dimanche 26 décembre 2010

L'ange des trous du cul


Quand on entend une Christine Lagarde soutenir la « liberté d’expression » de Julian Assange, il est recommandé de se méfier. D’abord, parce que c’est Lagarde qui parle, mais aussi parce qu’on a du mal à comprendre pourquoi lier ensemble Wikileaks et liberté d’expression. Une des spécialités des gens qui nous gouvernent est désormais de dire n’importe quoi à n’importe quel sujet, et de ne jamais renoncer à une parole démagogique de plus. Or, la position d’Assange est si manifestement celle de Robin des bois qu’il faudrait être une sorte d’ogre pour tenter de l’enfoncer. Lagarde s’en garde donc.

Pourtant, ce que fait Julian Assange n’a pas grand rapport avec la liberté d’expression. Il veut plutôt interdire aux divers pouvoirs la liberté de ne pas s’exprimer et celle d’agir en dehors du champ médiatique. Pour lui, s’exprimer est non plus un droit, mais un devoir sans riposte. Le monde gouverné par les Julian Assange de tout poil consisterait à tenir une conférence de presse chaque fois qu’on termine un entretien avec quelqu’un, et à balancer sur son compte ce qu’on en pense vraiment. Pas de place pour la dissimulation, la tactique, la feinte, le mensonge, la décence, la délicatesse, la retenue, Assange veut qu’on y aille à fond ! Droit non seulement dans ses bottes, mais aussi dans celles des autres ! Comme tout bon militant qui se respecte.
Présentée comme la vertu moderne devant être appliquée de force aux mœurs politiques et au monde de l’économie, cette Transparence est censée protéger le citoyen. Si un imbécile veut croire qu’un principe inquisiteur sera un jour appliqué avec rigueur aux puissants tout en laissant les faibles tranquilles, qu’il ne s’en prive pas. Mais, par pitié, qu’il n’essaye pas de se faire passer pour autre chose qu’un terrible idiot.

Contraints de « tout dire », les dirigeants seraient donc enfin dans la position de devoir rendre des comptes au peuple et, par la grâce du Net, presque en temps réel. Les démocraties parlementaires avaient inventé le principe de la responsabilité politique des gouvernants ; en voici la version Internet. Bientôt, Wikileaks proposera de recomposer les gouvernements d’un simple clic : le ministre n’a pas été transparent, il est viré ! C’est le vieux rêve de la souveraineté populaire qui renaît, avec l’infaillibilité du peuple et le mandat impératif. On va rire.
Bien sûr, personne n’essaie de nous expliquer comment mener une négociation internationale sans prendre en compte les intérêts des parties, les rapports de forces, sans chercher le compromis, sans mener des tractations secrètes, sans abandonner une position pour en conserver une autre, etc. Dans le monde des Yaka Faukon, l’intérêt général est unanimement identifié, reconnu, et tout le monde déferle en sa direction comme un seul homme : la paix, la concorde, la fin des haricots. On mène une négo avec la ligne bleue des Vosges en ligne de mire, et l’horizon radieux de l’humanité comme coucher de soleil. Formidable ! Seulement voilà, dans la réalité, il n'est pas impossible que la paix soit la continuation de la guerre en mode mineur, et l’intérêt des nations, des peuples, des blocs économiques, ça existe. Assange voudrait que tout cela s’efface devant l’impératif ultra moral de dire la vérité, et rien qu’elle. Et, l’ayant dite, il en attend le nirvana, au bas mot, la fin des maux. Comment peut-on être aussi bouché ? Comment être à ce point dépourvu de psychologie ? Mystère.


Par son faciès comme par son attitude, ce branque me rappelle Tintin, que déjà gosse je prenais pour un dangereux maniaque : aucune souplesse. Pour lui, la supposée vérité a un statut monolithique imparable devant se suffire à lui-même. Or, un étudiant en journalisme de première année sait déjà que la vérité est une construction qui n’a rien de pur (ce qui ne signifie pas qu’elle soit l’égale du mensonge, ou de l’erreur). La vérité, comme le « fait historique », c’est une proposition ayant suffisamment de références pour tenir le rôle de vérité, jusqu’au prochain épisode, jusqu’à la prochaine critique. Et surtout, vérité et mensonge sont des notions dynamiques qu’il faut jauger en prenant en compte le temps. On ne demanderait pas à un joueur de poker d’annoncer en permanence et en toute transparence les cartes qu’il a en main… D’ailleurs, la meilleure preuve que le mensonge et la dissimulation sont utiles, c’est la structure et la façon d’agir de Wikileaks elle-même ! Essayez de savoir précisément qui dirige la boîte, comment elle procède et combien d’argent elle brasse, pour voir… Wikileaks utilise le secret et le cryptage pour promouvoir la Transparence. Pour éviter le sophisme, on dira que ce sont les circonstances qui la poussent à agir ainsi, et on aura quand même démontré que les circonstances, ça compte. Si ça compte pour Assange, ça peut compter pour les diplomaties du monde, non ?

Je ne fais pas partie de ces gens qui tombent sur la Transparence à bras raccourcis. Le principe d’utiliser les fonds publics à bon escient, par exemple, et de permettre un contrôle de l’emploi qui en est fait, il me semble difficile de s’y opposer. Mais il y a loin entre la surveillance des finances publiques et le marquage des politiques « à la culotte » que Wikileaks prétend faire au nom du peuple qui, bien sûr, ne lui a rien demandé. Quand on en est à balancer sur la place publique des notes diplomatiques, ou des documents relevant du secret de l’instruction (affaire Dutroux), on change de catégorie, on arrive à un système généralisé d’inquisition permanente visant à rendre impossible toute action en dehors du champ public. Le monde doit être médiatique, nous dit-il en substance, ou cesser. Il me fait penser aux délateurs « pour-la-bonne-cause » qui menacèrent de révéler l’homosexualité de personnalités publiques ayant jusque là estimé meilleur de la cacher. Pour ces enculés hier comme pour Assange aujourd’hui, rien ne mérite d’échapper à la médiatisation, tout le monde doit tout savoir sur tout, et sur tous.

Si Assange est connu, ce n’est sûrement pas parce qu’il est le premier à révéler des choses cachées au public. C’est plutôt la méthode massive qu’il emploie et la chambre d’écho mondial que représente Internet qui font la nouveauté de Wikileaks. Depuis l’émergence du Net, on nourrit le fantasme de l’information en direct, c'est-à-dire pouvant se passer de médiateurs (les journalistes, en gros). La position de Wikileaks ressemble beaucoup à l’avènement de ce fantasme et c’est probablement une des raisons du mouvement de sympathie qu’elle recueille. Et quand on vit en France, on est bien forcé de reconnaître que la perspective de voir les journalistes pointer en masse au chômage a de quoi enthousiasmer ! Si les fumiers qui nous servent la messe quotidiennement pouvaient fermer leurs gueules une fois pour toutes, on se sentirait déjà mieux ! Un problème demeure, cependant : les journalistes nous ont tellement menti que même en faisant le contraire, même en les exilant sur Mars, on n’est pas sûr de s’approcher de la vérité ! Et puis, l’information n’est pas qu’un piège à cons, c’est aussi la colonne vertébrale de la société mondialisée, c’est le plus fort élément de pouvoir actuel. Autant dire que le fantasme d’une info que les individus traiteraient « en direct », voire « manipuleraient », (voire « comprendraient »), en un mot : d'une information démocratique, c’est de la grosse blague pour enfant de chœur, Wikileaks ou pas.
Enfin, on aime aussi Assange d’une façon bassement poujadiste : on est content que Wikileaks « balance » des trucs sur les puissants, sans égards pour les enjeux, les conséquences, les circonstances, les arrières pensées, etc. Etant désespéré par le spectacle du monde, on applaudit au fouteur de merde, même si cette dernière a toutes les chances de nous retomber sur la gueule. Un néo nihilisme de plus. C’est l’option « pirate-friendly », qui remplace pour une jeunesse désœuvrée les aventures outre-mer des nos arrières grands-parents. C’est l’activisme « hacker » qui agit pour le Bien avec les armes de l’ennemi, bigre ! C’est le saint qui assassine les méchants pour en dénoncer la violence ! C’est le bobo geek qui accède à la propriété en rêvant table rase !
Assange ne pouvait tomber mieux, et son nom ressemble à un programme de séduction : c’est bel et bien l’ange des trous du cul.

mercredi 22 décembre 2010

Le cinéma à coups de marteau


Ainsi, un acteur noir va jouer le rôle d’un dieu nordique dans un film à la con ? L’acteur britannique Idris Alba va en effet tenir le rôle de Heimdall (dont le nom signifie… dieu blanc) dans le film Thor, à paraître bientôt. On se doute bien que les producteurs du film n’ont pas trouvé mieux pour qu’on parle de leur chef d’œuvre dans un gros beuze. De ce point de vue, ils ont réussi leur coup, comme on peut le dire quand un détrousseur de vieille dame parvient à s’enfuir.

Je n’ai évidemment rien contre les acteurs noirs, pas plus que contre les dieux nordiques à grosse matraque. J’ai même une nette préférence envers les premiers, je l’avoue. Mais, au-delà de l’effet polémique recherché, on arrive quand même ici à une forme d’absurdité du plus gras comique. Au nom de l’indifférenciation de rigueur, fera-t-on jouer le rôle de Michel Petrucciani à Depardieu ? Dans la prochaine bio de Marie Curie, appellera-t-on Sébastien Chabal pour incarner la savante ? Et ce con de Clint Eastwood, pourquoi diable est-il allé chercher Morgan Freeman pour représenter Mandela ? Pourquoi ne lui a-t-il pas préféré Danny deVito ?

On connaissait les pseudos historiens qui tentent de faire passer les pharaons d’Egypte pour des Noirs africains (malgré Néfertiti, entre autres, dont le buste polychrome très blanc peut être admiré à Berlin). On va désormais se farcir une autre forme de révisionnisme, certes moins dangereux mais tout aussi pervers : celui qui consiste à imposer des fantasmes contemporains sur des mythologies anciennes, et bientôt sur l’Histoire. Je suis sûr de moi : on aura droit à un Charlemagne métis, à une Jeanne d’Arc asiatique, à un Gengis Khan Breton. Mieux : on verra Churchill incarné par Madonna, résistant de tout son britannique entêtement à un Will Smith déguisé en Hitler, tandis que dans sa furie de tout mélanger, le néo-cinéma moderne tournera la prise de Constantinople par les Mexicains et la découverte de l’Amérique par l’armée de Bourbaki.
On dit que les jeunes n’aiment plus l’histoire parce qu’ils la trouvent compliquée ? Ils vont se régaler.

mardi 23 novembre 2010

Julien Guiomar 1928- 2010


Quand on dit que le cinéma français d’avant-guerre avait connu de grands seconds rôles, on raconte des salades. En réalité, le cinéma français a connu de grands seconds rôles tout au long de son histoire, et jusqu’à aujourd’hui. Jusqu’à hier, précisément : Julien Guiomar vient en effet de mourir, à 82 ans.

Le propre d’un second rôle, en plus d’un indéfinissable talent, c’est de n’avoir pas de nom. Le second rôle, qui est assez souvent un troisième, quatrième ou vingtième rôle, c’est un physique, une voix, c’est une dégaine qu’on reconnaît et qui donne aux films un air familier. Mais le spectateur non spécialiste est généralement infoutu de se rappeler son nom. Qui se souvient de Bussières, de Bernard Musson, de Saturnin Fabre, de Dalio, de Jeanne Fusier-Gir ? Qui se souvient de Julien Guiomar ?

En quoi Julien Guiomar fut-il un « grand » second rôle ? En ceci qu’il avait une tête, un regard, une énergie, un phrasé, un physique, une gestuelle et en un mot un style immédiatement reconnaissables. Il pouvait jouer un colonel dans un film de Costa-Gavras et l’inoubliable Tricatel dans un film de Claude Zidi en conservant sa manière d’être bien à lui qu’on identifiait sans délai. Un style.
Il fut aussi un grand second rôle parce qu’il a rempli avec constance la mission dévolue aux seconds rôles de tous les temps : sauver les navets. C’est sur ce genre d’exploit que se bâtit la reconnaissance du public, qui s’y connaît en navet, et qu’un critique « nouvelle vague » ne pourra jamais comprendre.

dimanche 21 novembre 2010

La fête malgré tout


Une très sérieuse étude espagnole vient de mettre en lumière un fait statistique étonnant : on ne marche jamais deux fois dans la même merde de chien. Selon les résultats de cette enquête (10000 merdes de chiens répertoriées et observées sur les trottoirs madrilènes, barcelonais et valenciens dans les six premiers mois de 2010), une merde de chien est rendue quasi inoffensive dès qu’un pied l’a écrasée. C'est à dire qu'on ne remarche presque jamais dessus. « On estime qu’une déjection de canidé moyenne réduit son POEM (potentiel d’emmerdement) de 86% dans la minute qui suit son étalement par une chaussure. Ce POEM est même réduit de 91% trente minutes après le drame. On a toutes les raisons de penser que ces chiffres augmentent encore en cas de pluie, mais les études sont encore incomplètes sur ce point », confie Luis Cordoba, chargé de la sécurité citoyenne des quartiers centraux de Barcelone.


Parmi d’autres traits, la présence de merdes de chiens sur les trottoirs des villes peut être considérée comme un caractère typiquement européen qui, à l’instar de la circulation des idées, du christianisme où des familles royales, a fait l’Europe telle que nous la connaissons bien avant Jean Monet et sa clique de technocrates vendus au grand capital mais je m’égare. Oui, autant que puisse en juger un voyageur attentif (ou distrait, mais je me comprends), sur le rapport de la coprophilie canine, les villes européennes sont des cousines, des sœurs, des jumelles. Sur ces terres de liberté, l’homme libre fait bien de regarder où il pose son pied libre. Ayant jadis conquis le monde, les peuples d’Europe sont obligés d’en rabattre sur le point de l’orgueil, et de marcher désormais tête basse, scrutant non plus les horizons en quête d’avenir, mais le bitume à la recherche des bronzes. En l’espèce, et comme du temps de Descartes, le parisien est la quintessence de l’européen moderne, le modèle, le patron d’où l’on tire les mesures.
Ceci n’a pas échappé à la mairie de Paris puisque désormais, rien de ce qui fait la vie privée des gens n’échappe à la mairie de Paris. On ne l’a pas encore dit, mais l’opération qui consiste à embaucher des clowns pour sécuriser les rues de la capitale la nuit comporte aussi un volet citoyen qui se fixe pour objectif de sécuriser la démarche des fêtards. Comme son cousin de la movida, le fêtard parisien court à la fois le risque de réveiller les riverains en gueulant comme un veau, il risque de recevoir un bassine d’eau de vaisselle sur la gueule pour la même raison, d’être l’objet d’une plainte parce que ses rires dérangent ceux qui s’amusent plus discrètement, il court aussi le risque de casser sa grande gueule en glissant sur une merde de chien où le pied de l’homme n’aurait pas encore mis son empreinte. C’est la raison pour laquelle Ernest Ringeard, le conseiller Vivrensemble de Delanoë a embauché dix-huit jeunes chômeurs pour remplir la mission de la dernière chance : désamorcer ces bouses en marchant dedans les premiers. Sur le coup des 18 heures, disposés en binômes par les rues des cinquième et onzième arrondissements, les brigades d’écraseurs de fèces vont donc traquer le colombin intact pour, en l’écrasant, le réduire au rang de risque statistique mineur, et laisser libre champ à la fête. L’équipement de pied de ces éclaireurs est assuré par un atelier de chausseurs associatif qui a permis à une équipe de dix savetiers roumains d’obtenir un contrat de travail de six mois en toute légalité. « Le partenariat, c’est l’axe majeur de notre politique solidaire », rappelle Bertrand Delanoë. De son côté, Ernest Ringeard rappelle que « le droit à la sécurité et le droit à la fête ne sont pas incompatibles. C’est ce que veut démontrer l’équipe municipale et, bien sûr, il nous faut refuser toute tentation de laisser-faire libéral en la matière. Puisqu’on n’a pas réussi à apprendre aux chiens à se retenir vraiment, la diminution du risque lié aux déjections fait désormais partie des engagements forts de la mairie de Paris. Evidemment, nous regrettons que les propriétaires de chiens ne soient pas plus sensibles aux règles élémentaires du vivrensemble, et nous continuerons nos démarches pédagogiques pour les y amener. En attendant, il aurait été irresponsable de ne pas prendre toutes les mesures pour que les nuits parisiennes ne soient plus le théâtre d’événements qu’on a trop vus par le passé, et pour que toutes et tous puissent exprimer dans la fête et les réjouissances responsables le talent convivial qui fait la réputation des habitants de Paris depuis toujours ».

jeudi 11 novembre 2010

La souffrance à Copacabana


Françoise avait eu neuf enfants. Sur une période de vingt ans environ, à cheval entre le XIX ème siècle et le XX ème siècle, ses enfants étaient nés, puis étaient morts. Parfois, ils mourraient le jour même de leur naissance ; parfois, un répit plus long leur permettait de recevoir le baptême. Aucun n’arriva à l’âge d’un an. On ne sait plus les causes de ces morts successives, mais les a-t-on jamais sues ? En ces temps-là dans les campagnes, la mort des nouveaux-nés était certes chose courante, mais il était tout de même rare qu’une telle série malheureuse s’établisse. On plaignait ce couple, on venait aider à la naissance d’un nouveau petit être et, sitôt né, on l’emmaillotait rapidement pour l’emmener à l’église voisine. Une superstition tenace prétendait alors qu’un enfant n’ayant pas eu le temps de recevoir le baptême n’irait pas au paradis.
Deux enfants pourtant survécurent, un garçon et une fille. Antoine était né en 1895, Rose en 1906, tous deux de bonne constitution. Leur survie demeure aussi inexplicable que la mort de leurs frères et sœurs. Tout ce qu’on peut dire, c’est que ces deux-là durent être particulièrement choyés par leurs parents, même si les mœurs de l’époque conduisaient rarement aux excès d’idolâtrie infantile qu’on déplore aujourd’hui partout.
Un jour de 1915, l’Etat ordonna que le jeune Antoine parte pour le front. On se battait sur les frontières de l’est et le jeune Antoine dût parcourir des centaines de kilomètres pour venir rapidement y mourir. Des neuf enfants de Françoise ne survivait désormais que la petite Rose.
En ce XX ème siècle débutant, la France n’admettait pas qu’une famille si marquée par la mort puisse être dispensée de martyr guerrier. Il fallait décidément que meurent tous les fils de vingt ans, au moins ceux qui n’avaient ni relations, ni parents bien placés. Les paysans, quand il y en avait encore, ça servait à ça. Françoise continua sa vie malgré tout, avec sa seule fille survivante. Elle mourut en novembre 1933. C’était mon arrière grand-mère.
La France a beaucoup changé en un siècle, probablement moins que les Français. Désormais, ceux-ci se suicident au bureau parce qu’un chefaillon veut les changer de service. Ou ils se couvrent de tatouages pour faire semblant d’avoir une vie sauvage. Ou ils vont mendier des emplois de pompiste. Ou ils manifestent à 18 ans parce qu’ils n’ont pas d’avenir. Ou ils font des procès à l’Etat parce qu’ils ont chopé le cancer de la clope. Ou ils exigent des aides financières pour s’acheter des I-phone. Ou ils se plaignent de tout, des impôts, de la Sécu, des vacances, du temps qu’il fait, de la retraite, du boulot, de l’actualité, de la colonisation, des Croisades, de Cro-Magnon, du passé, du présent, de la vie. Ou ils écrivent des livres de sociologie sur la souffrance au travail, la souffrance au chômage, la souffrance à l’école, la souffrance sur Internet, la souffrance sous Ecstasy, la souffrance aux sports d’hiver, la souffrance à Copacabana.

dimanche 7 novembre 2010

La carte du Goncourt


Dans le dernier roman de Houellebecq, ce qui étonne le plus est ce qui ne s’y trouve pas. D’abord, le bon accueil de la presse.
Après avoir tout cassé sur son passage avec ses Particules élémentaires, Houellebecq s’était progressivement rendu tricard auprès des Intelligences médiatiques qui règnent ici-bas. Pourquoi ? Sans doute pour un défaut d’humanisme déclamatoire, pour une carence de citoyenneté, un restant de pessimisme qui fait honte, au pays des droidlome et du parc Eurodisney. Déjà, au moment des Particules, on avait ici ou là déploré qu’un écrivain envisage sans broncher les manipulations génétiques et les tripatouillages de la Vie comme la solution aux malheurs des hommes et notamment à celui-ci : la mort. Le ton d’évidence pris pour annoncer la fin de ce qui nous définit tous en tant qu’êtres humains avait braqué contre lui ceux qui attendent de la littérature le repos traditionnellement dévolu aux charentaises. Et surtout, crime d’entre les crimes, Houellebecq ne faisait aucune réserve sur le sujet, n’émettait aucun doute sur son caractère inéluctable et ne permettait à aucun de ses personnages de se plaindre de la disparition de « l’ancien monde », le nôtre. Qu’un écrivain ne soit pas béat d’admiration devant l’homme nouveau qui peuple nos rues, et annonce sa nécessaire amélioration biologique pour bientôt, voilà une attitude antimoderne qui ne sentait pas bon. Il n’est pas impossible que ce soient ces accents nietzschéens du roman, promettant le « dépassement » de l’Homme et l’avènement apaisé d’une race de surhommes, qui provoquèrent l’hostilité la plus durable contre l’auteur. Et son eugénisme avait un inconvénient impardonnable, presque inconcevable aujourd’hui : celui d’être assumé.
Puis vint Plateforme et le déclenchement de la polémique. Tant qu’il traitait de broutilles comme le sort de l’humanité ou l’accession à l’immortalité des corps, Houellebecq ne gênait pas réellement les médias sur leur terrain. Mais s’immiscer dans leur pré carré sociétal et aborder des questions d’actualité, c’était prétendre parler du peuple au peuple alors que les journalistes se croient seuls légitimes dans ce rôle. Avec Plateforme, il commit l’erreur d’émettre une opinion très terre à terre sur les religions, et notamment l’islamique : il n’en fallait pas plus pour que la meute se lâche contre la baitimonde. Pour Houellebecq, il ne fut plus question alors de répondre à une interview sans d’abord avoir à se justifier de sa mauvaise pensée à l’égard de l’islam. Pire : comme il avait eu la bonne idée de « prophétiser » les attentats de Bali, on substitua très vite le fait divers à la littérature dans la façon commune d’appréhender le bonhomme.
Toute la beauté de La possibilité d’une île ne suffit pas pour qu’on reparle de littérature. Désormais, Houellebecq était devenu ce fautif qu’on tient à la gorge parce qu’il a un jour obtenu le certificat implacable de salaud (C.I.S.) : il a dérapé. On pouvait alors se contenter de rappeler qu’il trouvait l’islam con au lieu de parler de son oeuvre. Autre indice d’une position solidement établie dans l’ignominie, on pouvait dorénavant dénigrer le mec sans prendre la peine de lire son livre. On lui reprocha donc d’avoir boudé la presse et d’avoir mis sur pied pour la sortie du roman, une campagne marketing qu’on présenta comme sans précédent. Crime ! Si l’on dépensait autant d’argent dans le marketing, c’est que le livre ne valait rien ! Ce genre de tautologie fut encore une bonne occasion de ne pas voir ce qui pourtant crève les yeux : le génie littéraire. Il est probablement devenu si invraisemblable qu’un français puisse avoir du génie (en dehors d’un judoka, bien sûr, ou d’un parfumeur embagouzé) et cela contrevient tant à l’acharnement auto flagellatoire qui nous a pris, qu’on utilise les prétextes les plus navrants pour pouvoir détourner le regard.
C’est peut-être parce qu’il est lassé de tant déplaire et parce qu’il veut tenter le coup parfait que Houellebecq a écrit La carte et le territoire. Et la presse, pour l’instant, semble être tombée dans le panneau, ce qui est son rôle. On a dit que le roman est un peu mou, un peu lisse, un peu soporifique : c’est donc certain, il aura le Goncourt. Être goncouré pour son livre le plus moyen, c’est non seulement un joli coup stratégique, mais c’est aussi la moindre des choses. Le livre brille par ce qu’il ne contient pas : plus aucune allusion aux questions sociales, aux problèmes mondiaux, aux sujets brûlants. Plus de cul, non plus. La seule déclaration scandaleuse qu’il contient ne ferait pas dévier une mouche : il taille un costard à Picasso, un peintre qui a un nom de voiture et dont tout le monde se branle. On ne s’étripe plus pour la peinture depuis longtemps et il y a moins de risque à dégommer un peintre colossal qu’à vouer un rappeur aux cagouinces. Non, décidemment, si les épiciers de l’académie Goncourt veulent éviter de passer encore une fois à côté d’un écrivain considérable, ils feraient bien de donner leur prix à La carte, parce qu’il n’est pas sûr que dans l’avenir, Houellebecq refasse l’effort de descendre son art à leur niveau.

vendredi 2 juillet 2010

Valse des milliards.




On croyait que la vie multicellulaire sur Terre remontait à 600 millions de piges. On se trompait, et de beaucoup. Pour en savoir plus : c'est là.

lundi 28 juin 2010

Libé aux petits poings



En ce moment, quand on se connecte sur le site de Libération (oui, je sais, j’ai des occupations étranges), un écran publicitaire sauvage vient s’afficher au bout de trois secondes. C’est une publicité interne tentant de vendre des abonnements pour Libé à ces profiteurs d’internautes. Un placard noir s’affiche, puis un slogan : « Libé, l’info est un combat ». En illustration, une photo noir et blanc du bas du visage de… Raymond Domenech !
Mieux : un slogan en lettres rouges conseille ceci : « Le week-end, prenez le temps de réfléchir ». On devine donc que les pubards et les décideurs de chez Libé n’ont pas pondu leur campagne de pub pendant un week-end…

Bien sûr, avec Libération, on est dans le second degré. C’est d’ailleurs comme cela, au second degré, que je conseille toujours de prendre les informations que ce journal rapporte. Ici, le second degré consiste à prendre une phrase idiote (ou « scandaleuse », si l’on est pris par le virus offuscatoire post-moderne) d’une personnalité, et de s’en servir pour montrer, en comparaison, combien Libération est intelligent. Je reconnais que l’ironie ne vole pas bien haut : se croire intelligent parce qu’on remarque qu’un footballeur dit des sottises, c’est de l’autosatisfaction facile.

Laurent Joffrin n’en n’est pas à sa première cagade. Venant de lui, une fantaisie, un gag burlesque ou une pantalonnade verbale ne saurait surprendre. Quand il a lancé cette reconquista de « l’info est un combat », il a expliqué aux cinq continents qu’on allait voir ce qu’on allait voir, et que Libé allait réinventer le journalisme, tartarinesque ambition qu’on voit périodiquement s’afficher dans les feuilles les plus embourgeoisées. On se souvient que Ségolène Royal, de son côté, voulait carrément réinventer la démocratie mais qu’elle n’était pas fichue de pondre un site internet correct, et qu’elle se contenta d’illustrer sa vision de l’Avenir Radieux grâce à un fond d’écran Windows… Joffrin clamait donc qu’il allait réinventer le journalisme grâce à une capacité digne des dieux : la vision de l’avenir. Nageant au-dessus de la boue de l’époque, tels des aigles au regard perçant, les journalistes de Libé allaient déterminer non seulement les tendances à suivre mais aussi celles qui perdureront et, par voie de conséquences, l’avenir du genre humain lui-même ! Et tout ça pour moins de cinq euros ! « Il s’agit de comprendre et d’inventer ce que sera la France de l’après-crise dans un monde transformé ». Textuel. Formidable.



Quelques mois plus tard, ces prophètes du monde de demain choisissent une figure nationale pour illustrer leur slogan guerrier : Domenech. Tels Ségolène tutoyant les Pères Fondateurs, ils s’armaient de leur claire vision du siècle en marche mais ne saisissaient pas ce que n’importe quel lecteur de l’Equipe avait pigé depuis quatre ans : ne rien miser sur Domenech ! Même l’ironie ! On les comprend : tout occupés à définir et soupeser les tendances les plus ténues de la société française et, soyons braves, de la société mondiale en devenir, ils n’avaient plus une minute à eux pour ouvrir les yeux et les oreilles sur ce guignol à sourcils qui dirigeait l’équipe nationale d’une main de pleutre.
A leur décharge, il faut reconnaître que pour comprendre quelque chose aux jeux du peuple, et le football y tient la première place, il faut être soi-même un peu du peuple. Au minimum, il faut avoir conservé un restant d’intérêt pour les étranges règles qui y règnent. Or, on ne peut pas décemment demander à un journaliste, surtout un journaliste concerné par le sort du monde, de la planète et du cosmos, d’avoir en plus un quelconque rapport avec le peuple, ce bas peuple qui vibre quand un con marque un but et qui entonne derechef la Marseillaise, même bourré comme un oeuf. Un journal de gauche a d’autres chats à fouetter.
Mais soyons économe de notre temps : on ne va pas passer un quart d’heure sur les trouvailles publicitaires d’un journal militant propriété d’un Rothschild. On savait depuis longtemps que l’info est un piège à cons. Grâce à Libération et à l’image de Domenech, on sait que l’info est un fiasco.

jeudi 3 juin 2010

Blues

Le blues est une musique qui peut être extrêmement chiante. Autant aller à l'essentiel et n'écouter que du bon.
Junior Kimbrough, comme R.L Burnside, est un homme du Mississippi n'ayant pratiquement jamais quitté son sud natal, ayant été lui aussi ouvrier agricole, entre autres choses. Gloires locales, tous deux ont attendu d'avoir la soixantaine pour qu'on s'intéresse à eux au delà de leur comté, et pour être reconnus d'un plus large public.
Kimbrough est le tenant d'une transe hypnotique réduite à presque rien, dont l'efficacité repose sur une sincérité totale.

vendredi 28 mai 2010

Je suis né il y a mille ans.




Je me souviens du choc qu’a représenté pour moi Little big man, le film d’Arthur Penn. J’avais 16 ans, j’étais pensionnaire dans un lycée qui, en ces temps reculés des années 80, n’offrait qu’une seule et unique minuscule télévision aux 150 élèves que nous étions. (Quand j’y repense, je me souviens aussi que cette télévision était installée dans un endroit impossible, qu’on ne pouvait la regarder qu’en allant se chercher une méchante chaise en bois, que rien n’était fait pour nous la rendre attirante et que, de fait, personne ne s’y adonnait. Imagine-t-on encore cela : 150 pensionnaires – dont 95% d’élèves de filières technologiques, ayant d’autres jeux que la télévision ?) En deux ans, je ne m’y suis rendu que deux fois, et toujours plus ou moins par hasard : un concert de Dire Straits et Little big man.

Je ne sais plus ce qui m’a amené devant cette télé, ce soir-là, mais je ressens encore ce qui m’a fait y rester : la puissance du récit, l’humour et la tragédie mêlées, la sensualité hors normes de Faye Dunaway. L’aventure, la vie et l’amour, trois des thèmes essentiels et communs aux chefs d’œuvres. Évidemment, les thèmes en eux-mêmes ne suffisent pas à créer le choc, tout est affaire de style, tout est affaire de forme. La grande fresque énergique de Little big man, le souffle humain qui passe dans chaque scène, la perfection de chaque personnage incarné successivement par Dustin Hoffman et la beauté atroce des massacres accomplis au son des fifres me firent l’impression que je n’avais jamais encore vu de vrai film avant celui-ci. Plus précisément, je n’imaginais pas qu’un film puisse être un récit aussi complet, vivant, séduisant ou terrible, ni qu’il puisse procurer autant de joie. En revoyant périodiquement ce film depuis, je suis toujours saisi par sa fraîcheur. C’est un quadragénaire qui ne fait pas son âge. Quand on pense qu’Arthur Penn fut très influencé par la Nouvelle Vague française, et qu’on voit le méchant coup de vieux qu’elle a rapidement pris, elle…

Ce qui m’étonne toujours, dans des films comparables à celui-là, c’est la perfection totale de tous les éléments en œuvre. Bien sûr, rien n’est jamais laissé au hasard dans un film, et on arrive d’ailleurs souvent à le regretter, le hasard faisant parfois mieux les choses que le réalisateur... Ici, le moindre douzième rôle est parfait, crédible, aussi bon dans ce qu’on lui demande que le premier rôle l’est dans son emploi de star. Comme tout le monde, j’avais été très impressionné par la sagesse bonhomme de « Peau de la vieille hutte », le chef indien aux cheveux blancs, interprété par Chief Dan George. Cet acteur réussit à incarner une figure sympathique de l’Indien, débarrassée de ses clichés d’indomptabilité, de bravoure surhumaine, de résistance à tout, autant de « qualités » qui concourraient à rendre les Indiens inhumains, parce que trop différents du lot habituel des hommes. Par son jeu, il témoigne plus d’une forme de bonté archaïque teintée d’humour et d’un désespoir résolu. Comme le personnage qu’il incarnera plus tard dans Jose Wales Hors-la-loi, de Clint Eastwood, c’est un pauvre vieux survivant totalement dépassé par la brutalité du monde nouveau, qui épouse la solitude parce qu’elle est la seule à encore vouloir de lui.

Contrairement aux fils de la bonne bourgeoisie passés par des écoles de cinéma aux frais pédagogiques époustouflants, Chief Dan George a été successivement bûcheron, puis docker pendant trente ans, pour finir son prestigieux cursus professionnel comme chauffeur de bus scolaire. Ces emplois définissent chez nous le parfait prolo, mais ils n’ont pas empêché Dan George d’être chef de la nation Capilanos (alentours de Vancouver) pendant plus de dix ans. Ce n’est qu’à soixante ans passés qu’il deviendra acteur et que, enrichi par son expérience de la vie, il crèvera l’écran.



En 1975, il rédige une lettre qui fut lue lors d’un congrès sur le développement économique de l’Arctique et l’avenir des sociétés esquimaudes. Cette lettre est bellement intitulée « Je suis né il y a mille ans ».


« Mes très chers amis,

Je suis né il y a mille ans, né dans une culture d'arc et flèches; et dans l'espace d'une demi-vie humaine, je me suis trouvé dans la culture de l'âge atomique, mais d'arc, et flèches à la bombe atomique, il y a une distance plus grande que le voyage vers la Lune.

Je suis né à une époque qui aimait les choses de la nature et leur donnait de beaux noms comme Tessoualouit, au lieu de noms desséchés comme Stanley Park. Je suis né à une époque où les gens aimaient toute la nature et lui parlaient comme si elle avait une âme.

Je me souviens qu'étant très jeune, je remontais l'lndian River avec mon père. Je me le rappelle admirant le soleil qui se levait sur le mont Pé-Né-Né ; il lui chantait sa reconnaissance, comme il le faisait souvent, avec le mot indien " merci " et beaucoup de douceur.

Et puis, du monde, est venu, de plus en plus de monde, comme une vague déferlante, et je me suis soudainement trouvé au milieu du 20e siècle. Je me suis trouvé moi-même et mon peuple flottant à la dérive dans cette nouvelle ère ; nous n'en faisions pas partie, engloutis par sa marée saisissante, comme des captifs tournant en rond dans de petites réserves, dans des lopins de terre, honteux de notre culture que vous tourniez en ridicule, incertains de notre personnalité et de ce vers quoi nous allions.

Pendant quelques brèves années, j'ai connu mon peuple vivant la vieille vie traditionnelle, alors qu'il y avait encore de la dignité. Je les ai connus quand ils avaient une confiance tacite dans leurs familles et qu'ils avaient une certaine notion de ce qu'était le cheminement de leur vie.

Malheureusement, ils vivaient dans l'agonisante énergie d'une culture qui perdait graduellement son élan vital. Nous n'avons pas eu le temps de nous ajuster à la croissance brutale qui nous entourait ; il semble que nous ayons perdu ce que nous avions sans que cela soit remplacé. Nous n’avons pas eu le temps d'aborder le progrès du 20e siècle, petit à petit, ni de le digérer.

Savez-vous ce que c'est que d'être sans pays ? Savez-vous ce que c'est que de vivre dans un cadre laid ? Cela déprime l'homme, car l'homme doit être entouré de la beauté dans laquelle son âme doit grandir.

Savez-vous ce que c'est que de sentir sa race écrasée et d'être acculé à prendre conscience qu'on est un fardeau pour le pays ? Peut-être n'étions-nous pas assez malins pour apporter une participation pleine de signification, mais personne n'avait la patience d'attendre que nous puissions suivre. Nous avons été mis à l'écart parce que nous restions sans réagir et incapables d'apprendre.

A quoi cela ressemble-t-il de n'avoir aucun orgueil de sa propre race, de sa famille, aucun amour-propre, aucune confiance en soi ? Vous ne pouvez pas le savoir parce que vous n'avez jamais tâté cette amertume. Mais je vais vous le dire : on ne fait aucun cas du lendemain, car qu'est-ce que demain ? On est dans une réserve, c'est-à-dire dans une sorte de décharge publique parce qu'on a perdu dans son âme tout sentiment du beau.

Et maintenant, vous me tendez la main... et maintenant, vous me demandez d'aller à vous. « Viens et intègre-toi ! » c'est ce que vous dites. Mais comment venir ? Je suis nu et couvert de honte. Comment venir avec dignité ? Je n'ai pas de présence, je n'ai rien à donner. Qu'appréciez-vous dans ma culture- mon pauvre trésor ? Vous ne faites que le mépriser. Vais-je venir à vous comme un mendiant et tout recevoir de votre main toute-puissante ?

Quoi que je fasse, je dois attendre, trouver des délais, me trouver moi-même, trouver mon trésor, attendre que vous désiriez quelque chose de moi, que vous ayez besoin d'un quelque chose qui est moi. C'est alors que je pourrai dresser la tête, dire à ma femme, à mes enfants : « Ecoutez, ils m'appellent, ils me veulent, je dois y aller. »
Alors, je pourrai changer de trottoir, la tête haute, car j'irai vous parler sur un pied d'égalité. Je ne vous mépriserai pas pour votre paternalisme, mais vous ne me ferez pas l'aumône. Votre aumône, je peux vivre sans elle, mais ma condition humaine, je ne saurais vivre sans elle. Je ne ferai pas de courbettes devant vos aumônes. Je viendrai avec dignité ou je ne viendrai pas du tout. Vous employez le grand mot d' " intégration " dans les écoles. Cela existe-t-il vraiment? Peut-on parler d'intégration avant qu'il y ait l'intégration sociale, celle des cœurs et celle des esprits ? Sans cela, on a juste la présence des corps, les murs sont aussi hauts que les montagnes.

Accompagnez-moi dans la cour de récréation d'une école où l'on prétend que règne l'intégration. Voyez comme son asphalte noire est unie, plate et laide; alors, regardez : c'est l'heure de la récréation, les élèves se précipitent par les portes. Voilà alors deux groupes distincts : ici, des élèves blancs et là-bas, prés de la barrière, des élèves autochtones.

Et puis, regardez encore, la cour noire, unie, ne l'est plus : les montagnes se dressent, les vallées se creusent; un grand vide s'établit entre les deux groupes, le vôtre et le mien, et personne ne semble capable de le franchir.

Attendez, bientôt la cloche va sonner et les élèves vont quitter la cour. Le mélange des élèves se fait dedans parce que dans une classe, il est impossible de trouver un grand vide, les êtres sont devenus petits, rien que de petits êtres; les grands, on n'en veut pas, du moins, pas sous nos yeux. .

Ce que nous voulons ? Nous voulons avant tout être respectés et sentir que notre peuple a sa valeur, avoir les mêmes possibilités de réussir dans l'existence, mais nous ne pouvons pas réussir selon vos conditions, nous élever selon vos normes, nous avons besoin d'une éducation spéciale, d'une aide spécifique pendant les années de formation, des cours spéciaux en anglais, nous avons besoin d'orientation et de conseils, de débouchés équivalents pour nos diplômes, sinon nos étudiants perdront courage et se diront: « A quoi bon ! »

Que personne ne l'oublie: notre peuple a des droits garantis par des promesses et des traités. Nous ne les avons pas demandés et nous ne vous disons pas merci. Car, grand Dieu, le prix que nous les avons payés était exorbitant : c'était notre culture, notre dignité et le respect de nous-mêmes. Nous avons payé, payé, payé jusqu'à en devenir une race blessée, percluse de pauvreté et conquise.

Je sais que dans votre cœur, vous voudriez bien m'aider. Je me demande si vous pouvez faire beaucoup. Eh bien! oui, vous pouvez faire une foule de choses. Chaque fois que vous rencontrerez mes enfants, respectez-les pour ce qu'ils sont : des enfants, des frères. »

samedi 15 mai 2010

La bouche pleine contre l'intégrisme.


Dans sa théorie de la guerre, Clausewitz utilise le concept de « montée aux extrêmes », c'est-à-dire la progressive aggravation des actes qui rendent irrémédiable un conflit, l’agressivité des uns se nourrissant de l’agressivité de leurs adversaires. La France de 2010 est probablement entrée sans s’en rendre compte dans une phase de montée aux extrêmes, évidemment adaptée aux drames sans gloire que son splendide développement post moderne engendre.
Après avoir choqué treize nonagénaires qui sortaient de la messe à notre-Dame de Paris, et deux touristes Belges revenant du marché avec leurs fillettes, la Lesbian & Gay Pride de Lyon et les Commandos du Patin Public ont décidé d’une action lyonnaise. Comme ils savent pouvoir compter sur la collaboration zélée de la presse, et sur une armée de reporters ignorant qu’il se passe des choses importantes ailleurs que dans les centre villes historiques embourgeoisés, les homos démonstratifs auraient bien tort de se priver de ces happenings dérisoires où pourtant, selon, eux, se joue le sort de la liberté.
Toujours prompts à démontrer qu’ils singent en tout ce qui vient des Etats-Unis, ils nomment donc leur action d’éclat Kiss-in, locution étrange qu’on aurait bien du mal à traduire en bon français, sinon peut-être par galochade manifestante. Les étudiants des années 60 luttaient contre une guerre meurtrière en pratiquant le sit-in : les rebelles d’aujourd’hui manifestent contre le vide que notre époque indifférente leur renvoie, par un kiss-in. Bien trouvé ! Il ne s’agit plus seulement de s’asseoir pour montrer qu’on n’est pas content, il faut s’embrasser pour faire comprendre qu’on est prêt à tout.



Je me suis rendu aujourd’hui dans le quartier du kiss-in, pour voir si les choses avançaient un peu (et accessoirement pour tenter d'assister au spectacle de trente lesbiennes se roulant des pelles maousses). Hélas, la préfecture du Rhône a interdit les baisers à pleine bouche devant le parvis de la cathédrale Saint-Jean de Lyon, sans toutefois être bien sévère : il suffit que les organisateurs refassent leur demande en respectant les délais habituels. Un détail. Le kiss-in aura donc bien lieu, la semaine prochaine. Les langues cependant ne sont pas rangées sous leur palais respectifs, elles continuent de se délier pour accuser les "intégristes catholiques" lyonnais d'avoir fait pression sur la préfecture. Il s'agit donc d'un immonde travail de lobbying !!! Ciel! comment les catholiques lyonnais peuvent-ils se rendre coupables d'un si abominable forfait? Les Lesbian & Gay citizens-against-the-Catholic-crusade-for-the-rerurn-of-the-middle-age sont décidés: ils vont voir de quel velours ils se vêtent!
Mais déjà, les riverains s’inquiètent. Dans le quartier Saint Jean, on parle de provocation, de bastonnade, de contre kiss-in (qui serait organisé par un groupuscule radical qui, via Twitter, rassemble en un lieu public ses éléments pour se faire publiquement la gueule. Nommé Nut-in, cette parade hostile veut défendre le droit de chacun de faire la gueule à ses concitoyens et celui de n’être pas joyeux ensemble). Pour leur faire pièce, on parle même de l’arrivée possible d’un commando pratiquant le Fuck-in, baptisé les Enculés pour la tolérance ! Très nettement en conflit avec leurs collègues des Kiss-in, jugés trop mous, ces Enculés pour la tolérance ne reculent devant rien pour faire avancer le progrès. J’ai rencontré Kevin Pepper, leur leader charismatique, venu sur les lieux en repérage, et qui parle à leur propos de « collabos » !
« Les forces de la réaction sont au pouvoir dans cette société patriarcale qui enferme des enfants en raison de leur couleur de peau et de leur religion. Tant que la peine de mort ne sera pas abolie, que l’école ne sera pas obligatoire ET gratuite, pour tous, et que le droit de vote sera refusé au femmes, même hétéro, nous continuerons notre lutte ! Contre le fachisme d’Etat, il ne s’agit plus de s’embrasser en restant immobile, il faut s’enculer en mouvement ! C’est en débaroulant emmanchés les uns dans les autres à travers les rues étroites du quartier Saint-Jean que nous bousculerons non seulement les consciences, mais aussi les traditions et les bigotes ! Fini de rire, nous ne sommes pas de gentils homos qui se lèchent le museau entre deux éclats de rire, nous sommes de fiers enculés qui réclamons immédiatement l’ouverture d’un Grenelle du cul ! Un Grenelle pour nos rondelles ! Et fuck l’Eglise ! Et fuck le Pape ! Et fuck le maréchal Pétain ! »
Jusqu’où la montée aux extrêmes nous entraînera-t-elle ?

vendredi 14 mai 2010

Debray dégage.



Le dernier bouquin de Régis Debray s’appelle Dégagements, titre programmatique. Au singulier, le dégagement est ce qui semble arriver à l’auteur, après des années de pur engagement, de participation active à la vie de son époque et ses aventures. Comme si, atteint par la vieillesse ou une forme de sagesse, il se délestait des pesanteurs militantes. Comment ? En faisant comme un gardien de but : un dégagement. Et on aura remarqué qu’un gardien de but n’abandonne pas le ballon qu’il shoote, il le lance au loin pour que la partie reprenne, loin de son pré carré. C’est sans doute dans cet esprit que Debray dégage.
C’est un recueil de petits mots, d’articles assez courts qui traitent d’un peu tout, en glissant, de ses expériences, des sujets actuels, de la vie quotidienne, de quelques grandes figures. Tout au long de ces pages s’étale un certain désabusement, une envie de ne plus y croire qui fait plaisir à lire, même si le style est parfois alambiqué, ou si les phrases sont ici ou là gonflées par la recherche d’une formule, qui ne vient pas toujours. En revanche, l’intelligence et la perspicacité sont bien là, qui sauvent tout. Debray n’a pas d’optimisme particulier, il se méfie de la politique, il croit que les hommes sont capables du pire, il pense à la mort, il sait qu’il ne laissera pas de trace : pour un homme de gauche, c’est très « de droite ». Sur les questions de la mort, de l’oubli, du succès ou de la gloire, il montre un détachement qui fait autant penser à Montaigne qu’à Épicure : modestie, lucidité et frugalité.
On pense à Paul Morand en lisant ces picorements piquants, toujours relevés par le point de vue inattendu, l’anecdote illustrative, la citation, la culture. Et d’ailleurs, Debray aborde Morand, bien forcé de reconnaître que ses piètres qualités d’homme sont bien compensées par son style, sa patte et son talent. « Il m’arrive de penser, au contact d’un Morand, que la véritable éthique professionnelle de l’artiste réside dans son défaut résolu d’éthique – soit par carence, soit par décision. La gauche, là-dessus, est handicapée. Elle a la prédication dans le sang. »

jeudi 13 mai 2010

Le moral à zéro


Un cimetière est une enceinte sacrée. Là sont les morts, seuls témoins tangibles qui nous lient au passé, à notre propre famille comme à l’ensemble du genre humain. La tombe est souvent la seule trace un peu durable à la portée du pauvre humain, le seul endroit où son nom continuera un peu d’être, avant l’oubli fatal. Rien n’est plus important que cette broutille : quand tout sera fini, de la plupart d’entre nous ne subsisteront qu’un nom, et deux dates. C’est l’unique consolation à la portée de ceux qui ne sont presque rien, ni personne. C’est le cortège des humbles.
Le cimetière est le lieu des peines, des chagrins, des remords, des prières, des douleurs, des sentiments les plus profonds et les plus sincères qu’un homme puisse connaître. Là finissent les amours.

On n’attend rien d’un cimetière, fut-on le plus rapace des winners. Un cimetière ne produit rien, il n’exporte pas ! Il reçoit, il abrite, il recueille. Il est l’enceinte où s’achèvent nos vies, et où notre condition se contemple.
Les hommes n’ont pas toujours construit des centres commerciaux. Tous n’ont pas construit des stades, des boutiques ni le world trade center. Mais tous ont pris soin de leurs morts, et les tombes sont souvent les seules traces restant de la première humanité. C’est même par ce souci de donner des tombes solides à leurs morts, que les hommes anciens ont appris la taille et la manipulation des pierres. La civilisation s’est progressivement faite ainsi.
Attenter à des tombes, c’est donc insulter tout ceci.

Dans le registre des actes qui disqualifient le plus leurs auteurs, la profanation de cimetière est probablement un sommet d’abjection. Il faut avoir abandonné tout point commun avec le reste de l’humanité pour mépriser à ce point le respect de ses morts, constante universelle qui nous sépare des rats, des hyènes et des scolopendres.
A titre personnel, je n’imagine pas destin plus profondément pitoyable que celui des gens sans sépulture, soit perdus en mer, soit abandonnés dans l’ombre des forêts, soit avilis par la fosse commune.
Et quand j’entends parler de profanation de tombes, je regrette chaque fois qu’on n’ait pas adopté la longue tradition chinoise de supplices éducatifs (arrachage d’ongles, lacération citronnée, enculade à la gauloise, giflement perpétuel, etc.).
Un autre cas mériterait exactement les mêmes traitements, celui des hommes politiques qui se servent de ces attentats pour se faire de la pub, pour alimenter un feu dangereux et pour mentir. Il y a quelques jours, des tombes de soldats musulmans du cimetière Saint-Lazare, à Tarascon, ont été profanées. Évidemment, à première vue, ça ressemble à du racisme. Mais, alors qu’on dit partout qu’il faut être prudent, qu’il ne faut pas céder à l’hystérie médiatique, qu’on a déjà vu des Timisoara et des pseudo viols dans des trains de banlieue se révéler être des arnaques, que personne n’est obligé de réagir en moins de 24 heures à une nouvelle, fut-elle atroce, les charognards professionnels ont fait leur pub en poussant l’habituel cri, dénonçant la montée de ceci, exigeant cela sur le mode offensé. Alors que la police se montrait très prudente, les professionnels du racisme donnaient vigoureusement la charge, chantant la chanson du racisme français comme un air connu. Or, le profanateur déclaré est un abruti de 14 ans, qui n’a rien trouvé de mieux que d’aller donner du talon sur le souvenir des morts. Et il serait d’origine maghrébine. Le racisme va être difficile à établir… Et la LICRA, qui annonçait se porter partie civile, va certainement venir nous expliquer qu’elle s’est trompée, ce qui serait une première absolue, à peine croyable.
L’écoeurement devant l’acte ignoble est renforcé par la bêtise et la saloperie unies sous forme de vibrants discours. On conçoit parfaitement que des responsables politiques soient en quelque sorte obligés de se rendre sur place, de prendre publiquement la parole pour dénoncer de genre de crimes, mais on souhaiterait aussi qu’un conseiller quelconque (quelqu’un qui lise les journaux, qui sache en tirer des leçons, et qui ait un peu de mémoire) leur suggère prudence et dignité. Car, lorsqu’on s’est répandu en imprécations hors-sujet devant des tombes outragées, on a perdu toute dignité.

vendredi 30 avril 2010

Echec et stigmate.



Stigmatiser, c’est appliquer une marque qui distingue un sujet dans un ensemble. En France, il est maintenant très connu qu’il faut absolument tout faire pour ne jamais stigmatiser personne, surtout ceux dont les choix et le comportement général sont des stigmates volontaires. C’est le truc à la mode.
Quand une femme se promène le visage dissimulé à Ouarzazate, elle est dans la norme. Le stigmate, ce serait la mini jupe, et ça ne durerait pas longtemps. Quand la même femme se promène voilée à Clermont-Ferrand, elle est soit complètement bouchée, soit parfaitement consciente d’être en totale contradiction avec les mœurs locales, qui en valent bien d’autres. Elle se stigmatise elle-même. Elle s’applique une marque (son voile) pour montrer au cosmos qu’elle est une bonne soumise et, par la même occasion, elle indique le peu de cas qu’elle fait de celles qui ne le sont pas autant qu’elle. Il est donc juste de veiller à ne pas stigmatiser les femmes voilées : elles font ça très bien elles-mêmes. Mais il est tout aussi inutile de reprocher à la majorité (réputée opprimante et intrinsèquement débile) de stigmatiser une minorité (réputée digne et victime) qui ne se conçoit que différente, en opposition, singulière, étanche, et accoutrée de façon à ce que personne ne l’oublie.

Le débat sur le voile intégral (j’adore cette expression, que je rapproche d’une chose qui a presque disparu de nos plages : le nudisme dit « intégral ») est une nouvelle occasion de discutaillages en série sur le licite et l’indigne, le permis et la liberté, la tradition et le droit des femmes à renoncer à la vie, etc. Et comme pour tous les sujets, on peut s’échanger des arguments jusqu’à la fin des temps : la question n’est pas là. La question est de choisir parmi les arguments ceux qu’on privilégie, et ceux qui sont secondaires. Or, le problème du voile est avant tout celui de mouvements prosélytes, politiquement actifs, dont l’action a déjà pu se juger dans quelques pays étrangers, et qui utilisent le voile comme un emblème, un drapeau, une marque publicitaire dans le grand marché libre des populations à convaincre. Qu’on trouve encore des benêts pour se demander si ces filles sont « volontaires », ou pas, prouve bien que malgré l’explosion quantitative des moyens de s’informer, il est toujours aussi difficile de trouver une tête bien faite, et qui a su rester saine.
N’en déplaise aux féministes, le sort de quelques milliers de connasses est moins important, à titre individuel, que celui d’une idée qui a droit à sa fierté : l’art de vivre à la française. Et l’art de vivre à la française, au moins dans mon esprit, exclut radicalement le salafisme à barbouze, le tabligh à burqua et autres sornettes venus du ciel pour nous indiquer comment vivre ici et maintenant.
La meilleure illustration de cette simple opinion, c’est sur Causeur qu’on la trouve.

dimanche 25 avril 2010

Muray à la bouche.


J’ai déjà recommandé le travail de Luchini sur les textes de Muray, même si je n’ai pas eu l’occasion de le voir moi-même : avec ces deux-là, je n’ai pas de mérite à tomber juste. Finkielkraut invitait Luchini ce samedi dans Répliques, pour évoquer ce travail, et on a eu droit à un festival de très haut niveau.
On peut être un excellent acteur en demeurant un crétin, un inculte technicien doué jouant du Beckett le soir et militant pour une vie meilleure grâce aux couloirs de bus aménagés, le lendemain. Luchini est d’une autre trempe, non seulement c’est un acteur formidable, mais sa sensibilité n’étouffe pas son intelligence, il a compris, il est au niveau, ce qui le distingue de la plupart de ses collègues. Cette émission fait plaisir, tout simplement. Finkie et Luchini sont tellement dans la jubilation qu’ils se battent presque pour pouvoir réciter à l’antenne le plus de passages possible de Muray. Ça fuse de toutes parts, et l’intensité va en augmentant : quel dommage qu’on n’ait pas eu droit à une heure de plus, qui sait comment ça aurait fini ?
J’avoue n’être pas un fanatique des textes lus. Non pas que je nie le talent de certains pour l’exercice, mais j’ai simplement trop pris l’habitude du rapport direct et intime avec un auteur pour en changer. Eh bien c’est un tort ! Quand le texte est splendide, l’écouter lu par un autre peut être une véritable joie, même si le lecteur n’est pas un « professionnel » : le texte des vaches lu par Finkie, ça reste une merveille, ça te donne envie de sortir dans le pré d’en face, d’en choper une dans tes bras et de lui rouler le patin de l’année !

Retour à l'offenseur.


Nouvel exemple caricatural de l’esprit de sérieux et de l’auto sacralisation de ceux qui font pourtant profession de ne rien respecter de sacré, cette anecdote : au musée d’art moderne de New York en ce moment, une rétrospective Marina Abramovic reprend l’une de ses anciennes performance. Il s’agit de placer des personnages nus dans les salles de l’expo et notamment deux, vis-à-vis, empêchant presque l’accès des visiteurs. Pour entrer, les visiteurs doivent se faufiler entre les deux performeurs à poil, et donc s’y frotter. L’idée est stupide, vide de sens, elle a énormément vieilli en quarante ans, mais admettons. L’artiste met donc le clampin moyen en situation de devoir toucher un corps inconnu dévêtu, en pensant faire œuvre d’art. Sauf que l’un des clampins a dit « chiche » : il a peloté un dépoilé, lui palpant une miche en lui demandant si ça lui plaisait. Résistance de l’esprit grivois ! SKANDAL! TRAHISOUNE! SAPOTACHE ! Immédiatement, l’iconoclaste a été non seulement viré du musée, mais également révoqué à vie, bien qu’il fût adhérent du Moma depuis trente piges ! C’est qu’on ne plaisante pas avec les plaisantins ! Dans n’importe quel musée du monde, pour n’importe quelle expo traditionnelle (comprendre « beauf »), une telle sanction aurait pu se concevoir, encore que je la trouve très radicale. Mais il y a quelque chose de pathétique à voir que, de l’ancien monde qu’ils ont voulu dépasser par leurs audaces, les artistes contemporains n’auront finalement conservé que le bon vieil esprit répressif , quoi qu’ils affirment par ailleurs à coups de happenings, de scarifications en public ou de chorégraphie bouchère.

samedi 24 avril 2010

Nabe's back.


On n’a jamais autant lu Nabe que depuis qu’il a arrêté d’écrire. Comme ces artistes dont on découvre le talent une fois qu’ils sont morts. Finalement, il a pris de l’avance sur sa mort. Au vu des ventes, elle devrait se passer bien.
Me foutant bien des tirages et des ventes des écrivains que je lis, je ne sais pas, en fait, si la vente de 3000 exemplaires de son dernier livre est « inespérée », « moyenne » ou « décevante » pour lui : ce qui est sûr, c’est qu’il a gagné de l’argent avec son travail, le plus honnêtement du monde, et en prenant des risques. C’est suffisamment rare pour être applaudi.

Que trouve-t-on dans L’homme qui arrêta d’écrire ? L’histoire d’un écrivain qui a arrêté d’écrire, justement, et qui, sortant d’une longue nuit de labeur (25 ans), s’éveille au monde qui l’entoure. Forcément, ce fraîchement libéré goûte les joies simples de la conversation avec des inconnus, il s’assoit aux terrasses des cafés, il remarque et s’étonne de tout ce qui peut paraître banal à un glandeur plus expérimenté. Que reste-t-il à un individu quand il n’est plus un artiste, sinon la banalité des merveilles de la vie quotidienne ?
Son initiation à la vie moderne sera faite d’abord par son double (qui n’est qu’une moitié, puisqu’il n’a que la moitié de l’âge du narrateur – clin d’œil typiquement nabien), Jean-Phi, puis par une bande de jeunes nanas, dans des scènes qui font penser à des visites au musée, ou au zoo. Jean-Phi entraîne le narrateur dans une boîte branchée, dans une expo d’art contemporain ou un défilé de mode et lui présente le monde moderne comme on le ferait d’un tapir importé récemment du Brésil. Ces pérégrinations sont autant de prétextes à une sorte d’inventaire du contemporain, de la fête foraine aux geeks no-life, et servent de toile de fond à la création d'un Nabe nouveau, en sept jours, bien entendu.

Finalement, après un quart de siècle de travail, on a peu critiqué l’oeuvre de Nabe. On s’est borné le plus souvent à « adorer » ou à « détester », on a (rarement) échafaudé un dogme autour de sa personne ou (bien plus souvent) tenté de le faire passer pour un nazi, un fumier, un dangereux terroriste. Je m’étonne qu’au milieu de ces exagérations, on n’ait pas vu en lui l’écrivain de la mémoire. Le temps qui passe est une quasi constante qui traverse ses livres : évocation d’époques passées, de grands anciens, témoignages recueillis auprès de ceux qui ont vécu ou connu telle ou telle aventure, souci du détail biographique, notamment les lieux, fascination pour les survivants (de Lucette Destouches à Arletty, en passant par Sam Woodyard et tant d’autres) et, bien sûr, vocation de chroniqueur-mémorialiste de son époque (son journal) dans la position de celui qui veut les embrasser toutes. Selon moi, c’est aussi ce thème de la mémoire qui fait le pivot de L’homme qui arrêta d’écrire, notamment à travers la comparaison que le narrateur fait vingt fois avec « son époque ». En passant en revue notre aujourd’hui, Nabe fait entrer son passé récent dans la mémoire.
« Son » époque, ce sont les années 70 et, à un titre différent, les années 80, années de formation et des premiers combats, époque où quelques uns de ses grands maîtres vivaient encore. C’est donc bien « notre » époque qu’il visite et découvre par l’intermédiaire de quelques jeunes rencontrés, comme un voyageur dans le temps serait tombé ici par hasard. Je crois même qu’involontairement, Nabe se révèle dans cette constante évocation : lui qui a tant déféqué sur les années 80 les cite ici comme une époque assez épatante où tout était encore possible, en comparaison d’un aujourd’hui si corseté, si politiquement correctifié, si bardé d’assurances et de plans de carrière. Ce paradoxe révèle la nature de sa vocifération : amour déçu, enthousiasme bridé. La seule chose nouvelle qui semble vraiment l’intéresser aujourd’hui, c’est internet, même s’il ne tombe pas dans l’admiration béate.

Comme Alice au pays des Merveilles, Nabe passe de l’autre côté du miroir et visite « notre » monde, celui de la vie quotidienne (un fin lecteur de Nabe aura bien ri à ce qu’on peut appeler « l’épisode Yoplait », téléréel s’il en est, mais je me comprends), le monde occupé par les I-Phone, les consoles de jeux et les mœurs nouvelles, faites à la fois de tabous brisés et de nouveaux tabous plus solides encore, d’inculture curieuse de tout ce qui est superficiel. Malgré cette visite, et quoi qu’il dise de positif sur les temps qui viennent, Nabe reste fondamentalement rétif à la modernité d’aujourd’hui : il persiste dans l’amour du sublime, dans l’exaltation de l’Art le plus haut, dans l’admiration des grands vivants, caractères propres aux très anciennes races, et qui ne sera bientôt plus compris par personne.

Nabe ne peut pas se retenir d’être cruel, c’est une de ses façons d’être. Il nous donne donc des pages qui rappellent celles de son Journal, où le monde parisien des lettres et des médias est éreinté. C’est, pour moi, la partie la moins intéressante du livre, et probablement celle qui fera le plus parler. On ne peut pas s’extraire du monde, même en étant le plus grand misanthrope. Mais si l’on vomit le parisianisme, on peut tout de même s’interdire de fréquenter le Tout-Paris ! C’est le principal reproche qu’on peut lui faire, ou qu’on pouvait lui faire, puisqu’il annonce qu’avec son nouveau système d’anti-édition, il pourra désormais se couper totalement de ce monde-là et continuer d’exister. J’en doute : un combattant a besoin d’ennemis.
Un exemple, page 166, sur Houellebecq : « Il a fait une loi générale de son cas particulier, ce n’est pas parce que lui est crado répugnant pas sexy ringard qu’il n’y a sur terre que de la misère sexuelle. » En dehors du fait que le propos de Houellebecq ne se résume pas à la sexualité, cette phrase peut parfaitement être appliquée à Nabe : ce n’est pas parce que lui est fasciné par l’art grandiose, le martyr et la sainteté douloureuse qu’il n’y a sur terre que des enthousiasmes absolus. Cette phrase peut d’ailleurs être appliquée à tout artiste, et particulièrement à ceux qui, comme Nabe l’annonçait dans le Régal (sauf erreur), veulent faire de leur nombril le « maelstrom du monde ».

Je trouve d’ailleurs des points communs entre Houellebecq et Nabe, au premier rang desquels la détestation du monde occidental actuel. L’un cherche ailleurs des systèmes paisibles qui font une place au bonheur individuel ; l’autre rêve que des fous de Dieu mystico exaltés viendront d’Orient punir ce monde de son matérialisme impie et de la froideur de son cœur.
Pour faire un autre rapprochement entre eux, j’évoquerai la qualité remarquable de la dernière scène de leurs deux derniers livres respectifs. Dans la Possibilité d’une île, les cinquante pages de l’épilogue final sont un sommet de beauté désespérante, symbiose parfaite du sujet traité et de la forme, littérature de voyage et poésie. De la même façon, la dernière scène de L’homme qui arrêta d’écrire est une véritable réussite, grande errance autour des Champs-Elysées, longue évocation de lieux et d’êtres qui forment cet univers, successions quasi onirique de scènes improbables mêlant putes et flics, vieux et jeunes, passants et racailles, agressions, fuites, sauvetages, retrouvailles. Comme le Sacha Guitry de Remontons les Champs-Elysées, Nabe nous entraîne dans ce micro monde où tout pourtant est contenu, entre la place de l’Etoile et un terminus RER, à la recherche d’Emma, son âme renversée, son nouvel amour, celui qui le fait renaître à lui-même, aidé par un Saint-Bernard des profondeurs qui le guide sur le chemin d’une nouvelle vie.

On ne sait plus si Nabe, en publiant son Journal, voulait faire de sa vie une œuvre d’art, comme tout écrivain autofictionnel, ou s’il voulait faire une œuvre d’art de son époque elle-même, ambition plus forte. Qu’importe : il a su créer un personnage, lui-même, bien plus que n’importe quel écrivain autofictionnel adoré des médias. Dans les circonstances de la naissance de son dernier roman, son personnage de Don Quichotte de la littérature française a pris une épaisseur, une place qu’il va être difficile d’ignorer. Tant mieux.

mardi 20 avril 2010

Baudelaire vous emmerde


Pour ajouter une touche aux justes remarques de l’Amiral, et parce que je partage son ahurissement devant l’effronterie qui consiste à faire de Baudelaire un poète à enseigner dans les collèges, un démocrate cool, voire un type bien, je veux citer un passage d’un texte contenu dans les Fusées, écrit entre 1855 et 1862.

Les très grands écrivains sont souvent, très souvent, de très grands réacs. Ce mot étant très imprécis, il permet à tous, y compris les hypocrites, de ne pas regarder les choses en face et de récupérer la gloire des grands anciens en gommant les aspects qui ruineraient le cousinage imaginaire dont ils essayent de tirer un profit. Qu’un apôtre des droits de l’homme, du féminisme, de la démocratie et des Vélib’ se dise « baudelairien », par exemple, c’est un véritable attentat. De même, si on aime ensemble le socialisme, le suffrage universel et Flaubert, c’est qu’on n’a rien compris à l’un des trois éléments.
Evidemment, l’admiration littéraire n’étant pas d’ordre religieux, il n’est demandé à personne de prendre l’ensemble de l’œuvre d’un écrivain comme un dogme, pour argent comptant, et il est permis de rejeter telle ou telle œuvre d’un artiste qu’on apprécie par ailleurs. Mais concernant Baudelaire, et tant d’autres, puisqu’on a du mal à nier son génie, on s’efforce d’en gommer littéralement les aspects les moins corrects. La mécanique de l’ordre moralisant qui nous déferle dessus est simple : il faut être admiratif des femmes, admiratif du peuple, admiratif du genre humain, suppôt du Bien et de l’hygiène, il faut être utile, tolérant, responsable, à l’écoute, enfin il faut faire en sorte que l’antique notion de sainteté paraisse une perversion antisociale en comparaison de l’existence du premier citoyen moderne venu. Et, bien sûr, il faut aimer la culture. C’est justement cette « culture » qui essaye de récupérer les artistes en les disneylandisant, en les rendant édifiants, en en proposant une version édulcorée aux consommateurs. Une version « de gauche ». Hugolisation générale !

On lit ici ou là que Baudelaire a fait le coup de feu pendant la révolution de 1848, comme s’il avait été un quelconque pré socialiste soucieux du peuple, mais on oublie de préciser ses motivations. Pire, on cherche à oublier qu’en dandy profond, il détestait du peuple non seulement la bourgeoisie (cible commode et traditionnelle) mais aussi le prolétariat (sanctifié bientôt par les luttes et le communisme). Dans le Salon de 1846, il écrit :
« Avez-vous éprouvé, vous tous que la curiosité du flâneur a souvent fourrés dans une émeute, la même joie que moi à voir un gardien du sommeil public, – sergent de ville ou municipal, la véritable armée, – crosser un républicain ? Et comme moi, vous avez dit dans votre cœur: « Crosse, crosse un peu plus fort, crosse encore, municipal de mon cœur; car en ce crossement suprême, je t’adore, et je te juge semblable à Jupiter, le grand justicier. L’homme que tu crosses est un ennemi des roses et des parfums, un fanatique des ustensiles; c’est un ennemi de Watteau, un ennemi de Raphaël, un ennemi acharné du luxe, des beaux-arts et des belles-lettres, iconoclaste juré, bourreau de Vénus et d’Apollon ! Il ne veut plus travailler, humble et anonyme ouvrier, aux roses et aux parfums publics; il veut être libre, l’ignorant, et il est incapable de fonder un atelier de fleurs et de parfumeries nouvelles. Crosse religieusement les omoplates de l’anarchiste ! »

Hé oui, notre poète génial était dur avec le consommateur. La plupart de ceux qui se moquent aujourd’hui des juges qui condamnèrent les Fleurs du mal au nom de la morale publique seraient, je le parie, tous disposés à lui foutre une fatwa citoyenne sur le dos pour ces quelques lignes… On glorifie les provocateurs de plateau télé, on subventionne des rebelles par paquets de douze, mais les temps ont changé: les baudelairiens d'aujourd'hui appellent la jeunesse à se lever pour des couloirs de bus, pour des repas équilibrés et riches en fibres, pour un monde meilleur où chacun a non seulement sa place, mais toute la place. Baudelaire vous emmerde.



Pour en revenir à ma promesse introductive, voici un texte qui m’impressionne. J’y vois une anticipation parfaite de ce que nous vivons aujourd’hui : avilissement des cœurs partout, soumission, avidité, combat de tous contre tous, phobie sécuritaire. Tout ça en quelques lignes, l’air de rien.
Cruauté de Baudelaire qui nous assaisonne à un siècle et demi de distance, et qui avait bien compris le destin de ce qu’il voyait naître sous ses yeux : le massif monde moderne.

"Le monde va finir. (…) Je ne dis pas que le monde sera réduit aux expédient set au désordre bouffon des républiques du Sud-Amérique, - que peut-être même nous retournerons à l’état sauvage, et que nous irons, à travers les ruines herbues de notre civilisation, chercher notre pâture, un fusil à la main. Non ; - car ce sort et ces aventures supposeraient encore une certaine énergie vitale, écho des premiers âges. Nouvel exemple et nouvelles victimes des inexorables lois morales, nous périrons par où nous avons cru vivre. La mécanique nous aura tellement américanisés, le progrès aura si bien atrophié en nous toute la partie spirituelle, que rien parmi les rêveries sanguinaires, sacrilèges ou anti naturelles des utopistes ne pourra être comparé à ses résultats positifs. Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie. De la religion, je crois inutile d’en parler et d’en rechercher les restes, puisque se donner encore la peine de nier Dieu est le seul scandale en pareilles matières. La propriété avait disparu virtuellement avec le croit d’aînesse ; mais le temps viendra où l’humanité, comme un ogre vengeur, arrachera leur dernier morceau à ceux qui croiront avoir hérité légitimement des révolutions. Encore, là ne serait pas le mal suprême.
L’imagination humaine peut concevoir, sans trop de peine, des républiques ou autres états communautaires, dignes de quelque gloire, s’ils sont dirigés par des hommes sacrés, par de certains aristocrates. Mais ce n’est pas particulièrement par des institutions politiques que se manifestera la ruine universelle, ou le progrès universel, car peu m’importe le nom. Ce sera par l’avilissement des cœurs. Ai-je besoin de dire que le peu qui restera de politique se débattra péniblement dans les étreintes de l’animalité générale, et que les gouvernants seront forcés, pour se maintenir et pour créer un fantôme d’ordre, de recourir à des moyens qui feraient frissonner notre humanité actuelle, pourtant si endurcie ? – Alors le fils fuira la famille, non pas à dix-huit ans, mais à douze, émancipé par sa précocité gloutonne ; il la fuira, non pas pour chercher des aventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour, non pas pour immortaliser un galetas par de sublimes pensées, mais pour fonder un commerce, pour s’enrichir et pour faire concurrence à son infâme papa, - fondateur et actionnaire d’un journal qui répandra les lumières et qui ferait considérer Le Siècle d’alors comme un suppôt de la superstition. (…) Alors, ce qui ressemblera à la vertu, - que dis-je, - tout ce qui ne sera pas l’ardeur vers Plutus sera réputé un immense ridicule. La justice, si, à cette époque fortunée, il peut encore exister une justice, fera interdire les citoyens qui ne sauront pas faire fortune. Ton épouse, Ô Bourgeois ! ta chaste moitié dont la légitimité fait pour toi la poésie, introduisant désormais dans la légalité une infamie irréprochable, gardienne vigilante et amoureuse de ton coffre-fort, ne sera plus que l’idéal parfait de la femme entretenue. Ta fille, avec une nubilité enfantine, rêvera dans son berceau, qu’elle se vend un million. Et toi-même, Ô Bourgeois, - moins poète encore que tu n’es aujourd’hui, - tu n’y trouveras rien à redire ; tu ne regretteras rien. Car il y a des choses dans l’homme, qui se fortifient et prospèrent à mesure que d’autres se délicatisent et s’amoindrissent, et, grâce au progrès de ces temps, il ne te restera de tes entrailles que des viscères !" Fusées -

mercredi 31 mars 2010

Schmock et Archischmock

A la faveur d'un commentaire sur l'affaire Guillon, un lecteur anonyme m'a filé le lien d'un mec à la fois drôle et pertinent : Archiscmock. Je ne résiste pas au plaisir de relayer deux de ses vidéos, en conseillant au lecteur d'aller faire un grand tour sur la chaîne du gonze, ça vaut le détour.


Stéphane Guillon: le pape des chroniqueurs
envoyé par archischmock. - Cliquez pour voir plus de vidéos marrantes.


Castration chimique ou peine de maures?
envoyé par archischmock. - L'info video en direct.

mardi 30 mars 2010

Mélanchon nous console

Jean-Luc Mélanchon a su trouver les mots qui consolent. Il est à prévoir que la profession des journalistes va lui tomber dessus. Mais quand, dans un siècle, on fera l’histoire de ce qui a miné la démocratie, de ce qui a favorisé partout l’abstentionnisme, le ricanement moutonnier et l’abaissement de toutes les valeurs, cette vidéo sera regardée comme un éclair de vérité lucide qui n’a pas eu de suites, hélas.


Mélenchon: Les journalistes sont de "petites cervelles"
envoyé par ecoledejournalisme. - L'actualité du moment en vidéo.

L'esprit de la rue


Il y a deux ans, Frank Miller a fait une adaptation du Spirit, de Will Eisner, au cinéma. La mort avait cueilli Will Eisner peu de temps avant, et lui aura épargné, bonne fille, de découvrir ce qu’un esprit malade pouvait faire de son œuvre. Rien, absolument rien de l’humour et de la poésie du grand Will n’a été compris par Miller, ni sauvé du naufrage. Mais l’auteur d’un tel film ne mérite pas la moindre chronique : il mérite la guillotine.

Will Eisner n’a pas dessiné que le Spirit, même si c’est son œuvre la plus connue. Il a aussi, entre autres choses, inventé le roman graphique, tout simplement. En 1978, il fait paraître A contract with God, qui montrera la voie d’un genre enfin mature à ces attardés de dessinateurs de B.D. et qui leur permettra enfin de revendiquer le titre d’artistes majeurs sans trop de vergogne.
Pour moi, il est surtout un graphiste fascinant, celui qui a su fixer le mieux l’ambiance de la rue new yorkaise, du moins celle de son époque, notamment dans son Big City en cinq tomes. La rue populaire, sale, animée en permanence, lieu de scènes banales ou de drames, des jeux d’enfants et du quotidien, la rue des foules besogneuses avec ses papiers gras, ses poubelles débordantes, ses escaliers refuges pour des vies ancrées au bitume.
Pour illustrer l’univers de Will Eisner, je choisis un autre chef-d’œuvre, qu’Eisner n’a pu ignorer, In the Streets (1948), tourné dans le Spanish Harlem par Helen Lewitt (assistée de Janice Loeb et James Agee), morte il y a tout juste un an, le 29 mars 2009, presque centenaire. Comme Will Eisner, Helen Lewitt décrit un petit monde particulier avec tant de sincérité qu’il en devient universel. Et le dernier plan en dit long sur ce qu’elle avait compris, alors, du temps qui passe.