mardi 23 décembre 2014

L'art menacé de l'insulte



Insulter une personne est un art dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Avant que l’Homme n’invente l’agriculture, avant qu’il n’invente l’élevage, la charrue, le feu et le rôti de bœuf, il insultait déjà les connards de la grotte d’en-face, c’est certain. En cette matière comme en tant d’autres, il est probable aussi que les Égyptiens et les Grecs antiques furent des insulteurs de première, et que les Romains les imitèrent sans jamais parvenir à égaler blabla blabla.
A une époque beaucoup plus récente, les Pieds noirs d’Algérie se distinguèrent non par un sens politique remarquable, mais par une inventivité dans l’insulte qu’on n’avait plus connue depuis la fin des guerres de religion. Hélas, nous vivons des temps modernes où l’insulte trop directe, trop efficace, trop imagée, trop poétique subit l’acharnement des puritains, des peine-à-jouir, des ligues de vertu et des avocats. L’arsenal des lois venant chaque jour renforcer le bras de ces censeurs, il est probable que le compliment et le léchage culier deviennent bientôt les seules façons légales d’apprécier l’action de nos contemporains. HELAS !

Devant ce recul civilisationnel, il est urgent de sauver les insultes qui peuvent encore l’être. Puisque nous ne pouvons plus insulter le tout-venant librement, insultons moins mais insultons mieux, insultons plus précisément, insultons qui l’on peut, insultons les faibles, insultons les enfants, insultons même les sourds, mais n’abandonnons pas notre passion d’insulter! Dans cette course à l’efficacité, essayons de définir des insultes qui puissent blesser uniquement les gens à qui on les destine. Posons-nous donc la question : des insultes sans dommages collatéraux, en quelque sorte, sont-elles possibles ?

dimanche 21 décembre 2014

Zemmourophobia


A peine viré de I-télé et menacé par ce qu'il nomme "une fatwa médiatique", c'est chez Beboper, temple de la liberté d'expression, que Eric Zemmour s’adresse à la France.


" Par mes analyses, par mes écrits, par mes livres et les sujets que j’ose aborder, je dérange un lobby très puissant, qui a des relais partout, qui possède des leviers dans toutes les sphères de la société française. Un lobby qu'il n'est pas bon de se mettre à dos...
Mais aujourd’hui, je peux le dire : je suis victime du lobby maghrébin !"

samedi 20 décembre 2014

Censure et sans reproche



Je signale une série épatante de cinq entretiens d’une demi-heure avec l'éditeur Jean-Jacques Pauvert, sur France Culture, datant de 1990. Pauvert y aborde en long et en large les diverses questions que posent les lois et la pratique de la censure littéraire en France, et y livre son incomparable expérience de la chose (8 ans de procès pour la publication de Sade à la fin des années 1940, entre autres). En praticien avisé de la limite, il s’y montre d’ailleurs beaucoup plus cohérent et raisonnable que bien des rebelles de salon, notamment quand il reconnaît (avec ses juges) que certains livres sont effectivement dangereux, pour autant qu’ils soient lus...

Sa thèse est simple : quand on lui reproche de mettre Sade sous les yeux de la jeunesse (ce qui est un abus de langage), et quand on prétend que cette lecture est dangereuse, il reconnaît qu’elle peut effectivement l’être, mais au même titre que les journaux. La délectation avec laquelle on se jette sur les faits divers les plus sordides lui paraît plus grande et plus mimétiquement dangereuse que la lecture d’un truc aussi chiant que Sade ! D’ailleurs, les experts psychiatres sont tous d’accord sur ce point : les névropathes qu’ils soignent ne lisent pas Sade, ni Bataille, et on s’en serait douté. Partant de là, qui est d'accord pour interdire les journaux ?

Jean-Jacques Pauvert était ce qu'il est convenu d'appeler un esprit libre. Il possédait aussi et surtout le courage de traduire dans les faits cette belle liberté. Il a ainsi été l'éditeur de Sade, de Pauline Réage (Histoire d'O), de Henry David Thoreau (La désobéissance civile) ou de Lucien Rebatet (Mémoire d'un fasciste). Dans sa collection Libertés, il a mis à disposition du lecteur toute une littérature engagée et enragée qu'on ne trouve souvent nulle part ailleurs. Littérature de combat de toutes époques et de toutes tendances, disait la notice : Barbey d'Aurevilly y fréquentait Trotsky, D'Holbach y côtoyait Pie IX... L'amateur de pamphlets, d'engueulade et de langue forte, s'il ne veut pas mourir idiot, devra un jour ou l'autre y glisser un œil.

Il se dégage de ces entretiens, qui datent de 25 ans, ne l’oublions pas, une impression de liberté de ton qu’on ne retrouve plus aujourd’hui dans les médias. Jean-Jacques Pauvert dit simplement ce qu’il pense, et l’on ne sent aucune tentation moralisante de la part de son interlocuteur. Il parle ainsi de Robert Faurisson, qu’il a failli éditer, et de ses étranges thèses. Sa position vis-à-vis de lui et de l’école qu’il a inspirée me paraît très équilibrée. On est évidemment bien loin des positions réflexes de nos animateurs télé à brushing…

Nous remarquons aussi que Pauvert n’hésite pas à qualifier d’atroce la littérature pornographique qu’il est amené à éditer lui-même : comme tout penseur un peu sérieux, il ne reproche pas à la censure de censurer des œuvres remarquables, mais simplement de censurer ce que les citoyens sont capables de lire et de juger par eux-mêmes. Eternel débat sur la liberté d’expression, que résumait parfaitement Noam Chomsky : « Si l'on ne croit pas à la liberté d'expression pour les gens qu'on méprise, on n'y croit pas du tout».

Pour la première émission, clique ici mec!
Pour la deuxième, clique ici bordel
Pour la troisième, clique ici on te dit
Pour la quatrième, clique ici ou tire-toi
Pour la cinquième, clique ici sale boulimique !

mardi 9 décembre 2014

Aujourd'hui, l'enfer



A Lyon, il est une vieille tradition qui consiste, le 8 décembre au soir, à poser des lumignons sur le rebord des fenêtres. Les lumignons, ce sont de petits verres dans lesquels on fait se consumer une bougie plate. Chaque famille fait consciencieusement sa petite décoration pour le bonheur des enfants, entre autres. Le principe est simple et commun à tous : en posant ainsi des lumignons blancs ou de couleur, qui ne coûtent presque rien, sur le rebord de chaque fenêtre, chacun participe de façon modeste à une illumination générale de la ville. Son devoir fait, chaque famille sort admirer le résultat dans les rues, gratuitement, et se baguenaude le nez en l’air. Cette tradition lyonnaise, qui infuse une bonne part des villes et villages alentours, remonte à 1852 et est d’essence religieuse (fête de l’Immaculée Conception, fête de la Vierge). Depuis que je suis en âge de comprendre, j’ai toujours entendu parler de cette fête comme de la fête du 8 décembre, ou des illuminations.

Le paragraphe ci-dessus aurait dû être conjugué à l’imparfait. Depuis la fin des années 1980, en effet, la municipalité de Lyon, versant dans un festivisme des plus contemporains, a jugé bon de donner de l’ampleur à cette gentille tradition et en a profité pour la tuer. Comment fait-elle ? Subventions ! Elle fait un appel d’offre public pour trouver des artistes, des éclairagistes, des illuminateurs (appelez ça comme vous pouvez) pour « animer » tout le bordel, et elle en trouve. L’animation populaire des rues n’était sans doute pas assez frénétique aux yeux des édiles. Mieux : depuis quinze ans, les illuminations ont été vampirisées, les Lyonnais se sont fait faucher leur fête, à présent remplacée par la « Fête des Lumières » (visez les majuscules), et qui dure… quatre jours ! Quatre jours d’enfer.

mardi 2 décembre 2014

Révisionnisme orgasmique


Lisant un article dans la presse de masse, il est de plus en plus fréquent qu’on en vienne à se demander « mais qui, qui a écrit ce truc ? ». La plupart du temps, on tombe sur un nom inconnu, qui mériterait de le rester jusqu’à la fin des siècles. On se dit alors qu’on a affaire à un pigiste, ce qui n’est pas nouveau, dont le rédac chef n’a pas relu l’article, ce qui est inouï.

Ce n’est pas l’absence de style qui dérange le plus, ni l’art si particulier de se prendre les pieds dans le tapis de la langue française (la langue française est un tapis, oui, je l’affirme, je le décrète, car c’est mon choix !). Ce n’est pas la minceur de ce qui est dit, le flou du contenu informatif ni l’approximation qui règne en maîtresse. C’est la prétention à écrire absolument n’importe quoi en toute impunité.

Prenons un exemple sur le site du Figaro. Dans la rubrique Culture ( !), un articulet d’une certaine Violaine Morin veut nous apprendre quelque chose sur le soi-disant « mythe de l’orgasme de Meg Ryan », mythe qui, d’après elle, s’effondrerait. Meg Ryan + orgasme : on pense immédiatement au film Quand Harry rencontre Sally, et l’on voit mal a priori pourquoi parler de mythe.

lundi 1 décembre 2014

L'Internationale de francs-tireurs


Écrivain et critique littéraire, Bruno de Cessole vient de sortir L’Internationale des francs-tireurs, excellente série de portraits d’écrivains qui eurent la bonne idée de ne pas suivre bêtement le La de leur époque. Et il y a beaucoup à prendre dans cette internationale-là.

Un aphorisme de Gomez Dàvila, cité dans l’ouvrage, semble avoir été fait pour qualifier le travail de Cessole : « La postérité n’est pas l’ensemble des générations futures, c’est un petit groupe d’hommes de goût, bien élevés, érudits, dans chaque génération ». Homme de goût, bien élevé et érudit, voilà l’homme tel qu’il transparaît dans ses croquis.

De sa proliférante bibliothèque, Cessole extrait une quarantaine de noms disparates mais qui ont en partage un certain parcours de vie. Quel point commun entre Borges, Hemingway, Orwell, Casanova, Hamsun, Nietzsche ou Jack London, sinon une certaine façon de ne pas prendre place dans une école, d’être et de créer en dehors des lignes ? Francs-tireurs au sens de tireur pour eux-mêmes, choisissant leurs cibles au gré de leur fantaisie. Un franc-tireur est, apprend-on, un soldat qui ne fait pas partie de l’armée régulière. On peut dire que l’aréopage ici présenté ne rappelle en rien une armée, et surtout pas une régulière.