samedi 20 août 2011
La mort aérosol.
Le rétablissement de la peine de mort en France n’a pas été une promenade de santé. Issu des élections triomphales qui portèrent la droite dite dure au pouvoir en juin 2020, le gouvernement Topoli dut batailler non pas au Parlement, mais sur tous les médias en même temps pour contrer les adversaires radicaux de cette mesure. On s’envoyait du fascisme à la figure, on répondait en publiant des chiffres aussitôt contestés, on s’injuriait au nom de la tolérance et se vouait aux gémonies en invoquant les Droits de l’Homme. Même quand l’affaire fut entendue et la loi promulguée, les opposants continuèrent de promettre son abrogation sitôt le pouvoir reconquis. Sur ce point, le parti socialiste fut ca-té-go-rique, même quand il fut établi que personne dans le pays ne se souciait plus des intentions de ce parti finissant.
Comme prévu, la menace d’être exécuté par guillotine n’eut pas d’effet notable sur les délinquants sexuels, sauf bien sûr celui de les trancher en deux. Idem pour les assassins professionnels de type « grand banditisme », qui furent très peu nombreux à se reconvertir spontanément dans des activités plus pacifiques, comme les emplois verts, par exemple. On rapporte toutefois le cas d’un ancien « nettoyeur » de la mafia kosovare ayant mis en quelque sorte ses compétences à la disposition du Bien, en devenant « assistant de fin de vie » dans une clinique, près de la frontière suisse.
Comme la mesure ne semblait pas produire de grands changements dans la société, elle perdit son statut de star des médias et fut remplacée à ce poste par les frasques sexuelles d’une fille de ministre. Bientôt, on n’en parla plus.
Une affaire, pourtant, replaça la peine de mort au centre du débat dit « de société », du moins pour un temps. Ce fut, tout le monde s’en souvient, l’affaire Chapuis.
Jimmy Chapuis fut le premier post adolescent exécuté par guillotine dans la France moderne. Ayant enfreint la loi sur les dégradations volontaires de biens, c'est-à-dire ayant été convaincu d’avoir tagué deux cents trente endroits différents de La Rochelle, le jeune Jimmy subit, en précurseur, les foudres de la Justice. La presse internationale fut tout aussi scandalisée que celle de chez nous, puisque « se scandaliser » est une des dernières fonctions qui restent à la presse. Mais, par une alchimie que les historiens futurs auront sans doute beaucoup de mal à comprendre, le gouvernement et le pays entier semblèrent n’avoir absolument plus rien à foutre des postures morales des impeccables consciences de la presse. Jimmy fut donc tranché en deux parties inégales sur le port de la Rochelle, le matin du 10 mai 2021, après qu’une équipe d’employés municipaux eut nettoyé ses tags insanes sous les applaudissements des citoyens en liesse. Dans les colonnes du Matin de Tunis, où l’exil l’avait réduit, Bernard Henri-Levy proclama la mort symbolique de La Rochelle avec les accents d’une malédiction biblique.
Tout partit de là. A compter de cette date, il semble que les déchirements moraux soulevés d’ordinaire par la « question capitale » s’évanouirent. Comme une tribu divisée retrouve sa cohérence en sacrifiant le Bouc émissaire, la France retrouva calme et unité dans le grand massacre de ses tagueurs. Dans toutes les provinces, dans chaque ville (ou presque) des dénonciations drainèrent vers les geôles la fine fleur des tagueurs. Une génération d’élèves des Beaux-arts, fascinée par Basquiat et Pollock, et qui faisait bouse de tous murs à grands coups d’aérosols, fut abattue comme à la foire. Dès qu’un gringalet portant sac à dos, écharpe palestinienne, bonnet péruvien et pantalons à poches latérales pointait le museau dans un coin sombre, de vigilants bourgeois, quittant la torpeur du lit conjugal, se transformaient en fauves de meute et rabattaient le génie en herbe comme la faux couche un blé frais. Les scènes de violence débridée furent pourtant rares, si l’on excepte du terme violence les coups de pieds au cul et les tirages d’oreilles qui accompagnent toujours les arrestations. Et puis, il faut préciser que les tagueurs se révélèrent de biens piètres résistants. Malgré la violence romantique des slogans qu’ils éclaboussaient sur les murs des cités (« Non à l’Etat policier ! » « Le végétalisme ou la muerte !», « Intifadames ! », « Le pouvoir mâle fait mal ! »), malgré parfois des années d’abnégation au service d’associations changeuses de monde et dénonceuses de dictatures, ils se montrèrent on ne peut plus dociles face à de simples épiciers en pyjama, et se laissèrent toujours mener au commissariat sans même un écart de langage. Comment en venir aux mains dans ces circonstances ?
La seule scène de violence crue que l’on relate concerne Jean-Philippe Jouvenal-Plasquier (JP² dans le civil), le défunt président de Tchatche les murs, phare du mouvement tag. Sortant des studios de Radio France, où il venait de participer à une émission sur son thème favori, il fut en effet rejoint par la foule, tagué de peinture indélébile, recouvert de laine de verre et de caramel, puis déposé devant les portes de la prison de la Santé, où il fut accueilli par les autorités dans une regrettable avalanche de gifles. Son exécution, en revanche, fut un modèle de douceur.
La chose la plus étonnante, peut-être, dans ce retour de l’Histoire sur elle-même, c’est qu’une fois lancé, le mouvement d’extermination des tagueurs ne rencontra plus d’obstacle. Autant le rétablissement de la peine de mort avait été discuté, autant son application se révéla simple. Chaque semaine apportait son lot d’exécutions aussi régulièrement et banalement que les trains arrivent en gare. Les familles mêmes de ces disgracieux semblaient considérer la chose avec fatalité, réagissant comme si leurs rejetons fautifs n’étaient plus amendables. Il faut dire aussi que les tagueurs, pour leur grand malheur, ne constituent pas un groupe bien influent, ne disposent d’aucun relai médiatique, n’élisent aucun députés, et leur caractère nuisible n’étant pas discutable, personne ne put jamais leur trouver la moindre excuse. Une bien maladroite tentative de les considérer comme « des artistes » fut avancée, lors d’une émission d’un quart d’heure sur France Inter, mais tomba aussitôt dans l’oubli.
Devant l’afflux des dénonciations, devant l’efficacité des milices de quartier, devant l’abondance des « arrestations citoyennes » que chacun pratiquait au pied levé, la Justice fut bientôt débordée. L’enthousiasme populaire estima qu’on ne jugeait pas assez vite et surtout qu’on ne guillotinait pas comme il l’aurait fallu. Devant la pression populaire, le gouvernement Topoli vacilla, puis pris une mesure des plus raisonnables, qui souleva pourtant un bref mouvement d’indignation au Parlement européen : la mise en vente de guillotines portatives. Dès l’annonce de cette décision, le site guillotine-on-line.gouv.fr fut assailli de commandes. En deux jours, les stocks disponibles furent épuisés. Comme à chaque fois, le public dépité se rabattit sur des sites Internet proposant des produits bon marché, qui ne répondaient pas à toutes les normes. Il est regrettable que des citoyens, n’ayant pas eu la patience d’attendre une semaine, se soient rabattus sur des guillotines de fabrication chinoise, responsables d’exécutions bâclées où le plaisir manquait.
Quoi qu’il en fût, la possibilité d’exécuter soi-même son tagueur (après, évidemment, l’avoir jugé soi-même) est la principale explication à l’éradication définitive des tags en France.