jeudi 27 juillet 2017

Ce sont mes couilles



Il y a trois semaines, assis sur un strapontin dans le métro, j’ai vécu une expérience anodine mais qui prend, ces jours-ci, une signification manifestement prophétique. Voici : dans la rame du métro, les strapontins vont par deux. L’un est situé contre le flanc même du métro, l’autre est placé du côté du couloir. C’est ce strapontin qui recevait, cet après-midi-là, la part la plus symétrique de ma personne. A la station Bastille, une flopée d’ahuris viennent s’ajouter aux occupants en place, et une femme piriforme vient s’asseoir à côté de moi. Plus précisément, elle s’assoit en partie sur moi, car ses hanches, larges comme l’arrière d’une fourgonnette, dépassaient de beaucoup les dimensions prévues par les ergonomes de chez Alstom. Quoique rondelette, cette femme ne s’approchait pas du quintal, mais ses formes éminemment féminines répartissaient dans la partie inférieure du corps l’essentiel de sa masse. Derechef, je glisse mon infime cul sur la gauche, laissant à ma fesse droite la mission de supporter seule le reste du parcours. Je fis ainsi de mon mieux pour laisser à cette femme la place revendiquée par son imposant fondement, en conservant quand même le privilège inconfortable d’être assis à 50%. Dans cette situation, croyez-moi, nulle trace d’une quelconque émotion érotique, du moins pour ce qui me concerne. Je restai, indifférent, cinq bonnes minutes calé contre les fesses d’une géante inconnue, comme un hameau paisible aux pieds d’une montagne…


Croyez-vous que j’aie manifesté un sentiment d’injustice, même secret, d’être ainsi à moitié éjecté de mon siège ? Croyez-vous que j’aie pensé que les femmes qui prennent le métro devraient être contraintes à laisser leur cul sur le quai ? Pensez-vous que j’aie envisagé faire pression sur les autorités pour qu’elles décident de mesures coercitives à l’encontre de ces femmes inciviques ? Rien de tout cela : j’ai fait un pas de côté avec mon cul (exploit physiologique que je signale en passant) et j’ai utilisé le peu de neurones qui me restait pour penser à autre chose. Pourquoi cette désinvolture ? parce que je ne suis pas moderne.

Le monde moderne, en effet, ne supporte plus qu’une contrariété ne fasse l’objet d’une tonique dénonciation, d’un procès, d’un scandale public. Il faut ouvrir sa gueule, tempêter et combattre dès qu’une chose semble ne pas avoir été conçue à vos exactes mesures. Un trottoir qui fait une petite bosse ? Pétition! Un asticot dans ma salade ? Procès ! Un type qui éternue dans une montgolfière ? Class-action ! Variante, annoncée de longue date mais dans l’indifférence planétaire, de la guerre de tous contre tous. Il faut donc que l’Etat pourvoit à tout et mette ses gros sabots dans les petites affaires de tout un chacun, qu’il réglemente la quantité d’huile que je verse sur ma pizza (d’une taille codifiée par arrêté ministériel), qu’il réglemente l’attitude à tenir si une mouche flatule lors d’une finale de coupe du monde de saut à ski et, bien sûr, qu’il interdise les mots infâmes (dire qu’un cul-de-jatte est un infirme vous mène droit à la 17ème chambre correctionnelle : c’est une « personne-en-situation-de-handicap »). L’Etat interdit, par exemple, qu’on fume dans une auto transportant un mineur, mais encourage, à raison de quatre heures de télé quotidiennes, qu’on en fasse un robuste abruti.

La France, donc, est en train de se pencher sur la grave question de la position assise des mâles dans les transports en commun. Il paraîtrait que l’homme y tient trop de place, avec son habitude scandaleuse d’écarter les cuisses quand il s’assoit. Après la décision du métro de Madrid, la France-qui-modernise se réveille : une idée débile qu’on n’a pas eue ? Emboitons-lui le pas ! Les Américains nomment ça le manspreading (étalement masculin), ce mot atroce suffira bien à fédérer les énergies anti-mec de France. Déjà, les édiles s’en emparent, avec le zèle qui convient : après avoir renoncé à libérer l’être humain des rapports de production injustes, une sénatrice se prétendant communiste ne trouve rien de mieux que d’en faire l’alpha et l’oméga de son action publique. Valérie Pécresse, astro-nullité à la tête du Conseil régional de Paris, demande un « état des lieux dans le TER et la SCNF », et fissa ! Et Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat d’on ne sait plus quoi, représentant en l’occurrence l’Etat, annonce qu’il faut redresser les comportements des garçonnets dès la maternelle. Big Mother Is Watching You, Son !


Il y a évidemment des gens qui se comportent comme des porcs dans les transports en commun. J’ajoute : 1) ils sévissent aussi en dehors des transports en commun, 2) ils ne sont pas forcément des hommes. Il y a des goujats, des malappris, des chameaux, des fâcheux, des emmerdeurs et toutes sortes d’enculés dans les bus, les trains et les métros, je l’affirme ! Il y en a même qui prennent l’avion. Il existe de franches ordures au Parlement, des malfaiteurs au Collège de France et des violeurs de femme de chambre à la tête du FMI. Il y a donc des méchants partout. Pourquoi venir faire chier ceux qui prennent le métro ? Parce que, justement, tout le monde prend le métro. Tout le monde est susceptible d’être ce mec qu’on montre du doigt, qu’on va bientôt symboliser sur un pictogramme barré d’un trait rouge. Tout homme ordinaire, même s’il n’est pas député, est donc désigné comme le potentiel monstre qui ne prend pas la peine de rectifier sa position quand une dame vient s’assoir à côté de lui. Mais, au fait, pourquoi une dame ? Les écarteurs de jambes ne gênent-ils que les dames ?

Appelons maintenant à la barre le président de l’institut de physiologie comparé de France, monsieur le professeur Borchmüh, sommité qu’on ne présente plus et qui obtint, rappelons-le, dans les années 1960, son bac de géographie avec mention. Que nous dit-il ? Que le bassin des femmes est différent de celui des hommes. Bravo, nous n’avions pas remarqué ce détail. Que les hommes ne serrent les jambes en position assise qu’au prix d’un effort, tandis qu’il faut un effort à ces dames pour les écarter (le professeur Borchmüh fait ici allusion aux femmes honnêtes, bien entendu). Il conclut son exposé en rappelant que la position assise est aussi une chose qui s’apprend, et qu’on apprend toujours aux filles de ne pas s’assoir en écartant les cuisses, limitant ainsi le risque de passer pour de fieffées salopes. Tout cela nous amène à considérer que l’écartement jambier est fonction d’un nombre important de facteurs, et pas seulement d’un machisme éhonté.

Il serait bon que personne n’oublie qu’en plus de tout cela, les hommes possèdent des couilles. Ces couilles, aussi inutiles qu’elles puissent paraître en ce si moderne XXIème siècle, sont disposées justement entre les jambes. Ce détail à valeur d’explication : les hommes du monde entier ont tendance à écarter un peu les jambes en marchant et surtout en s’asseyant parce que, simplement, ils ont une paire de balloches entre. Quand on est un homme, serrer les cuisses demande chaque fois une petite mise au point, si l’on veut que la chose se passe sans incident.

Mais la passion des autorités publiques pour cette connerie trouve ses raisons ailleurs. Qu’est-ce qu’une féministe radicalisée peut bien avoir à foutre de subtilités comme la largeur des bassins, les différences d’ossatures entre les mâles et les femelles ou, pire, les différences culturelles quant à la façon de se tenir en public ? Pour les fanatiques du genre, rien ne saurait s’opposer à l’ordre nouveau, et surtout pas la Nature (qui, de toute façon, n’existe pas). Il faudrait bien plus que ces menus détails (nos couilles, messieurs) pour faire reculer des gens qui défendent le « droit » de chacun de changer de sexe, d’identité, de couleur de peau, bientôt d’espèce… Il y a cinq ans, dans une collectivité locale suédoise, un responsable du parti de gauche avait déposé un projet visant à interdire aux mâles de pisser debout dans les chiottes publics (j’imagine que ces démocrates envisageaient aussi de poster un policier dans chaque cagoinces pour aligner les resquilleurs). L’idée était au fond la même, il s’agissait de forcer les hommes à se comporter en public (bientôt en privé ?) comme des femmes. Pisser assis en Suède, s’assoir en serrant les genoux à Paris. Ne croyez pas l’appareil médiatico-publicitaire quand il vous claironne « soyez vous-même ! » : la norme comportementale publique, sachez-le, c’est désormais la norme féminine. Tout ce qui est typiquement masculin (mettre son poing dans la gueule à un dégueulasse, avoir un service trois-pièces, fonder un empire sur internet) doit être empêché d’une façon ou d’une autre. Ici, on obligera le mec à s’assoir comme il faut ; là, on séparera les garçons des filles (au nom de la liberté, de l’égalité et d’autres notions ronflantes) ; ailleurs, on souhaitera un monde où hommes et femmes soient mis suffisamment à distance les uns des autres pour que toute concurrence y disparaisse.


Depuis un gros siècle, les femmes ont pris leur place dans le monde « ouvert » de la société civile et du travail salarié. Certaines fanatiques, jugeant qu’elles n’y réussissent pas assez, réclament à présent qu’on leur réserve des quotas. Une variante de la course à handicap, en somme. Et, naturellement, puisqu’un accord minimal sur le sens des mots est devenu impossible, cette manipulation s’effectue sans complexe sous le patronage de la sainte Egalité… En ce début de siècle où tout semble s’emballer, la même fièvre hystérique touche les tenants bigarrés de la néo-modernité politiquement correcte : ici, des antiracistes autoproclamés, le front haut, trient les gens selon leur âge, la couleur de leur peau, leur sexe, parfois selon leur orientation sexuelle ! Là, des féministes égalitaristes veulent séparer les garçons des filles à l’école, sous prétexte que ces dernières sont dérangées par l’énergie négative des premiers (mais bien sûr, l’énergie bruyante des cancres n’a jamais dérangé les bons élèves masculins, c’est bien connu). Ailleurs, on refuse d'étudier Platon, Kant ou Voltaire parce qu'ils eurent le tort d'être blancs! Et à Paris désormais, des grenouilles de bénitier d’un nouveau genre veulent que les hommes serrent bien les genoux en s’asseyant, comme des premières communiantes ! Et n’adressez pas la parole aux inconnus ! Et baissez les yeux quand on vous parle !

La portée symbolique de ces gesticulations n’est pas à prendre à la légère : en prétendant règlementer la façon de s’assoir ou de pisser des gens, on nie tout bonnement leur autonomie. Comme on le fait avec un petit enfant, on réglemente, on normalise, on façonne bientôt les moindres gestes, dans un mouvement d’humiliation massive qui n’est rien d’autre qu’un fascisme décomplexé. Comme chaque fois, ce fascisme est soutenu par la presse, l’Université et nombre d’intellectuels. Et le peuple, anesthésié par on ne sait quoi, n’y trouve rien de fondamental à redire.


Les laquais de ce pouvoir pervers mettent d’ailleurs tout leur zèle à précéder les temps nouveaux, à devancer les contraintes fermentant dans l’esprit des malades du ressentiment. On assiste à la grande braderie de l’histoire et des règles minimales de vie en communauté : quand des étudiants africains de Londres ont l’indécence de réclamer que des figures historiques d’une université soient effacées des monuments qu’ils fondirent en leur temps, et ceci parce que leur personnalités « d’hommes blancs de plus de cinquante ans les intimident » (!!!), on s’attend à ce qu’une voix s’élève et clame, sans faiblir : allez tous vous faire enculer ! On s’attend à ce que des bordées de coups de pied au cul les renvoient revendiquer à Ouagadougou ! Mais non, comme avec le manspreading, comme chaque fois qu'une bande de tarés disent "chiche" aux idées progressistes devenues folles, les munichois se pressent, se bousculent, tendent le cou sous le joug mou qu’on leur tend. Au-delà du fait qu’elle nous entraîne tous dans les chiottes de l’Histoire, leur soumission est rendue plus ignoble encore par la débilité, la hideur morale des nouveaux maitres.