dimanche 29 mai 2011

Fuminisme : défense des fumistes.



L’affaire DSK est une aubaine pour les médias, elle fait vendre beaucoup plus de papier qu’un bombardement de civils en Syrie ou une énième éruption violente du côté de Gaza. C’est ainsi. Il faut reconnaître que l’affaire DSK est avantageuse. Il est nécessaire de se documenter, par exemple, si vous voulez donner un avis un peu pertinent sur le conflit Israël / monde arabe. Il faut se farcir des livres d’histoire, apprendre quelques faits et réaliser le tri entre les interprétations des uns et des autres. Idem si vous avez l’intention de l’ouvrir sans dire trop de conneries à propos de la Côte d’Ivoire, du Soudan, de Fukushima et même d’un discours du pape. Mais l’affaire DSK, un régal ! On peut y aller, balancer sa certitude sans risque, puisque l’éventuel contradicteur ne dispose pas, de toute façon, d’argument plus fondé que le vôtre. Même s’il n’a rien à en dire, chacun a un avis et tient à l’exprimer !

Il est comme ça, le Français : quand on lui embastille son président du FMI, il commente ! Et merde, il a bien le droit ! Il commente au boulot, en famille, au bistrot et, natürlich, sur Internet. Mais qu’est-ce qu’Internet, après tout ? Quelle fonction ça remplit, Internet ? Grosso modo, celle d’un bistrot. Un « endroit » où l’on peut ouvrir sa gueule et partager quelques impressions. Internet, c’est du lien social à l’échelle industrielle. Alors, quand un très gros bonnet se fait pincer dans une sordide histoire, on commente, on glose, on participe à l’Histoire. On est d’abord stupéfié, puis on se marre, on galèje, on exagère. On fabrique du lien social sur le dos du cador. On est peuple. Et puis, il y a tellement de gens qui prétendent détenir la vérité sur l’Affaire, qu’au fond, personne n’y croit. Qu’importe, après tout, ce n’est que de l’écume.

C’est pourtant sur cette écume, ce rien-du- tout, ces propos de café du commerce que nos féministes s’appuient pour repartir au combat. Quoi ?!! On aurait violé une femme à New York ?! On aurait bousculé une minette à la sortie d’une boîte de nuit ? On aurait manqué de respect à ma grand-mère ? On aurait plaisanté grassement sur les cuisses tout aussi grasses d’une caissière à mi-temps chez Ed l’Epicier ? On aurait fait de l’esprit sur celui des femmes, qui, chacun le sait, ne diffère pourtant EN RIEN de celui des hommes ?! Formons nos bataillons, mes sœurs, et allons dénoncer l’hydre masculine et sa gigantesque bite mentale !


Alors qu’une femme vient d’être arrêtée en Arabie Saoudite parce qu’elle conduisait une simple bagnole, des féministes organisent en France une manifestation pour s’opposer au climat misogyne qui régnerait en ce moment dans la patrie de DSK. La disproportion entre les rodomontades féministes parisiennes et les sujets réellement scandaleux que l’actualité nous rappelle, est encore une fois l’occasion d’une affligeante méditation. Tel l’antinazi du XXIème siècle, qui continue d’œuvrer et de lever le poing, même sans trouver le moindre nazi à se mettre sous la dent, la féministe française de 2011 fait tout pour faire croire que le sujet de sa « lutte » est encore brûlant. Alors qu’il pue le moisi comme une vieille ration de la guerre de 14.

Passons sur les offuscations de circonstances : certaines prétendent qu’on nage dans un climat de gaudriole appelant les Assises. Je ne renchérirai donc pas. Retenons plutôt ce chiffre effrayant, époustouflant, brandi comme une injonction à un peu de décence : 75 000 viols par an, en France ! Aha, on fait moins les malins ! Le message est donc clair : que tous ceux qui s’amusent et font de l’esprit sur la femme de chambre DSKisée se rappellent qu’en France, chaque année, on viole 75 000 femmes, bordel !


Il y a déjà quelques temps que des chiffres jonglant avec les dizaines de milliers (voir les centaines de milliers) circulent ici ou là sur ce sujet. L’Etat n’avance curieusement aucun chiffre précis, laissant ce soin à d’obscures associations qui ont, fort logiquement, un bel intérêt à démontrer que leur raison d’être ne repose pas sur du vent. Tout le monde est d’accord pour suspecter une association de défense de l’agriculture intensive, par exemple, de ne pas être neutre dans son combat, ni dans sa façon de mener ses travaux. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, une association de lutte féministe, pour utile qu’elle soit, a intérêt à démontrer que son combat est justifié, nécessaire, indispensable. (Je me souviens d’un pote qui pondait sa thèse de doctorat sur l’apartheid sud africain au moment où celui-ci fut aboli : une gueule de six pieds de long). Il est donc normal de prendre les chiffres avancés par toute association, même féministe, avec un minimum de précautions.

Allons-y pour les précautions. On laisse n’importe quel chiffre se répandre dans les médias sans faire aucune vérification. N’étant pas un spécialiste des viols, n’étant même pas violeur moi-même (oh, ça va, c’est une petite vanne), j’expose ici ma pseudo méthode, qui est rudimentaire : je cherchouille sur Internet, pas plus.
Que trouvé-je ?
On parle de 75 000 viols annuels en France. Bon. Pourtant, une enquête américaine de 2004 – 2005 n’en donnait que 60 080 aux Etats-Unis, un pays quatre fois plus peuplé que le nôtre, et réputé en général pour sa grande violence. De plus, cette enquête américaine estimait que seulement 41% des viols étaient déclarés. En France, à en croire les militantes, ce chiffre serait inférieur à 10%, et personne n’est capable d’expliquer cette monstrueuse différence…
Mieux : Wikipédia nous apprend que l’Afrique du sud serait le pays du monde où l’on dénombre le plus de viols : 147 par jour ! Atroce ! Mais c’est compter sans la french touch : 75 000 divisé par 365, ça donne 205 viols quotidiens ! L’Afrique du sud enfoncée ! Ça ressemble de plus en plus à un canular. Un peu comme si certains, ou certaines, avaient intérêt à répandre des chiffres dopés à l’hélium… D’ailleurs, quand l’Enquête Nationale sur les Violences Envers les Femmes en France (ENVEFF) donne les chiffres de la gendarmerie et de la police (pour 1998), on arrive à 7828 viols annuels, c'est-à-dire 21 par jour. On est loin, et heureusement, de 205…

Pour aborder très rapidement un point de méthode qui ferait sourire de commisération un enfant de huit ans, je citerai cette perle méthodologique de l’ENVEFF. Un panel de femmes est constitué. Il apparaît que 0,3% de ces femmes disent avoir été violées. On applique ensuite ce pourcentage à l’ensemble de la population féminine française (ce qui donne les fameux 75 000 viols). Puis, constatant que les chiffres des plaintes enregistrées sont époustouflamment inférieurs, on en infère que seulement 5% des femmes violées portent plainte. La seule et unique chose qu’on remet donc en question, ce sont les chiffres officiels des plaintes
« Si l'on applique cette dernière proportion aux 15,9 millions de femmes âgées de 20 à 59 ans vivant en France métropolitaine (lors du recensement de 1999), ce sont quelque 48 000 femmes âgées de 20 à 59 ans qui auraient été victimes de viol dans l'année (2). Cette estimation est à rapprocher des déclarations faites à la police et à la gendarmerie : 7 828 viols en 1998, dont 3 350 concernaient des personnes majeures. Seuls environ 5 % des viols de femmes majeures feraient ainsi l'objet d'une plainte. »



Autre exemple ? Sur une recherche Google, le premier site apparaissant quand on demande « viols en France statistiques », c’est SOSfemmes.com. Il titre « au moins 25 000 viols en France » et l’illustre par cette phrase effrayante : une femme violée toutes les deux heures ». Oui, mais une femme violée toutes les deux heures, ça nous donne un total de 4380, c'est-à-dire cinq fois moins que ce qu’annonce le titre de l’article ! Tout est comme ça. Aussi surprenant que ça puisse paraître, dès qu’on aborde le sujet du viol en France, on nage en pleine décontraction…

Enfin, pour étayer mes doutes sur les chiffres avancés par les Combattantes, je rapprocherai les supposés 75 000 viols annuels des 68 512 accidents de la route enregistrés en 2009 en France. Ouais : moins que des viols ! Posons-nous alors la question suivante : à titre personnel, dans notre entourage, nos amis, notre famille, connaissons-nous plus de victimes de viols ou d’accident de bagnole ? Hum ? Allez, fuministes, circulez !

Je prétends qu’en matière de violence contre les femmes et en matière de viol, par peur d’être désigné « négationniste », on laisse le champ libre au militantisme le plus exalté. Une contradiction sur les chiffres avancés et hop, on vous soupçonne d’être favorable au viol, d’en faire l’apologie ! Le sujet de la violence sexuelle contre les femmes est un tabou, une friche dont on laisse l’usufruit à des militants déterminés à faire peser sur tous les hommes un soupçon infâmant. Vieille technique utilisée par tous les lobbies, il s’agit alors de gonfler la réalité, d’amplifier le danger pour que des mesures radicales soient prises. Un peu comme ces manuels scolaires du début des années 80 qui nous expliquaient qu’avant l’an 2000, les réserves pétrolières mondiales seraient quasi éteintes… Pire, plus ambitieux et jamais clairement dit, en répandant l’idée que des dizaines de milliers de viols sont commis en France chaque année, il s’agit surtout d’établir un climat mental de culpabilité générale chez les hommes. Le bon vieux truc des méchants et des gentils.

Autre point désagréable : les fausses accusations de viol. On a beaucoup parlé de présomption d’innocence et de présomption de véracité (pour les accusations de la plaignante), mais une chose demeure certaine, malgré toutes les présomptions : les enquêteurs doivent étudier toutes les hypothèses, y compris celle où la victime raconterait des bobards. C’est d’ailleurs la meilleure et la seule façon de faire honneur à la présomption d’innocence dont on se remplit la bouche sur les plateaux de télévision. Or, des études montrent qu’en matière de viol, la fausse accusation est une pratique massive, et bien connue des spécialistes. Sans même rappeler les fausses accusations d’Outreau, des études jamais évoquées par les médias montrent que les fausses accusations de viols peuvent représenter jusqu’à 40% des cas ! (lisez ceci) Évidemment, les militantes fuministes rejettent en bloc ces chiffres (pour le cas improbable où on les produirait), en vertu de la mécanique d’intérêts que j’ai évoquée en introduction.

DSK et les femmes, c’est un sujet idéal pour vendre du papier. Il est riche, elle est pauvre. Il est puissant, elle balaie les chambres. Il a des avocats, elle a des huissiers aux trousses. C’est un homme, c’est une femme. Il est blanc, elle est noire. Un mauvais scénariste de série télé aurait reculé devant un tel simplisme. Pas les fuministes français.

mercredi 18 mai 2011

Une femme, toutes les femmes


"Comment voulez-vous croire qu'une simple femme de ménage, noire, mère célibataire de surcroît, ne dise pas la vérité ?" Gisèle Halimi. Le Monde.fr du 18/05/2011.

Oh, je sais qu’on peut se laisser entraîner à dire les choses de façon maladroite, surtout quand on est presque sommé d’avoir un avis sur une question dont on ne sait, en fait, rien. Oh, je sais que les paroles dépassent parfois la stricte mesure de ce que leur auteur voulait dire. Malgré tout ce que je sais, je ne peux pas m’empêcher de goûter comme un nectar la perle halimienne ci-dessus. Nectar d’une bien curieuse nature, car il cumule deux caractères contraires : il est à la fois précieux et très répandu.
Gisèle Halimi n’a peut-être jamais fréquenté de femme de ménage, noire, mère célibataire. Qu’importe ! elle aurait quand même pu se renseigner avant de parler… En effet, la science est formelle sur ce point : les femmes noires, mère célibataires, et qui font des ménages pour gagner leur vie peuvent et savent mentir. C’est scientifique, c’est établi, c’est du solide. Les plus grands spécialistes de la question convergent même vers l’idée qu’en fait, tout le monde est capable de mentir. La profession d’un individu, son sexe, sa couleur de peau (fût-elle noire, oui !) n’entravent manifestement pas sa capacité à mentir et il semble bien qu’en ce domaine, les individus « faibles », ou « dominés », enfin les individus qui ont en général à rendre des comptes, développent leur compétence bobardienne de façon encore plus satisfaisante.
Ainsi, hélas, les victimes-nées que sont les pauvres, les femmes battues ou non, les sanpapiers, les sans grade, les ramasseurs de fruits, les chiffonniers du Caire, les pestiférés de la Garenne-Colombe, les moinqueriens de Ouagadougou, les plongeurs de chez Quick-Hallal, les précaires, les cédédés de la Barbade et même les trous du cul du Yang Tsé Qiang, tous sont potentiellement de remarquables baratineurs. Sur ce point, on me rétorquera que les ministres et les D.G. d’institutions internationales sont de vrais champions : certes !

« Gisèle Halimi dérape !», auraient pu titrer les médias s’ils n’étaient pas en ce domaine focalisés sur les têtes de Turc consacrées. Elle prend ses désirs pour des réalités, ses fantasmes pour chose certaine. La militante milite comme tous les militants le font : dans la lourdeur. Si les militants se mettaient à peser les arguments et les accusations, où irions-nous ? Par ailleurs, Gisèle Ha-la-limite est avocate. Il serait étonnant que son expérience d’avocate ne lui ait jamais fourni l’exemple de gens qui mentent, accusés, accusateurs, femmes, hommes, Blancs et même Noirs (si !). Mais la militante en elle est la plus forte, et débarrasse l’avocate des scrupules qu’elle devrait avoir.

Dans une conversation télévisée récente portant sur l’affaire DSK, Clémentine Autain remarquait que les réactions publiques se focalisaient sur la personne de l’accusé (elle ignore sans doute qu’un patron du FMI mis en taule pour viol est bigrement plus susceptible de soulever l’étonnement public qu’une malheureuse femme de chambre maltraitée, même noire). Elle s’étonnait et regrettait que l’on déplore la situation de DSK tout en ignorant celles de l’accusatrice et des femmes violées. En cette occasion comme en tant d’autres, elle parlait en parfaite militante, c'est-à-dire en utilisant des expressions toutes faites : les fameuses (et déplorables) « violences faites aux femmes ». Pour cette soldate des femmes, nous avons DSK d’une part (encore présumé innocent bien qu’il soit un homme) et, dans l’autre plateau de la balance, les violenzfètzofam. Or, quelle que soit l’énergie sexuelle du mari d’Anne Sinclair, on ne peut quand même pas le tenir responsable des violences faites à toutes les femmes ! Dites-moi que ce mec est un tombeur de première, un satyre forcené, un queutard d’exception, un militant du gland, dites-moi qu’il crapahute de fesses en fesses depuis trente ans, qu’il bouscule ma tante dans les rosiers, qu’il force les premières communiantes et d’insoutenables génuflexions et même qu’il DSKise© les réticentes, mais ne venez pas me dire qu’il épuise à lui seul le genre féminin sous les assauts !! Il doit bien avoir quelques complices, ce mec ! Il ne peut pas faire partout à la fois ! En l’occurrence, donc, on l’accuse de violence faite à UNE femme, une seulement ! Toute la différence entre une exaltée de la militance et une personne sensée tient à cette nuance.

Un conseil à tous les hommes : dans un tribunal présidé par Clémentine Autain, évitez d’être défendus par Gisèle Halimi.

mardi 17 mai 2011

35 heures pour une ruine


Dickens écrit Hard times (en français, Temps difficiles) en 1854. Dans ce passage, il ironise sur certain discours patronal présentant les contraintes de la loi comme menant immanquablement à leur ruine. On se croirait en 2011...
Ici, ceux qu’il nomme les « citoyens de Coketown », ce sont bien sûr les possédants, ceux qui détiennent les usines.

« Assurément, il n’y avait jamais eu de porcelaine aussi fragile que celle dont étaient fats les manufacturiers de Coketown. Les eussiez-vous maniés le plus légèrement qu’il est possible, ils seraient encore tombés en morceaux avec tant de facilité que vous auriez pu les soupçonner d’avoir été fêlés auparavant. Ils étaient ruinés lorsqu’on leur demandait d’envoyer les petits manœuvres à l’école, ils étaient ruinés quand on désignait des inspecteurs pour venir visiter leurs fabriques, ils étaient urinés quand ces mêmes inspecteurs considéraient comme douteux qu’ils eussent tout à fait le droit de couper les gens en morceaux avec leurs machines, ils étaient ruinés quand on insinuait qu’ils n’avaient peut-être pas toujours besoin de faire tant de fumée. (…) Chaque fois qu’un citoyen de Coketown se croyait victime d’une injustice, c'est-à-dire chaque fois qu’on ne le laissait pas absolument libre de faire à sa guise, et qu’on voulait le tenir pour responsable des conséquences d’un quelconque de ses actes, on pouvait être sûr qu’il allait lancer sa terrible menace et affirmer qu’il « aimerait mieux flanquer ses biens dans l’Atlantique ». Cette menace avait terrifié le ministre de l’Intérieur, au point de le mettre à plusieurs reprises à deux doigts de la tombe.
Cependant les citoyens de Coketown étaient si bons patriotes, après tout, qu’ils n’avaient jamais encore flanqué leurs biens dans l’Atlantique, mais au contraire avaient eu la bonté d’en prendre grand soin. C’est pourquoi ces biens étaient là-bas dans la brume, qu’ils croissaient et se multipliaient. »

Livre indispensable.

La flamme est l’avenir de l’homme.


On le sait d’expérience, la réalité est la mère supérieure de toutes les fictions. Quand la fiction se débride, la réalité lui rappelle bien vite qu’en matière de fantaisie comme en matière d’horreur, elle ne saurait être dépassée.
Il n’est pas d’usage ancien qu’on brûle les morts en occident. On ne sait pas le nom du premier con qui a trouvé sympa de se faire volontairement chauffer le lard à quelques centaines de degrés, mais on constate son succès. En effet, il n’est désormais plus possible d’avoir une conversation sur la mort sans qu’un plaisantin vienne affirmer qu’il voue son corps aux flammes, « parce que c’est mieux que les asticots »… Ingratitude des viandes vives ! Inconséquence des éphémères ! Dire que des générations d’Européens ont nourri, entretenu, élevé, oui, é-le-vé des milliards de générations d’asticots en leur fournissant post mortem un copieux repas chaud farci de protéines, et nous voici au seuil du troisième millénaire à rationner le bifteck à nos compagnons d’éternité ! Nous vivons l’âge du Rationnement.
Quoi qu’il en soit, il faut se rendre à l’évidence, le crématoire est désormais devenu la destination très prisée des macchabées de par chez nous, on s’y précipite ventre à terre et les osselets en bataille.

Dans le catalogue des « raisons » censées justifier le choix du chalumeau plutôt que la vénérable tombe « pierres apparentes » qui fit la joie de nos ancêtres, on trouve l’argument de l’encombrement. Habitué à faire la queue chez Carrefour, à s’embourber par milliers sur les plages d’août, à faire du bite-à-cul sur le périph matin et soir pendant une vie d’employé modèle, le Français d’aujourd’hui n’est plus qu’un mec qui s’efface, un timide qui craint d’abuser, un modèle qui condamne l’usage de tout ce qui fait « du mal à la planète ». Cette tendance navrante est renforcée depuis peu par l’assurance que les humains, vivants ou morts, sont trop nombreux sur la terre. Les humains, et surtout moi-même ! se dit le Français moyen courant au four crématoire y trouver ses vingt centimètres cubes d’éternité.
On ne dira jamais assez ce que la rage écologiste a ajouté aux peurs traditionnelles de l’être humain, et les justifications nouvelles qu’elle a apportées à sa bêtise. La planète ayant été décrétée « trop petite » pour les milliards que nous sommes, l’homme moderne (donc responsable) se doit désormais de se faire mince. Le viatique écologiste (donc responsable) prescrit dix commandements impérieux :
1 Manger peu (des légumes),
2 jeter encore moins,
3 se déplacer seulement en cas de force majeure,
4 et JAMAIS EN BAGNOLE,
5 prendre des douches sans eau,
6 trier ses déchets, voire ceux des voisins,
7 limiter son empreinte écologique,
8 renoncer à jeter ses vieilles piles à la poubelle
9 préférer le suicide (assisté) à l’acharnement
10 se faire incinérer

Ne pas prendre de place, même la sienne, est devenu l’ambition suprême.
On doit donc en prendre son parti : il est de la dernière tendance et du plus haut chic de partir en fumée dès que la mort nous en donne l’occasion. Il est alors écrit que les fours municipaux se multiplieront, résurrection inattendue des fours banaux. Comme autrefois, au village, chacun viendra y porter non plus son pâton à cuire, mais son vieux père à griller…


Le village de Redditch, affreux bled d’Angleterre, a fait parler de lui il y a quelques mois pour un projet surprenant. L’affaire semblait un canular : le conseil municipal envisageait d’utiliser la chaleur produite par le four crématoire pour chauffer la piscine municipale. D’un côté, des citoyens calcinés par les flammes ; de l’autre, des citoyens engourdis par la flemme. Mourir pour inciter les autres aux délassements aquatiques ! Hé, Cindy, tu viens te baigner, demain ? Pas folle ! j’attends que la mère Brighton ait cassé sa pipe !
L’idée était frappée au coin du bon sens écologique : on ne va quand même pas dépenser du combustible à seule fin de faire disparaître le corps d’un mort ! Faut que ça profite ! Quoi ? Vous voulez qu’on vous incinère, comme ça, tout seul ? Un feu rien que pour vos os ?! ‘Rendez pas compte de l’impact, ou quoi ? Terrible ! Une apocalypse de retombées ! Non, si vous voulez qu’on chauffe vraiment le four à fond, faut partager la chaleur avec les avaleurs de Javel. Si vous n’êtes pas content, faites-vous incinérer à froid !

On imaginait alors que le bouchon était poussé un peu loin et que tout ça finirait dans la décence, denrée britannique s’il en est. Macache ! Non seulement la mesure a été adoptée, mais le village vient d’être récompensé d’un « green award » de mes deux pour l’excellence de ses pratiques vertes ! Une récompense nationale visant à encourager la chose, à la faire essaimer et, qui sait, à la rendre bientôt obligatoire ! A ceux des lecteurs qui lisent l’anglais, je conseille cet article, où un neuneu assure même que sa vieille tante, récemment morte, aurait trouvé formidable de servir de combustible pour que les as du maillot de bains ne se les gèlent pas quand ils font trempette. Là encore, on croit à une bonne farce. Mais non, c’est réel, c’est contemporain, c’est imprimé, ça se porte en étendard.

La machine est en marche, le mouvement nous entraîne. Déjà, quand on affirme à la cantonade qu’on refuse de donner ses organes post mortem, on se voit opposer que « nos organes ne nous servent plus à rien quand on est mort ». On a beau argumenter, on ne récolte qu’incompréhension et condamnation morale. Si l’on vante les mérites d’un cimetière particulièrement bucolique, on nous oppose que les cimetières prennent de la place, argument de promoteur immobilier qui recoupe par miracle les dogmes écologistes les plus avancées. Quand on attend que la Sécu rembourse les soins d’un nonagénaire, on entend dire que la société dépense en pure perte.Et demain, en généralisant les initiatives à la Redditch, on comprendra que les individus ne doivent plus rien attendre de gratuit de la société.


L’utilitarisme le plus massif gouverne désormais la morale, guidé par la bonne conscience du Soldat du Bien qui piétine traditions, modes de vie, croyances, mythes et principes moraux de ses deux pieds plats. Les intérêts des chantres du libéralisme et ceux des écologistes progressistes se trouvent, ici encore, mêlés. Du côté libéral-les-affaires-y-a-que-ça-dans-la-vie, on se focalise sur l’utilité économique du citoyen dépenseur transformé dès l’enfance en consommateur quantifiable. Notion d’utilité d’ailleurs largement dévoyée et qui ne dépasse guère le niveau de la rentabilité de court terme. Par exemple, bien que totalement inutile au bien-être général (pour parler comme Jeremy Bentham), la fabrication de crèmes pour retendre la peau des genoux des vieilles dames rapporte gros, et à ce titre, elle prend son utilité dans notre système comme dans les esprits. Idem pour un publicitaire vantant les mérites d’un pneu discount hyper casse-gueule, d’une pâte au chocolat qui te foutra les tripes en vrac, d’une huile de palme à faire crever trente-six hyènes, d’un circuit touristique qui détruira les plus beaux paysages, les paysans et le mode de vie qui vont avec. La morale s’est simplifiée à l’extrême : tant qu’un enculé produit du pognon, il est utile.

Du côté écologie-et-modernité-nous-voilà, il s’agit de changer la société en comptant qu’elle reste hébétée devant la brutalité et l’audace des attentats qu’on lui fait. La chirurgie écolo se pratique à la hache : PAN ! interdire les voitures en centre-ville, ou interdire les voitures un peu anciennes, là, comme ça, pan ! T’as pas de solution de rechange ? Tu te démerdes ! PAN ! on interdit les ampoules à incandescence, qu’on remplace par des merdes qu’éclairent que dalle ! Tu te re-démerdes, fils ! PAN ! on t’ordonne de mourir utile et collectif en utilisant tes cendres pour payer la note de chauffage de l’aqua-splatch local ! PAN! on décrète qu'il faut construire des immeubles de cent étages en plein centre historique parce que ça prend moins d'place au sol, hé ballot! Etc. La morale reste simple: tant que ça fait du bien à la plapla, à la plapla, à la planète, RIEN ne vous sera épargné.
L’écologiste surfe sur l’urgence, il utilise ce concept comme un bélier, il en tartine toutes ses certitudes. Réduire la crémation d’un être humain à un geste qui doive servir à quelque chose d’autre, comme si brûler du combustible uniquement pour ça n’était plus envisageable, comme si le mort ne méritait même plus qu’on lui sacrifie quelques fagots. Et pourquoi ? Parce que la planète se meure. Evidemment, réduire la combustion des centrales à charbon allemandes, ou chinoises, c’est plus compliqué que faire chauffer l’eau d’une piscine à couillons avec la peau des vieux. Alors on y va : on pond l’idée la plus indécente possible, on l’habille de bonne conscience et d’esprit de responsabilité, et l'on se convainc bien fort que ça va sauver la planète, cette conne !

Post Scriptum : lisez l’amusant et désespérant « L’écologie en bas de chez moi », de Iegor Gran. Ça vous rappellera Redditch.

samedi 14 mai 2011

La malédiction Hilliker



Ellroy est gouverné par une forme psychologique assez effrayante : l’obsession. Nombre des personnages qu’il a créés partagent ce trait avec lui. Ici, dans cette autobiographie partielle, il traite de son obsession fondatrice pour les femmes. Tout commence évidemment par sa mère (Geneva Hilliker), par l’assassinat de sa mère, mais les lecteurs d’Ellroy le savent déjà. A travers les portraits de plusieurs de ses compagnes et par le récit des rencontres, de la vie commune avec ces femmes, Ellroy se montre sans complaisance, à la fois minable, inquiétant, surpuissant ou complètement frapadingue.
Comme pour ses romans, Ellroy se débrouille pour que le lecteur ne puisse pas se détacher de la lecture. Le style est percutant sans tapiner ; les phrases sont courtes, sans fioritures, et tout est dit.
Un passage résume parfaitement le trait le plus marquant de sa personnalité : « La trajectoire de ma vie – du ruisseau jusqu’aux étoiles – et sa dureté extrême m’avaient convaincu du bien-fondé de l’absolutisme et de la folie de la permissivité. Je ne pouvais pas être autrement. J’étais un homme d’une foi fervente. Psychologiser, c’est choisir, par facilité, de ne pas se lancer dans une quête inflexible de la perfection ».

Lecteurs d’Ellroy, lisez ce truc.