mercredi 30 septembre 2009

Malika dans tes dents



Lecteur républicain, je te signale l’épatante Malika Sorel, qui est passée chez Finkielkraut ce samedi, et dont le discours tranche nettement dans le concert de jérémiades qu’est devenu la politique en France. Elle fut opposée à Alain Renaut qui fit tout son possible pour ne pas reconnaître ce qui crève pourtant les yeux et pour noyer dans un blabla bien-pensant les coups de boutoir de la Beurette.

mercredi 16 septembre 2009

La révolution Ségolène


Depuis quelque temps, Ségolène Royal est en roue libre, elle n’est plus qu’un mobile qui part en couille à chaque virage. Dès que l’occasion ne se présente pas, elle se répand en excuses pour des faits qui ne la concernent pas, auprès de gens qui ne lui ont rien demandé. Sa dernière culpa party, chacun s’en souvient, s’était adressé à l’Afrique, en toute simplicité, et aux Africains médusés. Quand elle parle, Royal s’adresse désormais à des continents, elle apostrophe l’Histoire, elle rembarre le passé et fouette l’avenir de sa cravache magique. La Mère Fouettarde n’a pas été élue à la tête de la République, elle n’a pas réussi à s’emparer du PS français, elle n’a pas été foutue de licencier correctement une paire d’employées mais l’univers, lui, n’a qu’à bien se tenir ! Le XXIème siècle sera poitevin, où il ne sera pas !
Evidemment, il ne saurait être question de s’attarder à ce que dit cette étrange créature, ou de chercher à y trouver le commencement d’une idée politique sérieuse. L’excuse est simplement devenue moyen d’exister, en faisant fi de toutes les implications ultérieures. Elle a besoin de s’excuser, de se traîner plus bas que terre, d’avouer des péchés vagues ou antédiluviens, qu’importe. Elle souffre d’une inflammation de confession. Un simple curé ne saurait lui suffire. Désormais entièrement livrée à sa mégalomanie, la bigote déclame ses fautes, celles des autres et même ce qui n’en est pas, mais à la terre entière. Elle compte bien refaire l’Histoire, mais à genoux.
Dans un match de boxe de haut niveau, l’arrivée des combattants est toujours un moment édifiant, surtout s’ils sont américains. On voit généralement deux types vêtus de façon voyante sautiller sur place, faire de grands gestes, apostropher le public, prendre l’air furieux, gonfler le torse, annonçant qu’on va voir de quel bois ils se chauffent. Impressionnant. Mais quelques minutes plus tard, quand l’un de ces tartarins se retrouve au sol, langue pendante et les yeux dans le flou, on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait mieux fait de se montrer modeste. Ségolène Royal, c’est un peu notre boxeuse à nous. Elle annonce qu’elle va révolutionner la démocratie, qu’elle va rendre le pouvoir au peuple, qu’elle va faire participer le citoyen jusque dans les chiottes, qu’elle va redonner à la France un rang et un brillant formidables, elle s’excuse au nom de Louis XV mais.. n’est pas foutue de lancer un vulgaire site internet correctement ! A la tête de son équipe de pieds nickelés, elle positionne Désirs d’avenir comme « un think tank » dont seraient friands les anglo-saxons ( ?!?) et quelques jours plus tard, elle montre à ces bouseux de quoi Désirs d’avenir est capable… c'est-à-dire de faire se plier en deux toute personne un peu objective. Oh, tout le monde sait bien que les sites des partis politiques ne sont pas des modèles d’inventivité, de légèreté ni de finesse. Mais voilà, puisque Royal tonitrue partout qu’elle veut faire de la politique autrement, elle n’avait qu’à commencer par faire un site décent, histoire de nous couper le souffle.


La mode est à l’écologie, certes, mais l’idée de mettre une pelouse de golf en illustration principale (et unique) d’un site à vocation électorale est quand même étonnante. L’interprétation de ce vide vert et bleu peut se faire de deux façons : soit préfiguration de la table rase que la révolutionnaire imposera pour le bien de l’humanité, soit image sincère du royalisme, c'est-à-dire un gros vide qui cherche à se remplir avec un peu tout et n’importe quoi, ce qui passe par là et dont personne ne veut. On peut aussi y voir une image propre à épater le bobo, celui qui rêve d’espaces verts, mais pas trop encombrés de monde (le peuple, brrr) bien nettoyés, bien lisses, citoyens !
Et puis, en passant, on apprend que ce stupéfiant site a coûté près de 42 000 euros (presque trente briques – oui, moi, quand on cherche à m’endoffer, je me mets à reparler en francs !). On n’est plus en 1995, à l’époque où ceux qui savaient monter un site te pompaient un énorme paquet de fric pour le faire. Les choses ont changé, elles se sont considérablement simplifiées, et n’importe qui se rend compte qu’un site comme Desirsdavenir.com ne vaut pas ça… Martine Aubry demandera-t-elle publiquement que toute la lumière soit faite sur le financement de ce site ? Je serais à sa place, je le ferais.

lundi 14 septembre 2009

Dors avec les bâtards.



Depuis quelque temps, une mode fait des ravages, celle consistant à trouver que Tarantino « n’apporte rien » au cinéma, ou qu’il est un recycleur médiocre, ou qu’il pond de « mauvais films ». Après avoir été admiratif et trouvé son travail épatant, il est devenu courant de le considérer comme nul, ce qui place évidemment le critique dans une position de supériorité bien agréable. Il faut dire aussi que le personnage de Tarantino, nerveux, arrogant, sûr de lui, viril, grossier, est appelé à déplaire, pour toutes les raisons qui font de Vincent Delerm le chouchou de l’époque. De là à devenir injuste avec Tarantino, il n’y a qu’un pas, celui de la danse habituelle des myopes.
Malgré ce lapidaire avant-propos, et quoi qu’on pense de son réalisateur, il va être très difficile de dire du bien d’Inglorious basterds. En effet, c’est une merde.
La période de la seconde guerre mondiale semble n’avoir existé que pour donner un sujet inépuisable au cinéma, au roman ou à la Fiction avec un grand F. Dans le rôle des méchants, de vrais méchants, bien laids, bien repérables, et dans le rôle des gentils, des concentrés de gentillesse que c’en est une merveille. Les victimes et les bourreaux sont deux catégories distinctes, les héros héroïsent, les lâches lâchent, les traîtres trahissent et les résistants pullulent. Parfait. Nous avons tous les ingrédients pour produire du divertissement pendant un siècle au moins. La guerre au cinéma, ça sert la plupart du temps à ça, soyons honnête : se divertir. On se souvient tous avec amusement de la polémique qui salua la sortie du lamentable « La vie est belle », de Roberto Benigni, et des bonnes âmes qui hurlaient qu’on ne pouvait pas faire rire avec certaines choses… Ces tartuffes auraient bien vu une loi interdisant de faire rire avec le malheur, la souffrance et la mort : ça viendra. Mais le projet de Tarantino semble bien loin du divertissement : il n’avait visiblement pas l’ambition de nous faire rigoler mais bien de nous ENDORMIR avec la seconde guerre mondiale. A conflit mondial, sieste gigantesque ! On peut penser ce qu’on voudra du projet, mais pas qu’il a échoué.
Les spectateurs conviés à cette nouveauté pourront témoigner que les deux heures et demie que dure le film sont intégralement orientées vers le repos du citoyen. Lecteur incrédule, imagine l’instant : tu t’installes dans les sièges un chouia défoncés du dernier cinéma de la ville qui diffuse encore de la VO sous-titrée. Tu te dis que tu vas voir ce que tu vas voir, que Tarantino n’a pas fait les choses à moitié ; tu revois l’affiche du film, celle qui fut placardée partout depuis des mois, une campagne de pub inouïe. Tu te frottes les mains. Le film commence (la musique est affreuse, mais tu as l’habitude avec Tarante !), un paysage campagnard… ça se passe en France en 1941… tout y est… mais ? mais ?! On voit un personnage, un paysan, utiliser sa hache sur un billot, il frappe mais… il n’y a pas de bûche. Un budget de plusieurs dizaines de millions, des effets spéciaux dantesques et pas foutus de comprendre que personne, même un français, ne tape avec une hache sur un billot en oubliant d’y mettre une bûche à fendre ! Ça commence mal, mais tu te dis que tu as mal vu… puis le méchant arrive, et ça cause, et ça parle, et ça traîne… Tarante fait des allusions au cinéma de Sergio Leone, mais ça ne fonctionne pas du tout… l’angoisse ne vient pas, les effets tournent à vide, le dialogue s’embourbe… les mitraillettes défouraillent dans l’indifférence générale. Il ne suffit pas de filmer des faces en gros plan avec un grand angle, ni de s’attarder dessus pour réussir un film de guerre spaghetti… Le film continue alors, interminablement, les personnages apparaissent, aussi creux les uns que les autres. Nous ne saurons rien du personnage phare, joué par Brad Pitt, nous saurons juste qu’il a un accent bouseux à couper au couteau, ce qui doit être très drôle (un peu comme un héros, chez nous, qui aurait l’accent du sud-ouest ! Fendard !). La forte silhouette de Pitt ornait toutes les affiches mais paradoxalement, son personnage est « fictionnellement » absent du film. Pur racolage donc, bien dans la veine hollywoodienne.


Que Inglorious basterds soit une galéjade, personne n’en doutait. Le sujet l’annonçait suffisamment clairement, et Tarantino a fait de la galéjade l’ambition unique de son début de carrière, quoi qu’il puisse dire par ailleurs Mais s’il est convenu de qualifier de déjanté l’art du bonhomme, on ne savait pas qu’un film pouvait être à la fois déjanté (par son sujet) et techniquement soporifique (par son absence de rythme et la vanité absolue de la majorité de ses scènes). Cependant, il faudrait être injuste pour ne pas souligner le comique épatant introduit par les citations de Tarantino, notamment celles de Clouzot. Par deux fois, nous voyons apparaître des affiches de films de Clouzot à l’arrière plan, l’Assassin habite au 21 et le Corbeau. Comique, en effet, de voir que le cinéaste de la psychologie la plus subtile, la moins manichéenne, le cinéaste qui se confronte à la complexité du mal soit cité dans un film aussi bourrin, creux et enfantin que cette coûteuse merdicule.

Willy Ronis, mort d'un homme.

Le photographe Willy Ronis vient de mourir à 99 ans. Malgré cette longévité, son nom n’est pas aussi connu que ceux de Cartier-Bresson ou de Robert Doisneau, avec qui pourtant il a de nombreux points communs. Il fait partie d’un courant appelé à juste titre humaniste. Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, ou qui n’auraient pas la moindre idée de ce que peut signifier le mot humanisme, je conseille d’aller voir du côté de Ronis, il y a beaucoup à apprendre. Pour moi, il fait partie des gens qui, au XXème siècle, on traduit le mieux l’idée que le peuple français pouvait se faire de lui-même, à l’égal d’un Pagnol ou d’un Brassens, et il partage avec eux cet amour des petites gens qui rendrait quiconque ridicule aujourd’hui.

mercredi 2 septembre 2009

Tintin à Fleury Mérogis


Il existe des gens pour qui le scandale est la seule voie menant au succès. Pour certains groupes de rock, ça consiste à dire qu’on adore le diable, qu’on dévore des enfants ou que la désobéissance aux parents, c’est cool. On a, bien sûr, les rappeurs, qui rivalisent de grossièretés en prenant des poses impressionnantes sous l’œil humide des bourgeoises. On a des photographes qui déclinent le personnage de Jésus à la sauce gay, trash, S.M. et autres, convaincus qu’en compissant un mort, on fera banquer les vivants (ça marche avec la Sainte Vierge aussi, mais moins avec Mahomet – que son souvenir enchante l’avenir). On a les inventeurs de jeux télévisés qui font fion de tout cul pour exploser leur part de marché et, innombrables, les chercheurs de buzz internet qui passeraient sous un train en roller pour pouvoir comptabiliser 200 000 visites par jour sur leur page YouTube. A l’avant-garde, il y a des danseurs qui se bourrent le cul d’ustensiles ou les nécrophages festifs. Tout pour que ça choque, et que ça banque. Il semble bien qu’en ces temps qui aspirent à la gloire, même la gloire passagère, courte, éphémère, hebdomadaire ! rien n’est assez dégueulasse pour se faire connaître. L’idéal en ce domaine, c’est d’arriver à être assez insupportable à certains bien-pensants pour qu’ils vous foutent un bon procès au cul, devant le globe haletant. Traîné ainsi devant les tribunaux de l’Histoire, vous n’aurez plus qu’à jouer la victime persécutée en inscrivant votre démarche dans celle, au choix, des suffragettes, de Victor Schoelcher, de Linda Lovelace ou de Jean Moulin, et de prospérer en martyr.
Et puis, il y a Tintin.
Selon moi, Hergé n’est pas l’immense artiste majeur qui écrase le XXème siècle de son impressionnante stature, mais ce n’est pas un guignol pour autant. Certains de ses albums sont excellents, d’autres le sont moins. Tous ont en commun une forme de simplicité dans le propos, un manichéisme parfaitement utile à l’édification des mômes, et qui ne me dérange pas. Selon la période à laquelle il a pondu tel ou tel livre, ce manichéisme insistait sur un aspect ou un autre de ce qu’Hergé voulait souligner, vanter, débiner, démontrer. L’essentiel étant que le Bien triomphe et que les méchants soient punis. Quoi qu’il en soit, cet auteur visait les enfants, il aimait le succès et réfléchissait à deux fois avant de signer un bon à tirer. Cet honnête bourgeois était suffisamment talentueux pour ne pas avoir besoin de faire scandale. Mieux : ses livres se vendaient grâce à leur qualité ! Pourtant, un quart de siècle après sa mort, il fait scandale. Il fait même de plus en plus scandale, en qualité de débutant scandalier toutefois, étant entendu qu’il n’a pas passé son existence dans un underground chargé de stupre et de transgressions ignobles. Non, si certains rêvent qu’on leur fasse les procès qui braqueront un temps les projecteurs sur leur tristes faciès, Hergé n’a eu qu’à casser sa pipe et laisser mijoter son affaire pour que des moules à gaufres lui cherchent des noises.
Un triste sir, Bienvenu Mbutu Mondondo, Congolais de son état, se croit investi de la mission épuratrice du siècle : faire interdire la vente de Tintin au Congo en France (grâce à l’appui avocatier de Maître Collard, ne riez pas). Oui, lecteur nostalgique, cet anodin ouvrage que tu lisais aux chiottes quand tu avais huit ans, et qui n’est qu’une succession démodée de gags poussifs et bon enfant, cet ouvrage empêche un bachi bouzouk de dormir. En sa qualité de congolais, le funeste se croit probablement fondé à rouspéter de ce qu’Hergé fait s’ébattre son héros dans un Congo peu reluisant : l’histoire a été écrite en 1930, si on la réécrivait aujourd’hui, il est évident que l’image du Congo serait plus conforme au brillant incomparable que ce pays a pris l’habitude de donner au reste hébété du monde. Mais le fond de l’affaire n’est pas là.
Tintin est né au temps des colonies, dans un pays colonialiste. Il est donc, assez logiquement colonialiste, du moins en ses débuts. Les clichés de ces temps-là abondent dans l’album, comme les clichés d’autres époques se retrouvent dans toute l’œuvre du grand homme. Qu’est-ce que ça peut foutre ? Astérix en sa grande période (du temps de Goscinny), qu’est-ce d’autre qu’une litanie de clichés habilement mis en scène pour notre plus grande joie ? Quand Astérix présente un Auvergnat traître et âpre au gain, faut-il en interdire la vente à Clermont Ferrand sous peine de choquer le cocardier local ? Faut-il retirer des rayons les numéros où les Allemands sont représentés en envahisseurs stupides sous prétexte qu’ils ne sont plus ni l’un, ni l’autre aujourd’hui ? Quand Rastapopoulos incarne l’homme véreux et sans scrupule, les Grecs viennent-ils nous faire chier avec ces enfantillages ? Car il ne faut pas oublier que Tintin n’est que ça : un univers simple pour les enfants. Les enfants du Congo, je ne les connais pas ; mais ici, les enfants savent très bien faire la part des choses entre ce qu’ils lisent dans une BD, ce qu’ils font dans un jeu vidéo, ce qu’ils voient à la télé et la réalité. Quand je lisais Tintin au Congo, ou en Amérique, rien qu’à voir les vieilles bagnoles et les trains à vapeur, je savais parfaitement qu’on me racontait de l’histoire ancienne, je ne prenais pas ça pour argent comptant. Pourquoi les enfants d’aujourd’hui, si informés, si puissamment éduqués par l’outil informatique et les bons sentiments citoyens seraient-ils incapables de faire ce que les gosses ont toujours su faire ?
L’ectoplasme à la graisse de cabestan africain prétend qu’il ne faudrait pas mettre ce livre sous les yeux des enfants, sous peine de les voir adopter comme un seul homme les préjugés qu’il contient. Pur délire ! Comme si on incitait les enfants à la haine d’autrui chez nous ! Comme si les enfants d’Europe étaient quotidiennement bombardés de slogans racistes ! Comme si l’école apprenait aux gosses que rien n’est plus utile qu’une bonne discrimination ! Comme si on pendait les Africains aux réverbères pour égayer nos samedis soirs ! Tonnerre de Brest ! On avait les antinazis soixante ans après le nazisme, voilà qu’on nous bricole un anti colonialisme cinquante ans après le colonialisme. Pourquoi pas un plaidoyer pour l’abrogation de la peine de mort vingt-cinq ans après Badinter ? Pourquoi pas ressortir les chansons réclamant le retour de l’Alsace-Lorraine dans le giron français ? Que croit ce tartignole, qu’on prend les noirs pour des andouilles incapables de se gouverner seuls ? Il croit qu’on milite ici pour le retour de l’esclavagisme, ou quoi ? Ils nous prend pour quoi, au juste, des sauvages ?...


Si Nietzsche proposait l’inversion de toutes les valeurs, il serait bien étonné de voir ce qu’on fait aujourd’hui de son programme. Ah, on les renverse, les valeurs, et on fait ce qu’on veut avec ! Le Figaro nous apprend que « Pour l'avocat belge, l'argument «historique» ne tient pas : «Au moment où cet album a été rédigé, il n'y avait pas de disposition légale incriminant le racisme. En 2009, oui. Nous ne faisons pas de l'histoire mais du droit.» Ce flibustier inverse tout en toute impudeur ! Le principe fondamental du droit est la non rétroactivité. Même au Congo, on est obligé de convenir qu’une loi ne peut pas s’appliquer pour des actions commises au temps où elle n’existait pas encore ! Si la loi n’existe pas, il n’y a pas d’infraction, c’est simple. Qu’on puisse laisser dire une telle énormité à un avocat indique bien à quel niveau d’hébétude nous sommes tombés.
Philippe Murray parlait des tartufes qui veulent « inculper le passé ». La perversion n’est donc pas tout à fait nouvelle. On peut même se rappeler qu’on martelait les sculptures représentant un pharaon et ses ministres quand son successeur voulait effacer jusqu’à la trace de son existence. Taper sur le passé, c’est toujours taper sur un truc qui ne peut plus se défendre, ça définit bien le bonhomme. Le passé ne convient pas à Bienvenu, alors il fait une réclamation, comme dans un grand magasin, comme à Disneyland ! Il voudrait qu’on oublie ce passé-là, qu’il disparaisse sous ses coups (en prenant un peu de fric au passage ?) comme ont disparu les figures des rois renversés de jadis. Mais moi j’y tiens à mon passé, monsieur, j’y tiens ! Je ne veux pas qu’on me le censure sous prétexte qu’il te fait mal au derche, hé, Don Quichochotte ! Même laid, même obscur, même repoussant, c’est mon passé, on n’y changera rien, et je tiens à ce qu’il reste en état (j’allais écrire en état de marche : on se damnerait pour un bon mot). J’y tiens à ma Saint-Barthélemy, à mon Inquisition, à mes invasions barbares ! Je reconnais tout (ça y est : je parle comme un coupable !) : les magnifiques croisades, l’admirable guerre de cent ans, l’épatant Mers El Kébir, les succulentes guerres de religion, tout ! Les exécutions publiques, les têtes qu’on décolle à la hache… Et les épidémies, laissez-moi mes épidémies, que serait mon passé sans elles ? Vive la peste et le choléra, et mort aux frileux ! Le passé est une longue suite de souffrances, d’infamies, de coups tordus et pourtant je l’aime, parce que c’est le seul que j’aie. Le passé a été tellement dégueulasse, violent et sans pitié qu’il a accouché de notre époque, c’est dire ! Mais il faut faire avec. Les révisionnistes pour qui la France de 2009 doit s’excuser d’avoir laissé Napoléon botter les culs princiers d’Europe (dans le sang : hou !) ou restaurer le code Noir, rénovent à la fois le concept de perversion et les règles du burlesque. La France de 2009 n’a à s’excuser de rien du tout, sinon d’être devenue une bonne pomme qui laisse des Bienvenu faire joujou avec son passé. La France a été colonialiste, elle ne l’est plus. Elle a été belliqueuse, elle ne l’est plus, et c’est marre. La France vous emmerde.
Le Bienvenu ne l’est pas, pas plus que les censeurs en tous genres, ceux qui ont remplacé la clope de Lucky Luke par une paille, ceux qui rêvent de faire débaptiser les rues Jules Ferry ou de changer les paroles de la Marseillaise parce qu’ils n’ont pas le courage de les écouter en face. Bordel, c’est comme si un syndicaliste voulait qu’on démolisse les murs d’un édifice médiéval parce que sa construction n’a pas respecté les temps de pause, les salaires minima ni les trente-cinq heures ! Offense aux ouvriers ! Le monde change, tout se modifie, certains « progrès » sont même parfois accomplis, mais il reste des cons pour qui l’on doit aussi éradiquer le passé. Comme l’Histoire ne les a pas attendu pour changer, ils se vengent en changeant l’Histoire. Mais voilà, le passé a eu lieu, c’est même à ça qu’on le reconnaît.