettre son abrogation sitôt le pouvoir reconquis. Sur ce point, le parti socialiste fut ca-té-go-rique, même quand il fut établi que personne dans le pays ne se souciait plus des intentions de ce parti finissant.

Comme prévu, la menace d’être exécuté par guillotine n’eut pas d’effet notable sur les délinquants sexuels, sauf bien sûr celui de les trancher en deux. Idem pour les assassins professionnels de type « grand banditisme », qui furent très peu nombreux à se reconvertir spontanément dans des activités plus pacifiques, comme les emplois verts, par exemple. On rapporte toutefois le cas d’un ancien « nettoyeur » de la mafia kosovare ayant mis en quelque sorte ses compétences à la disposition du Bien, en devenant « assistant de fin de vie » dans une clinique, près de la frontière suisse.
Comme la mesure ne semblait pas produire de grands changements dans la société, elle perdit son statut de star des médias et fut remplacée à ce poste par les frasques sexuelles d’une fille de ministre. Bientôt, on n’en parla plus.

Une affaire, pourtant, replaça la peine de mort au centre du débat dit « de société », du moins pour un temps. Ce fut, tout le monde s’en souvient, l’affaire Chapuis.
Jimmy Chapuis fut le premier post adolescent exécuté par guillotine dans la France moderne. Ayant enfreint la loi sur les dégradations volontaires de biens, c'est-à-dire ayant été convaincu d’avoir tagué deux cents trente endroits différents de La Rochelle, le jeune Jimmy subit, en précurseur, les foudres de la Justice. La presse internationale fut tout aussi scandalisée que celle de chez nous, puisque « se scandaliser » est une des dernières fonctions qui restent à la presse. Mais, par une alchimie que les historiens futurs auront sans doute beaucoup de mal à comprendre, le gouvernement et le pays entier semblèrent n’avoir absolument plus rien à foutre des postures morales des impeccables consciences de la presse. Jimmy fut donc tranché en deux parties inégales sur le port de la Rochelle, le matin du 10 mai 2021, après qu’une équipe d’employés municipaux eut nettoyé ses tags insanes sous les applaudissements des citoyens en liesse. Dans les colonnes du Matin de Tunis, où l’exil l’avait réduit, Bernard Henri-Levy proclama la mort symbolique de La Rochelle avec les accents d’une malédiction biblique.



Tout partit de là. A compter de cette date, il semble que les déchirements moraux soulevés d’ordinaire par la « question capitale » s’évanouirent. Comme une tribu divisée retrouve sa cohérence en sacrifiant le Bouc émissaire, la France retrouva calme et unité dans le grand massacre de ses tagueurs. Dans toutes les provinces, dans chaque ville (ou presque) des dénonciations drainèrent vers les geôles la fine fleur des tagueurs. Une génération d’élèves des Beaux-arts, fascinée par Basquiat et Pollock, et qui faisait bouse de tous murs à grands coups d’aérosols, fut abattue comme à la foire. Dès qu’un gringalet portant sac à dos, écharpe palestinienne, bonnet péruvien et pantalons à poches latérales pointait le museau dans un coin sombre, de vigilants bourgeois, quittant la torpeur du lit conjugal, se transformaient en fauves de meute et rabattaient le génie en herbe comme la faux couche un blé frais. Les scènes de violence débridée furent pourtant rares, si l’on excepte du terme violence les coups de pieds au cul et les tirages d’oreilles qui accompagnent toujours les arrestations. Et puis, il faut préciser que les tagueurs se révélèrent de biens piètres résistants. Malgré la violence romantique des slogans qu’ils éclaboussaient sur les murs des cités (« Non à l’Etat policier ! » « Le végétalisme ou la muerte !», « Intifadames ! », « Le pouvoir mâle fait mal ! »), malgré parfois des années d’abnégation au service d’associations changeuses de monde et dénonceuses de dictatures, ils se montrèrent on ne peut plus dociles face à de simples épiciers en pyjama, et se laissèrent toujours mener au commissariat sans même un écart de langage. Comment en venir aux mains dans ces circonstances ?
La seule scène de violence crue que l’on relate concerne Jean-Philippe Jouvenal-Plasquier (JP² dans le civil), le défunt président de Tchatche les murs, phare du mouvement tag. Sortant des studios de Radio France, où il venait de participer à une émission sur son thème favori, il fut en effet rejoint par la foule, tagué de peinture indélébile, recouvert de laine de verre et de caramel, puis déposé devant les portes de la prison de la Santé, où il fut accueilli par les autorités dans une regrettable avalanche de gifles. Son exécution, en revanche, fut un modèle de douceur.
La chose la plus étonnante, peut-être, dans ce retour de l’Histoire sur elle-même, c’est qu’une fois lancé, le mouvement d’extermination des tagueurs ne rencontra plus d’obstacle. Autant le rétablissement de la peine de mort avait été discuté, autant son application se révéla simple. Chaque semaine apportait son lot d’exécutions aussi régulièrement et banalement que les trains arrivent en gare. Les familles mêmes de ces disgracieux semblaient considérer la chose avec fatalité, réagissant comme si leurs rejetons fautifs n’étaient plus amendables. Il faut dire aussi que les tagueurs, pour leur grand malheur, ne constituent pas un groupe bien influent, ne disposent d’aucun relai médiatique, n’élisent aucun députés, et leur caractère nuisible n’étant pas discutable, personne ne put jamais leur trouver la moindre excuse. Une bien maladroite tentative de les considérer comme « des artistes » fut avancée, lors d’une émission d’un quart d’heure sur France Inter, mais tomba aussitôt dans l’oubli.



Devant l’afflux des dénonciations, devant l’efficacité des milices de quartier, devant l’abondance des « arrestations citoyennes » que chacun pratiquait au pied levé, la Justice fut bientôt débordée. L’enthousiasme populaire estima qu’on ne jugeait pas assez vite et surtout qu’on ne guillotinait pas comme il l’aurait fallu. Devant la pression populaire, le gouvernement Topoli vacilla, puis pris une mesure des plus raisonnables, qui souleva pourtant un bref mouvement d’indignation au Parlement européen : la mise en vente de guillotines portatives. Dès l’annonce de cette décision, le site guillotine-on-line.gouv.fr fut assailli de commandes. En deux jours, les stocks disponibles furent épuisés. Comme à chaque fois, le public dépité se rabattit sur des sites Internet proposant des produits bon marché, qui ne répondaient pas à toutes les normes. Il est regrettable que des citoyens, n’ayant pas eu la patience d’attendre une semaine, se soient rabattus sur des guillotines de fabrication chinoise, responsables d’exécutions bâclées où le plaisir manquait.
Quoi qu’il en fût, la possibilité d’exécuter soi-même son tagueur (après, évidemment, l’avoir jugé soi-même) est la principale explication à l’éradication définitive des tags en France.

mardi 9 août 2011

La guerre du froc


Il y a eu le Déluge. Il y a eu Gengis Khan et la Peste Noire. Il y a eu les trompettes de Jéricho. Il y a eu Stalingrad. Il y a eu la Bérézina, l’éruption de la Montagne Pelée, la grippe espagnole. Il y a eu les yéyés. Il y a eu l’incendie de Rome et l’effondrement de Lisbonne. Il y a eu Verdun. Il y a eu Auschwitz et la Révolution Culturelle. L’humanité a souffert, elle a pris des coups et a connu des drames épiques. Puis, il y a eu le pantacourt.

En ce moment même, les amusants idéologues des gender studies tentent de faire croire que l’identité sexuelle est une question de choix (une option performative), que le fait d’être un homme ou une femme n’est qu’une option socialement admise, parmi d’autres, et que la nature n’y a qu’un rôle secondaire. C’est évidemment un tissu d’âneries, mais ces faussaires étant à la mode, il nous faudra quelques décennies pour l’admettre. Il y a pourtant un moyen très simple pour démontrer que l’identité sexuelle est donnée, et non acquise : « la preuve du mollet ».
Observez deux mollets humains, l’un masculin, l’autre féminin. Ils remplissent théoriquement les mêmes fonctions et sont situés aux mêmes endroits. Ils sont pourtant radicalement différents, par un décret souverain de la nature, auquel on ne peut rien. Le mollet féminin est doux, fuselé ou potelé, mince sans être grêle, il enrobe la cheville pour en ôter les nervures, absorbe les malléoles dans un velouté exquis, il rebondit sous l’effet des vibrations, même les plus légères. Il est gai et insouciant. Il ne saurait faire de mal à une mouche. Il est si tendre qu’on en mangerait.
Le mollet masculin, c’est tout l’inverse. Si l’on excepte le phacochère malade et une variété pustuleuse de hyènes hirsutes, la nature n’offre pas de spectacle aussi laid qu’un mollet de mec. Il est velu, anguleux, il laisse saillir des os, il roule sous une peau mince des muscles noueux comme des ceps à piquette, il est plein de nerfs, il est plein de poils, il est dur comme une inutile bite disposée derrière un genou ! Quand il est maigre, il est affreux. Quand il est gros, il est grotesque. Dans les deux cas, il est suprêmement laid. Contrairement au rire, que d’autres mammifères partagent avec nous, le mollet humain est le propre de l’homme : personne d’autre n’en voudrait.
Et c’est à la gloire et pour l’exhibition de cette merde qu’on a conçu et répandu partout le pantacourt !
(En conséquence de ce qui précède, je précise que mes considérations scientifiques à suivre ne concernent pas les femmes. N’en déplaise aux partisans de la parité, sur le point de la laideur, les hommes ont une supériorité indiscutable.)

Qu’est-ce qu’un pantacourt ? Quand on décide d’en immoler un par le feu, comment peut-on être sûr de ne pas sacrifier par erreur un inoffensif bermuda ? C’est simple : un short s’arrête en haut de la cuisse. C’est un ustensile pratique pour courir ou faire le tapin. Un bermuda descend au-dessus du genou : on a rallongé le tissu dans l’espoir sincère, mais vain, de donner de la distinction au porteur de short. Un pantalon un peu trop juste, quant à lui, laisse voir la cheville, c'est-à-dire la chaussette : effet comique garanti, Bourvil lui doit tout. Le pantacourt, enfin, hybride monstrueux que l’avenir jugera, pendouille incompréhensiblement au milieu du mollet, ce muscle idiot. Et, par une cruauté de la nature que rien n’explique, le pantacourt est principalement porté par des hommes bedonnants dont les pans de chemises pendillent eux-aussi, détail qui renforce la mocheté du tableau au-delà du croyable.

La laideur du pantacourt est aussi d’ordre psychologique : c’est l’habit du parfait glandeur. C’est d’ailleurs devenu, en quelques années, l’uniforme du touriste occidental, cet inutile encombreur de ruines antiques. Dans tous les pays assez cons pour l’accueillir, l’homo-pantacouris s’affiche donc tel qu’il est : moche et content de l’être. Ce qui gêne le plus, c’est qu’en effet, le disgracieux s’affirme désormais comme une référence et s’avance en bataillons serrés. On les voit, ces légions à faire peur, marcher du pas nonchalant du congés-payé, mélange de lenteur et d’apathie, tripotant leurs téléphones mobiles d’un pouce mou tandis que quarante siècles les contemplent. Le traîneur de tongs ne s’excuse même plus de dépareiller le genre humain, il se fagote d’un pantacourt bien bariolé, histoire d’offenser l’indigène sans distinction, jusqu’au plus distrait, jusqu’au plus myope ! Armé d’une conscience parfaite de son bon droit, il se pavane avec ostentation, sous le regard affligé de l’hémisphère sud.
Quand il ne part pas en vacances de l’autre côté du globe, l’homo-pantacouris exhibe sa goujaterie en zone tempérée. C’est évidemment là qu’il est le plus atroce, renforcé par la loi du nombre. Si encore il se contentait d’errer à sa place, dans les centres commerciaux, les rues piétonnes et les parcs à schtroumpfs ! Mais non, il s’infiltre dans touts les secteurs, il pollue tout l’espace, il fait de tout recoin sa niche. On le trouve au concert, dans les squares, dans les églises et même, parfois, dans les bibliothèques ! Et partout, comme si ça ne suffisait pas, pour le plus grand malheur de la décence, il ajoute à son accoutrement le détail fatal : la sacoche en bandoulière.
La sacoche-minuscule-portée-en-bandoulière sert souvent de coordonnée au pantacourt. Elle est pour lui ce que l’escarpin est à la jupe. En Europe occidentale, depuis la disparition du catogan, il n’y a pas moyen d’avoir l’air plus con que de porter une sacoche en bandoulière. Et certains s’y adonnent en pantacourt !!

Depuis la Révolution française, il est acquis que les peuples ont vocation à l’émancipation. Le joug le plus méthodique ne saurait plus s’exercer trop longtemps. La liberté (y compris la liberté de s'habiller comme une bouse) guide l'Histoire. Les Russes sont venus à bout de leur esclavage collectiviste et militaire. Les Arabes eux-mêmes sont en train d’abandonner leur fascination pour la tyrannie paternalisto-moustachue. Il y a donc fort à parier que l’humanité, après en avoir beaucoup souffert, se révoltera bientôt contre cette torture vestimentaire, qu’elle inflige à ses membres les plus sensibles. Tant mieux.

mardi 2 août 2011

La vertu salope



Dans un recoin abandonné de Lyon, que des promoteurs ont placé dans leur ligne de mire, des femmes africaines stationnent. Elles sont assises dans des camionnettes blanches, ou elles se tiennent debout, par petits groupes, aux intersections. C’est le morceau de ville qui leur est dévolu, depuis quelque temps, toujours plus loin du centre. A quelque distance de là, l’autoroute, et le périphérique, où il est écrit qu’elles finiront.
Pour entrer en France, l’une d’elles a été soutenue par une association bien connue d’aide aux étrangers. Des gens très gentils, qui lui ont permis de s’y retrouver un peu, de remplir certains papiers dont elle ignorait même l’existence, de rencontrer des professionnels de l’assistance, de faire respecter ses droits. Elle a eu de la chance. Sans eux, elle ne serait pas là, à essayer de s’intégrer en suçant des bites.
Ces femmes africaines sont habillées de façon très « correcte », c'est-à-dire qu’on ne saurait les prendre pour ce qu’elles sont, des putes. En matière de décolleté, elles auraient beaucoup à apprendre des bourgeoises d’ici. Et pour ce qui est de montrer ses cuisses, les shorts de nos collégiennes leur donnent, par comparaison, l’apparence de nonnes. On comprend le métier qu’elles font parce qu’en cet endroit pourri de la ville, personne d’autre qu’elles ne circule, personne n’aurait l’idée de venir se balader. En passant en voiture, le quidam se dit « tiens, des femmes sur le trottoir ? Qu’est-ce qu’elles font là ? Ça doit être des putes ».

Partie de Toronto, ou du diable vauvert,une énième manifestation de « fierté » gagne le monde : la « Marche des salopes ».
Au départ, il s’agit de femmes qui veulent protester contre ceux qui considèrent, quand viol est commis, que la femme « l’a bien cherché », sous prétexte qu’elle s’habille légèrement. Un policier aurait fait cette élégante remarque à une étudiante qui venait porter plainte, déclenchant bien involontairement une vague internationale de manifs.
Pour lutter contre ces connards de mecs, les organisatrices des cortèges n’ont rien trouvé de mieux que de s’habiller comme des putes et de nommer leur mouvement « marche des salopes ». Il n’est pas certain que cette curieuse stratégie fasse avancer leur « cause », mais au moins, on aura parlé d’elles.
On pourrait objecter que si les femmes veulent continuer à porter jupes courtes et forts décolletés, il faut qu’elles s’habituent à ce que les hommes y plongent leurs yeux. On ne peut tout de même pas leur demander de faire comme si de rien n’était ! Mais de là à l’agression sexuelle, il y a un gouffre, qui devrait rester infranchissable. Plaisir des yeux, d’accord, mais pas touche ! Las, comme les hommes dans nos pays ont tendance à devenir de plus en plus cons (en accord avec la délicatesse des mœurs actuelles, le raffiné du langage, le distingué des postures publiques, le soigné des nénettes tatouées et la distinction des bimbos), les femmes en sont maintenant réduites à préciser, par voie de manif, qu’elles ne font pas « open bar »… On a voulu une éducation ouverte, on a voulu en finir avec les névroses d'un autre âge, on a voulu que les enfants s'émancipent de l'autorité, on a voulu que les jeunes rebelles (pléonasme) nourris de rock s’affranchissent des conventions bourgeoises : on y est.

Pour ce qui me concerne, que les femmes s’habillent le plus court possible ferait mon affaire. Je pense que les filles ne sont jamais habillées assez léger, et que si la civilisation court un danger quelconque, ce n’est certainement pas la faute des cuisses féminines. J’irais presque jusqu’à dire qu’on devrait interdire aux filles de moins de trente ans de se couvrir la poitrine. Presque…



La modernité cultive le faux comme le XVIIème siècle produisait du classicisme. Pour se mouvoir dans cette modernité spectaculaire, il est bien connu qu’il faut être un rebelle. C’est même le strict minimum pour ne pas passer à côté de son époque. Mais la rebellitude étant devenue générale, il faut bien trouver des moyens spectaculaires pour se distinguer de la masse… Quand tout le monde est rebelle, il faut un marqueur simple, voyant, qui annonce d’emblée la couleur. Les tatouages et les piercings remplissent souvent cette fonction : je suis libre, connard, c’est écrit sur mon mollet ! Mais Sisyphe est vite rattrapé par le succès des gadgets et, on le constate partout, c’est maintenant une génération entière qui se tatoue la couenne en ricanant contre le conformisme des bourges.
Dans les années 1970, pour se rebeller, les femmes devaient se dire sexuellement libérées, et s’habiller en conséquence. C’était une façon de gifler le monde, de le déranger dans ses habitudes, de faire péter ses carcans paternalistes. OK ! Renoncer au soutif sous la tunique était une forme avancée de provocation, qui n’allait pas sans un certain risque. Quarante ans plus tard, la modernité produit ses effets. Comme une rotative devenue folle, elle reproduit sans limite des exemplaires factices du modèle original. Elle singe les vieilles luttes, elle se trouve si belle en combattante qu’elle veut un combat permanent, mais réclame qu’on ne lui oppose plus d’adversaire. Les nouvelles féministes veulent à la fois porter des « tenues provocantes » mais exigent que la provocation ne produise aucune réaction. Une provocation light, bio, responsable, garantie sans réplique. Forme inédite de combat, il suppose des adversaires bien identifiés : l’un innombrable, l’autre déjà mort.



Le citoyen de notre civilisation marchande avancée rencontre un problème récurent : accepter la différence entre l’image de la vie que l’économie lui propose, via les médias, et la vie elle-même. C’est l’éternel combat entre désir et pouvoir, entre narcissisme et monde physique. Au cinéma, par exemple, Bruce Willis sauve le monde tout en continuant à balancer des vannes imparables. Mais le 11 septembre 2001, 343 pompiers new yorkais ont fait ce qu’ils ont pu, c'est-à-dire pas grand’chose, avant de mourir. Dans les séries télé ou dans les jeux vidéos, d’invraisemblables bimbos courent le monde en faisant des coups pendables (attentats, sauvetages divers, guerre-en-tenant-son-P.M.-d’une-seule-main, arrestations de gros musclés à coups de pied). Mais dans la vie réelle, la plupart des femmes ont du mal à ouvrir une simple boîte de cornichons. Dans les pubs, des quadragénaires superséduisantes font des enfants en continuant de gérer leur service RH et en gardant le ventre plat. Dans la réalité, les DRH quadra superséduisantes ne font pas d’enfant. Dans les clips, des post adolescentes quasi nues font l’amour à la caméra en prenant des poses de journaux gratuits. Dans la vie réelle, les clones de ces beautés maintiennent littéralement la ville en érection en exhibant l’air de rien un sillon fessier qu’un string infime habite. Mais leur existence, assaillie par le désir qu’elles enflamment, n’est plus qu’un long refus narcissique. La jeunette s’habille donc au sens propre comme une star, fut-elle serveuse dans un bar à bobos, pour se payer le seul luxe à sa portée : faire baver les mecs, à qui elle n’adresse même plus un regard. Dans la vie réelle, ces femmes fatales sont au SMIC.



Dans toutes ces images paradoxales, les femmes sont à la fois indépendantes, conquérantes ET réduites à la qualité d’objets sexuels, ce qui est évidemment impossible. Contrairement aux séries télé, la vie réelle n’est pas soumise à un scénario écrit à l’avance, et personne ne saurait promettre que montrer sa poitrine, surtout quand elle est splendide, est sans effet sur la quiétude, bien fragile, des mâles. On en arrive au point commun de TOUS les militants : ce monde n’accueillant pas mon désir immédiatement et sans broncher, il faut changer ce monde. Concernant le point névralgique de la vie, c'est-à-dire le désir sexuel, il y a fort à parier que les manifestations bravaches visant la « prise de conscience » n’y changeront rien.



Dans « Doux, dur et dingue », gentil navet de Clint Eastwood, les bikers bardés de cuir qu’il humilie pourtant régulièrement en sont réduits à manifester contre lui. Ils exhibent des pancartes où l’on peut lire « les méchants, c’est nous ! ». On en arrivera peut-être à ça : les femmes africaines évoquées plus haut, désemparées par l’indifférence des hommes devant leurs tenues trop strictes, pas assez « sexe » en comparaison de ce qui se porte dans les collèges, contraintes d’organiser une Marche des vertus, brandissant banderoles : « Nous, vous pouvez toucher »…

lundi 1 août 2011

Coming août



TOURISTES 1

Les migrants vont partir ensemble à l’heure dite
Noircissant les routes en allant vers le sud
Ils vont traîner ailleurs, sous d’autres latitudes
L’ennui de leurs vies plates que l’argent facilite

Ils quittent pour vingt jours un bureau, une chaîne
Sitôt « libres » ils se foutent à plat ventre au soleil
La moindre limonade est changée en merveille
Le bon sens partout déclencherait la haine

Les ventres se délient, les bedaines plastronnent
Les mamans presque mortes s’occupent de tout faire
Ceux qui veulent baiser choisissent entre les connes
La plus habile à tendre un cul majoritaire.

On rapporte qu’un con, armé d’une guitare
En reprenant Cloclo se fait plus de dix briques
Pendant que des fillettes à l’arrière des bars
Oublient des vies sans joie menées à coups de trique.



TOURISTES 2

On a conquis le droit de partir en vacances
On n’avait pas prévu qu’on nous tendrait un piège
Ni qu’on nous ferait prendre pour un fjord en Norvège
Des baies chargées de mouches dans le cul de la France

Ceux qui voulaient donner aux couches populaires
Le repos mérité que l’usine confisque
N’ont pas imaginé le grouillement vulgaire
Des marchands de babioles qui râlent après le fisc

En promettant le monde au peuple sédentaire
Ils souhaitaient simplement leur permettre la Terre
On deviendrait meilleurs d’aller voir d’autres hommes

Mais c’était sans compter la force du standard
On a multiplié la merde ad libitum
On a fait du rivage une piste à connards.

mardi 26 juillet 2011

Contre la discrimination, discriminons.



A certains égards, l’affaire DSK est une répétition de ce que deviendra la France d’ici vingt ans, si les partisans du communautarisme l’emportent sur les républicains pur sucre.
Au départ, il s’agit d’une plainte d’une femme de chambre contre le patron du FMI. Curieusement, toutes les voix, en France, qui dénoncent à longueur d’année « l’essentialisation » consistant à traiter les gens par catégories (LES Arabes, LES Juifs, LES Noirs) ne se sont pas gênées pour essentialiser LES femmes de chambres, LES mères célibataires, LES Noires, LES hommes, LES puissants. Oui, soudain, la parole s’est libérée, comme on dit, laissant voir les donneurs de leçons tels qu’ils sont : de parfaits hypocrites. Soudain, les hommes devinrent des violeurs, des batteurs d’épouses, les femmes noires devinrent des victimes, les procureurs américains devinrent des héros, ou des salauds (selon les opinions), les femmes du monde entier devinrent des biches pourchassées et les féministes devinrent des exemples de courage. On a essentialisé à tour de bras, on s’est vautré dans l’essentialisation comme des pourceaux. Les mêmes qui expliquent qu’on ne peut pas parler des gens selon la couleur de leur peau ni selon leur origine s’en sont donné à cœur joie dans la réduction de ces mêmes personnes à ces deux catégories. Mais, attention : pour la bonne cause !
A un moment, le français fut épaté de ce qu’aux Etats-Unis, au moins, la Justice ne plaisante pas avec le sexe. Et chacun de se dire que « c’est pas en France qu’on aurait vu ça » ! Qu’un homme puissant soit amené à répondre de tentative de viol, vraiment, le Français, ça l’a scié… Puis, les mêmes qui ne juraient que par l’indépendance et la rigueur de la Justice made in New York se sont mis à faire l’inverse : le procureur qui révèle les mensonges de la plaignante, ça ne pouvait être qu’une histoire d’intérêt, de lobby, de pression. Bref, autant le dire tout de suite : si on veut conserver un peu de l’humanisme qui est en nous et continuer d'aimer son prochain, il faut éviter de discuter de cette affaire avec qui que ce soit. Trop d’imbéciles.

Comme je l’ai déjà dit, un procès n’est jamais qu’un cas unique. On juge un individu pour des actes et, si l’on veut éviter la grandiloquence autant que l’erreur judiciaire, on se gardera bien de juger quiconque « pour l’exemple » ou pour racheter des injustices par ailleurs impunies. Ainsi, les simplettes d’esprit qui tentèrent de faire passer les femmes comme victimes par essence, ne se gênaient pas pour en tirer les conclusions logiques : elle n’a pas pu mentir, il faut respecter sa « présomption de véracité », donc DSK est coupable. Heureusement, depuis les derniers développements de l’affaire, Osons le féminisme semble s’être transformé en Osons-fermer-notre-grande-gueule. C’est toujours ça de pris.
Mais la France, décidément, n’est pas encore tout à fait américaine. Oui, malgré les vacheries que j’ai eu l’audace de lancer sur mes compatriotes en introduction, je suis bien obligé de convenir que la foire aux conneries s’est un peu calmée, en France, depuis que DSK est redevenu un être humain presque comme tout le monde. Même Gisèle Halimi s’est tue ! Aux Etats-Unis, en revanche, la rage justicière ne s’arrête pas à un détail aussi mince que l’innocence de l’accusé. Non, il faut encore que l’accusé soit innocent de la couleur de sa peau.
Comme toute maladie, le communautarisme produit ses effets sans état d’âme : les Noirs « défendent » donc les intérêts des Noirs, et les Blancs, ceux des Blancs. Il ne s’agit plus, dès lors, de savoir où se trouve la justice ni l’intérêt général, il s’agit de se serrer les coudes entre soi. C’est ainsi qu’on voit se former des manifestations de Noirs pour exiger que le procès de DSK ait lieu. Bill Perkins, sénateur noir, endosse même le rôle de défenseur de la communauté noire, ce qu’il est d’ailleurs très exactement ! Ils exigent le procès non en raison de leur goût pour la justice, mais parce qu’ils pensent qu’un procès sera favorable à une femme noire. Si madame Diallo avait accusé de viol un homme noir, croyez-vous que le sénateur Perkins serait venu froncer le sourcil devant les caméras de télévision ? Et si madame Diallo était une femme blanche, les belles âmes de Harlem, soudain devenues féministes, se seraient-elles manifestées ? Non. Si des manifestations ont lieu et si l’on se démène pour Diallo, c’est pour une raison d’ordre tribal : elle fait partie de la famille.
Le communautarisme et le racialisme sont tellement vivaces, là-bas, que personne n’est plus choqué quand un groupe de Noirs, sénateur en tête, demande et exige. Que l’on veuille qu’un procès ait lieu, pourquoi pas, mais que ce soit des Noirs qui le demandent, et uniquement des Noirs, ça donne aperçu de ce que devient la justice quand les individus sont intrinsèquement rattachés à une communauté ethno-raciale, qu’ils le veuillent ou pas.



Pendant ce temps, chez nous, des activistes font campagne pour l’adoption de statistiques ethniques. Dans un article qui ne le montre pas à son avantage, un certain Kamel Hamza, président d’une « association nationale des élus locaux de la diversité », nous raconte son récent voyage aux Etats-Unis où, affirme-t-il, le meilleur des mondes est déjà bien établi... La langue de bois n’ayant aucun secret pour lui, il débite une quantité d’insanités malhabiles, propres à le faire entrer rapidement dans le Top 10 des Très Grands Comiques, chouchou des médias. Ce type a au moins le mérite d’être décomplexé, ce qui est toujours un avantage pour ses adversaires. Il affirme qu’aux Etats-Unis, des élus issus de la diversité « ont porté plainte pour que le redécoupage électoral soit plus représentatif des minorités ethniques. Ils ont réussi à sensibiliser la population sur l’idée de «voter pour quelqu’un qui vous ressemble». Ce qui n’est pas le cas en France. » Ce qu’Hamza souhaite, il le dit, il le proclame sans ambages, c’est qu’on lui réserve un corps électoral à lui, ethniquement pur, pour simplifier ses réélections futures ! Que les Blancs votent pour des Blancs, que les Noirs élisent des Noirs, et que les Arabes restent entre eux : immense progrès, auquel on doit reconnaître que la République Française n’avait pas pensé.

Je me souviens d’une réplique de Robert de Niro, dans Brazil. A quelqu’un qui a peur des terroristes (parce que les médias en font leur sujet continu), il demande : « mais toi, un terroriste, tu en as déjà vu ? ».
Les statistiques ethniques, c’est la même chose. Leurs partisans posent comme base de la discussion que les discriminations existent, qu’elles sont « d’ordre ethnique » (lire : racisme) et qu’elles sont les seules explications possibles au fait qu’il n’y a pas dix pour cent de députés d’origine arabe au Parlement, par exemple. Tout est fait pour qu’on ne discute même pas de ces axiomes pourtant bien branlants. Et, bien sûr, si ces discriminations existent, il faut des stats ethniques pour en prendre la mesure. Faisons comme Robert de Niro, demandons-nous si ce qu’on nous dit est vrai.
Basons-nous, par exemple, sur le rapport du CREST (Centre de Recherche en Economie et Statistique) de mars 2011, portant sur l’évaluation de l’impact du CV anonyme (CV qui ne comporte aucune mention du nom, du prénom, de l’adresse ni de la date de naissance du candidat). Ce rapport établit clairement que les recruteurs recrutent par « homophilie », c'est-à-dire qu’un homme recrute plutôt des hommes, une femme fait de même avec les femmes, un jeune avec les jeunes, etc. Dans cette perspective, il est probable qu’un Blanc a tendance à recruter des blancs, et un Noir des noirs. Or, si la grande majorité des recruteurs est composée de Blancs, il est mécaniquement probable qu’ils recruteront « plutôt » des blancs. Il s’agirait alors non pas de racisme, mais d’un effet mécanique dû au grand nombre des acteurs en présence.
Cette « homophilie » est quantifiée, et devient très instructive : « Lorsque le recruteur est un homme et que le CV est nominatif, les femmes ont une chance sur 27 d’être reçues en entretien et les hommes une chance sur cinq ». Cela revient à dire que dans ces circonstances, les femmes ont 3% de chances d’être recrutées, et les hommes 20%. Bigre ! Le clou du spectacle arrive quand on aborde les différences ethniques : « Avec des CV nominatifs, les candidats issus de l’immigration et/ou résidant en ZUS-CUCS ont 1 chance sur 10 d’obtenir un entretien, tandis que le reste de la population a 1 chance sur 8 ». C'est-à-dire 12% pour les « de souche » et 10% pour les autres. Vous avez bien lu : la différence de traitement selon l’ethnie est insignifiante, tandis que celle entre les hommes et les femmes est gigantesque ! La différence de traitement selon l’ethnie est donc hors de proportion avec ce qu’on raconte dans les médias, avec le discours dominant, avec les accusations de racisme endémique qui gangrènerait la France, et les jérémiades des victimes professionnelles qui vont avec.
Mais ce spectacle a un second clou, encore plus formidable, que voici : quand le CV est anonyme, cette fois : une chance sur 6 pour les femmes, une chance sur 13 pour les hommes. La première tendance (homophile) est donc inversée. Mais pour les candidats « issus de l’immigration et/ou résidant en ZUS-CUCS », on passe de 10% de chance d’obtenir un entretien à…4% ! SCANDALE ! C’est donc quand les recruteurs connaissent le nom et l’origine de Mohamed qu’il a le plus de chance de trouver un boulot ! Mais alors, où est passé le racisme congénital des Français ? Si on leur file un CV anonyme, s’ils jugent donc « sur pièces » et non en fonction de leurs épouvantables préjugés, ils divisent par deux et demie les chances du candidat ! Il y a de quoi se les mordre, non ?
On peut trouver quelques explications à ce phénomène, mais ce n’est pas mon propos. On est en revanche obligé d’admettre qu’il n’y a pas de discrimination à l’embauche basée sur l’origine ethnique en France. On est obligé de l’admettre, sauf à nier les conclusions de cette étude. T’en as déjà vu, toi, des terroristes ?



Mais, chacun l’aura remarqué, ce que j’avance est paradoxal : je m’oppose aux statistiques « ethniques » MAIS je me base sur les conclusions d’une étude « ethnique » pour démontrer qu’elles n’ont pas d’objet ! C’est une absurdité circulaire, c’est la politique de la France livrée aux Marx Brothers, c’est l’Eternel retour de la galéjade !
En fait, l’enjeu des « statistiques ethniques » ne se situe pas là. Il ne s’agit pas de quantifier les discriminations ethniques dans un domaine ou dans un autre. Ça, au fond, tout le monde s’en fout. Et d’ailleurs, comme le montre l’étude du CREST, on peut bien prouver qu’il n’y a pas de discrimination, ça ne diminue en rien le zèle des militants antiracistes amateurs de stats raciales. L’objectif final, c’est la partition d’une nation en groupes, en communautés, en tribus. C’est aussi, bien sûr, la nouvelle donne politique qui irait avec (collèges électoraux séparés, ou découpage électoral racial – qu’on appellerait autrement, tu parles !). C’est, si l’on regarde loin en délaissant les détails qui ne font qu’obscurcir le tableau, une véritable passion racialiste qui s’exprime, un désir profond de régression tribale fondée sur un entre soi primitif, c’est une profonde haine symétrique de l’autre et de soi (honte d’être victime et ressentiment d’un côté ; honte d’être raciste et militantisme xénolâtre de l’autre). Quand la mondialisation des échanges laissait les peuples dans leurs contrées d’origine, quand les migrations n’étaient pas très massives et surtout quand elles n’avaient pas encore produit leur effet de cumul, il était « facile » de détester les étrangers. C’était une tradition sans conséquence. Les étrangers, c’était ceux qui habitent de l’autre côté de la frontière, de la mer, de l’autre côté du monde, ces ploucs, ces couillons ! Maintenant que la mondialisation s’emballe et que les peuples s’interpénètrent comme jamais, l’étranger habite la maison d’à côté, on ne peut plus le considérer comme une abstraction. Lui-même, cet étranger, venu ici pour gagner sa vie, s’aperçoit bientôt qu’il doit abandonner une grande part de ses habitudes, de sa « culture d’origine ». D’où les revendications particulières, d’où les lieux de culte, d’où la viande halal, d’où le voile, d’où un jour la charia, c’est mécaniquement prévisible. Contrairement à ce qu’on entend souvent, la mondialisation et les migrations ne produisent pas la peur et le repli uniquement chez les populations d’accueil. Les déplacés aussi aspirent au communautarisme parce qu’ils sont déboussolés par la perte de leurs repères, par l’obsolescence soudaine de leur mode de vie, de leurs façons de penser, de leur vision de l’avenir, du rôle des parents dans l’éducation. Comment, sinon, expliquerait-on que leurs enfants deviennent soudain massivement délinquants ?
Dans son excellent « Les yeux grands fermés », Michèle Tribalat défend et réclame des statistiques ethniques. Ses arguments semblent frappés au coin du bon sens, et par certains côtés, ils le sont. Mais Tribalat néglige les conséquences de ce changement, y compris les conséquences psychologiques. Déjà bien assez vivace, le communautarisme serait renforcé par une lecture systématiquement racialisée des problèmes sociaux, que les statistiques ethniques permettraient. Comment en serait-il autrement ? Autoriser des stats ethniques, c’est renforcer la conscience de groupe et faire la promotion des origines, ces boulets. Tout cela au détriment du sentiment d’appartenance nationale.

La difficulté de la position anti communautariste vient de ce que la communauté est un mode d’organisation « naturel » à l’homme. Il est parfaitement humain de vouloir vivre au milieu de gens qui partagent votre mode de vie, votre langage, votre histoire, vos codes sociaux, votre façon de faire la bouffe, etc. Les étrangers se regroupent en quartier (et on les y regroupe) depuis l’Antiquité. C’est à une tendance bien « naturelle » de l’homme que l’on s’oppose, quand on supporte l’idée de nation (au sens révolutionnaire français du mot). Les Etats-Unis sont une nation composée dès l’origine de populations différentes et toutes immigrées ; par la même logique, c’est le pays des communautés. Mais ce qui est logique et explicable pour les Etats-Unis ne l’est pas pour la France. Il n’y a pas, aux Etats-Unis une population ayant conscience d’être « là » depuis Jules César (que ceci soit vrai ou pas), à part les Indiens, noyés sous la masse. Ce qui a fonctionné là-bas ne pourra que faire exploser la nation ici, surtout dans une époque où la nation a honte d’elle-même, de sa nature, de son histoire, de ses principes et de ses réalisations. Quand on s’oppose au communautarisme et à ses méthodes, on s’oppose à ce risque. Le racisme n’a rien à faire là-dedans, n’en déplaise aux imbéciles et aux faux-culs.

Si on accède aux désirs des gens comme Kamel Hamza, si l’on tronçonne les populations en fonction de la couleur de la peau, il faut s’attendre à ce qu’en 2040, des processions « ethniques » viennent manifester pour soutenir la Nafissatou d’alors, coupable ou victime, qu’importe. On avait la justice de classes, on lui aura substitué, comme lors de l’affaire O.J. Simpson, la justice de races.