vendredi 14 mai 2010

Debray dégage.



Le dernier bouquin de Régis Debray s’appelle Dégagements, titre programmatique. Au singulier, le dégagement est ce qui semble arriver à l’auteur, après des années de pur engagement, de participation active à la vie de son époque et ses aventures. Comme si, atteint par la vieillesse ou une forme de sagesse, il se délestait des pesanteurs militantes. Comment ? En faisant comme un gardien de but : un dégagement. Et on aura remarqué qu’un gardien de but n’abandonne pas le ballon qu’il shoote, il le lance au loin pour que la partie reprenne, loin de son pré carré. C’est sans doute dans cet esprit que Debray dégage.
C’est un recueil de petits mots, d’articles assez courts qui traitent d’un peu tout, en glissant, de ses expériences, des sujets actuels, de la vie quotidienne, de quelques grandes figures. Tout au long de ces pages s’étale un certain désabusement, une envie de ne plus y croire qui fait plaisir à lire, même si le style est parfois alambiqué, ou si les phrases sont ici ou là gonflées par la recherche d’une formule, qui ne vient pas toujours. En revanche, l’intelligence et la perspicacité sont bien là, qui sauvent tout. Debray n’a pas d’optimisme particulier, il se méfie de la politique, il croit que les hommes sont capables du pire, il pense à la mort, il sait qu’il ne laissera pas de trace : pour un homme de gauche, c’est très « de droite ». Sur les questions de la mort, de l’oubli, du succès ou de la gloire, il montre un détachement qui fait autant penser à Montaigne qu’à Épicure : modestie, lucidité et frugalité.
On pense à Paul Morand en lisant ces picorements piquants, toujours relevés par le point de vue inattendu, l’anecdote illustrative, la citation, la culture. Et d’ailleurs, Debray aborde Morand, bien forcé de reconnaître que ses piètres qualités d’homme sont bien compensées par son style, sa patte et son talent. « Il m’arrive de penser, au contact d’un Morand, que la véritable éthique professionnelle de l’artiste réside dans son défaut résolu d’éthique – soit par carence, soit par décision. La gauche, là-dessus, est handicapée. Elle a la prédication dans le sang. »