vendredi 19 décembre 2008

Burn before reading

Fucking a...

Les frères Coen comptent parmi les plus épatants cinéastes de notre époque, tout le monde est d’accord là-dessus. Dans la douzaine de films qu’ils ont derrière eux, on ne trouve pas de mauvais film. Certains sont moins bons que d’autres, plusieurs sont des chefs d’œuvre, d’autres sont simplement de très bons films, dont le moins bon de tous serait encore capable de susciter enthousiasme délirant et poussée de chauvinisme s’il avait été pensé et pondu par un cinéaste de chez nous.
Des critiques ont traité par le mépris leur « Ladykillers », coupable probablement de n’être qu’une pure comédie (genre mineur, tout Molière en témoigne). Sous la plume d’un demeuré, j’ai même lu qu’ils avaient, à cette occasion, « touché le fond »… alors qu’on aurait probablement bombardé Chevalier de la Légion d’honneur en moins de trois jours le français capable de s’approcher de ce genre de fond-là. Pour tout dire, je les considère comme de très grands cinéastes, de très grands techniciens, parmi les meilleurs de notre époque, capables de finesse et d’intelligence en conservant une forme populaire, et j’attends toujours leur prochain film avec une impatience fébrile.
Qui se souvient d’Edwin Moses ? C’était un coureur de 400 mètres haies du début des années 80, le meilleur. Sa foulée était unique, surprenante, impériale : entre les haies, il était le seul homme au monde à pouvoir n’en faire que treize, et cet avantage lui permit d’être invaincu pendant près de dix ans. Pourtant, alors que je le pensais tout simplement invincible (j’étais bien jeune), que j’avais toute confiance en lui pour me fournir un modèle héroïque quasi éternel, il fut battu par un dégueulasse un jour de 1987. Il foira. C’est ce qui vient d’arriver aux frères Coen. Burn after reading est à la fois un film des frères Coen ET un film mauvais : en ce sens, il est unique.
L’histoire, on s’en fout. Elle repose sur un quiproquo, le truc le plus vieux et parmi les plus efficaces pour faire marrer les gens, elle n’est pas en cause. Il est totalement inutile de se casser le tronc à chercher une histoire originale ou complexe pour réussir un film : je rappelle que The big Lebowski raconte l’histoire d’un mec à qui on a simplement volé un tapis… Mais Burn after reading est dans une tout autre catégorie, celle des films drôles qui ne font rire personne. Le rythme est atrocement lent : pour une histoire à rebondissements, c’est louche. La mise en place de l’histoire n’en finit pas, on passe des quarts d’heure à enculer les mouches. Le spectateur bienveillant se dit chouette, ils sont en train de me fignoler une histoire de dingue, ils prennent un peu leur temps au début pour me surprendre ensuite, et là, alors, ça va chauffer, hou la la ! Mais le temps passe et rien n’arrive. On attend les répliques qui font mouche, les situations non seulement drôles, mais coeniquement drôles, avec ce style, cette précision, cette cruauté, ce coup d’œil des Coen, et surtout ce rythme habituellement parfait, qui ici est absent. L’humour, c’est de l’intelligence qui a le sens du rythme (©Beboper. Tous droits réservés pour tous pays, y compris le 9-3). C’est ce précieux dosage de retenue, de lenteur et d’accélération immédiate qui surprend, qui révèle ce qui n’apparaissait pas et arrache le rire en un instant, là, paf ! A l’écrit ou à l’oral, il s’agit toujours d’une surprise. Rien n’est plus foireux qu’un truc qu’on « voit venir », qu’on devine. Même si on peut parfois rire par anticipation, si on peut jubiler d’avance, le rire vient pour libérer la tension produite par le changement de rythme, par la surprise, il n’éclate qu’à l’acmée et, pour une fraction de seconde d’inattention, il est réduit à rien. Autour d’une bonne table où l’on parle, où l’on s’apostrophe joyeusement, on rencontre parfois des gens trop hésitants ou trop timides pour dire le mot qu’il faut à l’instant exact où il peut être furieusement drôle et qui s’humilient eux-mêmes en essayant de le placer malgré tout, malgré que le moment soit passé, à contre temps. Comme dans un solo de guitare, ce n’est pas ce qu’on dit qui est en jeu, c’est comment on le dit, sous quel rythme.
Les frangins Coen ont donc (provisoirement) perdu le sens du rythme. Ils ont étalé sur deux plombes une succession de scènes moyennes, sans relief, et ils endorment les salles. Ils ont perdu (provisoirement) ce génie de créer des personnages forts, des rôles d’anthologie - le coiffeur (Barber), la flic enceinte (Fargo), Walter Sobchak (Lebowski), et tant d’autres. Les acteurs eux-mêmes apparaissent tous très en dessous de leur niveau habituel (Brad Pitt n’est pas convaincant, pour la première fois peut-être ; Clooney est insignifiant, Malkovich pue l’esprit de sérieux, Frances Mc Dormand semble avoir été bridée). Certes, l’histoire peut être qualifié de loufoque, et je pressens qu’une foule de ballots vont la décrire comme ça, mais ça ne garantie pas du tout qu’on ne s’y emmerde pas considérablement. L’affaire Clearstream aussi, c’est loufoque, mais ça te fait rire, toi ?